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COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

Mercredi 11 octobre 2006

Séance de 11h30

Compte rendu n° 4

Présidence de M. Guy Teissier, président

 

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– Audition des représentants des syndicats des personnels civils de défense, sur le projet de loi de finances pour 2007


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Audition des représentants des syndicats des personnels civils de défense, sur le projet de loi de finances pour 2007

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu les représentants des syndicats des personnels civils de défense sur le projet de loi de finances pour 2007 (n° 3341).

Souhaitant la bienvenue à l’ensemble des représentants des syndicats, le président Guy Teissier a demandé que cette audition se concentre sur les aspects budgétaires, la réunion de l’année dernière ayant été l’occasion de débattre assez largement du thème de l’emploi.

M. Charles Sistach, secrétaire général de la Fédération syndicaliste FO de la défense, des industries de l’armement et des secteurs assimilés, a fait part du souhait des six fédérations de faire une déclaration liminaire commune devant la commission, l’ensemble des organisations syndicales partageant le même constat accablant sur la situation générale du ministère de la défense.

Alors que la présentation du projet de budget 2007 du ministère de la défense n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable, les syndicats des personnes civils du ministère de la défense veulent interroger, sans aucune ambiguïté, les parlementaires sur la place qu’ils entendent attribuer aux personnels civils au sein du ministère de la défense, sur l’avenir de ces mêmes personnels et sur l’importance accordée au dialogue social.

En 2005, l’ensemble des organisations syndicales avaient alerté la commission sur la situation particulière du ministère, sur les mesures d’externalisation et de restructuration permanentes qui depuis plus de dix ans ont provoqué des réductions importantes d’effectifs, des pertes de compétences et accru la dépendance vis-à-vis des sociétés privées dans la réalisation de missions par essence régaliennes.

Dans un esprit responsable et constructif, les organisations syndicales avaient alors proposé des solutions réalistes et budgétairement acceptables en s’attachant à préserver le dialogue avec la commission et le ministère. La situation s’est malheureusement dégradée en 2006. Les représentants des organisations syndicales s’étonnent donc qu’aucune question relative aux personnels civils n’ait été posée lors de l’audition de la ministre par la commission au début du mois.

Après avoir déploré le manque d’intérêt des parlementaires pour la représentation syndicale des 80 000 personnels civils du ministère de la défense et leur faible participation aux auditions, M. Charles Sistach a fait valoir que les représentants des organisations syndicales avaient pourtant, et malgré des emplois du temps surchargés et une heure peu propice à une analyse exhaustive, répondu favorablement à la convocation du président de la commission. Il leur apparaît en effet indispensable, qu’au moment de voter le budget, les députés connaissent la situation réelle des établissements et prennent conscience du profond malaise des personnels civils.

Après dix années de restructurations fortes et contraignantes, le ministère de la défense est toujours soumis à une politique constante de déflation d’effectifs et d’externalisations dogmatiques aux conséquences irréversibles, qui mettent en cause les missions et la raison d’être des établissements. Les syndicats estiment que la mécanique perverse de la LOLF entérine naturellement les suppressions d’emplois statutaires au travers de choix budgétaires à courte échéance, qui se traduisent par une absence d’embauches significatives des personnels à statut en 2007, pour compenser les départs en retraite des prochaines années.

Les incertitudes qui pèsent sur les principaux programmes d’armements, engagés ou à venir, les réorganisations de la direction générale pour l’armement et de la direction de la fonction militaire et du personnel civil, l’opacité qui entoure la mission ministérielle de maintenance aéronautique, la politique de marque engagée au matériel, la situation des sociétés nationales sous tutelle du ministère et les évolutions statutaires de nombreux établissements justifient et amplifient les craintes des personnels civils de la défense. L’ouverture au secteur concurrentiel de missions stratégiques conduit à une remise en cause de l’indépendance nationale en matière de défense, ne serait-ce qu’en raison des fusions capitalistiques non maîtrisées.

M. Charles Sistach a estimé que l’avenir du ministère, de ses établissements et de leurs missions au service des armées, ne peut s’imaginer sans les personnels civils et encore moins contre eux. Les syndicats souhaitent savoir si les parlementaires veulent que des personnels civils à statut travaillent encore au ministère de la défense et pour quelles missions. Préserver la place des personnels civils, en enrayant l’actuelle politique de déflation des effectifs, demanderait d’importants correctifs budgétaires au projet de loi de finances. Les syndicats estiment en effet que les moyens politiques, stratégiques et humains doivent être en adéquation avec la place du ministère de la défense au sein du pays.

