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COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

COMPTE RENDU N° 43

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 27 septembre 2006
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Guy Teissier, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Louis Gallois, coprésident d'EADS

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- Information relative à la commission

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Audition de M. Louis Gallois, coprésident d'EADS.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu M. Louis Gallois, coprésident d'EADS.

Le président Guy Teissier a souhaité que cette audition soit l'occasion de faire le point sur l'avancement des différents programmes engagés par l'entreprise, mais aussi sur les dernières prises de participation en son sein, en particulier russes, qui ont quelque peu surpris les parlementaires et les observateurs économiques. La commission de la défense a récemment publié un rapport sur les possibilités d'incursions capitalistiques étrangères dans les entreprises de défense, mais elle n'avait pas imaginé qu'il faudrait craindre les capitaux russes.

M. Louis Gallois s'est réjoui que cette réunion lui permette de s'exprimer pour la première fois publiquement, en dehors d'EADS, sur la situation de l'entreprise et souhaité passer en revue les programmes les plus importants, leur nombre considérable interdisant de les examiner tous en détail.

Il a estimé que l'entreprise disposait d'un bon nombre d'atouts, au premier rang desquels son énorme carnet de commandes de 250 milliards d'euros, dont 50 milliards au titre de la défense. AIRBUS a récemment connu des succès significatifs, avec pas moins de
182 commandes et intentions d'achat enregistrées à Farnborough. Même si l'entreprise accuse, depuis le début de l'année, un retard sur Boeing, son carnet de commandes, avec plus
2000 avions, reste très bien rempli.

EADS a aussi remporté une remarquable victoire aux Etats-Unis, pour la première fois, en tant que maître d'œuvre, avec un programme destiné aux forces américaines, celui de l'hélicoptère multiservices LUH322.

Programme phare pour l'entreprise, l'hélicoptère NH90 a bénéficié de 34 commandes additionnelles en Australie, auxquelles s'en ajoutent 9 autres pour la Nouvelle-Zélande. Avoir remporté le contrat BOSNET pour l'ensemble des communications cryptées allemandes est un autre succès de l'entreprise. EADS montre une dynamique qui ne se dément pas en terme de commandes.

Un enjeu majeur de toutes ces commandes est bien évidemment de livrer les appareils en temps et en qualité, comme les contrats le prévoient. Cela vaut d'ailleurs pour les contrats commerciaux comme pour les contrats militaires.

M. Louis Gallois a observé que l'entreprise disposait d'un panel de technologies exceptionnel, qui n'a pas d'équivalent en dehors des Etats-Unis : dans son domaine d'activité, EADS est ainsi la seule à pouvoir rivaliser avec les deux plus grandes entreprises américaines du domaine, Boeing et Lockheed Martin.

À tous ces aspects positifs, s'ajoute une grande mobilisation des personnels qui, même s'ils ne sont peut-être pas tous toujours suffisamment conscients d'appartenir à EADS, sont très fiers des activités qu'ils exercent au sein d'Airbus, d'Eurocopter, d'Astrium ou de la division Défense. Cet attachement à leur entreprise est une valeur fondamentale.

Dans le même temps, l'entreprise s'est trouvée confrontée à une crise de confiance et ébranlée par les affaires récentes, qu'il s'agisse des débats sur la direction de l'entreprise, de l'affaire Clearstream, même si elle lui était totalement étrangère, ou de la discussion sur le fait de savoir s'il y avait eu ou non délit d'initié de la part de dirigeants, point sur lequel la justice tranchera.

M. Louis Gallois a reconnu que cette crise avait atteint les clients, les actionnaires et les personnels, et souligné qu'il appartient aujourd'hui à l'équipe dirigeante de regagner leur confiance, en commençant par les clients car c'est bien leur confiance qui entraîne celle des personnels et des actionnaires, mais aussi de ceux qui les entourent - personnes privées comme États.

Regagner cette confiance passe par la transparence, le respect des engagements pris, la proximité et l'écoute des clients et des personnels, mais aussi des acteurs du tissu économique local. La confiance se reconquiert aussi dans la persévérance car s'il faut beaucoup de temps pour la gagner, même si on la perd en quelques instants.

M. Louis Gallois s'est déclaré très déterminé, tout comme son homologue allemand Thomas Enders, à gérer l'entreprise de façon à ce qu'elle retrouve la sérénité nécessaire et qu'elle apparaisse vis-à-vis de l'extérieur comme un partenaire solide, fiable, transparent et à l'écoute.

