COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 24

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 2 juin 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-Paul Béchat, président-directeur général de Snecma

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Audition de M. Jean-Paul Béchat, président-directeur général de Snecma.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Jean-Paul Béchat, président-directeur général de Snecma.

M. Jean-Paul Béchat a indiqué que Snecma réalisait un chiffre d'affaires de 6,5 milliards d'euros et employait 39 800 personnes, dont 29 000 en France. L'entreprise est ainsi fortement ancrée dans l'Hexagone, tout en possédant une bonne assise internationale, puisqu'elle emploie notamment 5 800 personnes en Amérique du Nord, dont 2 800 aux Etats-Unis, et qu'elle est également implantée au Royaume-Uni, en Belgique, en Australie, au Japon, en Afrique du Sud, au Brésil, en Chine, en Inde et en Russie.

Son orientation progressive vers le secteur civil, engagée il y a plusieurs décennies, a porté ses fruits, puisqu'aujourd'hui, ses activités civiles sont largement majoritaires, représentant 80 % de son chiffre d'affaires, même si ce sont les programmes de défense qui tirent ses technologies. Son premier client est Boeing, juste devant Airbus. Parce qu'il réalise en majorité des moteurs et des équipements d'avions civils, le groupe Snecma est très sensible à la santé financière des compagnies aériennes et vient de traverser deux années difficiles. La crise économique et l'impact des attentats du 11 septembre 2001, puis du conflit irakien, sur le transport aérien ont conduit à la faillite nombre de ses clients, tels que United Airlines, US Airways, Air Canada, Sabena et Swissair. Malgré tout, Snecma a bien résisté à cette conjoncture peu favorable, puisque le groupe a affiché des bénéfices nets de 106 millions d'euros en 2002 et de 182 millions d'euros en 2003, démontrant ainsi la robustesse de son modèle économique. Cette situation a incité le Gouvernement à relancer la procédure d'ouverture du capital engagée en juin 2001 et interrompue au lendemain des attentats du 11 septembre de la même année.

Aujourd'hui, la confiance des investisseurs dans le secteur aéronautique est revenue. A titre d'exemple, le cours boursier d'EADS a progressé de 8 % depuis le début de l'année 2004. Ce contexte justifie que l'Etat envisage une ouverture de capital de Snecma à hauteur de 35 %, ce qui ramènerait sa part de 97 % à 62 %, tout en lui permettant de conserver le contrôle de la société. La vente de titres concernera trois types d'investisseurs : en application de la loi relative à l'ouverture du capital des entreprises publiques, les salariés et les ayants droit - c'est-à-dire les anciens salariés qui sont restés au moins cinq ans au sein du groupe -, représentant 66 000 personnes, pourront acquérir 10 % du capital mis sur le marché, soit 3,5 % du capital de l'entreprise, tandis que le reste des titres sera réservé aux investisseurs institutionnels et aux particuliers français. Cette opération devrait intervenir dans les prochains jours.

M. Jean-Michel Boucheron a demandé que soient rappelées les circonstances de l'alliance de Snecma avec General Electric. Il a également voulu connaître l'avenir de ce partenariat. Il a enfin souhaité savoir quels étaient les rapports du groupe français avec Rolls Royce.

M. Jean-Paul Béchat a rappelé qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'activité de Snecma consistait essentiellement à construire des moteurs d'aéronefs militaires. Le groupe a ensuite pris la décision stratégique de s'orienter également vers des activités civiles, afin de profiter du caractère fortement dual des équipements aéronautiques qu'il produisait.

Pour ce faire, Snecma a noué une alliance avec Bristol Siddeley, repris par la suite par Rolls Royce, pour la réalisation des moteurs de l'avion Concorde ; si ce programme n'a pas rencontré le succès commercial escompté, il a été l'occasion de développer de nouvelles technologies. Par la suite, Snecma a engagé des négociations pour trouver un partenaire lui permettant de développer un moteur de dix tonnes. A cette date, en 1971, Rolls Royce se trouvait en faillite et avait été nationalisé ; de plus, son objectif était de réaliser un moteur de plus grande taille. La société Snecma s'est donc tournée vers les industriels américains. Le groupe Pratt & Whitney a décliné son offre, car il n'avait pas besoin d'un tel partenariat. En revanche, le groupe General Electric, dont les activités étaient alors majoritairement militaires, s'est montré intéressé ; la création d'une société commune à celui-ci et à Snecma, en 1974, a concrétisé leur partenariat. Ce dernier a permis à Snecma de devenir un acteur majeur du secteur civil : l'an passé, son chiffre d'affaires sur ce créneau d'activité a ainsi dépassé celui de Pratt & Whitney.

