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COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE
ET DES FORCES ARMÉES

Mardi 12 décembre 2006

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 13

Présidence de M. Guy Teissier,
président

 

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– Audition des représentants syndicaux de DCN au sujet du rapprochement DCN-Thales

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Audition des représentants syndicaux de DCN au sujet du rapprochement DCN-Thales

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu les représentants syndicaux de DCN au sujet du rapprochement DCN-Thales.

Souhaitant la bienvenue à l’ensemble des participants, le président Guy Teissier a indiqué que la commission entendrait demain les présidents directeurs généraux de DCN et de Thales afin de pouvoir se représenter de manière très précise les conditions du rapprochement qu’ils envisagent.

M. Jean-Michel Javeau, secrétaire général de l’Union nationale des syndicats autonomes - DCN, a indiqué en préambule que l’opposition de son syndicat au projet Convergence tient d’abord à ses aspects industriels. Le rapprochement envisagé ne concerne qu’une petite partie du groupe Thales : Thales Naval France et les filiales déjà communes aux deux groupes, Armaris et MOPA2, cette dernière étant chargée de la maîtrise d’œuvre du programme de second porte-avions. Dans ce cadre, le projet répondrait à la suppression d’une pseudo-concurrence, artificiellement créée par la DGA entre la filiale française de Thales et DCN depuis quelques années. L’argument, selon lequel le rapprochement permettrait à DCN de retrouver la maîtrise complète de son activité commerciale, est spécieux ; en effet, cette maîtrise a été rendue possible il y a deux ans par la constitution de la société Armaris. De même, prétendre que le rapprochement envisagé s’inscrirait dans la perspective de la naissance d’une entité européenne de construction navale n’est pas fondé. L’échec de la candidature de Thales au rachat d’Atlas Elektronik, à la fin de l’année 2005, est, à cet égard, édifiant. Sur le plan financier, l’opération profite essentiellement à Thales. Ainsi, le prix du rachat par DCN de Thales Naval France et de ses parts détenues dans les filiales communes semble fortement surévalué alors que la prise de participation de Thales à hauteur de 25 % du capital de DCN se base sur une valeur qui paraît minorée. Par ailleurs, tout en ne détenant que 25 % du capital de DCN, la société Thales se verrait conférer un pouvoir disproportionné au sein de la direction. Les problèmes rencontrés dans ce domaine par une entreprise comme Safran devraient conduire à s’interroger sur les conséquences qu’aurait l’arrivée de dirigeants de Thales dans les structures de décision de DCN. La forte culture industrielle de celle-ci semble très différente de celle, plutôt financière, des équipes de Thales.

Sur le plan social, le rapprochement entre les deux entreprises fait question. Les activités de Thales Naval France sont essentiellement tournées vers la maîtrise d’œuvre, alors que DCN se consacre principalement à la fabrication de navires et de systèmes de combat. À cet égard, le président-directeur général de DCN a annoncé la semaine dernière devant le comité central d’entreprise sa volonté de concentrer sur le seul site de Lorient la construction des frégates multimissions et de déplacer les personnels des autres sites. Ces annonces font planer un doute sur l’activité des arsenaux de Brest, qui s’attendent à participer au programme FREMM.

M. Javeau a conclu son propos en souhaitant que ces différents aspects soient évoqués par les membres de la commission avec les dirigeants des deux entreprises qu’ils auditionneront.

M. Jean-Marc Le Lardic, délégué syndical central de la CGT, a fait part de l’inquiétude des personnels de DCN au sujet de leur avenir et de celui de leur entreprise, estimant que le but poursuivi par le rapprochement de Thales et DCN n’est autre que la privatisation de cette société. La cession de 25 % du capital de DCN à Thales constitue la première étape d’un processus au terme duquel Thales se trouvera en situation d’être, tour à tour, partenaire et concurrent de DCN.

