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COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 27

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 1er mars 2006
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 2870) modifiant la loi n° 99-894 du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense

- Communication sur GIAT Industries

- Information relative à la commission

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Réserve (deuxième lecture) (rapport).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné, sur le rapport de M. Léonard, le projet de loi (n° 2870) modifiant la loi n° 99-894 du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense, adopté par le Sénat.

M. Jean-Louis Léonard, rapporteur, a indiqué que le Sénat avait adopté, en première lecture, le 8 février 2006, le projet de loi modifiant la loi n° 99-894 du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de réserve.

Comme à l'Assemblée nationale, un assentiment assez général s'est manifesté autour du texte et, sur les 29 articles transmis par l'Assemblée nationale, 21 ont été adoptés conformes et 8 seulement ont été modifiés, principalement pour des raisons matérielles. Deux articles nouveaux ont été adoptés.

Le rapporteur a indiqué que les articles ayant fait débat à l'Assemblée avaient également été âprement discutés au Sénat mais que la philosophie générale du projet de loi avait été respectée. Les trois modifications de fond adoptées par le Sénat portent sur des points qui n'ont pas été abordés par l'Assemblée : la protection juridique très spécifique des militaires investis de fonctions dans les organismes d'assurance, le délai alloué au gouvernement pour codifier les dispositions relatives à la défense et les dispositions directement applicables au collectivités d'outre-mer.

Considérant que les amendements adoptés par le Sénat amélioraient le projet de loi, lui conférant un surcroît de précision et de portée, le rapporteur a souhaité qu'un accord intervienne entre les deux chambres au cours de la deuxième lecture.

Article 1er Organisation générale de la réserve militaire

La commission a adopté l'article 1er sans modification.

Article 4 : Possibilité d'affecter les réservistes aux opérations civilo-militaires

La commission a adopté l'article 4 sans modification.

Article 6 : Délai de préavis à fournir à l'employeur

La commission a adopté l'article 6 sans modification.

Article 13 : Cas particulier des fonctionnaires réservistes

La commission a adopté l'article 13 sans modification.

Article 13 bis (nouveau) : Conseil supérieur de la réserve militaire

La commission a adopté l'article 13 bis (nouveau) sans modification.

Article 19 bis : Statut d'agent de police adjoint

La commission a adopté l'article 19 bis sans modification.

Article 19 quater : Période militaire d'initiation ou de perfectionnement à la défense nationale

La commission a adopté l'article 19 quater sans modification.

Article 20 ter A (nouveau) : Protection des militaires en fonction au sein d'un organisme d'assurance

La commission a adopté l'article 20 ter A (nouveau) sans modification.

Article 20 ter : Codification des lois relatives à la défense

La commission a adopté l'article 20 ter sans modification.

Article 21 : Application de la loi dans les collectivités d'outre-mer

La commission a adopté l'article 21 sans modification.

Puis la commission a adopté l'ensemble du projet de loi sans modification.

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Giat Industries : suivi des mesures sociales d'accompagnement (communication).

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu une communication de MM.  Jean-Claude Viollet et Jean-Claude Mignon, rapporteurs d'information, sur le suivi des mesures sociales d'accompagnement à Giat Industries.

M. Jean-Claude Viollet, rapporteur, a rappelé que la direction de Giat Industries avait annoncé, le 7 avril 2003, la mise en œuvre d'un nouveau plan social, le sixième depuis 1990. La fabrication de matériel terrestre ayant été mise à mal depuis l'effondrement du mur de Berlin, tous les pays européens ont, depuis, réduit leurs commandes de matériels terrestres et entrepris la restructuration de leurs arsenaux.

La surcapacité chronique de l'entreprise  a conduit la direction a vouloir concentrer les activités du groupe sur quatre établissements principaux : Versailles-Satory, Bourges, La Chapelle-Saint-Ursin et Roanne. Ce plan, appelé « Giat 2006 » prévoyait à l'origine la suppression de 3 950 emplois sur 6 250 d'ici le 30 juin 2006. Un accord de méthode signé avec les représentants du personnel, a permis de réduire de 250 le nombre de suppressions de postes.