Les moteurs civils développés avec General Electric, incluant la famille CFM 56 et des participations à de gros moteurs, représentent de l'ordre de 35 % du chiffre d'affaires de Snecma, ce qui témoigne de la réussite de leur partenariat. En outre, les conditions de création de cette alliance s'avèrent aujourd'hui très bénéfiques pour Snecma. Lors de la mise en place de la société commune, les Etats-Unis ont refusé que soit effectué tout transfert de technologies. En effet, le corps haute pression choisi pour les futurs moteurs CFM était celui du moteur du bombardier B 1 et l'armée américaine craignait des fuites de technologies militaires sensibles vers l'Europe. Cette décision américaine a donc contraint Snecma à réaliser de façon continue les efforts indispensables pour se maintenir au niveau de son partenaire et l'a amené à progresser de façon considérable. La société commune étant détenue à parité par les deux entreprises, Snecma est aujourd'hui pleinement propriétaire de la moitié de son fonds de commerce, mais aussi des brevets déposés et des technologies développées dans son métier de motoriste.

Ce partenariat est extrêmement solide. Au printemps 2003, le président-directeur général de Boeing et le président-directeur général de General Electric ont effectué chacun une tournée en Europe. Le premier a souligné qu'il avait deux partenaires européens majeurs, BAe Systems et Snecma. Le second, mettant en exergue la bonne gestion de Snecma, a indiqué que son partenariat avec le groupe français s'inscrivait dans le long terme et que, si le capital de celui-ci était ouvert, General Electric serait prêt à y entrer à hauteur de 5 % à 10 %. La situation industrielle acquise constitue un atout puissant pour la pérennité de leur alliance. Aujourd'hui, 14 000 moteurs CFM sont en service ; le carnet de commandes de la société commune représente deux ans et demi à trois ans d'activité. L'accord actuel couvre jusqu'en 2015 tout développement de moteurs nouveaux. Or, la durée d'utilisation d'un moteur oscille entre vingt-cinq et trente ans. L'accord ne prévoyant la fin du partenariat qu'à la fin de la vie des derniers moteurs en service, y compris ceux non encore développés, l'avenir de cette alliance est assuré pour une très longue période.

L'activité de Snecma ne repose pas seulement sur sa coopération avec General Electric : 65 % de son chiffre d'affaires est réalisé en dehors de cette coopération. Snecma a ainsi développé des alliances avec la société Rolls Royce, notamment pour les moteurs des hélicoptères Tigre, NH 90 et EH 101. Si le NH 90, produit par Eurocopter, et le EH 101, construit par Agusta-Westland, sont deux appareils concurrents, dans les deux cas le client peut choisir le moteur Snecma-Rolls Royce, qui équipe les deux appareils. Le moteur du nouvel avion A 400 M a également fait l'objet d'un partenariat entre Snecma, Rolls Royce, l'allemand MTU et l'espagnol ITP. On peut mesurer les progrès accomplis en rappelant qu'il y a dix ans, pour le premier projet de moteur de cet appareil, Snecma, MTU, Fiat Avio et ITP s'étaient alliés pour proposer un projet concurrent de celui de Rolls Royce. Le nouveau projet européen l'a finalement emporté sur une offre présentée par la filiale canadienne de Pratt & Whitney.

Se félicitant de l'élaboration d'un moteur européen pour l'A 400 M, M. René Galy-Dejean a demandé si celui-ci devait être considéré comme un projet unique ou s'il pouvait ouvrir des perspectives plus larges, allant jusqu'à la création d'un groupe motoriste européen unifié. Il a ensuite souhaité obtenir des précisions sur le rapprochement entre Snecma et SNPE et a demandé si la privatisation de Snecma pouvait interférer avec ce rapprochement. Enfin, il s'est enquis des réticences éventuelles suscitées par l'entrée de General Electric dans le capital de Snecma.

Le président Guy Teissier a fait part des inquiétudes du personnel de SNPE, dont il a récemment reçu les syndicats, sur les risques de démantèlement de l'entreprise.