Le président Guy Teissier a fait observer que l’emploi du temps des parlementaires n’était pas moins contraint que celui des représentants syndicaux, que la commission avait le plus grand respect pour la représentation syndicale, et qu’il serait souhaitable que celle-ci eût la même considération à l’endroit de la représentation nationale. Il a par ailleurs rappelé que la commission de la défense a toujours eu le souci d’écouter les personnels civils, considérant leur concours aux armées non seulement utile mais indispensable.

Il a estimé que l’inquiétude exprimée ne portait pas tant sur les programmes d’armements en tant que tels que sur les moyens de tous les satisfaire, qu’il s’agisse, par exemple, des Barracuda, des VBCI, du Rafale, du Scorpène ou du porte-avions. S’agissant des effectifs, il a constaté que leur réduction allait de pair avec celle du format des armées, tout en notant que la LOLF est plutôt favorable aux personnels civils.

Après avoir précisé que les représentants des syndicats des personnels civils étaient reçus au même titre que toutes les parties prenantes au budget, il a insisté sur le fait que de nombreuses questions avaient été posées sur leur situation lors de l’audition du secrétaire général de l’administration.

Il a fait part de la forte implication de la commission pour les questions intéressant les personnels civils, notamment dans le cadre du comité de suivi de GIAT, et a déploré que le ton de la déclaration commune des syndicats ne soit guère propice à l’établissement d’un dialogue constructif avec les parlementaires.

M. Charles Sistach a précisé que les échanges qui se tenaient avec les parlementaires présents régulièrement aux auditions étaient reconnus et appréciés et que les critiques visaient avant tout ceux qui n’assistaient jamais aux réunions.

Il ne s’agit pas tant de savoir comment les programmes d’armement seront réalisés, que de savoir qui les réalisera. Même si les crédits figurent bien au budget, aucune précision n’est donnée sur les modalités de réalisation. L’appareil industriel est en effet devenu incapable par exemple de refaire un char Leclerc, et la DCN aura les pires difficultés à mener à bien ses programmes, au point que l’on peut se demander où sera construit le deuxième porte-avions. Le service de maintenance aéronautique avait été créé au motif que les industriels ne répondaient pas aux besoins des armées. Or l’objectif actuel de la DGA est bel et bien de s’en séparer au risque de provoquer un inacceptable gâchis en perdant des techniciens hautement qualifiés. L’argument selon lequel la réduction du nombre des personnels civils serait la conséquence logique de la réduction du périmètre des armées ne peut être retenu : les missions restant les mêmes, la diminution des effectifs n’est palliée que par des politiques d’externalisation. Les personnels civils voient ainsi leur travail partir à l’extérieur avant de se voir reprocher d’être en sureffectif. De même, là où ils sont en sous-effectifs au regard de leur mission, ils sont remplacés par des militaires devenus sédentaires et administratifs. Les organisations syndicales appellent l’attention de la commission sur l’évolution de la situation, doublement préoccupante. Le secteur industriel, à force de perdre son savoir-faire, deviendra incapable de fabriquer les matériels demandés ; et dans le même temps, des personnels militaires viennent occuper la place de civils qui demandent seulement à voir leur place et leurs compétences reconnues.

Le président Guy Teissier a fait remarquer que la réduction globale, incontestable, des effectifs des personnels civils se faisait pour l’essentiel par des départs à la retraite d’ouvriers d’Etat alors que les embauches concernent plutôt des emplois de cadres. Au surplus, à en croire les réponses apportées par le secrétaire général pour l’administration, il pourrait se produire un redéploiement en direction des secteurs qui en ont le plus besoin, comme la marine, clairement demandeuse de personnels civils pour l’entretien de ses navires, beaucoup plus semble-t-il que l’armée de terre.