La mise en œuvre du plan social a démarré en juillet 2004 avec la publication de la liste de la première moitié des postes supprimés. En octobre 2004, puis en octobre 2005, les notifications individuelles correspondant à ces postes ont été adressées aux intéressés. Ceux d'entre eux qui n'auront pas trouvé un autre emploi ou qui ne seront pas entrés dans le processus de reconversion seront licenciés le 30 juin 2006.

Deux cabinets de reclassement ont été retenus avec l'obligation d'appliquer à tous les personnels les meilleures pratiques du secteur, quel que soit le statut. Les intéressés disposent de dix-huit mois pour se reclasser, les quinze premiers mois étant rémunérés à hauteur de 100 % du salaire d'activité, les trois derniers à hauteur de 75 %.

Pour les fonctionnaires détachés, plus de 800 postes ont été recensés sur l'ensemble du territoire national dont environ la moitié dans les départements où Giat est implanté ainsi que dans les départements limitrophes de ces implantations. Les ouvriers sous décret sont autorisés à intégrer la fonction publique tout en conservant les conditions avantageuses de leur système de retraite. Le gouvernement s'est engagé à présenter à chaque ouvrier quatre propositions d'emploi dont une au sein du ministère de la défense, une dans une autre administration et deux dans le secteur privé. Les personnels sous convention collective sont censés se voir offrir au minimum deux postes dans le secteur privé. Une formation sera proposée en cas de besoin. Une indemnité de départ représentant deux à trois ans de salaire sera versée aux personnels non-fonctionnaires acceptant leur transfert vers l'un des emplois publics ou privés proposés. Cette indemnité est destinée à compenser la différence de revenu entre ce qui leur est actuellement versé chez Giat et leur nouvelle rémunération. Enfin, les mesures d'âge permettront à environ 1 300 personnes de cesser toute activité. Le bénéfice d'une mesure d'âge est incompatible avec l'obtention de l'indemnité de départ.

Le rapporteur a ensuite présenté la situation particulière de chacun des sites :

- L'usine de Saint-Chamond, qui comptait 734 salariés en 2003, devrait n'en conserver que 88 en juin 2006. Une société de mode, Idestyle, s'est implantée sur le site Giat et a créé quelques dizaines d'emplois. Mais, pour l'instant, aucun n'est occupé par un ancien salarié de Giat.

- La situation de Tarbes est également difficile : sur les 792 emplois d'origine, seuls 150 devraient être préservés. La société Sagem a annoncé la création de 150 emplois liés à la construction du laser Mégajoule, mais n'a embauché que 46 anciens salariés de Giat. Turbomeca, pour sa part, n'en a recruté qu'une quinzaine.

- A Cusset, dans un bassin d'emploi sinistré, l'usine Manurhin, filiale de Giat, doit fermer ses portes cette année alors qu'elle comptait encore 385 salariés en 2003. L'échec de l'implantation de la société de mécanique automobile Eurodec rend plus difficile encore la reconversion des salariés.

- A Roanne, la réduction des effectifs est drastique, puisque le nombre de salariés doit diminuer de 1 200 à 535. Mais l'implantation d'un commissariat de l'armée de terre (Escat) a déjà permis la création de plusieurs dizaines d'emplois sur les 136 prévus à terme.

- Le site de Tulle doit perdre 270 de ses 389 salariés. Dans cette ville, la direction centrale du matériel de l'armée de terre propose une centaine d'emplois aux anciens salariés de Giat, ce qui rend moins douloureux le plan social.

- Les sites de Toulouse, Saint-Étienne, Bourges et Versailles Satory, posent moins de difficulté dans la mesure où les emplois qui y sont supprimés sont moins nombreux et où les opportunités de reclassement semblent plus favorables.

