COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 18

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 30 novembre 2004
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Yves Fromion, vice-président

SOMMAIRE

 

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- Examen du projet de loi relatif au statut général des militaires - n° 1741 (M. Guy Teissier, rapporteur)


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Statut général des militaires (rapport).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné, sur le rapport de M. Guy Teissier, le projet de loi relatif au statut général des militaires - n° 1741.

M. Guy Teissier, rapporteur, a rappelé que l'actuel statut général des militaires avait trente-deux ans et qu'il était apparu opportun de procéder à sa révision. Les raisons de cette réforme sont multiples. La professionnalisation des armées, en remplaçant les appelés du contingent par un grand nombre de militaires sous contrat, a conduit à une transformation profonde de l'institution. Les missions des forces ont évolué. Elles sont devenues plus techniques, nécessitant l'emploi parfois ponctuel de spécialistes. Le développement des opérations extérieures a mis en évidence la nécessité d'améliorer les garanties offertes aux personnels. Enfin, la société française a beaucoup évolué : il convient de veiller à ce que le statut des militaires, nécessairement différent de celui des civils, ne soit pas en rupture avec le reste de la société.

Le projet de loi présenté par le Gouvernement modernise le statut des militaires sans le bouleverser. Il réaffirme les principes qui font la spécificité de l'état militaire : la discipline, la disponibilité, l'esprit de sacrifice, le loyalisme, la neutralité. L'unicité du statut est maintenue : quelle que soit leur armée, qu'ils soient de carrière ou sous contrat, les militaires restent soumis aux mêmes sujétions et aux mêmes compensations.

Le nouveau statut se fixe pour objectif d'assouplir certaines restrictions, notamment en matière de droits civiques. Il fait disparaître des dispositions anachroniques, comme la nécessité de demander une autorisation avant d'épouser un étranger ou l'obligation de déclarer la profession de son conjoint. Il permet désormais aux militaires, soumis à l'obligation de réserve comme tous les fonctionnaires, de s'exprimer sans autorisation préalable. Il les autorise à exercer des responsabilités associatives.

La concertation est confortée par le nouveau statut : le projet de loi intègre les dispositions qui ont institué le conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), complète la protection de ses membres et crée une instance indépendante chargée d'examiner l'évolution de la condition militaire.

La protection des militaires fait l'objet d'une avancée considérable : les accidents survenus au cours d'une mission opérationnelle, notamment lors d'une opération extérieure, feront l'objet d'une présomption d'imputabilité au service, même s'ils surviennent en dehors du service proprement dit. Les sanctions disciplinaires auxquelles sont soumis les militaires seront simplifiées et regroupées sur une échelle unique. Leur cumul sera rendu plus difficile et les droits de la défense seront renforcés.

Le projet de statut modernise les règles de gestion des personnels. Les limites d'âge, réduites à 34 au lieu de 137 dans l'ancien statut, seront relevées de trois ans en moyenne, ce qui permet de concilier une augmentation de la durée de l'activité similaire à celle des civils et la nécessité de conserver une armée jeune. La durée de service des militaires servant sous contrat sera également augmentée. Enfin, le conditionnalat, pratique à la légalité douteuse qui consiste à promouvoir principalement des officiers généraux en échange d'une lettre de démission non datée, sera supprimé.

Après avoir rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 et la question préalable n° 1 présentées par M. Alain Bocquet et les membres du groupe des député-e-s Communistes et Républicains, la commission est passée à l'examen des articles du projet de loi.

Article 1er Missions de l'armée et caractéristiques de la fonction militaire

La commission a examiné un amendement présenté par M. Francis Hillmeyer, ayant pour objet de faire référence dans la loi à la dimension européenne de la politique de défense.

La commission a adopté deux sous-amendements du rapporteur, le premier rédactionnel et l'autre supprimant le II de l'amendement. Puis elle a adopté l'amendement ainsi modifié.

La commission a examiné en discussion commune trois amendements tendant à préciser que l'esprit de sacrifice peut aller jusqu'au sacrifice de la vie, ou sacrifice suprême, les deux premiers présentés par M. Charles Cova et le troisième par M. Jean-Louis Léonard. Après que M. Jean-Louis Léonard a retiré son amendement, la commission a adopté le premier amendement de M. Charles Cova, évoquant le sacrifice suprême, et l'autre amendement du même auteur est devenu sans objet.

La commission a ensuite adopté un amendement rédactionnel présenté par le rapporteur.