La déclaration commune d’intention signée entre l’État, DCN et Thales, en décembre 2005, est d’ailleurs sans équivoque puisqu’elle indique que « la participation de l’État a vocation à devenir minoritaire et Thales à devenir l’actionnaire industriel de référence ». Ainsi, le projet Convergence, loin d’être un rapprochement industriel sans conséquence, amorce la privatisation de DCN dans le but de constituer un réseau industriel européen privé dans le secteur de l’armement. Dans ce contexte, les organisations syndicales de DCN mettent tout en œuvre pour que les dispositions de la loi de 2004 sur l’ouverture du capital et la création de filiales par DCN ne soient pas mises en œuvre et s’opposent au projet Convergence.

M. Le Lardic a précisé qu’il ne s’agit pas pour la CGT de demander à la représentation nationale de « surveiller » l’opération en cours au nom des intérêts de l’État. Les stratégies respectives de DCN et de Thales tendent au recentrage de l’activité sur le commerce et le pilotage des contrats, ainsi qu’à un développement externe au détriment des capacités internes existantes. Cette politique est dangereuse, puisqu’elle conduit à se séparer des activités de production et, en conséquence, à ne plus développer de nouveaux produits et à perdre le savoir-faire dans le domaine de la maintenance notamment. La réorganisation de Thales s’inscrit dans le prolongement de la politique du groupe autour de la multidomesticité : Thales est français en France, australien en Australie, néerlandais aux Pays-Bas, où sa filiale TNN est concurrente de sa partie française TNF. Dans ces conditions, il est curieux de demander à DCN de racheter au prix fort une société avec laquelle elle ne manquera pas de se trouver en concurrence.

Le rapprochement serait alors une manœuvre, conduisant DCN à fournir à Thales, en achetant TNF, les moyens financiers nécessaires à l’acquisition d’une partie des 25 % du capital de DCN. À l’instar de ce qui s’est produit à GIAT Industries, DCN met à profit le rapprochement pour engager une vaste réorganisation interne qui ressemble à s’y méprendre à la programmation d’une mise en filiales. Dans le même esprit, les processus de fusion et de restructuration ont pour mobile la rentabilité financière et la création de créneaux qui mettent en concurrence les groupes et, partant, les salariés.

Il a souligné que DCN avait avant tout besoin d’une logique interne différente, qui privilégie l’emploi et les outils nationaux de recherche, de développement, de production et de maintenance. Alors qu’un vaste cycle de renouvellement des bâtiments de la marine est en cours, en France comme en Europe, il est déplorable qu’au-delà de la déclaration d’intention du contrat d’entreprise entre l’État et DCN, le maintien de l’activité industrielle ne soit pas garanti.

L’architecture industrielle du programme FREMM, récemment dévoilée par la direction générale, est exemplaire d’une volonté d’externalisation des activités industrielles, ce qui a pour corollaire la mobilité forcée des personnels ainsi que la fin de la construction de bâtiments nouveaux à Brest. Il s’agit d’une politique de troc puisque des pays tels que la Bulgarie, la Roumanie, la Pologne ou la Grèce construiront des anneaux de frégates pré-armés en échange d’achats éventuels de produits DCN. Au demeurant, la réalisation concrète de ces produits échapperait à DCN puisqu’ils feraient l’objet de transferts de technologie. Si le site de DCN Lorient assumera bien la totalité de la construction de la première frégate – avec un taux de sous-traitance aujourd’hui inconnu –, il ne se verra confier que la moitié des sept frégates suivantes et, à partir de la troisième, le seul achèvement de l’armement du navire. La spécialisation de ce site semble ainsi se confirmer, il est à craindre qu’il s’agisse là d’un ballon d’essai destiné à préparer la création d’une filiale de DCN. Cette stratégie qui consiste à rompre la solidarité entre les établissements en refusant de confier à Brest la réalisation d’anneaux de frégates aura des répercussions sur les bassins d’emplois.

M. Jean-Marc Le Lardic a rappelé le souhait de la CGT de voir ce programme majeur réalisé par DCN en recourant au développement de l’emploi et de l’investissement industriel. La politique qui est aujourd’hui menée est en contradiction avec les propos tenus par le Président de la République qui a préconisé la protection du tissu industriel français et ceux du Premier ministre qui a évoqué le patriotisme économique. L’avenir de DCN ne saurait s’inscrire dans un projet qui porte en lui la disparition de l’entreprise et de ses compétences. Cet avenir réside dans le statut d’entreprise publique garante des intérêts fondamentaux de l’État dans le domaine particulier de l’armement, que des textes communautaires préservent d’une logique de concurrence.

