COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 13

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 16 novembre 2005
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Guy Teissier, Président

SOMMAIRE

 

page

- Audition de M. Noël Forgeard, Président Exécutif d'EADS.

2

Audition de M. Noël Forgeard, Président Exécutif d'EADS.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Noël Forgeard, Président Exécutif d'EADS.

Après avoir souligné que l'audition de M. Noël Forgeard intervenait à un moment où le secteur de la défense évolue en profondeur, le président Guy Teissier a souhaité obtenir des précisions sur la nouvelle organisation d'EADS ainsi que sur la façon dont le groupe serait géré et fonctionnerait, notamment s'agissant de ses relations avec les filiales. Il a ensuite demandé un éclairage sur les résultats et les priorités d'EADS, alors même que l'année 2005 s'annonce comme une année record, ainsi que des informations concernant plus particulièrement le secteur spatial militaire. Se référant enfin aux récentes réflexions engagées par la commission sur les nécessaires restructurations des industries européennes de l'armement, il a observé que les projets de rapprochement dépassent aussi le cadre européen, à l'instar des liens qu'EADS a récemment tissé avec l'industrie aérospatiale russe, et s'est enquis de nouvelles perspectives dans ce domaine.

M. Noël Forgeard a indiqué en préambule qu'il considérait ses fonctions de Président Exécutif d'EADS comme un honneur et une occasion de servir son pays. La nouvelle organisation de l'entreprise a été mise en place voilà quatre mois, M. Thomas Enders et lui-même assumant la co-présidence de l'entreprise dans le meilleur état d'esprit et la plus grande coopération. Les deux présidents exécutifs s'efforcent de développer un esprit de management simple, en donnant aux filiales une autonomie de gestion large mais contrôlée. La direction du groupe n'a ainsi vocation à intervenir dans les activités d'une filiale qu'en cas de dysfonctionnement, avec pour priorité la performance opérationnelle. Il est également nécessaire d'encourager un surcroît d'intégration d'Airbus au sein d'EADS. Cette approche est favorisée par le fait que le nouveau président exécutif d'Airbus, M. Gustav Humbert, était auparavant le premier adjoint de son prédécesseur, qui assume la présidence du comité des actionnaires d'Airbus et, à ce titre, se rend deux fois par mois à Toulouse.

Afin d'accroître la collégialité en matière de décision au sein du groupe EADS, une forme de directoire a été constituée, réunissant les deux présidents exécutifs ainsi que deux directeurs généraux, M. Hans Peter Ring et M. Jean-Paul Gut. Ce dernier est plus particulièrement chargé de la « projection » du groupe, en chapeautant EADS International, les activités de stratégie ainsi que le développement industriel global et la préparation des partenariats. Réunir ces activités sous une responsabilité unique permet d'assurer une cohérence d'action globale. Il s'agit d'éviter qu'EADS soit une holding sans âme, tout en respectant l'autonomie des différentes filiales.

Pour atteindre ses objectifs, EADS a retenu trois thèmes, qui feront l'objet d'une attention soutenue : l'innovation, afin d'assurer le bon usage des dépenses de l'entreprise en matière de préparation de l'avenir, qui atteignent 615 millions d'euros de R & T ; l'internationalisation ; l'improvement, c'est-à-dire l'amélioration de la fiabilité des opérations. Ce dernier thème apparaît particulièrement important, car ce qui conditionne in fine le succès d'EADS, c'est sa performance opérationnelle.

