COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 4

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 juillet 2002
(Séance de 11 heures 30)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Francis Mer, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, et de M. Alain Lambert, ministre délégué au Budget et à la Réforme budgétaire, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2002

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La commission des Finances a procédé à l'audition de M. Francis Mer, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, et de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, sur le projet de loi de finances rectificative pour 2002.

M. Francis Mer, Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, a souligné que le but de ce projet de loi n'est pas de réformer de fond en comble le budget 2002, comme cela a pu être le cas à l'occasion d'alternances politiques précédentes, mais avant tout de restituer la sincérité du budget. Il poursuit un double objet : traduire l'un des engagements politiques les plus marqués du Gouvernement, c'est-à-dire assurer une baisse réelle des impôts des Français, d'une part, et afficher la situation réelle des finances de l'État, telle que l'audit de MM. Jacques Bonnet et Philippe Nasse l'a révélée, d'autre part. Sur ce point, il s'agit plus d'un exercice de constatation que d'un acte de création politique, qui est néanmoins indispensable pour deux motifs : tout d'abord, le Gouvernement se doit de proposer à la Représentation nationale une loi de finances exacte, tel est le sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle requiert le dépôt d'un projet de loi de finances rectificative dès lors que l'équilibre initial du budget est « bouleversé », comme cela est le cas pour la loi de finances pour 2002. En second lieu, le projet ouvre des crédits pour un montant proche de 5 milliards d'euros, sans lesquels le fonctionnement normal de l'État aurait été compromis en 2002. A défaut de cette inscription, l'État n'aurait pas pu solder ses dettes, dont certaines sont considérables, notamment dans le domaine social, et des dettes nouvelles seraient apparues en fin de gestion, en raison de diverses sous-budgétisations de la loi de finances initiale.

L'article 1er du projet de loi prévoit une baisse de 5 % du montant total de l'impôt sur le revenu dû en 2002 au titre des revenus de 2001. La méthode choisie est celle dite du « rabais sur facture », retenue tant pour des motifs d'efficacité administrative que d'équité. C'est la technique la plus simple à mettre en _uvre. Les effets de cette méthode sont équivalents à ceux d'une réduction de 5 % de l'ensemble des taux du barème. Cette réduction s'applique exclusivement aux revenus soumis au barème de l'impôt. Les revenus soumis à prélèvement libératoire, par exemple les intérêts sur placements, ou les revenus soumis à un taux d'imposition forfaitaire, comme les plus-values de cession de titres, ne sont pas concernés. Le Gouvernement a ainsi voulu favoriser exclusivement les revenus du travail et de l'initiative, tels que les salaires ou les revenus des professions indépendantes, qui sont intégralement soumis au barème. La réduction s'applique à l'impôt dû avant réductions ou crédits d'impôt, et avant paiement par l'État de la prime pour l'emploi. Le choix de réduire l'impôt brut plutôt que l'impôt net démontre la volonté du Gouvernement de donner son plein effet à la réduction de 5 %. S'il avait procédé autrement, le gain aurait été, dans bien des cas, moins élevé, voire nul et de nombreux foyers, notamment parmi les plus modestes, n'auraient pas pu profiter pleinement de la mesure.

Les contribuables bénéficieront d'un mois supplémentaire pour payer le solde de leur impôt. Trois cas de figure peuvent être distingués :

- les contribuables non mensualisés devront payer le solde de leur impôt au plus tard le 15 octobre et bénéficieront de la réduction de 5 % sur l'impôt total dû au titre des revenus 2001 ;

- les contribuables mensualisés verront la régularisation de leur imposition effectuée au plus tard à l'occasion du prélèvement d'octobre ;

- l'administration traitera en priorité la distribution des avis adressés aux contribuables non imposables, afin de permettre aux organismes sociaux et aux services publics locaux de prendre en compte la dernière situation de revenus pour l'attribution des aides ou des tarifs réduits. L'envoi des chèques aux bénéficiaires de la prime pour l'emploi sera donc traité prioritairement, très largement réalisé à la fin du mois de septembre et achevé en octobre.

Cette mesure d'allégement bénéficiera à 16 millions de foyers et aura une incidence sur les recettes de l'État de l'ordre de 2,55 milliards d'euros.