- Avec la sauvegarde de ses 261 emplois et la modernisation de ses installations, le site de La Chapelle Saint-Ursin, spécialisé dans les munitions, est le seul épargné.

M. Jean-Claude Viollet, a ensuite indiqué que les effectifs globaux du groupe, au 1er janvier 2005, s'élevaient à près de 5 524 personnes contre 5 934 un an plus tôt. Au 1er janvier 2006, il restait encore 4 660 salariés officiellement inscrits. Compte tenu des personnels déjà entrés dans le processus de reconversion, ce nombre se réduit à environ 4 000, soit 300 de plus que la cible d'origine. Si l'on tient compte des salariés bénéficiant des limites d'âge et de ceux pour lesquels une solution a déjà été trouvée, il restait, au 31 décembre 2005, un peu moins de 600 employés à reclasser d'ici le 30 juin 2006.

Le ministère de la défense reste, de loin, l'administration qui propose le plus d'emplois avec 1 400 postes recensés dans les bassins d'emplois concernés, mais il n'en est pas de même des autres administrations qui ne proposent actuellement que 52 postes. Parmi eux, 21 sont proposés dans la fonction publique d'Etat, chiffre qui apparaît particulièrement faible. La fonction publique territoriale n'échappe pas à la critique. Alors que les élus locaux sont les plus prompts à réclamer des emplois pour les salariés de Giat, les collectivités concernées proposent actuellement 23 postes sur l'ensemble des bassins d'emploi. Enfin, la fonction publique hospitalière ne propose que 8 emplois. Seule exception notable : l'hôpital de Tarbes a recruté 25 salariés de Giat.

Les « relais mobilités » mis en place par l'entreprise sur chacun des sites pour aider les salariés à rechercher des emplois dans le secteur privé, travaillent avec efficacité et recensaient, au 1er janvier 2006, 524 propositions d'emplois pérennes dans les bassins d'emplois concernés pour les ouvriers et techniciens ainsi que 520 emplois pour les cadres.

Le rapporteur a souligné qu'une évolution profonde du climat social était perceptible depuis que les listes de postes supprimés avaient été publiées. Les organisations syndicales sont désormais globalement attachées à faciliter le reclassement des salariés, quitte à demander des aménagements du plan social. Parallèlement, les salariés ont maintenant pris en compte le caractère irréversible de la mutation en cours. Toutefois, avec le recul de près de deux années d'application du plan, M. Jean-Claude Viollet a indiqué que certains freins au reclassement étaient apparus :

- la moyenne d'âge élevée du personnel de Giat ne facilite pas la mobilité géographique. L'emploi du conjoint, les ascendants à charge, l'accession à la propriété constituent autant de difficultés ;

- la plupart des emplois disponibles dans le secteur privé proposent des rémunérations à peine plus élevées que le SMIC, c'est-à-dire largement inférieures à celles versées par Giat. Les indemnités compensatrices proposées ne couvrent que partiellement la différence entre le salaire d'origine et le celui du marché ;

- le sentiment de perdre une situation protégée, un emploi qu'ils croyaient garanti à vie et qu'avaient parfois occupé leurs parents conduit certains employés à vivre un véritable drame et à espérer un élargissement des mesures d'âge.

M. Jean-Claude Mignon, rapporteur, a ensuite souligné que la réussite du plan social passait avant tout par le redressement de l'entreprise et le respect par l'Etat de ses engagements pris dans le cadre du contrat d'entreprise signé le 26 mars 2004 :

- la commande, plusieurs fois reportée, de 72 canons Caesar a finalement été passée en fin d'année 2004, malgré six mois de retard ;

- le contrat de remise en condition de l'AMX 10 P a été notifié en 2005 ;

- le contrat concernant la rénovation de l'EBG (engin blindé du génie) a, pour sa part, été notifié en novembre 2005 ;

- conformément aux engagements, une commande pluriannuelle (sur 5 ans) de munitions de moyen calibre a été signée. Cette procédure permet à l'industriel de bénéficier d'une meilleure vision de son activité à moyen terme.