Il est impossible, quand on parle aujourd'hui d'EADS, de ne pas évoquer les difficultés que traverse Airbus. S'agissant de l'A380, l'annonce sur les nouveaux retards qui sera faite prochainement sera la troisième de ce type. Il importe qu'elle soit la dernière.

Compte tenu de l'ampleur sans précédent de ce programme, les effets de son retard sur la trésorerie et les résultats de l'entreprise sont importants. On a parfois du mal à comprendre que des problèmes techniques très identifiés (câblage de deux tronçons) demeurent alors que quatre avions volent tous les jours, qu'ils se comportent de façon excellente et font preuve, aux dires des pilotes d'essai, comme des pilotes des compagnies clientes, de remarquables qualités aéronautiques.

C'est un problème lourd pour l'entreprise en termes techniques, mais surtout commerciaux : il n'est jamais aisé d'annoncer à Singapore Airlines, à Qantas, à Emirates, à Air France, à Lufthansa ou à d'autres compagnies que les avions qu'ils attendaient leur seront livrés plus tard que prévu. L'impact psychologique sur des personnels habitués au succès est également indéniable : ils sont touchés dans leur fierté alors qu'ils ont à juste titre le sentiment d'avoir développé un excellent avion.

M. Louis Gallois a précisé qu'une autre difficulté très importante tient au faible cours du dollar, lequel a chuté de 41 % depuis le lancement de l'A380. Or, si 100 % des recettes sont touchées par cette baisse, elle ne concerne que 50 % des coûts. Dans la mesure où l'on ne peut compter sur un redressement miraculeux du dollar, Airbus est confronté pour longtemps à un vrai problème de compétitivité. Il va donc falloir continuer à agir. Ce ne sera pas chose aisée - cela peut même être rude - mais le fait qu'un paramètre que l'entreprise ne maîtrise pas joue massivement en faveur de son concurrent l'oblige à relever ce défi et à engager un programme de compétitivité.

Pour ce qui est de l'A350 XWB - Extra Wide Body -, sa conception faisant appel aux dernières technologies, son volume intérieur, ses performances sont bien accueillis par les compagnies, mais la décision de lancement n'est pas encore prise car il faut s'assurer de son financement et de ressources suffisantes en ingénierie. Aujourd'hui, 11 500 personnes dans les bureaux d'études d'Airbus et 15 000 personnes en plus travaillent à l'extérieur - chez les partenaires et sous-traitants - pour l'ingénierie pour Airbus. Enfin, il faut que l'entreprise soit capable d'assurer à ce programme une rentabilité satisfaisante, compte tenu du cours du dollar.

Telle est la mission du nouveau responsable d'Airbus, Christian Streiff. Aucun de ses prédécesseurs n'avait été confronté à de tels défis, même si l'entreprise a traversé dans le passé des périodes très difficiles, comme en 1993, où elle n'avait pas enregistré une seule commande nette - tout comme Boeing, il est vrai. Mais cette fois les difficultés se concentrent sur une période courte et les enjeux sont majeurs.

M. Louis Gallois a jugé que Christian Streiff disposait d'une grande expérience industrielle, du charisme et de l'énergie nécessaires pour mener à bien cette tâche et précisé qu'il incombait aux dirigeants d'EADS de l'y aider.

Parmi les autres divisions, Eurocopter va bien et dispose d'un carnet de commandes remarquable, bien alimenté d'ailleurs, cette année. L'entreprise doit relever des défis et, d'abord, celui de livrer en temps et en heure ses appareils. Il faut noter que les fournisseurs d'équipements doivent suivre ces cadences. Il s'agit ici encore d'un problème de montée en cadence.

M. Louis Gallois a tenu à souligner le remarquable redressement de l'activité espace, après une période de grandes difficultés. Si les commandes de satellites de télécommunications commerciaux sont bonnes, leur rentabilité reste limitée, car la concurrence est rude. Il est donc nécessaire de mener parallèlement des programmes gouvernementaux civils et militaires pour équilibrer les résultats commerciaux. Aux États-Unis, la vente de satellites privés de télécommunications est marginale par rapport aux activités gouvernementales de défense et d'observation, ce qui pèse considérablement sur le prix de ces satellites.

Pour le lanceur Ariane, les cadences sont en croissance. Il faut progresser en Europe en renforçant les alliances et en favorisant une organisation industrielle plus intégrée. Des discussions sont en cours avec Finmeccanica afin de gagner en efficacité.

