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COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 29

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 29 mars 2006
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen du rapport de la mission d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2005

- Information relative à la commission


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Contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2005 (rapport d'information).

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné le rapport de la mission d'information présidée par M. Guy Teissier sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense pour l'exercice 2005.

M. Guy Teissier, rapporteur, a indiqué qu'après avoir constaté tout l'intérêt de l'initiative lancée dès 2003, la commission examinait, cette année encore, un rapport sur l'exécution des crédits militaires pour l'exercice qui vient de s'écouler. Elle enracine ainsi son contrôle et l'inscrit dans la durée, au fil de la mise en œuvre de la loi de programmation militaire pour 2003-2008.

Comme les deux années précédentes, et selon les mêmes modalités, la mission a effectué un contrôle régulier et précis de l'exécution des crédits pour 2005, en demandant aux ministères de la défense et de l'économie et des finances que lui soient transmises trimestriellement des informations, présentées sous la forme d'indicateurs, et en procédant, selon la même périodicité, à l'audition de responsables des deux ministères concernés. La mission a pu bénéficier, comme en 2003 et 2004, de la bonne coopération de ces deux ministères, ce qui lui a permis de contrôler l'exécution des crédits avec vigilance, mais aussi d'aborder des questions qui, si elles dépassent un strict cadre budgétaire, ont des implications considérables pour la défense.

Tout d'abord, pour les dépenses de titre III, outre des abondements et annulations limités intervenus en loi de finances rectificative de fin d'année, le ministère de la défense a bénéficié d'ouvertures de crédits en septembre à hauteur de 611 millions d'euros, tant pour assurer le financement des opérations extérieures que pour pallier des insuffisances apparues en cours de gestion.

Les surcoûts issus des opérations extérieures ont fait l'objet d'une bonne couverture en 2005, de même qu'en 2004. Ils se sont élevés à environ 550 millions d'euros, et les dépenses de rémunérations et de fonctionnement, atteignant 521 millions d'euros, ont été intégralement couvertes, puisque, aux 100 millions d'euros inscrits en loi de finances initiale pour 2005, se sont ajoutés 421 millions d'euros ouverts en septembre. En revanche, les dépenses de titre V, résultant notamment de l'usure des matériels, n'ont fait l'objet d'aucune ouverture de crédits, comme à l'accoutumée.

Parallèlement, 190 millions d'euros ont été ouverts afin de couvrir les insuffisances apparues en rémunérations, d'assurer le versement des loyers de la gendarmerie et de faire face aux dépenses de carburant, compte tenu de la flambée des cours du pétrole.

En ce qui concerne les dépenses d'équipement, les mesures d'annulation intervenues en cours d'exercice se sont limitées à 14,3 millions d'euros. Néanmoins, ce sont des moyens de titre V qui ont été utilisés pour gager les ouvertures de crédits de titre III susmentionnées, à hauteur de 611 millions d'euros, et, contrairement à l'option retenue en 2004 et en 2003, les crédits d'équipement ainsi annulés n'ont pas été rétablis en loi de finances rectificative de fin d'année. Cet arbitrage s'insère dans le processus de résorption des reports de crédits de titre V, accumulés avant et après 2003.

L'année dernière, la mission s'était alarmée de l'accumulation des reports de crédits pour les gestions 2003 et 2004. Le ministère de la défense s'était vu imposer des limites à ses engagements, notamment en fin d'année, afin d'assurer le respect de la norme de dépense de l'Etat, tandis que l'annulation, puis le rétablissement de crédits d'équipement intervenant en fin d'année 2003 et 2004 dans le cadre du financement des opérations extérieures se traduisaient pour le ministère par l'impossibilité matérielle de consommer ces moyens rétablis tardivement. En conséquence, les reports de crédits avaient fortement crû, atteignant 1,513 milliard d'euros à la fin de 2003 et 2,775 milliards d'euros à la fin de 2004. Parallèlement, les reports de charges augmentaient également. Une telle situation n'était pas satisfaisante, puisqu'elle conduisait à un gonflement des factures impayées et partant, à une augmentation des intérêts moratoires, tandis que le niveau effectif des dépenses d'investissement, bien qu'en hausse, s'avérait relativement limité au regard des ressources disponibles.