Puis, elle a examiné, en discussion commune, cinq amendements :

- le premier présenté par M. Jean-Louis Léonard tendant à créer un observatoire de la condition militaire, chargé d'adresser périodiquement un rapport au Président de la République ;

- le deuxième présenté par M. Jean-Claude Beaulieu visant à confier à un haut conseil d'évaluation de la fonction militaire la rédaction de ce rapport ;

- le troisième présenté par M. Charles Cova tendant à confier cette mission à un haut comité de la fonction militaire ;

- le quatrième présenté par M. Jean-Claude Viollet ayant pour objet de confier ce rapport à une commission d'évaluation de la fonction militaire ;

- le cinquième présenté par M. Yves Fromion prévoyant que ce rapport périodique sera établi par une commission d'évaluation.

M. Philippe Vitel a noté que ces amendements prévoyaient tous la création d'un organisme indépendant chargé d'établir un rapport sur la condition militaire et que la discussion de ce rapport devant le Parlement était indispensable, s'inscrivant dans l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

M. Michel Voisin a estimé que de nombreuses dispositions prévoyant la discussion de rapports devant le Parlement étaient restées sans traduction concrète et qu'on pouvait s'interroger sur la pertinence de l'organisation d'une telle discussion pour un rapport destiné au Président de la République.

M. Jean-Louis Léonard a souligné que, si de nombreux rapports n'étaient pas déposés, c'était précisément parce que le Parlement n'était pas associé à leur rédaction.

M. Yves Fromion, président, a observé qu'avec la professionnalisation des armées, le rôle du Parlement dans le maintien du lien entre l'armée et la Nation s'était considérablement renforcé.

M. Gilbert Le Bris a estimé que le Président de la République pouvait être destinataire de ce rapport à d'autres titres que seulement celui de chef des armées.

M. Yves Fromion, président, a souligné que c'était au titre de chef des armées que le Président de la République était destinataire du rapport, le Parlement se contentant de débattre.

Le rapporteur a présenté un amendement oral tendant à créer un haut comité d'évaluation de la condition militaire, chargé d'établir périodiquement un rapport adressé au Président de la République, chef des armées, et donnant lieu à un débat devant le Parlement ; la composition, l'organisation et les missions en seraient fixées par décret en Conseil d'Etat.

M. Jean-Louis Léonard s'étant interrogé sur la pertinence du recours à un décret en Conseil d'Etat, M. François Huwart a rappelé que la procédure du décret en Conseil d'Etat n'est qu'une des variantes de l'expression du pouvoir règlementaire, lequel appartient au Président de la République ainsi qu'au Premier ministre et, par délégation, aux ministres. Puis, M. Yves Fromion, président, a précisé que le décret en Conseil d'Etat définissait la composition de l'organisme, mais ne portait pas nomination de ses membres.

M. Charles Cova a souligné qu'il convenait de veiller à ce que la composition même de ce comité n'entraîne pas de dévalorisation du conseil supérieur de la fonction militaire, lequel constitue l'organe suprême de représentation des militaires.

Le rapporteur a indiqué que les membres du CSFM sont des militaires, alors que le comité qu'il est proposé de créer comporterait des membres civils. Ce comité n'aurait pas pour fonction de traiter des questions internes, propres aux militaires, mais d'être informé de leur condition. En tout état de cause, la représentation du Parlement dans ce comité apparaît essentielle.

A l'issue d'un débat auquel ont participé MM. Philippe Vitel, Jean-Louis Léonard, Yves Fromion, président, et Jean-Claude Viollet, le rapporteur a rectifié son amendement pour préciser que le Parlement est représenté au sein du haut comité d'évaluation de la condition militaire.

MM. Jean-Louis Léonard, Jean-Claude Beaulieu, Charles Cova, Jean-Claude Viollet et Yves Fromion ont retiré leurs amendements.

La commission a ensuite adopté l'amendement rectifié du rapporteur.

Un amendement rédactionnel du rapporteur est en conséquence devenu sans objet.

Puis, la commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2 : Catégories concernées par le statut, conditions de fixation des statuts particuliers militaires

La commission a adopté un amendement de M. Philippe Vitel tendant à mettre en cohérence la référence de cet article aux militaires réservistes avec la rédaction, plus précise, de l'article 86, après avis favorable du rapporteur.