Concernant la défense, l'activité missiles est remarquable, MBDA étant en la matière le premier fabricant mondial. Pour maintenir ces résultats, cette très belle entreprise italiano-anglo-franco-allemande doit recevoir, s'agissant de la France, la maîtrise d'un grand programme qui maintienne sa capacité de développement.

Après avoir indiqué qu'Eurofighter était aussi une activité importante pour EADS, M. Louis Gallois a abordé le secteur des systèmes, pour lequel la compétence d'EADS est forte et se développe dans de nombreux domaines, en particulier celui de la sécurité. Il s'agit pour EADS d'une voie de croissance et de développement importante.

Il a fait valoir que même si EADS, dans le domaine de l'électronique de défense, n'avait pas la même taille que Thales ou Finmeccanica, l'entreprise n'en occupait pas moins des niches prospères et performantes, en particulier celles des radars petits et moyens, où elle a une position unique dans le monde. Il a précisé, par ailleurs, que le rapprochement capitalistique Thalès-EADS n'était pas à l'ordre du jour.

Abordant l'activité en croissance d'avions de transport militaire, il a jugé le programme de l'A400M emblématique et constaté son intérêt majeur pour les gouvernements qui l'ont lancé mais aussi à l'exportation. Les jalons d'avancement sont actuellement respectés. Le programme n'est donc pas en retard, mais il n'existe guère de marge sur un programme aussi technique et le programme de développement va connaître des phases complexes. Il convient donc d'être vigilant, d'autant qu'Airbus n'a pas une forte expérience des programmes militaires et qu'il ne s'agit pas simplement d'assurer la succession du Transall, mais de mettre au point un avion vaste et compliqué, avec un moteur très puissant et de fortes capacités militaires à intégrer.

EADS est retenue en Grande-Bretagne et en Australie pour les ravitailleurs en vol et se bat aussi dans le cadre de l'énorme programme Tanker de l'US Air force, qui pourrait atteindre jusqu'à 100 milliards de dollars à son terme. Cette possibilité lui a été à nouveau ouverte à la suite des difficultés rencontrées par Boeing. Si le groupe américain l'avait emporté à un prix de monopole, il en aurait retiré un avantage gigantesque sur Airbus, puisqu'on considère que la simple mise en concurrence peut faire baisser les prix de 20 %.

M. Louis Gallois a souligné qu'il n'appartenait pas à l'industrie de défense de définir les besoins des armées et la doctrine de défense de la nation. Mais il a aussi insisté sur le fait qu'il ne saurait y avoir de défense sans industrie de défense : une défense autonome s'appuie sur une industrie de défense autonome, en France comme en Europe. Une industrie de défense compétitive doit disposer à la fois de capacités technologiques au meilleur niveau mondial ; d'une capacité industrielle à gérer les programmes - l'Europe, de ce point de vue, a encore de grands progrès à faire sur le plan interétatique comme industriel - ; et enfin d'une capacité économique. On ne saurait en effet faire face à l'énorme pression industrielle américaine sans investir de façon à soutenir l'effort de recherche et technologie comme le développement sur les nouveaux marchés. Cela suppose certainement de bénéficier d'un soutien efficace à l'exportation, mais aussi de faire en sorte que l'entreprise ne souffre pas de s'être bien engagée dans la consolidation européenne mais bénéficie plutôt de cet atout. Cela suppose également de bien réfléchir aux effets de taille critique, car multiplier les maîtres d'œuvre risque de les affaiblir alors que c'est à eux qu'il appartient ensuite de faire vivre tout le tissu industriel. Il est clair que la consolidation n'est pas terminée dans l'industrie de défense européenne et EADS compte bien être présente dans la suite de ce mouvement.

M. Louis Gallois a estimé que l'Europe est la seule échelle pertinente pour la gestion des grands programmes, hors dissuasion. Il existe encore trop de programmes concurrents et il est souhaitable que l'Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement (OCCAR) retienne la notion de « balance globale » plutôt que celle de juste retour, qui est une contrainte très forte et une source d'inefficacité.

Après avoir remarqué que le soutien apporté à la recherche et à la technologie avait été très significatif ces dernières années, il a indiqué qu'il y avait avec la DGA un dialogue soutenu sur le maintien des compétences. Les budgets récents marquent un vrai progrès mais il faut rester extrêmement vigilant. De ce point de vue, le besoin d'une coordination européenne est évident et rend le rôle de l'Agence Européenne de Défense crucial.

