COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 16

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 17 novembre 2004
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport d'information sur les conditions d'exécution des grands programmes de défense (MM. Jean-Louis Bernard et Antoine Carré, rapporteurs)


2

- Information relative à la commission

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Exécution des grands programmes de défense (rapport d'information).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport d'information de MM. Jean-Louis Bernard et Antoine Carré sur les conditions d'exécution des grands programmes de défense.

M. Antoine Carré, rapporteur, a souligné que ce rapport répondait à la préoccupation constante de la commission, depuis le début de la douzième législature, de veiller à l'état des équipements des forces françaises.

Il a précisé que le ministère de la défense dispose du premier budget d'investissement de l'Etat, avec près de 15,2 milliards d'euros inscrits en crédits de paiement aux titres V et VI du projet de loi de finances initiale pour 2005. Ces dépenses servent à l'entretien et au renouvellement des matériels des armées, mais il ne faut pas oublier qu'elles contribuent aussi à la prospérité industrielle de la France et à l'emploi, puisque 12 000 entreprises et 170 000 emplois directs en dépendent. Dès lors, s'en prendre aux programmes d'armement en vue de réaliser d'hypothétiques économies de court terme revient à renchérir le coût desdits équipements à moyen terme et à obérer les perspectives d'avenir de tout un secteur d'activité où les entreprises françaises excellent.

Un programme d'armement s'entend davantage comme un processus que comme un matériel. Il se subdivise en plusieurs séquences indispensables à la satisfaction des besoins des armées dans les meilleures conditions et fait intervenir de nombreux acteurs. C'est un document interne au ministère de la défense, l'instruction générale n° 1514, qui décrit les principales étapes et les jalons décisionnels qui ponctuent le déroulement de tout programme d'armement national. Des documents analogues existent tant aux Etats-Unis qu'au Royaume-Uni. Aux termes de l'instruction générale n° 1514, tout programme se subdivise en cinq stades : la préparation, la conception, la réalisation, l'utilisation et le démantèlement. Le déroulement de ces différentes étapes fait intervenir de nombreux acteurs. Outre les états-majors, qui expriment les besoins, et l'état-major des armées, qui veille à la cohérence des projets vis-à-vis de la programmation militaire, la délégation générale pour l'armement (DGA) est fortement impliquée dans le suivi des programmes. Dans le cas très précis des programmes spatiaux et nucléaires, le centre national d'études spatiales (CNES) et le commissariat à l'énergie atomique (CEA) sont appelés à jouer un rôle d'expertise technique essentiel. En outre, la dimension européenne est souvent présente, à travers l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) et la nouvelle agence européenne de défense.

Les programmes en cours sont marqués, certes, par des dérapages, mais aussi par quelques bonnes surprises.

Au 1er juillet 2004, les retards les plus significatifs concernaient le Rafale, de l'ordre de cent seize mois, le missile air-air d'interception, de combat et d'autodéfense (MICA) avec un dépassement de délais de quarante-huit mois, ainsi que le dépanneur Leclerc, accusant un allongement de sa durée de trente mois. Le véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI), le char Leclerc, le système de défense de zone sol-air de moyenne portée SAMP-T, le système intérimaire de drone à moyenne altitude et longue endurance, l'A 400 M, les satellites Hélios II et Syracuse III accusent des retards variant d'un à deux ans. A l'exception des missiles M 51, ASMP-A et Scalp-EG, peu de programmes se trouvaient, en juillet 2004, en conformité avec leur calendrier initial.

Les dépassements de devis sont moins fréquents. Si les Rafale, VBCI et M 51 affichent des surcoûts respectifs de 1,3 milliard, 412 millions et 244 millions d'euros, les autres programmes se révélent moins coûteux que prévu. A titre d'illustration, une économie de 27 millions d'euros a pu être dégagée sur le Scalp-EG et il en a été de même pour les MICA et NH 90 à hauteur de 6 millions et 9,9 millions d'euros.

S'il ressort de ces chiffres que des défaillances existent, il ne faut pas pour autant en conclure que les programmes d'armement français sont conduits de manière inefficace. La comparaison avec d'autres pays, à commencer par les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, n'est pas forcément au désavantage de la France. Le problème semble général, comme en attestent la dérive financière du F 22 américain, dont le coût unitaire est passé d'une prévision initiale de 52 millions de dollars à une facture effective de 121 millions de dollars, et celles, au Royaume-Uni, du programme d'avions de patrouille maritime Nimrod, dont les coûts initiaux ont été dépassés de 538 millions de livres et les délais prévisionnels de soixante et onze mois, et des sous-marins nucléaires d'attaque de nouvelle génération Astute, dont les surcoûts ont atteint 886 millions de livres avec un retard de quarante-trois mois.