Les résultats enregistrés au cours des neuf premiers mois de l'année 2005 s'avèrent très bons : EADS affiche un résultat opérationnel de 2,1 milliards d'euros, en hausse de 41 % par rapport à la même période en 2004, ce qui lui permet de relever son objectif de résultat opérationnel pour l'année 2005 de 2,6 à 2,75 milliards d'euros. Le chiffre d'affaires devrait s'établir à 33 milliards d'euros en 2005, avec un flux de trésorerie nette positif et toujours important. Entre janvier et septembre 2005, les prises de commande du groupe se sont significativement appréciées, augmentant de 88 %, pour atteindre 39 milliards d'euros. Cette croissance reflète à la fois une forte hausse des commandes d'avions d'Airbus et une croissance sensible des prises de commandes en défense. Il faut cependant rester vigilant : en effet, dans le même temps, Boeing est repassé à l'offensive, notamment avec les lancements du B 787 et du B 747-8, version modernisée du B 747, qui constitue d'ailleurs une tentative tardive pour se repositionner face à l'A 380 et valide a posteriori la stratégie d'Airbus sur l'existence du segment de marché des gros porteurs. Compte tenu de son agressivité commerciale, du niveau de sa recherche technologique ainsi que de la parité actuelle du dollar, Boeing reste plus que jamais un concurrent redoutable.

Si les performances d'EADS sont excellentes, il faut anticiper les évolutions cycliques du secteur civil et nécessairement rééquilibrer les activités civiles et militaires.

Les activités de défense d'EADS représentent un chiffre d'affaires de 7,7 milliards d'euros et, compte tenu du carnet de commandes actuel, elles devraient mécaniquement atteindre 9 à 10 milliards d'euros par an au cours des prochaines années. Le groupe EADS affichera alors un chiffre d'affaires d'environ 40 milliards d'euros, ce qui signifie que les activités militaires représenteront environ 25 % du chiffre d'affaires total. Une telle proportion est significative mais insuffisante, alors même qu'elle atteint 55 % dans le groupe Boeing. Avec environ 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires dans le secteur de la défense, EADS se positionne en fait en tête du troisième groupe des acteurs mondiaux de la défense. Le premier groupe réunit les entreprises réalisant plus de 20 milliards de chiffre d'affaires, c'est-à-dire Boeing, Lockheed Martin et Northrop Grumman. Le deuxième rassemble les industriels dont le chiffre d'affaires militaire oscille entre 10 et 20 milliards d'euros, à savoir BAe Systems, Raytheon et General Dynamics. Le troisième concerne les industriels réalisant moins de 10 milliards d'euros : EADS est le premier d'entre eux, et il y côtoie Thales ainsi que Finmeccanica. Il s'agit pour EADS d'une position significative, mais encore non suffisante.

Le groupe espère donc se développer, à commencer par l'augmentation de son carnet de commandes via de nouveaux programmes de défense et l'émergence de nouveaux domaines comme la sécurité intérieure. Il attend beaucoup de l'agence européenne de défense, que ce soit pour le lancement de programmes capacitaires européens, pour le développement de la recherche et technologie (R&T) en commun ou encore pour le décloisonnement des marchés de défense en Europe et l'émergence d'un véritable marché unique de l'armement. Par l'intermédiaire de l'Aerospace and Defence Industries Association of Europe (ASD), M. Thomas Enders, qui en assure la présidence, vient de souligner une nouvelle fois auprès de M. Javier Solana l'ampleur des attentes des industriels. Si la création de l'agence européenne de défense apparaît très positive, il est pourtant nécessaire qu'elle obtienne des résultats aussitôt que possible.

EADS peut également se développer par croissance externe, grâce à des rapprochements. Il est très probable qu'une nouvelle phase de consolidation concernera bientôt le secteur de la défense en Europe. Pour EADS, le partenaire idéal doit être positionné sur des activités complémentaires, notamment dans le domaine de l'électronique de défense, et posséder une implantation européenne non redondante. Dans le secteur naval, DCN et Thales ont entrepris de nouer un partenariat qui, au niveau français, va dans le bon sens. En Allemagne, EADS s'est associé à ThyssenKrupp Marine Systems pour se porter candidat au rachat d'Atlas Electronik, dont BAe Systems veut se défaire. Si l'opération aboutit, il serait souhaitable que les pôles navals français et allemand ainsi créés entament un dialogue susceptible de déboucher sur le décloisonnement tant attendu de ce secteur et les consolidations européennes nécessaires.