La France pourrait par ailleurs envisager de recourir à des formules plus innovantes de financement, à partir notamment de l'expérience en Grande-Bretagne des ravitailleurs en vol ou de Skynet avec Paradigm. L'expérience menée à Cognac, pour l'entraînement des pilotes sur Epsilon, est en ce sens intéressante. De tels financements permettent d'accélérer le lancement des programmes mais aussi d'engager l'industriel sur toute la durée du programme, en particulier grâce aux activités de maintien en conditions opérationnelles. Dans le cadre du MRTT (Multirole Tanker Transport), il est ainsi possible d'imaginer un contrat de service, comme pour Galileo dans le domaine civil.

Après s'être félicité des analyses du rapport de M. Yves Fromion sur l'exportation, en particulier sur la nécessité d'une structure interministérielle de coordination, d'une simplification des procédures d'autorisations à l'exportation et d'un regroupement des efforts au niveau européen, M. Louis Gallois a estimé que les industriels ne pouvaient pas se plaindre du soutien qu'ils reçoivent en France, de la part du Gouvernement comme du Président de la République, mais observé que des progrès pourraient être faits dans la coordination interministérielle de ce soutien comme le suggère M. Fromion.

Il a par ailleurs souligné le développement satisfaisant du M51.1 et précisé que le M51.2 était la prochaine échéance, après le discours du Président de la République à l'Île Longue, en souhaitant que le marché de conception soit signé avant la fin de 2006 pour pouvoir assurer une mise en service en 2015.

S'agissant du missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMPA), sa mise en service devrait intervenir en 2008, le deuxième tir de qualification, au mois de juin, s'étant très bien passé.

Pour le domaine de l'espace, dont la ministre de la défense a fait récemment une priorité, les programmes de satellites sont en bonne voie, qu'il s'agisse de Hélios 2 pour l'optique ou de Sar Lupe pour le radar. Une coopération entre l'Italie, la Grande-Bretagne et la France est proposée pour les satellites de communications militaires. L'implication des Anglais devrait permettre de mobiliser les capacités disponibles sur Skynet.

Évoquant les drones, M. Louis Gallois a observé que le démonstrateur SIDM, avec pour base un véhicule israélien, fonctionnait bien ; le premier vol à Istres, au début du mois de septembre, ayant été réussi. Dans le cadre de la suite d'EuroMALE (Moyenne Altitude et Longue Endurance), la DGA réfléchit à l'Advanced UAV (Unmanned Aerial Vehicle), engin qui intéresse les Allemands, mais aussi les Espagnols, les Italiens, les Néerlandais, les Turcs. Le véhicule pourrait être issu du Barracuda, qu'EADS développe en Allemagne. L'incident de samedi dernier concernant un vol test de Barracuda pourrait être dû à une erreur de manipulation à l'atterrissage - une enquête est en cours - et ne paraît pas remettre en cause l'utilisation de ce démonstrateur comme base technologique d'un véhicule européen pour le drone de surveillance. En effet, l'intérêt du Barracuda est de pouvoir préparer une version de surveillance et une autre de reconnaissance, avec deux systèmes d'ailes différents.

En qui concerne le MRTT, ravitailleur en vol de l'armée de l'air française, les KC135 ont désormais 45 ans. La base de l'A330 est remarquable, bien meilleure que le 767 pour cet usage, et il serait donc souhaitable que le dossier de lancement de conception soit adopté avant la fin de l'année, permettant une première livraison en 2010-2011.

S'agissant du NH90, sa version navale se fait sous conduite italienne, non sans difficultés dues à la complexité de l'appareil.

Par ailleurs, l'armée de terre devait passer commande de 34 appareils NH 90. On parle aujourd'hui d'une première tranche de 12. Les conditions seront donc forcément différentes, sauf à ce que l'on puisse assurer le chiffre initial, compte tenu du besoin exprimé par le nouveau chef d'état-major de l'armée de terre.

S'agissant du Tigre UHT, la certification en Allemagne est compliquée, les autorités se montrant très exigeantes.

Un besoin d'hélicoptères lourds commence à s'exprimer en Europe. Il peut être satisfait par un programme européen ou transatlantique, Sikorsky souhaitant développer un tel appareil. Peut-être sera-t-il possible de trouver une solution permettant d'amortir le coût de développement.

En ce qui concerne le MCT (Missile de Combat Terrestre), il s'agit de donner un successeur au HOT et au MILAN. L'Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suède et la France ont manifesté leur intérêt pour un tel missile MCT, face au SPIKE israélien et à son concurrent américain.