M. Alain Lebarillier, délégué syndical central de FO, a souligné que les deux représentants de Force ouvrière participant à l’audition appartenaient à la catégorie des ouvriers d’État, considérés par certains comme des nantis, alors même qu’ils ont subi l’empoisonnement à l’amiante et que le Parlement a supprimé pour eux la possibilité de départ à 55 ans avec une retraite pleine et entière comme il a refusé de reconnaître leur participation aux résultats de DCN.

L’objectif du projet Convergence est bien la privatisation de DCN, il s’agit du rêve d’industriels qui souhaitent se partager le marché de l’armement. Certains appellent au patriotisme économique : ils oublient que le capital n’a pas de patrie. Ainsi, à une autre époque, Messerschmitt a pu construire ses avions grâce à des capitaux américains. Privatiser DCN, c’est oublier les motifs historiques de la création des ateliers royaux de la marine, ancêtre de DCN. Le gouvernement allemand avait dû intervenir pour empêcher que HDW ne passe sous contrôle étranger lorsque l’un de ses actionnaires, le fonds de pension américain One Equity Partner envisageait de se retirer. Certes, le projet Convergence pourrait être présenté comme une opération de consolidation franco-française teintée de patriotisme économique. Mais ce serait méconnaître la stratégie multidomestique de Thales. La seule lecture du rapport d’activité annuel de Thales permet de comprendre qu’elle utilise ces élans pseudo-patriotiques afin de créer des partenariats avec des acteurs locaux.

Il a observé que la création de co-entreprises ou par l’acquisition d’entreprises, Thales pénètre tous les marchés nationaux et récupère notamment les budgets de recherche et développement pour alimenter ses centres de recherche et de technologie, qu’il organise en réseau au niveau mondial avec des centres au Royaume-Uni, aux Pays Bas et en Corée. Thales appuie sa logistique sur ses plates-formes de services spécialisées, notamment en Malaisie dans le domaine naval. Il est donc permis de penser qu’à travers le projet Convergence, le but de Thales est de prendre pied sur le marché français et, à terme, d’éliminer un concurrent sur le marché international. Dans sa forme, le projet est taillé « sur mesure » pour lui permettre le rachat d’une partie de DCN au moindre coût. Ainsi, alors que la valorisation de TNF est surestimée, celle de DCN, dont le mode de calcul n’est pas connu, est sous-estimée afin de limiter le volume de la soulte à verser par Thales.

Enfin, la disproportion entre les 25 % du capital de DCN et le pouvoir de décision au sein de la nouvelle entreprise que détiendrait Thales n’est pas justifiée. L’entrée de Thales à hauteur d’un quart du capital de DCN pourrait être assimilée à une « mise pour voir ». En effet, si l’opération se révélait avantageuse, Thales pourra porter sa participation à 35 %, aux mêmes conditions financières.

M. Lebarillier a terminé son propos en espérant que les députés prennent conscience qu’au-delà de l’urgence à abandonner ce projet Convergence, c’est la loi d’ouverture du capital de 2004 qu’il faut remettre en cause.

Rappelant que l’audition de représentants syndicaux par la commission faisait suite à une demande conjointe de trois syndicats, M. Yannick Perronet, délégué syndical CFDT, a souhaité poursuivre cette démarche commune en donnant lecture de la déclaration de la CFDT, de la CGC et de la CFTC lors de la réunion du comité central d’entreprise extraordinaire du 13 octobre 2006.