En revanche, l'Etat reconnaît ne pas avoir respecté son engagement en matière de munitions de gros calibre pour des raisons techniques de certification et de normes de sécurité. De la même manière, les crédits consacrés aux études amont s'avèrent largement inférieurs aux prévisions (-50 %). Ces retards ont été partiellement compensés, en décembre 2005, par une avance sur les commandes liées au maintien en condition opérationnelle. Il apparaît toutefois particulièrement regrettable que le principal déficit concerne le secteur de la recherche, qui conditionne en grande partie l'avenir de l'entreprise. Le total notifié au 31 décembre 2005 s'élève à 1 048 millions d'euros sur un total prévisionnel de 1 350 millions d'euros. Il reste donc 302 millions d'euros de commandes à notifier en 2006.

Sur le plan de la production, la situation semble s'améliorer par rapport au tableau plutôt sombre que la mission avait dépeint l'an dernier :

- sur les 406 chars Leclerc destinés à l'armée française, il n'en resterait plus que 68 à livrer, tous au cours de l'année 2006.

- l'imbroglio des 18 dépanneurs commandés mais non réceptionnés par les Emirats arabes unis se poursuit, mais, sur le plan juridique, la position de Giat industries semble inattaquable puisque la décision d'abandonner l'acquisition de ces engins a été prise de façon unilatérale par le client.

Un creux d'activité reste néanmoins prévisible jusqu'à la fin de l'année 2007 lorsque débutera la production du VBCI (véhicule blindé de combat d'infanterie) et du canon Caesar.

M. Jean-Claude Mignon a ensuite présenté les principales demandes des partenaires sociaux. La première revendication concerne l'ouverture de davantage de postes dans les fonctions publiques autres que celles de la défense, à commencer par les collectivités locales. Il est pour le moins paradoxal que les élus locaux, qui militent pour le reclassement des salariés de Giat, en recrutent si peu.

Par ailleurs, les syndicats demandent que les salariés de Giat bénéficient de la possibilité d'être recrutés dans le cadre du plan « Défense deuxième chance » en complément du personnel militaire. Les discussions avec le cabinet du ministre de la défense laissent apparaître la possibilité de reclasser entre 20 et 30 salariés de Giat dans ces structures. Une telle démarche doit être soutenue.

La promotion interne doit être favorisée. En effet, il apparaît que les cadres, plus mobiles, quittent plus facilement l'entreprise au point qu'un certain déficit s'est creusé dans cette catégorie. Combler ce déficit avec des agents de maîtrise ou des techniciens promus cadres, permettrait de sauver quelques dizaines emplois. Cette revendication de bon sens a commencé à être satisfaite.

Enfin, toutes les organisations syndicales présentent une demande d'extension des mesures d'âge, actuellement proposées aux personnels âgés de plus de 54 ans. Un abaissement à 53 ans, voire 52 ans permettrait de prendre en compte les cas de certains salariés difficiles à reclasser. Des mesures spécifiques devront vraisemblablement être proposées pour que les personnes, dont la mobilité géographique ou professionnelle s'avère entravée, ne se retrouvent pas dans le dénuement à l'issue du plan social.

Puis, M. Jean-Claude Mignon a insisté sur l'immense travail d'accompagnement humain réalisé, notamment en matière d'accompagnement psychologique. La démarche a permis de repérer les salariés confrontés aux plus grandes difficultés, d'éviter des actes irréparables et de mesurer la souffrance profonde d'une partie du personnel.

Giat, qui a succédé aux arsenaux, a fait vivre de nombreuses familles pendant plusieurs générations. Nombre de salariés, entrés dans l'entreprise parce que leurs parents y travaillaient déjà, sont désormais placés devant un choix professionnel qui est peut-être le premier de leur carrière. Certains tentent de se protéger en dénigrant l'entreprise ; d'autres préfèrent s'auto dénigrer se considérant responsables de leurs échecs dans leur recherche d'emploi. Certains rejettent sur le personnel politique la responsabilité de la situation actuelle, même si d'aucuns reconnaissent avoir un peu profité du manque de contrôle.