La marine avait pour sa part exprimé le besoin d'un missile de croisière naval. Ce programme est prévu dans la loi de finances 2006 comme dans la loi de programmation militaire. Il est souhaitable qu'il soit engagé aussi rapidement que possible pour que les frégates puissent être équipées en 2012.

Après avoir rappelé que, n'étant en fonction que depuis deux mois, il n'avait qu'une vision partielle des dossiers, le président Louis Gallois a conclu en insistant sur sa volonté d'être à l'écoute des parlementaires comme des états-majors et de la DGA.

Le président Guy Teissier a remercié le président Louis Gallois pour cette revue exhaustive de la situation et pour n'avoir rien dissimulé des difficultés rencontrées par ce joyau que constitue l'A380.

Il a souhaité connaître son appréciation sur l'incursion - que l'on dit « amicale » depuis le passage du président Vladimir Poutine à Paris - des Russes dans le capital d'EADS. L'aéronautique russe semble connaître un sursaut, comme en témoignent la commande de
22 appareils chez Boeing et de 22 autres chez Airbus, le regroupement de l'industrie nationale au sein du consortium OAK (Corporation Aéronautique Unifiée) et la volonté de prendre 5 % du capital d'EADS, voire davantage pour obtenir une minorité de blocage.

Par ailleurs, le général Stéphane Abrial ayant fait part des besoins de transport considérables de l'armée de l'air, peut-on garantir qu'en dépit des difficultés techniques rencontrées, l'A400M pourra voler dès 2009 ?

M. Louis Gallois a tout d'abord répondu que l'opération des Russes montrait l'attrait qu'exerçait sur eux EADS, le président Vladimir Poutine ayant indiqué qu'en investisseurs avisés, ils avaient saisi l'opportunité d'une valeur du titre relativement basse.

Mais il y a eu aussi des déclarations plus offensives quant à la volonté d'acquérir une minorité de blocage. Une telle minorité n'existe pas dans le groupe, pas plus que dans le droit néerlandais dont il relève. Par ailleurs, les actionnaires fondateurs - Daimler-Chrysler, Lagardère, les gouvernements français et espagnol - détiennent la majorité des droits de vote et ont une complète maîtrise du pacte d'actionnaires.

Le pays dispose certainement, grâce aux importants moyens qu'il tire de l'augmentation des prix des hydrocarbures, d'énormes disponibilités financières, qui peuvent être dirigées vers de nombreux secteurs.

En résumé, EADS s'est réjouie de cet investissement mais ne compte pas modifier les règles de gouvernance fondées sur un équilibre entre les fondateurs, qui lui ont apporté tous leurs actifs aéronautiques, spatiaux et de défense, avec l'engagement de ne pas les reconstituer par ailleurs.

Elle est désireuse d'amplifier sa coopération avec les Russes. Ainsi, c'est grâce à EADS notamment que Soyouz va pouvoir utiliser le pas de tir de Kourou. Il existe également un accord sur la transformation en Russie de l'A320 en avion cargo, ainsi que des accords sur la fourniture de matières premières par exemple. Afin de coordonner et de renforcer cette coopération, la proposition d'EADS de constituer un comité stratégique avec l'industrie russe a été acceptée et devrait se concrétiser prochainement.

Pour EADS, la prise de participation russe demeure dans ce que l'on appelle le «flottant», ne donnant aucun autre droit que ceux d'un actionnaire normal.

S'agissant de l'A400M, M. Louis Gallois a répété que les jalons actuels sont respectés pour permettre le vol de l'avion en 2009. Toute l'information nécessaire sera donnée si des problèmes importants apparaissaient. Il s'agit, en effet, d'un avion compliqué, dont la militarisation sera délicate, tout comme les essais, notamment sur l'aérodynamique Turbopropulseur-aile.

M. Jean-Yves Le Drian a demandé si, en disant que ce sujet n'était plus d'actualité, le président Louis Gallois avait voulu signifier qu'il n'y avait plus aucune perspective d'acquisition par EADS de l'électronique de défense de Thalès et que la politique de niches évoquée était aujourd'hui suffisante.

M. Louis Gallois a observé que les rapports entre les deux entreprises étaient multiples et précisé qu'il avait déjà rencontré à deux reprises M. Denis Ranque à propos des très nombreux programmes, civils et militaires, auxquels les deux entreprises travaillent en commun. Cela montre d'ailleurs que, quand on parlait de rapprochement, ce n'était pas sans fondement technique. Mais, en effet, le rapprochement en capital des deux entreprises n'est pas à l'ordre du jour et c'est de coopération industrielle qu'il s'agit.