M. Jean-Louis Naudet, secrétaire général Fédération Nationale des Travailleurs de l’Etat CGT, a confirmé que la déclaration commune des organisations syndicales exposait succinctement, la gravité de la situation, insuffisamment perçue par les membres de la commission. La défiance s’est instaurée sur le terrain, dans tous les établissements et toutes les directions. Plus personne n’a confiance en la hiérarchie et ce climat délétère risque d’être lourd de conséquences. Non seulement il n’y aura pas d’embauche en 2007, mais l’encadrement ressent un profond malaise. En laissant partir les compétences sans en former de nouvelles, le ministère sera à moyen terme placé dans une situation où il ne pourra plus rien faire, à moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie délibérée.

Abordant les redéploiements envisagés, M. Jean-Louis Naudet s’est étonné que les besoins semblent principalement émaner de la marine, alors que, devant les organisations syndicales, les responsables de l’armée de terre font état d’un manque de personnels civils. Le refus d’octroi des effectifs nécessaires pour assurer les entretiens de matériels, notamment en ouvriers d’Etat, justifie alors les externalisations ou les partenariats avec les entreprises privées, comme on le projette à Fourchambault avec Renault Trucks Défense. Des fonctionnaires finissent par occuper des postes d’ouvriers d’Etat, créant une situation totalement anarchique et aggravant ainsi le climat de défiance.

Il a tout particulièrement insisté sur le décalage entre les déclarations de la ministre qui se félicite des emplois créés depuis cinq ans, alors qu’il faudrait mettre à son actif la disparition de 8 000 emplois de personnels civils. Des missions essentielles partent à l’extérieur au point que la DCN, de l’avis même de son président, sera incapable de réaliser le porte-avions qui ne sera même pas fait par les chantiers de Saint-Nazaire, et pourrait donc être réalisé en Pologne.

Qu’il s’agisse des ouvriers comme de l’encadrement, ce climat de défiance est particulièrement néfaste. La détérioration du climat atteint même aujourd’hui les militaires.

M. Bruno Philip, secrétaire fédéral de la Fédération Établissements et arsenaux de l’État – CFDT, a partagé le constat décrit dans la déclaration commune. La logique d’externalisation et de restructuration prônée par le ministère de la défense le mettra, tôt ou tard, dans l’incapacité de mener à bien ses missions. Les embauches de niveaux 3 sont de plus en plus rares, sinon nulles certaines années. Or, lorsqu’on ne recrute plus, on ne forme plus et l’on perd des savoir-faire au point qu’il ne sera plus possible, faute de moyens humains, de rapatrier ces activités au sein du ministère de la défense.

L’optimisme n’est pas davantage de mise pour les programmes industriels. La CFDT a réalisé une enquête auprès de 15 000 personnels civils, de toutes catégories et dans toutes les directions et tous les services, à laquelle 6 000 agents ont répondu. Plus de 60 % des intéressés jugent leur emploi fortement menacé. La démobilisation est grande parmi des personnels qui éprouvent un sentiment de frustration, voire de discrimination. Les relations entre civils et militaires tout comme les relations sociales se sont clairement dégradées : les personnels civils se sentent au mieux tolérés.

Le président Guy Teissier a rappelé que le choix de l’externalisation, qui au demeurant relève de l’exécutif, ne procède pas d’un dogme, mais de la recherche d’un emploi optimal des ressources humaines, financières et matérielles allouées à la défense nationale. L’externalisation paraît plutôt être conduite avec pragmatisme, les domaines stratégiques restant confiés aux personnels civils, et s’accompagne d’une politique de reclassement systématique dont ont notamment bénéficié les personnels de GIAT et de DCN. On peut comprendre une certaine inquiétude, mais il faut également reconnaître que les mesures budgétaires de reconnaissance professionnelle du personnel civil de l’actuelle loi de programmation militaire dépassent de 70 millions d’euros les mesures de la précédente loi de programmation.

M. Jean-Yves Placenti, expert budget de l’UNSA-défense, n’a pas contesté le fait que la défense nationale a bénéficié d’un effort plus marqué ; mais force est de constater qu’il existe au sein même du ministère de la défense de véritables gisements d’économies que ce dernier refuse d’exploiter alors qu’ils pourraient être utilement consacrés aux équipements, au maintien des structures étatiques et à l’emploi. Un tel refus est incompréhensible. En 2003, un attaché d’administration centrale coûtait en moyenne 39 697 euros par an, un capitaine du corps de soutien de la gendarmerie 46 010 euros. Avec la prise en compte du coût des retraites, le coût annuel passe à 60 000 euros environ pour l’attaché et à presque 100 000 euros pour le capitaine. En le multipliant par le nombre de personnels militaires employés dans les bureaux au lieu d’être engagés sur le terrain, on mesure à quel point le gisement d’économies est grand. Tout cela a été indiqué au ministre, au secrétaire général pour l’administration et à la commission de la défense. Ce constat n’a pourtant conduit qu’à la disparition des sources chiffrées, remplacées par la seule justification au premier euro, totalement illisible. Un tel gaspillage est inadmissible. Il faut une véritable prise en compte du coût des agents.