Le projet Convergence s’inscrit dans un processus qui mènera rapidement à la privatisation de DCN, chaque étape servant à justifier la suivante. La première a été la constitution d’une société détenue à parts égales par DCN et Thales, Armaris, qui, au nom de la nécessaire coopération à l’exportation entre les acteurs de la construction navale, a privé DCN de son autonomie sur les marchés d’exportation. Le périmètre d’activité de cette société a ensuite été élargi aux projets en coopération. Aujourd’hui, l’une des justifications avancées par les promoteurs du projet Convergence est de mettre fin aux dysfonctionnements et surcoûts créés par cette structure, qui n’aurait pas atteint les objectifs assignés. Un autre motif avancé à l’appui du projet est de mettre fin à la concurrence entre DCN et Thales sur le marché français. Or cette situation de concurrence résulte de la volonté de l’État, dont l’objectif inavoué était l’entrée de Thales au capital de DCN. Il est à redouter que, demain, les déséquilibres et les conflits dont Convergence est aujourd’hui porteur lui permettent de justifier une prise de contrôle totale de DCN par Thales. Le projet de doter Thales d’une participation de 35 % au capital de DCN avec un pouvoir de décision considérable corrobore cette menace.

Dans ce contexte, le rôle des administrateurs sera réduit à une simple figuration dès lors que les décisions les plus importantes auront été prises de concert entre les représentants des deux actionnaires, en dehors du conseil d’administration. Par ailleurs, Thales reste largement concurrent de DCN, et rien ne garantit que, dans l’exercice de ces pouvoirs, ses représentants agiront dans l’intérêt de DCN plutôt que dans celui de leur mandant. Ce privilège qui lui est accordé, ajouté au fait qu’elle conserve en Europe et dans le monde des filiales à 100 % concurrentes de DCN dans le naval, crée un déséquilibre considérable en faveur de Thales. En revanche, DCN ne disposera d’aucun droit de regard, ni d’aucun pouvoir, sur la division navale de Thales. Dans ces conditions, Thales a des droits et DCN seulement des devoirs.

Thales aura, entre autres, librement accès aux informations les plus sensibles, tant sur la stratégie et les offres de DCN que sur ses coûts et ses marges, tout en restant largement concurrent de celle-ci. Ainsi DCN deviendrait une maison de verre pour Thales alors que celle-ci restera en mesure de sauvegarder ses secrets. Les procédures d’évaluation de la valeur de DCN et des apports de Thales ont été construites dans le seul but de garantir à Thales un montant de soulte fixé au niveau le plus bas possible.

Enfin, aucun projet industriel associé à cette opération de rapprochement n’a été présenté et le contenu de l’accord de coopération industrielle et commerciale porte en germe des conflits d’intérêt entre les deux « partenaires », tout en limitant les perspectives de développement de DCN.

Le président Guy Teissier a rappelé, en préambule, que l’action du gouvernement avait permis à la grande entreprise qu’est devenue DCN de bénéficier d’un carnet de commandes exceptionnel (programmes Barracuda, FREMM et PA2, bâtiments de projection et de commandement, entretien des navires), comme elle n’en avait plus connu depuis vingt ou trente ans. Mais il a déclaré comprendre le trouble que peut provoquer le changement très important dans le capital comme dans la structure de DCN, soulignant par ailleurs la différence de culture entre DCN et Thales.

Si l’on peut se remémorer avec émotion des ateliers royaux, le fait est que la France doit s’adapter à l’évolution du monde. Les marchés exclusifs, quel que soit l’attachement que l’on puisse ressentir pour le patriotisme économique, sont terriblement menacés par les économies émergentes, celles de l’Inde, de la Chine, de la Corée du Sud, dont les réalisations remarquables n’ont d’ailleurs pas même besoin de s’appuyer sur des transferts de technologie. La concurrence des anciens pays du bloc d’Europe de l’Est constitue également une véritable menace pour l’industrie française. Dans ce contexte, la préoccupation de tout gouvernement, qui est aussi celle de la représentation nationale, est de préserver les emplois nationaux. Le meilleur moyen de le faire est de regrouper les compétences françaises pour qu’elles puissent faire face à la concurrence internationale. À cet égard, le savoir-faire de DCN et les capacités technologiques de Thales sont complémentaires.