S'agissant des niches, on peut simplement constater qu'EADS les occupe au mieux, qu'elles sont rentables et qu'elles permettent de maintenir les technologies. Mais l'entreprise a l'ambition plus globale de mieux équilibrer son portefeuille d'activités entre le civil et le militaire, ou plutôt entre l'Airbus et le non Airbus, et elle ne considère pas, s'agissant de l'électronique de défense, que la fin de l'histoire a été écrite, du moins au niveau européen où il n'est pas certain que la consolidation de l'industrie de l'électronique de défense soit achevée. Mais pour l'heure, il n'existe aucune équipe travaillant au rapprochement entre EADS et Thalès.

Abordant la situation de Sogerma, M. Hugues Martin a regretté que les valeurs sur lesquelles le Président Gallois avait insisté - attachement à l'entreprise, fierté, confiance - aient été totalement bafouées avant son arrivée, tant vis-à-vis des salariés que des partenaires sociaux qui, dans cette entreprise, sont des gens sérieux, compétents et responsables, ou des élus locaux, que l'on a menés en bateau. On savait simplement qu'il y avait eu des erreurs de management, et puis le drame est arrivé, au cours d'une période en effet fort difficile, avec l'affaire Clearstream et l'éventuel délit d'initié. Brutalement, du jour au lendemain, d'un trait de plume, on a supprimé 1 050 emplois à Bordeaux, en évoquant de possibles contreparties dont personne ne connaissait le détail.

Il faut se féliciter qu'aussitôt nommé, le nouveau président d'EADS ait joué le jeu de la transparence et contacté les uns et les autres, en particulier les élus qui, dans cette affaire, sont solidaires, toutes tendances confondues.

À partir de cet exemple, c'est sans doute une réflexion sur la maintenance aéronautique, tant civile que militaire, qui doit être conduite. Des regroupements sont probablement possibles, mais il faut aussi tenir compte des impératifs d'aménagement du territoire. Est-il normal que, sur certains sites, le plan de charge explose, tandis que sur d'autres, c'est Ground Zero ?

M. Louis Gallois a regretté qu'un pilotage sans doute insuffisant ait amené à une catastrophe industrielle et n'ait pu éviter des opérations coûteuses, à Bordeaux comme à Rochefort.

EADS a eu à choisir entre deux repreneurs, garantissant chacun le maintien de l'ordre de 550 emplois dans l'activité de maintenance. Celui qui paraissait apporter le plus de garanties industrielles a été retenu et, au total, 680 emplois vont être préservés en comptant les activités ATR demeurant dans le giron d'EADS. Il reste actuellement à peu près 90 personnes pour lesquelles une solution, au cas par cas, n'a pas encore pu être trouvée. Elle devra l'être avant la fin de l'année et les choses ne sont pas trop mal engagées.

L'avenir du site s'écrit désormais pour partie avec le nouvel industriel, TAT, et avec ATR pour l'autre partie. TAT va devoir trouver des clients. De fait, les avions sont en train de revenir et l'activité de maintenance va redémarrer. L'engagement pris par Airbus d'assurer un certain nombre d'heures de travail sera respecté. La construction des ailes ATR ne paraît pas poser de problème dans la mesure où les cadences de l'entreprise progressent ; la production devrait atteindre 60 avions par an. Un temps en très grande difficulté, l'activité ATR est donc repartie et nécessitera même des investissements pour développer la capacité de production. La prévision de 130 emplois dans l'usine de Bordeaux qui monte les ailes devrait être tenue.

Cela ne signifie nullement que tout sera désormais facile , mais simplement que l'avenir de Sogerma est mieux assuré en ce qui concerne le montage des ailes. Il faut par ailleurs redresser l'activité fauteuils d'avion à Rochefort, qui avait été « plombée » par une gestion industrielle assez hasardeuse.

En ce qui concerne les aérostructures, le besoin d'Airbus est actuellement fort car l'entreprise sort beaucoup d'avions. Mais il faudra qu'elles soient produites dans des conditions de coûts supportables pour un constructeur confronté à la faiblesse du dollar. Il y aura donc des discussions avec chacun des fournisseurs d'Airbus, y compris ceux qui sont à l'intérieur du groupe. Elles ne concerneront pas que Sogerma, mais aussi Socata et les usines allemandes d'EADS, qui produisent des pièces pour Airbus. Elles viseront à s'assurer que l'organisation industrielle et les prix sont compétitifs. Une certaine équité doit également être recherchée entre les sites. Il faut noter que le gouvernement britannique exerce actuellement une forte pression pour le maintien de l'emploi sur son territoire, en rappelant l'importance de ses apports à l'activité Airbus, en dépit du fait que BAe System sorte du capital.