Le président Guy Teissier a indiqué que la ministre avait par avance répondu à cette préoccupation en faisant savoir qu’elle entendait replacer les militaires occupant des emplois administratifs au cœur de leur métier.

M. Jean-Yves Placenti a maintenu que l’on continuait à recruter des officiers des corps techniques et administratifs et non des attachés. Rien n’a changé depuis cinq ans.

M. Denis Lefebvre, président de la fédération CFTC des personnels civils du ministère de la défense, a souscrit aux propos tenus par ses collègues. Le budget 2007 se traduira par 1 867 emplois civils en moins. La LOLF, loin d’être favorable aux personnels civils, leur est extrêmement nocive en ce qu’elle permet de réduire les effectifs et complexifie terriblement le fonctionnement de l’administration. Pour ce qui est du dialogue social, elle n’a rien éclairci. Certains responsables de programmes ne l’ont pas engagé, à l’image du précédent chef d’état-major des armées qui n’avait entamé aucune discussion avec les partenaires sociaux.

Ce dont souffrent également les personnels civils, c’est d’un système sans fin de restructurations permanentes. Le secrétaire général pour l’administration a entrepris de réorganiser le SGA alors que les directions viennent d’être réorganisées. Le service d’infrastructure de la défense, les anciens combattants, la DFP, le SMG, la DGA, déjà réorganisés, s’inquiètent de leur avenir : sans cesse on met en œuvre une nouvelle réorganisation sans avoir eu le temps de mesurer les effets de la précédente.

Si les relations entre civils et militaires sont bonnes au niveau des états-majors, elles sont devenues proprement catastrophiques au sein des casernes. La « civilianisation » s’avère un véritable fiasco. Tout en prenant acte de l’effort de revalorisation de la condition civile, la CFTC a prévenu que la démoralisation des personnels civils de la défense a atteint un niveau inégalé. Il est pourtant essentiel pour le pays que ses armées conservent une composante civile.

Le président Guy Teissier, sans chercher à contester la réalité de ces propos, s’en est déclaré surpris, faisant état du bon climat qui règne dans les deux unités de sa circonscription. De même, les membres de la commission qui rencontrent toujours les représentants des personnels civils lorsqu’ils visitent les unités, en France métropolitaine et ailleurs, n’ont jamais fait état d’une telle césure entre civils et militaires. Les chefs de corps ont manifestement reçu la consigne de considérer les personnels civils comme faisant partie intégrante de leur unité. Si pareilles tensions existent, elles ne semblent pas aussi exacerbées ; et si elles l’étaient, il faudrait y remédier. Quant à la LOLF, elle établit clairement que les personnels civils coûtent moins cher que les militaires.

M. Joël Hart a confirmé, pour avoir dans le cadre de ses fonctions de rapporteur visité pratiquement l’ensemble des composantes de l’armée de terre, que les personnels civils qu’il avait rencontrés ne lui avaient pas exprimé un tel malaise.

M. Bruno Philip est revenu sur les résultats de l’enquête menée par la CFDT : 60 % des 6 000 personnes ayant répondu considèrent leur emploi comme menacé, 50 % ont subi une restructuration au cours des cinq dernières années et 12 % en ont subi plusieurs. Il s’est étonné de l’évident décalage de ces données avec le ressenti des membres de la commission et s’est demandé quelle source était la plus crédible.

Le président Guy Teissier a indiqué qu’aucun membre de la commission ne mettait en cause ces remontées d’informations mais qu’il ne pouvait que relever les différences d’observations, celles des parlementaires n’ayant pas donné le sentiment d’un tel dysfonctionnement entre l’autorité militaire et le personnel civil. Il a également souhaité des précisions sur l’inquiétude que manifestent les personnels et fonctionnaires d’Etat pour leur emploi.