M. Jean-Louis Bernard, rapporteur, a souligné que les causes des aléas qui pèsent sur les programmes d'armement sont multiples, complexes et souvent cumulatives.

Les étalements budgétaires sont l'un des problèmes récurrents, même s'il ne serait pas objectif d'en faire la cause exclusive ou prédominante des déboires les plus retentissants. Le cas du Rafale est le plus éclairant, puisque, de gels en annulations de crédits, sa mise en service opérationnel par l'armée de l'air a été décalée de près de dix ans. S'il ne saurait être question de remettre en cause la pertinence du principe de l'annualité budgétaire, il faut reconnaître que toute entorse aux engagements des lois de programmation militaire peut perturber les équilibres économiques sur lesquels les industriels et la DGA ont bâti les prévisions financières initiales des projets d'équipement. Pour mémoire, l'enveloppe globale des dépenses en capital de la loi de programmation militaire 1997-2002 a été amputée de 17 %. Il reste que la fâcheuse habitude du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie de pratiquer des gels ou des mises en réserve de précaution en cours de gestion n'a pas disparu.

Plus surprenante est la défaillance de maîtrise d'ouvrage, qui pénalise la supervision technique et financière des programmes d'armement. Il apparaît que le dialogue entre les états-majors et la DGA n'est pas toujours suffisant. Ainsi, un an après la notification, en novembre 2000, du contrat de réalisation du VBCI à Giat Industries et Renault Trucks Defense, l'état-major de l'armée de terre a émis des doutes sur l'ergonomie générale du projet. Il en est résulté une interruption des travaux de développement et une reprise d'études de concept, qui a conduit à un retard de deux ans.

La compétence technico-financière de la DGA n'est pas non plus exempte de tout reproche, comme l'illustrent les difficultés de trésorerie en paiements courants pour le Rafale, au cours de l'exercice 2003. De manière générale, de 1997 à 2003, l'accent a sans doute été trop fortement mis sur les compétences managériales, au détriment de l'expertise technique, qui constitue pourtant la raison d'être et le cœur de métier de la DGA. Ce travers semble en voie de correction, grâce notamment au recrutement d'ingénieurs.

L'accroissement de la place des hautes technologies dans les programmes est elle aussi porteuse d'aléas. En soi, les aléas technologiques ne sont pas anormaux, surtout lorsqu'ils concernent des projets complexes et ambitieux. Qu'il s'agisse de l'électronique du Rafale, des hélices du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, du blindage et des chenilles du char Leclerc, tous les programmes d'armement de génération récente ont, peu ou prou, rencontré des problèmes « de jeunesse ».

Les deux derniers facteurs explicatifs sont la situation interne des industriels et les coopérations. Dans le premier cas, les difficultés financières et sociales, à l'instar de ce que connaît actuellement Giat Industries, et les monopoles de fait sur certains secteurs considérés ont des conséquences importantes, comme en attestent les retards de livraison du char Leclerc. Pour ce qui concerne les coopérations, il est courant que les négociations entre partenaires industriels et étatiques prennent du temps et qu'elles engendrent des délais plus longs. Deux ans se sont ainsi écoulés entre la première offre de DCN sur le projet de frégates multimissions et le lancement effectif du programme avec les Italiens, lors du salon Euronaval. En outre, le programme A 400 M l'a démontré, les contingences budgétaires des uns ou des autres peuvent parfois remettre en cause l'équilibre d'ensemble.

M. Jean-Louis Bernard a ensuite exposé les suggestions formulées par les deux rapporteurs.

En premier lieu, il apparaît indispensable de travailler à une plus grande structuration de l'Europe de l'armement. La réalisation des programmes en coopération devrait, à l'avenir, faire appel à l'OCCAR, qui permet de contourner le principe du juste retour industriel, et à l'agence européenne de défense. En parallèle, il convient que l'offre industrielle se rationalise, notamment dans les domaines de l'armement naval et terrestre, soit par la constitution de véritables groupes européens intégrés de taille importante, soit, à défaut, grâce à des coopérations partant de projets industriels solides, à l'instar de ce qui s'esquisse avec les démonstrateurs de drones Neuron et EuroMALE.