M. Jean-Louis Léonard s'est à son tour réjoui qu'avec l'arrivée du président Louis Gallois l'espoir soit revenu, chez Sogerma mais aussi dans l'ensemble des entreprises concernées.

Cependant, au regard des difficultés du marché, de la faiblesse du dollar, donc de la nécessité d'améliorer la compétitivité, on voit mal comment il est possible d'assurer, au-delà de la garantie d'un plan de charge à court terme, une visibilité à une entreprise comme Sogerma et même à l'ensemble des sous-traitants d'Airbus.

Ne va-t-il pas être nécessaire à l'intérieur du groupe, tant d'ailleurs pour les activités civiles que militaires, de revoir l'ensemble des méthodes, mais aussi la structure industrielle, en particulier pour les aérostructures, qui sont les plus gourmandes en main-d'œuvre ? Est-il d'ores et déjà possible de savoir à quoi il faut s'attendre ?

Il conviendra par ailleurs de garantir une égalité de traitement entre les sites situés en France et ceux qui se trouvent en Allemagne, où l'on a toujours résisté farouchement à toute velléité de restructuration industrielle.

Les derniers programmes Airbus ont mis les réseaux de sous-traitants à rude épreuve, après trois plans de progrès très importants qui ont saigné certaines entreprises. Comment pourraient-elles aujourd'hui faire un effort supplémentaire de 15 à 20 % ? Quel avenir envisager pour les deux grandes filiales aérostructures du groupe EADS que sont Socata et Sogerma ?

M. Louis Gallois a souligné que la question de savoir si l'appareil industriel d'Airbus en Europe est en mesure de faire face à la concurrence, compte tenu du cours actuel du dollar, était au cœur de ses préoccupations.

Il a rappelé que, lors du lancement de l'A380, l'euro valait 0,90 dollar et qu'il vaut aujourd'hui 1,30 dollar. Fort heureusement, l'ensemble des activités du groupe ne sont pas fondées sur ce cours, mais la faiblesse du dollar reste une question essentielle.

Cela étant, chacun a besoin de lisibilité. Le groupe va donc s'efforcer d'être lisible. Airbus prépare un programme de compétitivité qui définira le cadre mais ensuite, dans ce cadre, les choses seront regardées une par une, sans chercher des chiffres globaux peu significatifs et qui peuvent inquiéter inutilement.

Il faut être pragmatique et aider les sous-traitants à contribuer à l'amélioration de la compétitivité sans pour autant les pressurer sans cesse.

Les structures et les méthodes industrielles seront revues à bon rythme mais sans précipitation, de manière à préserver tout ce qui peut l'être. Il n'est pas certain que les cols bleus soient les plus atteints en raison de l'importance de l'activité ; ce sont sans doute les coûts de structures qui sont les plus concernés dans cette constellation que forment Airbus et ses sous-traitants.

L'égalité de traitement est au cœur des discussions internes, même si les choses ne sont pas toujours faciles entre les sites ou entre les pays concernés.

Une série de réunions avec les syndicats débute aujourd'hui même. Ils sont bien au courant de la situation et savent qu'un effort va devoir être fait. Des discussions sont engagées de telle manière qu'il n'y ait pas d'annonces qui les mettraient en porte à faux.

M. Jean-Michel Boucheron a jugé fondamentale la recherche-développement et le soutien de l'Europe dans ce domaine. Quand on parle de maintien des compétences, on sous-entend qu'il faut éviter un gap technologique avec les Américains. Mais, en ce domaine, quelle est la marge de manœuvre du gouvernement et des entreprises britanniques, dont beaucoup sont liées par des cofinancements avec des entreprises américaines et qui, elles, ont accès aux marchés de l'armée américaine ?

Par ailleurs, l'embargo empêche la réparation des avions iraniens, et un certain nombre de pièces sensibles, notamment pour Airbus, sont fabriquées aux États-Unis. Si l'Europe décidait de ne pas respecter l'embargo édicté par Washington, en aurait-elle les moyens ? L'indépendance politique de l'Europe est-elle un leurre ?