Dans des établissements qui tournent au ralenti lorsqu'ils ne sont pas totalement arrêtés, l'absence d'activité professionnelle concrète pendant plusieurs mois contribue à fissurer le lien social des employés de Giat et constitue l'un des plus grands dangers pour des salariés en quête d'emplois. L'association « Adishat » (au revoir), qui a pour l'objet de défendre les intérêts des salariés de Tarbes, constitue de ce point de vue un « trait d'union » qu'il convient de soutenir. Cette association participe au maintien du lien social après la rupture du lien constitué par le travail.

M. Jean-Claude Mignon a ensuite déclaré qu'il ne pouvait passer sous silence l'impression de tristesse et de gâchis qui domine lorsque le visiteur entre dans des établissements comme ceux de Cusset ou de Tarbes. La production y est devenue résiduelle et les immenses halls d'assemblage sont désormais quasiment désertés par la plupart de leurs salariés tandis que les machines sont démontées.

A Tarbes, l'impression de gâchis est renforcée par la disparition de deux entités autonomes qui auraient peut-être pu survivre à la disparition de l'établissement.

Gradia est une entité spécialisée dans l'usinage de pièces de grandes dimensions qui aurait pu prendre son autonomie et être externalisée. Malheureusement, le projet a été abandonné. Selon la direction de Giat industries, le marché pour ce genre d'activité est considéré comme « très cyclique et aléatoire ». Mais surtout, c'est une trop grande « sous capitalisation » qui a été mise en exergue pour faire cesser les activités de Gradia, ce qui apparaît pour le moins paradoxal au sein d'un groupe comme Giat. En dépit d'un carnet de commande bien rempli, la direction de Giat n'a pas voulu, selon ses propres termes, prendre des risques pour les collaborateurs qui auraient suivi cet essaimage. La mission constate à regret qu'un ensemble de compétences disparaît dans un domaine très spécifique, l'usinage des pièces de grandes dimensions, peu répandu en France.

Le sort de Dual Tech, autre entité autonome de Giat est légèrement différent mais aboutit au même résultat. Des repreneurs ont manifesté leur intérêt pour cette unité spécialisée dans l'ingénierie. Mais la reprise de Dual Tech aurait échoué pour des raisons peu convaincantes de dates et de délais : les repreneurs potentiels auraient été découragés par le départ rapide et simultané de l'ensemble du personnel, contraint d'entrer dans le processus de reconversion avant la date limite du 30 juin 2006. C'est une autre activité et un autre champ de compétence qui disparaît.

M. Jean-Claude Mignon a enfin mis l'accent sur la lourde responsabilité portée par l'Etat, actionnaire unique et peu avisé. Lors de la création de l'entreprise sous sa forme actuelle, en 1990, les conditions de l'échec étaient déjà réunies : les surcapacités, dès l'origine aggravées par l'effondrement des marchés de l'armement terrestre, des rigidités de fonctionnement liées au statut de ses personnels et la dispersion des sites de production. Autant de handicaps initiaux largement imputables à l'Etat actionnaire qui a mis en œuvre le changement de statut.

Depuis sa création, la société a dû assumer des responsabilités qui ne devraient pas relever d'une entreprise industrielle : des contraintes sociales et d'aménagement du territoire lui ont été imposées, ne lui permettant pas de développer une logique industrielle et économique cohérente. La préservation de l'emploi dans des régions en difficulté est indispensable. Mais on ne peut en faire porter la seule responsabilité à une entreprise qui connaît de surcroît des problèmes en raison de la contraction de ses débouchés. Si l'Etat a compensé les pertes récurrentes de l'entreprise, les recapitalisations successives ont nuit à l'image de la société et ont participé d'un mélange des genres et des logiques au final néfaste au groupe.