L'espace constitue un autre domaine-clé de compétence d'EADS. Il s'agit d'un secteur civil et militaire, dual par excellence. A titre d'exemple, aux Mureaux, les ingénieurs travaillent à la fois sur les missiles balistiques et sur Ariane. La conférence des ministres européens chargés de l'espace qui se tiendra début décembre, à Berlin, représente une échéance très importante. La question des lanceurs mérite une attention particulière pour assurer la poursuite du succès d'Ariane. Ce qui est en jeu, c'est le maintien des compétences critiques, en particulier celles des bureaux d'études, en recherchant diverses voies pour le financement nécessaire de la recherche, de la technologie et du développement.

S'agissant du projet de loi de finances pour 2006, l'effort consenti en faveur de l'équipement des armées traduit un engagement très fort du chef de l'Etat et de la ministre de la défense, qui mérite d'être salué. Il conviendra toutefois de veiller à la bonne exécution des crédits dont on sait que la commission de la défense et des forces armées y est particulièrement attentive. Dans le domaine important de la recherche et de la technologie, l'augmentation du budget, à 600 millions d'euros, est plus que bienvenue. Cet effort reste néanmoins insuffisant, même lorsque les dotations auront atteint, à la fin de la programmation militaire, le seuil promis de 700 millions d'euros. Le conseil des industries de défense françaises (CIDEF) et le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) ont en effet évalué les besoins annuels de financement de la recherche et de la technologie militaire à 1 milliard d'euros. Il est à cet égard significatif de constater que l'effort européen en la matière est inférieur à 20 % de celui des Etats-Unis et que seulement 5% de ce montant est conduit en coopération.

M. Noël Forgeard a ensuite souhaité apporter quelques commentaires sur plusieurs programmes d'équipement dans lesquels EADS est fortement impliqué.

En ce qui concerne les drones, secteur d'avenir s'il en est, le système intermédiaire de drone MALE (SIDM) a rencontré quelques difficultés. Deux unités ont été livrées à Istres cette année et la campagne d'essai de ces drones en Israel arrive à son terme après déjà plus de 200 heures de vol. Le SIDM devrait être disponible au sein de l'armée de l'air en avril 2006. Le groupe n'a pas ménagé ses efforts, notamment financiers, pour mener à bien ce programme.

Le lancement du programme EuroMALE est, quant à lui, en phase de préparation. EADS y consacre beaucoup d'efforts. La concrétisation d'EuroMALE suppose en fait la conjonction de trois conditions. La première est la convergence des exigences opérationnelles d'un noyau dur de pays susceptibles de s'intéresser au produit. La France et l'Espagne, mais aussi les Pays-Bas, l'Italie, la Finlande, la Turquie ont fait connaître leur intérêt pour cette initiative capacitaire. Des discussions s'ouvrent avec l'Allemagne. Les parties prenantes en France sont déjà convenues d'un projet en une seule phase associant l'élaboration d'un démonstrateur et la réalisation du produit de série. Ce concept est d'ores et déjà partagé par plusieurs de nos partenaires possibles, notamment l'Espagne. La deuxième condition à réaliser porte sur le financement. EADS dépense actuellement des sommes considérables sur le projet ainsi qu'auprès d'Israel Aircraft Industries (IAI) qui dispose des technologies nécessaires. La poursuite de cet effort nécessite la signature d'un contrat de réduction de risques d'ici mi-2006. La dernière condition implique la rediscussion des accords contractuels avec IAI. EuroMALE est un grand projet, très structurant pour l'Europe, auquel EADS attache la plus grande importance en mobilisant tous ses efforts.