M. Jean-Paul Béchat a répondu que la création en Europe d'un Airbus des moteurs n'était pas envisageable ; ce sont les activités civiles qui représentent une part prépondérante de l'activité et du chiffre d'affaires du groupe, alors que le lancement de nouveaux programmes aéronautiques militaires apparaît lointain. Snecma a livré 700 moteurs civils en 2003, contre seulement une dizaine de moteurs militaires. Lors de la création d'Airbus, à laquelle British Aerospace n'a pas participé, Rolls Royce n'avait pas fait d'offre de moteurs pour cet appareil. Rolls Royce n'a pas voulu réaliser le moteur de dix tonnes avec Snecma, qui a donc dû se tourner vers un partenariat avec un groupe américain. De ce fait, aujourd'hui, l'objectif premier de Snecma est de développer les activités de moteurs CFM, en concurrence avec Rolls Royce. De plus, compte tenu de leurs parts de marché respectives, il est très probable que tout projet de fusion entre les deux groupes serait bloqué par la Commission européenne.

Si de nouveaux programmes militaires sont lancés en Europe, le financement devra être européen, et pas seulement national. Dans cette optique, Snecma et Rolls Royce sont prêts à élargir leurs partenariats dans le domaine des moteurs militaires. Une société commune a même déjà été créée en février 2001 pour réaliser des études avancées ; bien qu'elle soit constituée à l'initiative de la délégation générale pour l'armement et de son homologue britannique, elle n'a reçu à ce jour aucun contrat. Les industriels sont donc prêts à coopérer, il revient aux Etats de lancer les programmes le leur permettant.

SNPE et Snecma sont déjà associés depuis une trentaine d'années pour la construction des moteurs des missiles balistiques. Les métiers de motoriste et de chimiste sont en effet étroitement liés dans le domaine des moteurs à propergol solide. Un groupement d'intérêt économique (GIE) a été créé par les deux groupes, 75% des parts étant détenues par Snecma, contre 25% par SNPE. En 1999, le délégué général pour l'armement, préoccupé par l'évolution de SNPE, a envisagé un adossement des activités défense et espace de cette société à Snecma. En effet, les activités civiles de SNPE devenaient prépondérantes, l'entreprise projetant notamment de réaliser des investissements aux Etats-Unis, et ses activités militaires se réduisaient notablement. Snecma a réagit favorablement au principe d'un rapprochement avec SNPE dans le domaine de la propulsion, puisqu'il s'inscrivait dans leur coopération établie de longue date au sein du GIE. Toutefois, la DGA demandait également l'adossement des activités de poudres et explosifs de SNPE, afin de préserver des compétences essentielles dans le domaine des matériaux énergétiques, que la France est l'un des rares pays en Europe à avoir conservées. Ces activités n'entrent pas dans le cœur de métier de Snecma, mais la nécessité de protéger un savoir-faire national important imposait de ne pas écarter un tel rapprochement global. Des négociations ont été engagées en ce sens, mais elles n'ont pas encore abouti, en raison notamment de la volonté de SNPE de détenir 50 % de la société nouvelle. Le nouveau président de SNPE recevra certainement mission de faire progresser ce dossier, mais les modalités de ce rapprochement ne sont pas encore définies. Ce projet ne doit en aucun cas être interprété comme le fruit de l'ambition de Snecma : les activités de SNPE qui pourraient lui être adjointes représentent entre 250 et 300 millions d'euros de chiffre d'affaires, soit une part très réduite de son chiffre d'affaires, lequel avoisine 6,5 milliards d'euros.

General Electric souhaiterait entrer dans le capital de Snecma pour témoigner de la pérennité de leur partenariat. Le Gouvernement a réaffirmé que l'opération actuelle consistait en une ouverture du capital, excluant toute opération parallèle de gré à gré. Si General Electric garde la possibilité d'acheter des actions, comme tout autre investisseur, son acquisition de 5 à 10 % du capital est écartée. Il convient de noter que Pratt and Whitney détient déjà 1,7 % du capital de Snecma, sans que cela ait une quelconque incidence sur les activités du groupe français.

M. Jérôme Rivière a évoqué l'absence de Snecma sur le segment des turbines à gaz utilisées pour la propulsion des navires. Comme le montre la perspective de la construction d'un second porte-avions, ce marché semble amené à se développer. S'agit-il d'un manque d'intérêt de Snecma pour ce secteur ou un partenariat avec Rolls-Royce est-il envisageable dans ce domaine ?