Le président Guy Teissier a félicité les rapporteurs pour la qualité de leur communication, qui relaie parfaitement le désespoir ressenti par certains employés très attachés à leur société. Il a néanmoins souligné les efforts exceptionnels réalisés par l'Etat pour reclasser les salariés. Ces efforts connaissent certes des succès variables, qui sont fonction des bassins d'emplois concernés et des qualifications des personnels. Pour autant, nombreux sont les salariés du secteur privé qui souhaiteraient pouvoir bénéficier d'un tel accompagnement lors d'un plan social - versement des salaires pendant dix-huit mois, deux à quatre propositions d'emploi garanties, mise en place d'une cellule de reconversion spécifique... Un tel dispositif est sans précédent, et les salariés n'en ont peut-être pas conscience. Dans ce contexte, demander un élargissement des mesures d'âge apparaît déraisonnable et aucun gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, ne pourra satisfaire une telle demande. Il est d'ailleurs difficile de comprendre le refus de certains salariés d'occuper un emploi à Pau alors qu'ils vivent à Tarbes, les deux villes étant proches et bien reliées.

La question d'une alliance de Giat Industries avec un partenaire italien ou allemand, a jadis été évoquée ; qu'en est-il aujourd'hui ? Les ministères autres que la défense, ainsi que les collectivités locales ont-ils été suffisamment sensibilisés à la nécessité d'ouvrir des postes afin de faciliter le reclassement des salariés ? Enfin, les rapporteurs ont-ils évoqué lors de leurs entretiens le déroulement du programme Leclerc, alors même que seuls 37 chars, sur 58 prévus, ont été livrés en 2005 ?

M. Jean-Claude Mignon a répondu que les salariés étaient tout à fait conscients des efforts importants consentis par l'Etat. Les demandes de mesures d'âge ainsi évoquées ne concernent en fait qu'un nombre limité de personnes pour lesquelles le reclassement s'avère particulièrement difficile.

M. Jean-Claude Viollet a souligné les difficultés particulières que connaissent les salariés de l'entreprise qui se trouvent confrontés à une triple rupture portant à la fois sur leur localisation géographique, sur leur métier et sur leur statut, alors qu'ils bénéficiaient jusqu'alors de perspectives stables dans ces trois domaines. La pression exercée sur les ministères et sur les collectivités locales afin qu'ils développent des mesures de reclassement en faveur des salariés est continue, le ministère de la défense intervenant régulièrement en ce sens. Les pouvoirs publics sont conduits à prendre en compte la situation personnelle des différents salariés, dont certains n'auraient besoin que d'un ou deux trimestres de cotisations pour pouvoir bénéficier de leur retraite.

Les six mois à venir revêtent un caractère décisif, et il importe que ce dossier connaisse des avancées significatives durant cette période, compte tenu de la détresse profonde de certains salariés.

S'agissant du programme Leclerc, les rapporteurs ont pu constater à Roanne les retards enregistrés ; Giat Industries s'est engagé à achever la livraison des chars avant la fin de l'année 2006.

Dès le départ, il est apparu que Giat Industries devait impérativement être adossé à un partenaire dans des délais suffisamment courts. Néanmoins, il est plus aisé de conclure un tel partenariat lorsque l'entreprise se trouve en équilibre financier, et Giat Industries ne constitue pas actuellement un partenaire attractif. L'enjeu principal consiste à achever le plus rapidement possible les restructurations nécessaires, afin de mettre l'entreprise en mesure d'engager des négociations avec d'autres industriels.

La disparition des deux entités autonomes Gradia et Dual Tech est d'autant plus regrettable que leurs carnets de commandes semblaient suffisants, leurs personnels compétents et que des repreneurs s'étaient manifestés. Mais ces derniers semblent avoir été découragés par l'attitude de la direction de Giat qui n'a peut-être pas déployé tous les efforts nécessaires à la survie de ces projets.