Il a estimé que le regroupement des forces françaises constitue une démarche indispensable, à moins de consentir à un scénario analogue à celui qu’a connu GIAT Industries, dont les pertes ont coûté à l’ensemble des citoyens une somme équivalant au double de la dépense qui a été nécessaire pour redresser la situation du Crédit Lyonnais. Après une réforme drastique, GIAT Industries vient de renouer avec les bénéfices pour la première fois depuis très longtemps. Il est vrai que le coût social en a été très élevé, encore que jamais un plan social n’ait été aussi vigoureux que celui que le gouvernement a mis en œuvre en direction des salariés de l’entreprise. L’immobilisme condamnerait DCN.

Il a rappelé qu’après le rachat d’un chantier naval allemand par un fonds d’investissement américain, l’inquiétude était si forte qu’il avait demandé à deux membres de la commission de rédiger un rapport sur la participation de capitaux étrangers aux industries européennes d’armement. L’incursion de capitaux extra-européens dans l’industrie de la défense est une menace réelle, comme l’a d’ailleurs montré l’acquisition par une banque russe d’une part, certes minoritaire, du capital d’EADS.

M. Jean-Claude Viollet s’est dit surpris par le refus de la majorité parlementaire d’introduire dans la récente loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié une disposition tendant à accorder aux ouvriers d’État, bien qu’ils ne soient pas salariés de l’entreprise, l’accès à la participation. Ce refus est en contradiction avec l’esprit qui avait présidé au vote de l’article 2 de la loi du 30 décembre 2004 relative à l’ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales. Lors de la discussion de ce texte en séance publique, c’est par voie d’amendement que le gouvernement avait proposé de permettre aux ouvriers d’État de bénéficier de dispositifs d’intéressement et d’actionnariat salarié. Ceux-là mêmes qui avaient, à l’époque, approuvé la démarche du gouvernement et reproché au groupe socialiste de ne pas prendre part au vote refusent à présent l’accès à la participation pour les ouvriers d’État. Il y a là une incohérence. Procéder de la sorte n’est pas de nature à faciliter l’évolution nécessaire de DCN. Il est compréhensible que les salariés et ouvriers d’État de DCN éprouvent un sentiment analogue à celui qu’ils éprouveraient si on leur avait fait une promesse non tenue, puisque les mêmes arguments qui avaient été avancés pour justifier l’accès des ouvriers d’État aux dispositifs d’intéressement et d’actionnariat salarié sont aujourd’hui avancés pour leur refuser l’accès à la participation. Ce point peut paraître anecdotique, mais il participe d’un climat de défiance.

L’évolution du statut de DCN était nécessaire pour lui permettre de devenir l’entreprise industrielle qu’elle est aujourd’hui ainsi que pour lui donner les moyens de nouer des alliances dans le mouvement de restructuration de l’industrie navale militaire, nationale et européenne. Cette mutation du statut méritait également d’être soutenue parce qu’elle préservait l’unité de l’entreprise, assurait son ancrage dans le secteur public, était assortie d’un plan de charges garanti par un contrat d’entreprise pluriannuel, et offrait au personnel des garanties dans le cadre d’un accord d’entreprise.

Le gouvernement avait déclaré l’urgence sur le projet de loi relatif à l’ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales, celle-ci se justifiant selon lui par la nécessité d’un rapprochement avec l’industrie allemande. Il semble que cet argument ait perdu en pertinence : en effet, Thales qui n’a pu racheter Atlas Elektronik n’est sans doute pas le meilleur vecteur de ce rapprochement.

Il a estimé que des interrogations demeuraient sur le projet industriel, ainsi que sur la valorisation des deux sociétés, qu’il s’agisse des parts des filiales communes Armaris et MOPA2 détenues par Thales et rachetées par DCN ou des 25 % du capital de DCN acquis par Thales, ou encore du montant de la soulte à verser par Thales. Le pacte d’actionnaires appelle également des explications. Il est ainsi permis de s’interroger sur le fait qu’une participation à hauteur de 25 % du capital donne à Thales les pouvoirs de gouvernance qu’il est envisagé de lui accorder. Le fait que Thales conserve des filiales étrangères n’est pas non plus sans poser question du point de vue des règles de la concurrence.