M. Bruno Philip a répété que les personnels civils sont persuadés que leur emploi au sein de ministère de la défense est fortement menacé en raison même des politiques menées depuis plusieurs années par les gouvernements successifs. L’exemple de Fourchambault, où Renault Trucks Défense s’intallera dès le 1er janvier 2007, est révélateur : le CEMAT et le directeur du matériel ont clairement laissé entendre que le site sera entièrement dans les mains de l’industriel avant 2020. À Neuvy-Pailloux, le mouvement d’externalisation, en cours depuis deux ans, s’accélère. Les mêmes arguments sont mis en avant. Face à l’impossibilité de recruter, il faut externaliser. L’établissement de Neuvy-Pailloux ne sera plus en capacité d’assurer ses missions actuelles après 2009.

Le président Guy Teissier en a déduit que l’inquiétude des personnels ne portait pas sur leur emploi actuel, mais sur la pérennité de l’actuel statut d’ici à quinze ans.

M. Jean-François Munoz, président fédéral de la fédération de l’encadrement civil de la défense, a expliqué que les organisations syndicales partageaient avec la représentation nationale le souci de maîtrise budgétaire. Le problème n’est pas de réclamer plus d’argent pour la défense, mais de mieux l’utiliser. Pour ce qui est des programmes d’armement, l’inquiétude porte sur le plan à trente ans et sur les plans de charge des établissements. Pour la première fois, certains établissements connaîtront en effet un certain « vide » en 2009.

Par ailleurs, la DGA a failli disparaître en 2003. Entre le titre 3 – les dépenses de fonctionnement – et le titre 5 – les dépenses d’investissement –, il faut souvent choisir : soit on équipe les forces militaires à la mesure du rôle qu’elles doivent jouer, c'est-à-dire la guerre, le déploiement et la projection, soit on paie les personnels à rester sur place, civils et militaires. L’enveloppe plus ou moins constante permet difficilement de concilier les deux. En 2003, les industriels de l’armement et les forces armées ont réclamé en vain la tête de la DGA, au moins le temps d’une expertise technique. Or elle représentait 6,6 milliards d’euros. Des inquiétudes fortes demeurent pour ses personnels qui se demandent s’ils vont à terme sortir de cette structure. La réponse semble à l’évidence positive. Leurs inquiétudes portent donc sur leur maintien, avec le même statut, au sein du ministère de la défense. Ces inquiétudes sont d’ailleurs partagées par les 3 500 agents du service de maintenance aéronautique.

L’avenir de la direction des essais de la DGA est également source d’inquiétudes puisqu’elle peut soit rester au sein de la DGA, soit se transformer en EPIC, voire en une structure inédite. L’avenir de l’expertise technique, au cœur du domaine régalien, est également incertain. Or, il se construit à partir des compétences actuelles, notamment celles des ouvriers d’Etat. Avec seulement 475 embauches pour un total de 33 000 ouvriers, il semble difficile de maintenir ce savoir-faire avec les départs à la retraite. Le renforcement des personnels de niveau 1 et 2 n’est pas non plus évident puisque la permanence notamment d’ingénieurs spécialisés ne semble pas assurée. Les projections à dix ou quinze ans mettent en évidence la disparition de certains techniciens supérieurs au « profit » de titulaires d’un simple baccalauréat professionnel dont les états-majors sont demandeurs. On peut donc comprendre l’inquiétude de ces quelque 5 000 techniciens supérieurs.

Quant à la direction des programmes, les agents des centres Victor et Balard s’émeuvent à l’idée d’aller à Bagneux dans des conditions peu claires. Rien d’indique qu’ils reviendront sur un seul site à Arcueil dans les six ans à venir.