Dans le domaine des avions ravitailleurs, il apparaît indispensable de sécuriser la capacité de ravitaillement en vol des armées, actuellement assurée par de vieux C 135 et KC 135. Parallèlement, le fossé capacitaire potentiel dans le domaine du transport stratégique est réel. L'A 330 constituerait une réponse idéale mais cette solution n'est pas envisagée aujourd'hui en mode d'acquisition classique, faute de dotations. C'est pourquoi EADS propose une solution innovante permettant l'introduction de nouveaux avions à budget constant correspondant au coût de maintenance de la flotte actuelle et aux affrètements d'appoint. Cette solution repose sur un concept de flotte mixte, comprenant notamment une dizaine d'A 330 et trois à quatre A 310, mis en œuvre sur la base d'un contrat de partenariat public-privé. Elle constituerait une contribution à l'effort de réduction des coûts de maintien en condition opérationnelle, qui est une priorité de la ministre de la défense, tout en améliorant la sécurité de la flotte de ravitailleurs de l'armée de l'air et de ses capacités de transport. Le lancement rapide de ce programme permettrait de bénéficier de synergies avec des programmes équivalents au Royaume-Uni et en Allemagne. Onze pays, à savoir la France, la Suède, la Finlande, la Belgique, la Hollande, l'Allemagne, la Pologne, le Portugal, l'Espagne, l'Italie et la Grèce, sont aujourd'hui favorables à la constitution d'un groupe de travail initié par l'agence européenne de défense pour étudier les moyens de satisfaire leurs besoins en matière d'avions à la fois ravitailleurs et de transport.

Dans le domaine spatial, le projet de loi de finances pour 2006 prévoit une étude sur la faisabilité de recourir à un achat de service de télécommunications qui se substituera à l'acquisition patrimoniale du 3ème satellite Syracuse III. Des discussions sont en cours entre EADS Space et Alcatel à cet effet. La véritable incertitude porte sur l'imagerie optique, avec l'absence d'études préparatoires au programme devant succéder à temps à Hélios II.

Enfin, dans le secteur des hélicoptères, EADS et Eurocopter entendent parvenir rapidement à un résultat entièrement satisfaisant des performances opérationnelles. S'agissant du Tigre, la situation est, d'ores et déjà, en voie d'amélioration. Pour 2005, l'objectif des livraisons a été abaissé de 7 à 5 hélicoptères. Par la suite, 12 appareils seront en service fin 2006 et 33 d'ici la fin de la loi de programmation militaire. En ce qui concerne le NH 90, la France n'a pas à ce jour passé de commande de la version terrestre ; seuls 27 appareils de la version navale ont été commandés, avec une cadence de livraison de deux appareils par an. L'entrée en service du premier NH 90 marine, initialement envisagée fin 2005, peut raisonnablement être programmée pour la mi-2007. Les retards conséquents enregistrés sont imputables pour partie à la conduite du programme du ressort de l'agence de l'OTAN, la NAHEMA, ainsi qu'à des problèmes d'interface avec Agusta Westland. Bien évidemment, EADS avec Eurocopter a aussi sa part de responsabilité. Les problèmes sont aujourd'hui très sérieusement pris en compte par les équipes d'Eurocopter pour permettre la première livraison à la nouvelle date prévue.

En conclusion, M. Noël Forgeard a invité les membres de la commission à visiter le site d'Airbus à Toulouse, au cours du premier trimestre de l'année 2006.

Après avoir remercié M. Noël Forgeard pour cette invitation, le président Guy Teissier a souhaité obtenir davantage d'informations sur le programme d'avion de transport A 400 M ainsi que sur la stratégie d'alliance d'EADS. Il a rappelé que la commission était favorable à la constitution de grands groupes européens capables d'affronter leurs concurrents, aujourd'hui américains et demain chinois ou indiens. Il a également demandé si, dans le domaine spatial, il était envisageable qu'Astrium se rapproche d'Alcatel Alenia Spazio.