M. Jean-Claude Viollet a rappelé que l'expérience menée à Cognac, et qui peut être une référence pour la défense comme pour EADS, porte sur l'externalisation d'entretien d'avions d'une base école, sur des interventions sur des simulateurs, voire sur la construction d'avions moins gourmands en énergie et moins bruyants, permettant de faire face aux besoins de formation.

Le projet a été soutenu à la condition que Cognac devienne une grande base de formation ainsi qu'un pôle de maintenance important. Aujourd'hui, on peut nourrir quelques doutes sur le fait que tous les niveaux de maintenance soient concernés. Or, c'est bien la condition de la réussite de cette expérience. Qu'en est-il exactement ?

M. Louis Gallois a observé que les Anglais ont effectivement de nombreuses contraintes, mais qu'elles ne les empêchent pas de travailler avec leurs partenaires européens sur beaucoup de sujets. EADS y a d'autant plus intérêt que le budget d'équipement des armées britanniques est de plus d'1/3 supérieur à celui des armées françaises. C'est ainsi que les Britanniques apportent un soutien tout à fait significatif à certains programmes très pointus, notamment confiés à MBDA.

Sans doute les échéances politiques qui s'annoncent dans les deux pays empêcheraient-elles aujourd'hui la tenue d'un nouveau Sommet de Saint-Malo, mais la dynamique des budgets de défense a été réelle en France et en Grande-Bretagne depuis le premier « Saint-Malo ». Les Italiens, quant à eux, paraissent revenir à une politique plus européenne sous l'impulsion de M. Romano Prodi.

Sur les blocages américains, il a rappelé qu'une partie des équipements sont achetés aux États-Unis ou fabriqués à partir de technologies américaines. Le nombre des pays vis-à-vis desquels cette situation pose problème est limité : il y a eu la Libye et l'Irak, il y a désormais l'Iran et le Venezuela, même si rien n'interdit de vendre des avions civils à ce dernier pays.

En tout état de cause, s'agissant des matériels de défense, la DGA veille à ce que ne s'instaure aucune dépendance, qui nuirait à l'autonomie technologique et à la capacité d'exportation de la France.

M. Louis Gallois s'est déclaré attaché au succès de l'importante expérience menée à Cognac. La taille de l'externalisation a été bien choisie, dans un domaine où les capacités industrielles sont disponibles : l' entreprise dont c'est le métier doit être capable d'entretenir et de maintenir en condition opérationnelle la flotte d'Epsilon mais aussi de faire évoluer le parc. Les engagements qui ont été pris vis-à-vis de ce pôle seront tenus.

M. Gilbert Meyer s'est réjoui de la volonté de transparence du président Gallois, qui a posé un diagnostic sans complaisance de la situation d'EADS et d'Airbus. Si le cours du dollar est un élément extérieur auquel on ne peut rien, quelles explications peut-on apporter au non-respect des engagements commerciaux et des délais de livraison, qui sont quand même la base du fonctionnement de toute entreprise ?

M. Louis Gallois a souligné que les problèmes de délai sont récurrents dans ces domaines de très haute technologie. Ainsi, le Boeing 747 a eu, lui aussi, de très grandes difficultés au moment de son lancement et s'est révélé ensuite un succès remarquable. Pour le 787, qui pose de sérieux défis technologiques, Boeing est engagé dans une véritable course-poursuite. Les retards ne sont certes pas normaux, mais ils peuvent s'expliquer dans de tels secteurs très complexes, d'autant que l'on fixe des dates très serrées afin de satisfaire les clients.

S'agissant de l'A380, le fait qu'Airbus ne soit pas encore une société vraiment intégrée a posé problème, en particulier en raison de différences entre les systèmes informatiques. Pour avancer, il convient que chacun accepte de recevoir l'expérience des difficultés actuelles et de tirer les enseignements des meilleures pratiques, y compris celles développées ailleurs dans l'entreprise. Plutôt que de chercher des coupables, il faut poursuivre sur la voie de l'intégration. Mais tout ceci ne change rien au fait qu'Airbus a sorti un avion remarquable qui n'avait jamais existé. Les difficultés actuelles ne remettent pas en cause ses perspectives et ne portent que sur un point relativement mineur lié à son industrialisation, même s'il crée malheureusement un goulot d'étranglement pour le programme.

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Information relative à la commission

La commission a nommé Mme Françoise Branget et M. Gilbert Meyer, rapporteurs d'information sur l'établissement public d'insertion de la défense.

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