Le plan de charges de DCN est important, comme le sont ses perspectives à l’exportation, mais la concurrence internationale est rude, qu’elle soit asiatique, américaine ou russe. Le marché de la surveillance maritime est en train de se développer. C’est pourquoi il importe de ne pas s’engager à la légère dans le projet Convergence, sur lequel tous les éclaircissements doivent être donnés.

La loi du 30 décembre 2004 avait suscité des interrogations auxquelles il n’a pas été répondu, notamment en raison de l’urgence dans laquelle elle a été examinée. Le dossier du rapprochement entre DCN et Thales appelle plus de précaution, davantage d’explications et un rôle plus actif du Parlement dans le suivi de ce dossier.

M. Yannick Perronet a souligné que les ouvriers d’État contribuaient aux résultats de l’entreprise au même titre que les salariés de droit commun. Il a précisé que ses résultats avaient été présentés du bout des lèvres, lors du changement de statut, comme devant atteindre l’équilibre en 2005, alors qu’ils sont excédentaires depuis 2003. Pour la seule année 2005, plus de 200 millions d’euros sont retournés dans les caisses de l’État.

M. Robert Hénault, délégué syndical de l’UNSA, a insisté sur l’importance de recueillir l’avis de l’Agence des participations de l’État (APE). La direction de DCN a proposé à une délégation d’élus du personnel d’être reçus par l’APE, sous réserve d’un accord de confidentialité dont l’utilité n’apparaissait pas clairement puisque les membres du comité d’entreprise et les représentants syndicaux sont tenus à une obligation de discrétion imposée par l’article L. 432-7 du code du travail. L’APE a gardé le silence sur des éléments essentiels : la valorisation de l’entreprise ; le mode de gouvernance ; la possibilité pour Thales de porter sa participation de 25 à 35 % du capital de DCN ; la propriété intellectuelle et le patrimoine immobilier de cette société. Il a par ailleurs souhaité que la commission de la défense entende la commission des participations et des transferts. L’avis de la commission européenne devra également être pris en compte, puisque les questions relatives à la concurrence constituent une dimension significative du dossier.

Le président Guy Teissier a souhaité connaître le point de vue des organisations syndicales sur la valorisation du capital foncier de DCN.

M. Robert Hénault a souligné que toutes les organisations syndicales contestaient aussi bien la valorisation de l’entreprise que celle de son capital foncier, l’une et l’autre leur semblant sous-évaluées.

M. Patrick Le Chêne, délégué syndical de la CFDT, a estimé que la valorisation de l’entreprise de DCN avait été divisée par trois. Entre décembre 2005 et aujourd’hui, celle-ci est passée, trésorerie incluse, de 2,8 à 2,3 milliards d’euros alors, qu’avant décembre 2005, les experts du comité central d’entreprise, l’avaient estimée à 5 milliards d’euros.

Le président Guy Teissier s’est étonné de la différence existant entre les deux évaluations.

M. Patrick Le Chêne a précisé que la valorisation de DCN a été calculée selon la méthode dite DCF (discounted cash flow), dans laquelle l’entreprise est considérée comme une entité dont la valeur dépend de sa capacité bénéficiaire, mesurée par ses « free cash-flows » ou flux de trésorerie disponibles. Cette même méthode a été utilisée pour la valorisation des apports de Thales. Les valorisations sont en général fondées sur les plans d’affaires : sur cette base, on peut affirmer que celle de DCN a été considérablement dégradée. Cela appelle des explications de la part de l’APE.

Le président Guy Teissier a observé que les propos de M. Le Chêne confirmaient les bonnes perspectives de DCN pour les dix prochaines années et précisé que ces questions seraient abordées lors de l’audition des dirigeants de DCN et de Thales.

M. Alain Lebarillier a indiqué, qu’à sa création, la société Armaris était présentée comme une société commerciale devant permettre à DCN de bénéficier des contacts à l’étranger de Thales. Mais Armaris est allée bien au-delà. Le plan de charges de TNF est actuellement vide sur 10 ans. Sa valeur n’est fondée que sur celle des filiales qui ont été créées et qui portent aujourd’hui des marchés français, à partir des programmes FREMM ou PA2. La valeur de TNF a ainsi été créée de toutes pièces.