M. Gérard Charasse a félicité les rapporteurs pour leur travail, soulignant l'importance qu'avait revêtu leur visite du 19 décembre 2005 à Cusset et Bellerive où ils ont rencontré, en sa présence, les responsables de l'entreprise ainsi que les syndicats et les ouvriers. Il a souhaité s'associer aux conclusions présentées, estimant que les efforts engagés en faveur des salariés de Giat étaient nécessaires. Il a fait valoir qu'il reste encore un certain nombre de salariés qui ne peuvent être reclassés, en raison, notamment de la situation sinistrée du bassin d'emploi.

Dans ces conditions, il serait judicieux d'ouvrir plus largement aux personnels sous convention collective les postes du ministère de la défense prioritairement réservés aux ouvriers sous décret.

Le sentiment de gâchis humain, industriel et de compétences est particulièrement frappant. Les parlementaires ont rencontré un salarié de Giat à qui il ne manquera qu'un trimestre pour bénéficier des mesures d'âge. Certaines situations devront être réexaminées.

M. Jérôme Rivière a souligné l'intérêt de cette mission qui s'inscrit dans la durée permettant ainsi aux parlementaires de bénéficier d'un éclairage continu qui a peut-être manqué dans le passé.

L'entreprise Giat, ainsi que ses employés, ont longtemps vécu dans un monde qui n'était pas totalement réel. Les cas particuliers évoqués peuvent trouver leur parallèle dans d'autres entreprises, et la France n'a malheureusement pas les moyens de satisfaire toutes les dépenses émanant d'un monde davantage « rêvé » que « réel ». Les employés de Giat vivent, certes, une rupture majeure mais ils ne sont pas les seuls, y compris dans leurs bassins d'emploi.

Les communications successives sur la situation de Giat donnent l'impression, inquiétante, d'assister à l'extinction progressive de la flamme de l'industrie de l'armement terrestre. La question de l'avenir de cet armement se pose. Il parait indispensable de participer à la restructuration qui se dessine à l'échelle européenne, à l'instar de ce qui a été réalisé dans le domaine aéronautique ou naval.

M. Jean-Claude Mignon a estimé que l'Etat actionnaire avait une grande part de responsabilité comme l'avait d'ailleurs déjà montré le rapport publié par MM. Yves Fromion et Jean Diébold en 2002. Compte tenu de sa part de responsabilité dans la situation de l'entreprise, l'Etat ne doit-il pas contribuer à régler les quelques cas douloureux non résolus ?

S'agissant du gâchis constaté, il reste à espérer que la France ne regrettera pas un jour les choix qui ont été faits et les pertes de compétence qui en résultent.

M. Jean-Claude Viollet a rappelé que tout pouvoir politique doit définir les politiques industrielles, fixer la politique d'aménagement du territoire et déterminer les politiques sociales à mettre en œuvre. Cette problématique ne semble pas avoir été prise en compte dans le cas de Giat. La restructuration actuelle ne sera pas suffisante si elle ne constitue pas le préalable à des contacts avec d'autres groupes.

M. Marc Francina s'est demandé si la direction actuellement en place n'avait pas pour objectif la fermeture de l'entreprise.

M. Jean-Claude Viollet s'est déclaré convaincu que le politique pouvait agir sur ce dossier. Il a, une nouvelle fois, regretté l'échec des tentatives d'essaimage et les pertes de savoir-faire qui en ont résulté.

Le président Guy Teissier a souligné la complexité de cette affaire à laquelle la dimension humaine ajoute un facteur émotionnel. L'entreprise rêvée a évolué dans un marché captif. Or, aujourd'hui, le caractère concurrentiel du marché dont elle dépend remet en cause sa viabilité.

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Information relative à la commission

La commission a nommé Mme Marguerite Lamour rapporteure d'information sur le démantèlement des navires de guerre.

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