M. Noël Forgeard a indiqué que la phase de définition du programme A 400 M s'achevait cet automne. Le processus de fabrication est bien engagé, le premier vol est prévu au début de l'année 2008. Ce programme est en bonne voie et son développement bénéficie, au sein d'Airbus, d'une priorité absolue au même titre que le programme A 380.

Dans le domaine de la défense, le groupe EADS continue à réfléchir à une stratégie de rapprochement qui pourrait permettre à l'Europe de se doter d'entreprises ayant la taille de leurs concurrentes américaines. Dans le domaine des satellites, il faut saluer le redressement remarquable d'Astrium. Une alliance entre celle-ci et Alcatel Alenia Spazio n'est pas à l'ordre du jour ; ces sociétés apparaissent davantage concurrentes que complémentaires.

M. Hugues Martin a demandé si la période d'austérité budgétaire dans laquelle va probablement entrer l'Allemagne ne risquait pas de réduire les engagements de ce pays. Il a également souhaité savoir si EADS était partie prenante au programme Galileo. Enfin, il a demandé si le groupe EADS entendait maintenir toutes ses implantations au sein du pôle de compétitivité aéronautique formé autour de Toulouse et Bordeaux. En particulier, est-ce que la société Sogerma, filiale d'EADS, et qui compte un personnel de qualité, pourra être sauvée ? Un premier plan social semble avoir réussi, mais l'inquiétude persiste. Peut-on envisager, à terme, des alliances pour cette filiale ?

M. Noël Forgeard a reconnu que la situation économique et budgétaire de l'Allemagne était sous forte contrainte. Il n'est cependant pas exclu que l'austérité qui semble se dessiner donne finalement un nouvel essor à la coopération franco-allemande.

Le groupe EADS est impliqué dans le programme Galileo à la fois sur la réalisation industrielle et sur la fourniture de services. Les deux projets d'exploitation de la constellation de satellites initialement proposés par Alcatel et EADS ont été fusionnés. EADS défend l'implantation du siège du concessionnaire à Toulouse, avec toutes les fonctions requises, complétée par des centres de contrôle en Allemagne, en Italie et en Espagne, et par un centre opérationnel au Royaume-Uni. Les questions de répartition des sites provoquent toujours des tiraillements politiques. A la demande du commissaire européen Jacques Barrot, Karel Van Miert s'emploie à les aplanir : les choses sont donc en bonne voie.

L'identification par le Gouvernement des pôles de compétitivité est une heureuse initiative dont il convient de se féliciter. La dimension aéronautique civile et spatiale du pôle Toulouse-Aquitaine est bien assurée. Le rôle de l'Aquitaine en matière de lanceurs l'est également avec la présence d'EADS-lanceurs et du centre d'essai des Landes. Le missile M 51 est actuellement en production et les négociations se poursuivent pour sa version M 51.2 et pour le démonstrateur partie haute. La situation de la Sogerma est très préoccupante, bien que cette société propose de très bons produits. Les aspects sociaux et politiques du dossier sont bien pris en compte et, lorsque les décisions auront été affinées, les élus locaux concernés seront directement contactés.

M. René Galy-Dejean a relevé que si la situation du M51 semblait bien assurée, il n'en était pas de même pour l'activité des bureaux d'études liés à Ariane, ce qui risque d'affecter à terme la compétence d'ensemble en matière balistique. Pendant longtemps, le secteur balistique est resté entièrement aux mains de l'Etat pour des raisons stratégiques. Le fait qu'il relève désormais d'une société privée est-il source de difficultés particulières ? Face aux efforts considérables consentis en matière spatiale par les Etats-Unis, la Chine, voire l'Inde, l'Europe reste-t-elle dans la course ? Par ailleurs, où en est le rapprochement avec la Russie dans ce domaine ?