Un amendement de M. Charles Cova visant à rendre obligatoire l'avis du conseil supérieur de la fonction militaire sur la rédaction des statuts particuliers des militaires a été retiré par son auteur, le rapporteur ayant fait valoir qu'il était satisfait par la rédaction de l'article 18.

La commission a ensuite adopté l'article 2 ainsi modifié.

Titre 1er
DROITS ET OBLIGATIONS

Chapitre Ier

Exercice des droits civils et politiques

Article 3 : Droits et libertés des militaires

La commission a adopté cet article sans modification.

Article 4 : Liberté de conscience, d'opinion, d'expression et d'information

La commission a examiné en discussion commune deux amendements, l'un de M. Charles Cova, l'autre de M. Jean-Louis Léonard, visant à affirmer la primauté de l'exécution du service sur le libre exercice du culte dans les enceintes militaires et à bord des bâtiments de la flotte.

M. Charles Cova a observé qu'il est difficilement admissible d'autoriser des dérogations à l'exécution du service en raison de la pratique d'un culte.

M. Jean-Claude Viollet a souligné qu'il était plus pertinent que l'amendement vise l'exercice des cultes, de manière à tenir compte de la diversité des convictions religieuses.

Le rapporteur a fait valoir que les amendements proposés comportaient des redondances avec d'autres dispositions des articles 4 et 7 et risquaient d'aboutir à la disparition des aumôneries au sein des unités. Au demeurant, le projet de loi ne fait sur ce point que reprendre la rédaction du statut de 1972, qui n'a pas donné lieu à des difficultés d'application. Certes, la professionnalisation a conduit la marine à recruter un temps des jeunes en difficulté, ce qui avait pu avoir des conséquences. Néanmoins, par le passé, la France a longtemps disposé d'une armée coloniale sans avoir à se plaindre de l'expression par les militaires de leurs convictions religieuses. La rédaction proposée par le Gouvernement est certainement la plus équilibrée.

M. Gilbert Meyer, estimant que la liberté des croyances est suffisamment protégée par les autres dispositions de l'article, a proposé la suppression de toute référence au libre exercice du culte dans les enceintes militaires. Cette position a été approuvée par MM. Bernard Deflesselles, Jean-Louis Léonard et Gilbert Le Bris.

M. François Huwart a attiré l'attention sur le fait que la République protège l'exercice des cultes. Il a estimé nécessaire de maintenir l'expression de cette tolérance républicaine, soulignant que le texte initial procédait d'une rédaction équilibrée. Il a ajouté que la liberté de célébration des cultes ne se confond pas avec la liberté d'opinion et d'expression.

M. Yves Fromion, président, a tenu à appeler l'attention de la commission sur les conséquences des amendements, s'agissant notamment de la présence des chapelles dans les casernes et les bâtiments de la marine nationale. Rappelant que la loi de 1905 prévoyait l'existence d'aumôneries dans les lycées, il a estimé que la suppression de la notion de libre exercice du culte soulèverait d'énormes problèmes au sein des unités.

M. Jean-Claude Viollet a manifesté la crainte que cette mention n'oblige les forces armées à fournir à tous les cultes les moyens de leur exercice, notamment les locaux, ce qui risquerait de porter atteinte à la laïcité.

M. Yves Fromion, président, a rappelé l'importance des aumôniers, dont la présence se justifie au regard du sacrifice qui peut être demandé aux militaires. Disposer d'un lieu pour exprimer sa foi est nécessaire pour un soldat qui peut être envoyé à la mort. La République laïque tient compte de cette situation d'exception en salariant les aumôniers qui constituent un accompagnement indispensable dans les armées.

Le rapporteur a rappelé que les dispositions du statut de 1972, reprises dans cet article, donnaient toute satisfaction. Il a indiqué qu'il convenait de garder le singulier du mot « culte » pour avoir un terme générique et ne pas susciter des demandes de lieux de culte qui n'existent pas actuellement.

M. Yves Fromion, président, a souligné qu'il valait mieux que l'exercice du culte se déroule dans des lieux spécifiques au sein des enceintes militaires, plutôt que dans les locaux de service.

M. Jean-Louis Léonard a rappelé que la liberté de culte n'imposait pas aux communes la construction d'édifices religieux et qu'il convenait de faire la distinction entre l'expression d'une philosophie ou d'une opinion et la pratique du culte.

A l'issue de ce débat, les amendements de MM. Charles Cova et Jean-Louis Léonard ont été retirés par leurs auteurs.

Puis, la commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur.

Elle a adopté l'article 4 ainsi modifié.

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