L'année 2005 marque une véritable rupture en ce domaine, car un arbitrage est intervenu afin d'engager la consommation des crédits reportés au fil du temps d'ici la fin de l'année 2007. De ce fait, en sus de l'intégralité de ses crédits d'équipement inscrits en loi de finances initiale, le ministère a pu consommer 220 millions d'euros de crédits reportés. Parallèlement, 611 millions d'euros de crédits reportés ont été utilisés afin de gager l'ouverture de crédits de titre III - ces 611 millions d'euros relevant des crédits reportés issus de la précédente loi de programmation, avant 2003. Au total, le montant des reports de crédits en fin d'exercice 2005 a nettement diminué par rapport à 2004, de près de 800 millions d'euros, et s'est établi à 1,996 milliard d'euros.

Les dépenses d'équipement ont atteint le niveau très important de 14,287 milliards d'euros, en hausse de plus de 15 % par rapport à 2004, et de près de 21 % par rapport à 2003. Logiquement, le taux de consommation des crédits d'investissement s'est fortement redressé : s'il s'était limité à 81,7 % en 2004, taux particulièrement peu élevé au regard des précédentes années, il atteint 87,9 % pour l'année 2005, ce qui permet donc d'inverser la tendance à la baisse observée depuis 2002 - baisse qui s'accompagnait tout de même de l'augmentation des dépenses de titres V et VI.

La mission ne peut que se féliciter de cette évolution, permettant d'enrayer le mouvement d'accumulation des reports de crédits. Pour autant, le niveau de ces derniers reste élevé, et leur résorption doit être résolument poursuivie au cours des deux prochaines années, parallèlement à la consommation de la totalité des crédits inscrits en loi de finances initiale.

Les engagements d'autorisations de programme ont également augmenté en 2005, s'élevant à 16,5 milliards d'euros, contre respectivement 15,2 et 13,2 milliards d'euros en 2004 et en 2003. Le ministère de la défense a notamment procédé à la commande des huit frégates multimissions, pour 4,6 milliards d'euros.

Les intérêts moratoires ont poursuivi leur hausse en 2005, pour atteindre 33,5 millions d'euros, contre 28,2 millions d'euros l'année précédente, ce qui résulte de l'importance des reports de charges, qui ont conduit à un décalage du paiement des factures sur le début de l'année 2005.

Le rapporteur a ensuite souligné que les auditions ont permis aux membres de la mission d'être informés des difficultés survenues dans le déroulement de certains programmes, mais aussi de débattre de plusieurs questions importantes.

Certains programmes d'équipement connaissent en effet des décalages successifs, lesquels, relevés par les deux précédentes missions, n'ont pu être résorbés, ou du moins limités, au cours de l'exercice 2005. Tout d'abord, s'agissant du char Leclerc, sur 58 exemplaires prévus pour 2005, seuls 37 ont été effectivement livrés à l'armée de terre. Au total, les livraisons ne devraient être achevées qu'en 2007. Un autre programme de blindés, la rénovation des AMX 10 RC, connaît des difficultés, puisque s'il était prévu que trente blindés soient rénovés au total en 2005, ce sont seulement treize unités qui ont été réceptionnées par les forces terrestres. La situation est meilleure qu'en 2004, année pour laquelle seulement trois chars avaient été livrés, mais ces retards sont dommageables, d'autant plus que les blindés AMX 10 RC constituent un équipement crucial pour l'armée de terre, car utilisé en permanence sur les théâtres d'opérations extérieures.

Il convient également de souligner les retards du programme d'hélicoptère Tigre, que l'année 2005 n'a pas permis de rattraper, loin s'en faut. Les deux premiers exemplaires devaient être livrés à l'armée de terre dès 2003, tandis que sept étaient attendus en 2004, puis sept en 2005. In fine, les premières livraisons ne sont intervenues qu'en 2005, avec quatre exemplaires au total. Les difficultés rencontrées par Eurocopter et ses sous-traitants, notamment s'agissant du viseur et de la compatibilité entre l'hélicoptère et son canon, expliquent l'accumulation de ces décalages. Cinq à six appareils devraient être livrés au cours de l'année 2006, selon les prévisions actuelles. Ces difficultés persistantes ne laissent pas de préoccuper la mission, alors que l'armée de terre a besoin de ces hélicoptères, qui doivent prendre la relève des Gazelle vieillissants.