En ce qui concerne les états-majors et services communs, la logique voudrait que les militaires soient à la guerre et non au soutien, à faire le travail des civils. Il faut des avions, des bateaux, des chars et des missiles pour des forces projetables, et non des lieutenants-colonels qu’il faut former pour qu’ils deviennent contrôleurs de gestion, DRH ou administratifs. Des civils, déjà formés à ce métier, coûtent infiniment moins cher. Ce remplacement de civils par des militaires, sur des postes pourtant administratifs, pousse les personnels civils à accepter des postes dans d’autres établissements. Une armée opérationnelle de trois fois 14 000 soldats projetables, soutenue par suffisamment de troupes, plus du double, pour assurer cette projection, représente au total 150 000 hommes. Au vu des effectifs actuels des armées, cela suppose qu’un grand nombre de militaires soient affectés de manière sédentaire, dans des bureaux, à des fonctions civiles. Ce sont ces évolutions qui inquiètent les personnels civils. Personne ne conteste enfin les mesures de revalorisations prises par la ministre, mais dans le même temps, les effectifs ont diminué de 20 000 entre 1995 et 2007.

M. Jean-Claude Viollet a insisté sur la nécessité de tenir un discours de vérité dans les établissements comme dans les unités. Tout le monde est attaché à la même idée de défense, qui pourtant doit tenir compte de la contrainte majeure des moyens. Aux dépenses liées aux grands programmes viennent s’ajouter celles liées aux effectifs, en constante augmentation par le jeu des évolutions de salaires et des mesures indiciaires. Quant au maintien en condition opérationnelle, il ne diminue pas plus que le fonctionnement.

La gestion de cette contrainte, a fortiori dans une stratégie de réforme en continu, est très délicate. La réussite ne peut se concevoir sans un dialogue social renforcé, sans l’adhésion des personnels militaires et civils. C’est un enjeu majeur, d’autant que l’augmentation du budget de la défense n’est pas assurée. Des réductions d’effectifs sur le nucléaire pourraient intervenir si l’Europe prenait le relais, mais cela ne se fera qu’à moyen terme. Il convient cependant de rappeler que la réduction des crédits affectés au nucléaire serait définitive alors que l’enjeu en ce domaine est particulièrement important. Les récents événements en Corée amènent à penser que la dissuasion a encore un sens et que la place de la France dans le monde y est également liée. Les organisations professionnelles doivent d’ailleurs être associées à ce débat de fond.

Les membres de la commission ont réalisé sur GIAT un travail qu’il faut espérer utile. La représentation nationale a assumé ses responsabilités dans une évolution qu’elle jugeait nécessaire, mais dont on pouvait craindre qu’elle ne se fasse au détriment des personnels. Même si tout n’est pas parfait, des garanties n’en ont pas moins été apportées, et le ministère de la défense lui-même a consenti un effort. Quoi qu’il en soit, la question se pose désormais de « l’après », qu’il s’agisse de GIAT, de Thalès ou de l’avenir de l’armement terrestre en France et en Europe.

Abordant le problème DCN-Thalès, M. Jean-Claude Viollet, tout en se déclarant partisan du changement de statut, a souhaité que les choix entérinés se fassent de manière convenable. Il faut notamment contrôler l’achat par DCN de Thalès Naval France et l’achat par Thalès de 25 % de DCN et s’assurer du contenu du pacte d’actionnaires et de l’accord industriel et commercial. Il importe de connaître les incidences sur les futures fabrications et les différents établissements de DCN dans la mesure où l’Etat a un intérêt à défendre.

C’est la raison pour laquelle, associé à Mme Patricia Adam, il a suggéré que la commission de la défense entende au plus tôt le directeur général de l’agence des participations de l’Etat ainsi que les dirigeant de DCN et de Thalès. De manière plus générale, un renforcement du dialogue avec tous les personnels de DCN est nécessaire pour les informer dans la plus grande transparence de ces évolutions, car s’ils n’en sont pas les co-acteurs, ces opérations se solderont pas un échec. Or il n’est pas permis, pas plus avec GIAT qu’avec DCN, et pas davantage dans la réorganisation des armées, nécessairement appelée à se poursuivre.

Depuis quelques années, les armées ont connu un courant de réforme qu’aucune autre institution de l’Etat n’a eu à conduire. Cette mutation s’est faite alors que des contraintes budgétaires et surtout opérationnelles particulièrement sévères pesaient sur les personnels militaires comme sur les personnels civils. Cela exige une attention particulière du gouvernement certes, mais également de la représentation nationale.

Revenant sur les propos de M. Jean-Claude Viollet, qu’il a jugé mesurés et équitables, le président Guy Teissier s’est réjoui qu’un dialogue aussi constructif ait couramment lieu au sein de la commission de la défense et indiqué que les auditions souhaitées seraient organisées d’ici à la fin novembre.