M. Noël Forgeard a déclaré ne percevoir aucune difficulté du fait de l'intervention d'une société privée dans le domaine de la dissuasion nucléaire. Les règles de confidentialité requises ont été clairement fixées lors de la création d'EADS ; la filière balistique a été sanctuarisée grâce à la mise en place d'une chaîne de commandement intégralement française.

Il est évident que si Ariane était menacée, cela entraînerait des conséquences sur la dissuasion. Le maintien des compétences, par nature duales, du bureau d'études des Mureaux et des autres centres concernés d'EADS suppose l'obtention de crédits supplémentaires de R&T s'élevant à hauteur d'environ 200 à 250 millions d'euros par an. Les financements sont recherchés auprès de la délégation générale pour l'armement (DGA), du centre national d'études spatiales (CNES), de la DLR allemande et de l'agence spatiale européenne (ESA). Il reste que cette somme est relativement modeste au regard de l'enjeu stratégique et politique que représente la capacité spatiale de l'Europe.

Deux joint ventures ont été mises en place avec la Russie : Starsem pour la fusée Soyouz à l'international et la société Eurockot pour la fusée Eurockot. L'échec récent du lancement du satellite Cryosat ne remet pas en cause l'avenir d'Eurockot. En ce qui concerne le lancement des fusées Soyouz à partir de Kourou, la Russie ne peut que mesurer l'importance politique et économique de cette décision qu'elle a fortement appelée de ses vœux. A plus long terme, il importe de pérenniser Ariane, ce qui implique de trouver les financements nécessaires pour terminer son développement et préparer les successeurs des lanceurs actuels. Ce dossier concerne également directement Safran. La filière Ariane souffre d'un double déséquilibre en raison, d'une part, de l'absence des financements suffisants au maintien des compétences pour la période 2005-2010 et, d'autre part, d'un prix de vente trop élevé face à la concurrence des lanceurs russes ou ukrainiens exploités par les Américains, ce qui est à l'origine d'un déficit structurel malgré le programme européen d'accès garanti à l'espace (EGAS). Si la prochaine conférence des ministres européens chargés de l'espace, à Berlin, doit prendre en considération l'importance des nouveaux programmes spatiaux tels que le Global monitoring and environnemental system (GMES), Alphabus et Galileo, il convient de ne pas perdre de vue également l'importance stratégique de l'accès indépendant de l'Europe à l'espace. Ariane, comme Airbus, constituent des joyaux européens qui méritent une attention particulière.

M. Gilbert Le Bris a relevé que pour pénétrer le marché américain trois possibilités se présentaient : la vente directe ; l'acquisition de sociétés américaines ; la mise en place de partenariats avec certaines d'entre elles. Quelle est la stratégie choisie par EADS ? En matière de transport aérien militaire, la mise en service de l'A 400 M ne résoudra pas le problème de l'acheminement de charges massives. Il semble que la France s'oriente vers la location de longue durée de matériels ukrainiens, voire russes. La possibilité de créer une version militaire de transport lourd de l'A 380 a-t-elle été étudiée ?

M. Noël Forgeard a indiqué que la vente directe de matériels militaires aux Etats-Unis restait possible pour des marchés limités, mais présentait dans tous les cas de très grandes difficultés compte tenu de la faible ouverture de ce marché. L'achat d'entreprises américaines est également limité à un créneau étroit en raison des règles très strictes de protection du secret qui s'appliquent aux entreprises disposant de technologies avancées. La voie privilégiée consiste donc à nouer des partenariats avec des sociétés américaines, comme c'est le cas avec Northrop-Gruman pour le programme d'avions ravitailleurs. A terme, si EADS est choisi pour une partie significative du renouvellement des ravitailleurs américains, il sera nécessaire d'implanter une chaîne de montage aux Etats-Unis, dont le site serait Mobile, dans l'Alabama. Une grande part de la valeur ajoutée du programme réside toutefois dans la réalisation des sous-ensembles majeurs dont la fabrication restera en Europe.