M. Bruno Simon, secrétaire du comité central d’entreprise, a souhaité aborder les conséquences sociales du rapprochement. Le projet Convergence est présenté comme étant sans conséquence sur ce plan, mais la structure des deux entreprises infirme cette assertion. Thales compte tout au plus 10 % d’ouvriers, contre 40 % chez DCN. Le président-directeur général de DCN a déclaré devant le comité central d’entreprise qu’il souhaitait maintenir cette proportion. Or, plus le carnet de commandes augmente, plus les effectifs diminuent, notamment les effectifs d’ouvriers. Certaines commandes, comme les FREMM, sont réalisées en dehors de l’entreprise, sur des chantiers situés à l’étranger. La question de la place des ouvriers d’État dans l’entreprise après la mise en œuvre du projet Convergence est donc posée.

Le président Guy Teissier a indiqué que la commission soumettrait cette question aux dirigeants des deux entreprises, bien que rien ne permette de penser qu’ils aient la volonté de « liquider » la dimension ouvrière de DCN. Mais c’est un fait que la valeur de l’entreprise dépend plus de la matière grise que de la main-d’œuvre.

Une défense de très haut niveau a un coût. Si l’industrie de l’armement ne s’inscrit pas dans un système concurrentiel, il n’est pas certain que les citoyens seront toujours prêts à consentir l’effort financier nécessaire pour continuer à équiper les armées comme elles le sont aujourd’hui. L’industrie française d’armement doit rester un leader mondial tout en étant compétitive. Cela ne signifie pas que les compagnons qui travaillent dans les ateliers et usines d’armement doivent disparaître au profit d’une main-d’œuvre européenne moins onéreuse.

Il a ensuite fait valoir que le Mistral a été livré très en avance par rapport au calendrier prévu, et a coûté moins cher que ce que l’on aurait pu craindre. Cela est sans doute dû au fait que l’acier polonais a été utilisé, et qu’une partie du montage a été réalisée par un chantier privé. Mais ceux qui sont comptables de l’utilisation des deniers publics ne peuvent pas être indifférents au coût des équipements militaires pour la collectivité nationale. Cela étant dit, la réciprocité est nécessaire. Si la France fait travailler les ouvriers polonais, bulgares ou roumains, il importe que ces États achètent français, faute de quoi les équilibres seraient gravement compromis.

M. Jean-Michel Janeau a contesté la pertinence de la comparaison entre DCN et GIAT Industries. Celui-ci a connu une situation difficile, que l’on ne peut que déplorer, alors que DCN a engrangé des bénéfices dès sa constitution et participe très largement au retour de dividendes dans les comptes de l’État.

Le souci de préserver l’emploi national est aussi celui des organisations syndicales. Si la mise en œuvre du programme FREMM est critiquable, c’est bien parce que l’argent du contribuable français nourrit des emplois à l’étranger, non seulement à travers les commandes d’un certain nombre d’équipements, mais aussi et surtout à travers la réalisation de pans entiers de frégates. Quant à la réciprocité, les navires que la Bulgarie pourrait envisager d’acheter à la France seraient construits dans ce pays. La seule chose qui lui serait « vendue », serait un transfert de technologies. La matière grise est créatrice de valeur, encore faut-il pour cela qu’elle s’applique à la fois à la conception, à la réalisation et à l’entretien des navires. DCN est performante précisément parce qu’elle assure l’ensemble des activités de construction et d’entretien. C’est aussi la raison pour laquelle elle est souvent plus performante qu’une partie de ses concurrents.

L’exportation de sous-marins est difficile parce que DCN n’a pas la taille d’un constructeur comme ThyssenKrupp, qui lui permet de proposer un éventail de produits beaucoup plus large. Mais ce qui fonctionne en Allemagne est-il applicable en France sans difficulté ?

Le président Guy Teissier a souligné le succès des sous-marins de la classe Scorpène.

M. Jean-Michel Janeau a espéré que DCN remporterait d’autres succès, en particulier au Pakistan. Il a observé que, même si l’on admet l’idée que les rapprochements européens sont inéluctables, le projet Convergence n’allait pas dans ce sens. Il est paradoxal de mettre en avant la nécessité de se rapprocher des constructeurs allemands tout en choisissant comme partenaire l’acteur qui semble le moins bien placé pour ce faire, tandis que la ministre de la défense, pour sa part, évoquait il y a dix-huit mois un rapprochement avec l’Espagne et le Portugal.