Enfin, le programme de système intérimaire de drone Male (SIDM) destiné à l'armée de l'air subit également des aléas. La livraison du système, initialement prévue en 2003, ne devrait intervenir qu'au printemps 2006, et ce décalage remet en cause l'articulation prévue entre le retrait de service du système Hunter, qui a eu lieu en septembre 2004, et l'arrivée de son successeur, ce qui se traduit par une diminution des capacités de l'armée de l'air dans l'intervalle.

La mission a également pu constater les difficultés rencontrées par les différentes armées pour réaliser les objectifs d'activité qui leur sont assignés, essentiellement pour trois raisons : le vieillissement de certains matériels, qui a pour corollaire leur moindre disponibilité, le niveau particulièrement élevé du prix du carburant et la forte mobilisation de nos forces dans des opérations extérieures et intérieures. Les pilotes de transport de l'armée de l'air, par exemple, se trouvent en deçà de leur objectif de 400 heures, avec 279 heures d'activité seulement, notamment en raison de la déflation de la flotte de transport, tandis que les pilotes de chasse ont réalisé 170 heures en moyenne, pour un objectif de 180 heures. Quant à la gendarmerie, ses personnels ont effectué 25 jours d'instruction seulement, contre 35 prévus.

Somme toute, la mission d'information retire de ses travaux quelques motifs d'inquiétudes, notamment l'activité des forces, compte tenu du niveau du prix du carburant, mais aussi plusieurs motifs de satisfaction, au premier rang desquels la forte croissance des dépenses d'investissement en 2005 et l'engagement de la résorption des crédits reportés. Pour autant, il sera indispensable de se montrer vigilant sur la poursuite de ce mouvement, en veillant à la consommation des crédits d'équipement lors des prochains exercices budgétaires, qui se dérouleront dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances.

M. Jean-Michel Boucheron a témoigné sa satisfaction de la création de cette mission d'information et de contrôle, et de sa reconduction depuis 2004. Il a également souligné avoir apprécié l'honnêteté de l'exposé du rapporteur, qui a quasiment tenu un discours d'opposition.

M. Guy Teissier, rapporteur, a observé que l'honnêteté n'était pas l'apanage de l'opposition.

M. Jean-Michel Boucheron a souligné que la mise en œuvre de la loi de programmation militaire allait enregistrer un retard d'une année. Une redéfinition des missions et des moyens des armées s'avérera inéluctable, le Plan de prospective à 30 ans, même réactualisé, ne pouvant plus constituer un objectif. La défense doit se préparer à engager une réflexion sur ce point, alors même que la nature des menaces évolue.

M. Joël Hart a souscrit aux propos de M. Jean-Michel Boucheron, soulignant l'état de vétusté d'une partie du matériel et déplorant les retards de livraison de certaines pièces de rechange. La multiplication et la complexification des opérations extérieures nécessitent d'envoyer sur place des matériels en bon état, ce qui se traduit souvent par une certaine « cannibalisation » des équipements restant dans les régiments. Une redéfinition des missions, qui ne peut se faire qu'au sommet de l'Etat, devra aborder les modalités de conduite des opérations extérieures.

Ensuite, M. Joël Hart s'est réjoui que, grâce aux travaux de cette mission, l'administration travaille dans une plus grande transparence, la commission de la défense étant ainsi informée avec exactitude au fil de l'année.

Souhaitant tempérer des propos qu'il a jugés trop pessimistes, M. Guy Teissier, rapporteur, a souligné que les moyens de nos armées restaient satisfaisants, que les capacités opérationnelles étaient excellentes et que le moral des soldats s'avérait bon.