Ensuite, les méthodes et les structures qui régissent la conduite des programmes d'armement méritent certaines adaptations. La ministre de la défense a déjà engagé ce chantier, sur la base d'un audit mené par un cabinet de consultants externe en 2003. Outre la réorganisation de la DGA, qui est en cours, il a été décidé de créer un conseil des systèmes de forces, présidé par le chef d'état-major des armées, dont la vocation est de préparer les propositions d'arbitrage sur tout programme, non plus uniquement à partir de considérations financières, mais également sur le fondement d'impératifs opérationnels. Le dialogue avec les industriels est également institutionnalisé à travers un conseil défense-industrie. Tout en considérant ces initiatives comme des avancées très positives, les rapporteurs préconisent une représentation du Parlement au sein du conseil défense-industrie. Une adaptation du décret du 8 février 1982 semble également nécessaire pour tenir compte du rôle d'arbitrage désormais dévolu au chef d'état-major des armées. De même, une évolution de la DGA vers un statut d'établissement public industriel et commercial (EPIC) ne saurait être totalement écartée à moyen terme, surtout si les ajustements internes ne suffisent pas à en améliorer le fonctionnement.

Enfin, même si les dispositions de la loi de programmation militaire 2003-2008 sur les crédits d'équipement sont respectées scrupuleusement depuis trois ans, il n'est pas pour autant exclu de rechercher des marges de manœuvre, notamment en envisageant de recourir à des financements innovants, dès lors que le coût final des programmes ne s'en trouve pas renchéri. Le ministère de la défense s'est engagé sur cette voie pour le programme des frégates européennes multimissions et il en fera de même pour l'acquisition d'appareils de transport et de ravitaillement multirôles (MRTT). D'autres applications pourraient être envisagées dans la prochaine loi de programmation militaire. Ces modes de financement nouveaux ne sauraient être considérés comme une panacée aux aléas budgétaires, mais seulement comme un élément de souplesse.

Rappelant les réformes de gestion mises en oeuvre par la délégation générale pour l'armement (DGA) entre 1997 et 2003, le président Guy Teissier a observé que la plupart des cadres supérieurs de cette administration sont issus de grandes écoles scientifiques et ont essentiellement une formation d'ingénieur, et non de management.

M. Jean-Louis Bernard, rapporteur, a indiqué que le gouvernement précédent avait assigné à la DGA l'objectif de réduire le coût des programmes d'armement de l'ordre de 25 %. De fait, la DGA a mis l'accent sur les compétences financières au détriment de son expertise technique. Dans le même temps, la diminution de ses personnels n'a pas été sans incidence sur son fonctionnement. Sans doute, la DGA a-t-elle perdu une partie de ses compétences techniques au cours des dernières années, ainsi que l'a d'ailleurs reconnu le délégué général pour l'armement devant la commission. Dans la réorganisation actuellement engagée, des recrutements d'ingénieurs sont prévus afin d'infléchir cette évolution. Parallèlement, la transformation du statut de la DGA est envisagée. Elle pourrait ainsi devenir un établissement public industriel et commercial (EPIC), ce qui lui apporterait davantage de souplesse de fonctionnement.

M. Antoine Carré, rapporteur, a souligné que le recrutement de jeunes ingénieurs ne pose pas de difficultés, la DGA demeurant à cet égard attractive.

M. François Huwart a souhaité savoir en quoi le conseil défense-industrie, mentionné par les rapporteurs, se distingue du conseil économique de défense.

M. Jean-Louis Bernard, rapporteur, a indiqué que le conseil défense-industrie institutionnalise le dialogue entre les responsables du ministère de la défense et les industriels de l'armement, afin de définir des solutions aux dysfonctionnements constatés dans le déroulement des programmes d'équipement. La création de cette instance doit permettre de remédier aux difficultés actuelles d'organisation, qui peuvent être illustrés par l'annulation récente d'une réunion tripartite entre l'armée de l'air, la DGA et les industriels sur le programme EuroMALE, en raison d'un désistement tardif de la DGA.

Le président Guy Teissier a relevé la pertinence de la proposition des rapporteurs tendant à instaurer une présence parlementaire au sein du conseil défense-industrie, laquelle s'inscrirait dans la mission de contrôle incombant au Parlement.

Soulignant l'importance de la présence de parlementaires au sein du comité des prix de revient des fabrications d'armement (CPRA), lequel fonctionne bien, M. Jean-Michel Boucheron a estimé que cette instance est complémentaire du conseil défense-industrie.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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Information relative à la commission

La commission a nommé M. Philippe Vitel rapporteur pour avis pour le projet de loi de finances rectificative pour 2004 (n° 1921).

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