Il est compréhensible, dans ces conditions, que la commission européenne s’interroge sur ce rapprochement. Il semble également que la commission des participations et des transferts considère que Thales prend une part disproportionnée dans la gouvernance de DCN, eu égard à sa participation dans le capital. Les interrogations que suscite la valorisation de TNF et de Thales ne sont pas non plus dénuées de fondement. La moindre des choses serait que les directions de DCN et de Thales écoutent les points de vue qui s’expriment et ne se précipitent pas dans un rapprochement qui semble moins relever d’une logique industrielle que de considérations conjoncturelles mises en avant par les artisans des meccanos industriels. Les problèmes que rencontre actuellement EADS, mais aussi Safran, doivent donner à réfléchir. Est-ce cela que la représentation nationale propose pour DCN ?

Le président Guy Teissier a précisé que la représentation nationale ne proposait rien. Son rôle est d’écouter les acteurs de DCN, de les accompagner, d’exprimer son point de vue, et d’exercer sa mission de contrôle parlementaire. Il a souligné que les propos de M. Janeau n’étaient nullement contradictoires avec sa propre réflexion. Nouer des alliances en Europe suppose d’abord de constituer une force française suffisante pour être à même de discuter sur un pied d’égalité avec TKMS ou Navantia.

S’agissant de l’accès des ouvriers d’État à la participation, il s’est dit choqué, de manière générale, par l’inégalité. Si le pays décide d’ouvrir aux salariés un accès à la participation, cela doit valoir pour tous.

M. Daniel Albelgucci, délégué syndical de la CGC, a rappelé que la CGC s’était montrée favorable aux objectifs du rapprochement. Il importe avant toute chose de clarifier les relations entre les industriels français. Les rapprochements européens, même s’ils ne sont pas à exclure, supposent d’attendre les effets des rapprochements entre les acteurs français.

Mais la CGC est aujourd’hui moins favorable au projet Convergence, pour des raisons qui tiennent plus à la forme qu’au fond. L’impression qui se dégage est que Thales entre dans le capital de DCN à très bas prix, mettant en péril la valorisation de DCN telle qu’elle est perçue au niveau européen. Demain, l’idée que DCN a peu de valeur risque de s’imposer. Les problèmes de gouvernance doivent également être examinés de près.

En outre, des conflits d’intérêts peuvent naître. La liberté commerciale est primordiale pour une société. Or l’accord industriel et commercial prévoit que DCN se tournera du côté de Thint, filière commerciale de Thales, pour avoir son propre réseau commercial. Or, DCN a déjà un réseau commercial en train de se développer. Le deuxième conflit d’intérêts est d’ordre financier. Thales est un équipementier. DCN a aussi une activité d’équipement. Les deux entreprises ne seront pas concurrentes sur le sol français. Mais on n’a fait que déplacer le problème. Rien n’empêche Thales de concourir en France par l’intermédiaire d’une filiale. Pourquoi ne pas avoir intégré directement toutes les filiales de Thales Naval France qui peuvent contribuer à faire de DCN un leader non seulement français mais européen dans le secteur naval ?

M. Yannick Perronet a indiqué que Me Henri-José Legrand avait expertisé tous les éléments constitutifs du projet Convergence, et en particulier le pacte d’actionnaires. Cet expert renommé résume les choses de la manière suivante. Thales, avec 25 % du capital de DCN, aurait un contrôle conjoint de DCN. Il aurait ainsi les mêmes pouvoirs qu’Alcatel au sein de Thales, à ceci près que l’État détient 75 % du capital de DCN et en détiendra 65 % demain. Comment seront préservés les intérêts de l’État dans DCN ? Si les parlementaires sont comptables de l’utilisation des deniers publics, leurs préoccupations rejoignent celles des représentants syndicaux de DCN, qui insistent sur deux aspects principaux : la gouvernance et la valorisation.