L'installation d'une chaîne de montage est également envisagée en Chine pour le marché des avions à un couloir. Il s'agit-là d'un impératif stratégique. Pour continuer à détenir 50 % du marché mondial de l'aviation civile, il faut davantage se mondialiser, ce que Boeing a bien compris.

Si l'A380 est capable de transporter 150 tonnes de fret sur de longues distances, aucune étude n'a pour l'instant été engagée sur sa militarisation.

Après avoir relevé le succès de la vente d'avions ravitailleurs à l'Australie, M. Jean Diébold a souhaité savoir où en étaient les négociations avec le Royaume-Uni pour ce type d'appareils. En cas de succès, quelles seraient les répercutions possibles sur le programme de renouvellement des ravitailleurs français ? Jusqu'à quel degré peut aller la conclusion de partenariats avec la Russie en matière aéronautique, et sur le dossier de l'A 350 tout particulièrement ?

M. Noël Forgeard a indiqué que les discussions avec la DGA britannique étaient entrées dans une phase très active et qu'il s'agissait d'un dossier complexe, portant sur une fourniture de services et associant de nombreux partenaires industriels dans le cadre du consortium Airtanker. La décision définitive pourrait intervenir dans les semaines à venir. Un succès élargirait sans doute la base de référence du produit. La dynamique britannique devrait avoir un impact positif sur les initiatives souhaitables en France. Mais, compte tenu de calendriers divergents, il n'est pas envisageable que l'on s'achemine vers un contrat passé en commun par la France et le Royaume-Uni.

Les coopérations avec la Russie sont appelées à se développer mais le processus prendra du temps.

Le président Guy Teissier s'est interrogé sur les risques éventuels en termes de transferts de compétences et de technologies que présente à terme l'implantation d'une chaîne de montage en Chine.

M. Bernard Deflesselles a souhaité savoir comment va, en pratique, se traduire la volonté annoncée de rééquilibrage des activités d'EADS au profit du secteur militaire. Il a également demandé quelles sont les perspectives commerciales pour l'A 400 M, au-delà des commandes déjà passées.

M. Noël Forgeard a souligné que l'A 400 M constituait un concept intermédiaire nouveau, sans équivalent, de transporteur tout à la fois stratégique et tactique, susceptible d'intéresser de nombreux Etats. L'Afrique du Sud a d'ores et déjà annoncé une commande et EADS envisage autant de futures commandes à l'exportation que de commandes déjà effectuées.

Le rééquilibrage des activités vers le secteur de la défense s'appuiera prioritairement sur les produits nouveaux présentés sur le marché, tels que l'A 400 M, le NH 90 et le Tigre mais aussi sur des domaines nouveaux, tels que les services de télécommunications militaires ou cryptées et, dans un domaine plus sensible, l'observation de la terre. Des faiblesses sont constatées dans certains domaines, comme les missiles tactiques, mais cette situation reste conjoncturelle.

Les débouchés à l'exportation peuvent, en outre, être confortés par une coopération industrielle internationale. C'est ce que fait Eurocopter par son projet de coopération avec la Chine sur un hélicoptère de 6 tonnes, avec la Corée du Sud, pour un appareil de 7,5 tonnes, ainsi qu'à l'Inde, pour un hélicoptère de 10 tonnes.

La propriété intellectuelle est bien protégée dans certains pays, comme Singapour, mais moins dans d'autres. La vigilance s'impose donc.

Insistant sur cette nécessaire vigilance, le président Guy Teissier a rappelé l'exemple de l'Afrique du Sud et d'Israel qui, lorsqu'ils étaient sous embargo, avaient réussi à copier et à perfectionner les Mirage français et à les proposer à l'exportation. Il a estimé que les stratégies commerciales des groupes d'armement européens doivent aussi respecter les intérêts industriels et technologiques de l'Europe.

--____--


© Assemblée nationale