Il appartiendra au futur gouvernement de faire correspondre les moyens aux missions dévolues aux armées. Soit l'effort de la Nation devra être accru, notamment afin d'assurer le bon déroulement des programmes à venir, soit les ambitions et les objectifs devront être révisés. La France dispose en permanence, hors de ses frontières, de 15 000 militaires qui conduisent, avec succès, des missions complexes, et leur action est saluée par de nombreux pays, notamment les Etats-Unis. Cette politique a un coût qu'il faut assumer. Visiter des unités militaires permet d'ailleurs de constater l'étendue de nos capacités opérationnelles, la bonne tenue du moral des troupes et le rayonnement international de notre pays.

M. Jérôme Rivière s'est félicité du rôle joué par la mission d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense, également reconnu par l'opposition. Cette mission permet en effet de disposer d'une vision globale et continue des évolutions budgétaires concernant la défense, ce qui constitue une véritable avancée par rapport aux données parcellaires disponibles lors des précédentes législatures.

La France consacre aujourd'hui entre 1,8 et 1,9 % de son PIB à l'effort de défense. Il est possible de considérer cette proportion comme trop importante et de se résigner à passer d'une politique de défense à une simple politique de sécurité, en renonçant à nos capacités de projection et à nos forces prépositionnées. Telle n'est pas l'ambition actuelle de la France et la commission de la défense doit soutenir cette vision volontariste. La révision éventuelle des missions assignées aux forces armées ne peut relever seulement d'une décision gouvernementale. Elle doit résulter d'un débat devant l'ensemble des Français et les prochaines échéances électorales constitueront l'occasion d'évoquer les questions de défense, notamment le nécessaire maintien de deux composantes pour la force de dissuasion nucléaire. Il a jugé que la poursuite et l'approfondissement de l'effort de défense étaient nécessaires, la France ne pouvant accepter de perdre son rang en Europe.

M. René Galy-Dejean a souhaité s'inscrire en faux contre les propos tendant à laisser penser qu'il manquerait une annuité de crédits d'équipements au terme de la loi de programmation militaire 2003-2008.

M. Jean-Michel Boucheron a estimé que l'ensemble des interlocuteurs chargés des questions budgétaires, aussi bien au ministère de la défense qu'au ministère des finances, faisaient bien un tel constat en privé, mais que la politique de communication choisie par la ministre de la défense conduisait à taire les faits. Cette stratégie peut être bénéfique à certains égards, mais on ne peut toutefois demander à l'opposition d'être dupe quand le discours officiel ne reflète pas la réalité.

M. René Galy-Dejean a fait valoir qu'il était préférable d'avoir un discours et une politique offensifs, afin d'obtenir et de dépenser effectivement les crédits, plutôt que de se contenter d'accepter avec fatalisme des annulations de crédits inscrits en lois de finances, comme cela avait été le cas lors de la précédente législature.

Si chacun a bien conscience des difficultés posées par les reports de crédits effectués en 2003 et 2004, il n'en reste pas moins que l'arbitrage rendu en 2005 par le Président de la République est exceptionnel. Il autorise le ministère de la défense à consommer davantage de crédits d'équipement que ceux inscrits en loi de finances initiale, ce qui est sans précédent, et il a permis une augmentation substantielle du taux de consommation des crédits en 2005. De plus, ce mécanisme s'appliquera jusqu'en 2007, afin de permettre l'utilisation de l'ensemble des crédits reportés. Il s'agit d'une démarche particulièrement novatrice.

M. Guy Teissier, rapporteur, a estimé que l'opposition actuelle reprenait le discours de l'opposition d'alors au cours de la précédente législature, à ceci près qu'il était à cette époque parfaitement justifié mais qu'il est aujourd'hui en décalage avec les réalités. La volonté du Président de la République d'engager la résorption des crédits reportés d'ici 2007 doit être saluée. Elle permettra d'exécuter la loi de programmation militaire dans son intégralité jusqu'en 2007, y compris en utilisant les 800 millions d'euros de crédits reportés relevant de la précédente loi de programmation militaire. Les débats sur l'exécution après 2007 ne sont par définition à ce stade que des spéculations.

Il a remercié les membres de la mission d'information pour la qualité de leur travail et de leurs interventions.

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

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Information relative à la commission

La commission a nommé M. Guy Teissier rapporteur pour avis sur le projet de loi portant création d'une délégation parlementaire pour le renseignement (n° 2941).

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