M. Jean-Paul Béchat a relevé qu'une diversification des turbines aéronautiques vers des turbines à gaz pour des applications industrielles ou marines était relativement facile. Une des filiales du groupe, Hispano Suiza, s'était d'ailleurs lancée sur ce marché, mais n'a pas réussi à y prendre pied en raison d'une taille insuffisante. Si Rolls Royce peut s'appuyer sur les commandes de la marine britannique, qui a fait le choix d'équiper la plupart de ses bâtiments de turbines à gaz, la marine française a préféré recourir à des moteurs diesel. La construction du second porte-avions ne constitue pas en tant que telle une occasion pour Snecma de pénétrer ce marché, car il apparaît peu rationnel de développer un tel produit pour deux unités seulement. Snecma ne fera donc pas d'offre concurrente à Rolls Royce/DCN. En revanche, Snecma a adopté une autre orientation que Rolls Royce, en développant ses activités mécaniques. Aujourd'hui, les équipements représentent 38% du chiffre d'affaires du groupe, qui réalisera le train d'atterrissage du nouvel avion de Boeing et travaille pour l'US Air Force.

M. Michel Sainte-Marie a noté que le président de Snecma n'était pas demandeur d'un rapprochement avec SNPE. En ce qui concerne Snecma Propulsion Solide (SPS), il avait été annoncé que ses compétences dans le domaine des fibres de carbone et de céramique seraient employées pour les tuyères civiles silencieuses à partir de 2006. Quel est l'état d'avancement de ce projet, très important pour l'avenir de l'établissement du Haillan ?

M. Jean-Paul Béchat a précisé que, si Snecma n'était pas à l'initiative du rapprochement avec SNPE, celui-ci avait incontestablement une signification industrielle, les deux sociétés coopérant depuis longtemps dans le secteur de la propulsion des missiles balistiques. La stratégie de Snecma ne doit pas être perçue comme celle d'un prédateur. Sur l'autre aspect de la question, SPS, située à Bordeaux, présente un certain nombre de fragilités : son activité est largement conditionnée par le déroulement des programmes d'armement et elle a subi les conséquences de l'arrêt des programmes S3 et Hadès. Le secteur spatial est également en difficulté et il n'est pas certain que l'ensemble des lanceurs spatiaux du futur utilise la propulsion solide. Il a donc été décidé de développer davantage les activités civiles de SPS. Le processus vient de démarrer et devrait prendre son essor.

M. Jean-Louis Bernard a souligné que la malfaçon à l'origine de l'échec d'Ariane V avait été identifiée. Où en est-on de la correction de ce défaut et à quelle date le prochain vol devrait-il intervenir ?

M. Jean-Paul Béchat a rappelé que la tuyère du moteur Vulcain avait été conçue en Suède, sous maîtrise d'œuvre d'Astrium, en Allemagne. Cette tuyère a subi des déformations imprévues lors du lancement, qui ont conduit à la destruction du lanceur. Afin de remédier au défaut constaté, Snecma a ouvert sa base de technologies données. La tuyère a été modifiée avec le dépôt des mêmes céramiques que celles employées pour la chambre de combustion du M 88, utilisé sur le Rafale. Le moteur Vulcain II modifié a subi avec succès six campagnes d'essais au sol, ce qui permet d'envisager de nouveau un tir réel au prochain trimestre. Cet épisode souligne le besoin d'une consolidation des compétences européennes dans ce domaine, afin d'éviter la répétition de ce type d'incident.

Le président Guy Teissier a relevé que le président-directeur général de Snecma n'estimait pas réaliste la constitution d'un EADS des motoristes. Toutefois, pourrait-on envisager une prise de contrôle d'Avio si le fonds d'investissement Carlyle décidait de céder sa participation ?

M. Jean-Paul Béchat a souligné que la position de Snecma et d'Avio différait considérablement, le premier étant un motoriste complet, leader dans un certain nombre de domaines, tandis que le second participait seulement à des fragments de programmes. Snecma a étudié à plusieurs reprises le dossier, mais l'acquisition n'a pu être réalisée, le gouvernement italien s'étant montré très réticent, dans le contexte du rachat de Montedison par EDF. C'est donc un fonds d'investissement américain qui contrôle Avio, à hauteur de 70 %. De façon générale, les gouvernements européens voient d'un mauvais œil qu'une entreprise publique vienne acquérir leurs groupes nationaux. Pour Snecma, l'acquisition d'Avio ne présente aucun caractère d'urgence et n'engage nullement sa survie. Carlyle a annoncé qu'il demeurerait dans le capital d'Avio encore quatre ou cinq ans et il conviendra d'examiner les conditions de vente et de prix à cette échéance.

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