D'autre part, l'audit évalue à plus de 14 milliards d'euros les écarts imputables à la révision de la loi de finances pour 2002, hors incidence de l'allégement de l'impôt sur le revenu. Dans le cadre de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2002, les hypothèses de croissance retenues pour 2001 et 2002 étaient respectivement de 2,3 % et de 2,5 %. Ces chiffres se sont révélés trop optimistes, puisque les derniers résultats disponibles font état d'un taux de croissance de 1,8 % en 2001 et de 1,4 % en 2002. Ce dernier chiffre est dû, pour l'essentiel, à la faiblesse de l'activité économique au cours du premier trimestre. D'après la note de l'INSEE du mois de juin, la croissance française devrait retrouver un rythme annualisé compris entre 2,5 % et 3 % à partir du deuxième trimestre. Cette prévision s'appuie sur la fin du mouvement de déstockage par les entreprises et sur la relance de la demande des ménages, qui sera en outre confortée par la baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu.

L'audit des finances publiques a révélé une situation des comptes publics très dégradée par rapport aux prévisions. Cette dégradation ne s'explique pas uniquement par le retournement de la conjoncture. En effet, en retenant le point bas de la fourchette présentée par l'audit, soit un déficit de 2,6 % du PIB, apparaît un écart de 1,2 point de PIB avec la prévision initiale, écart qui s'explique pour les deux tiers par des dérapages de dépenses, et seulement pour un tiers par des écarts sur les recettes. Ceci apparaît également sur le budget de l'État. En effet, l'audit a relevé des écarts compris entre 6,9 et 7,4 milliards d'euros en dépenses, et entre 4,6 et 6,8 milliards d'euros sur les recettes. Le dérapage est donc plus prononcé sur les dépenses que sur les recettes. Au total, le déficit budgétaire serait donc majoré d'une somme comprise entre 11,5 et 14,2 milliards d'euros. En tenant compte de ce dernier chiffre, il atteindrait le montant global de 44,6 milliards d'euros. Le Gouvernement propose donc de restituer la réalité de la loi de finances 2002, reconstitution qui s'est opérée ligne à ligne et qui fournit des résultats tout à fait conformes à ceux de l'audit, ce qui en démontre la qualité.

M. Alain Lambert, ministre délégué au Budget a rappelé que les pertes de recettes fiscales et non fiscales, par rapport aux évaluations figurant dans la loi de finances initiale, s'élèvent à 8,6 milliards d'euros. Les recettes fiscales seraient minorées de 5,37 milliards d'euros, exclusivement à cause de deux impôts, l'impôt sur les sociétés et la TVA. En effet, la prévision d'impôt sur les sociétés est de 37,3 milliards d'euros pour 2002, contre une prévision de 39,8 milliards d'euros en loi de finances initiale, soit un écart de 2,5 milliards d'euros, représentant un peu plus de 6% du montant prévu initialement. Pour la TVA, la prévision est de 108,3 milliards d'euros, soit 2,9 milliards d'euros de moins que ce que prévoyait la loi de finances initiale. Le chiffre de la loi de finances initiale impliquait un taux de progression des recettes de TVA de +5,8% par rapport à 2001 ; ce taux est, en réalité, ramené à + 3%.

Les pertes de recettes non fiscales s'élèvent à près de 3,3 milliards d'euros. Les trois principaux facteurs expliquant cette évolution globale sont le report à 2003 du versement de 1,2 milliard d'euros par l'UNEDIC au budget de l'État, la diminution des dividendes versés par les entreprises publiques pour près de 1,7 milliard d'euros, soit notamment la réduction du dividende exceptionnel d'EDF pour 900 millions d'euros et le versement sous forme d'actions et non pas de numéraire du dividende de France Télécom pour 640 millions d'euros et, enfin, l'amnistie des amendes, qui entraîne une perte de 270 millions d'euros.

Grâce à l'amélioration de 1,9 milliard d'euros du fait du moindre prélèvement opéré au profit du budget européen, la réduction nette de recettes figurant au collectif s'établit à 6,7 milliards d'euros. Une fois intégrée la diminution des recettes liée à l'allègement d'impôt sur le revenu, soit 2,55 milliards d'euros, on aboutit donc à une réduction de 9,3 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2002.

Le volet dépenses du collectif ne traduit aucune priorité politique. Le Gouvernement s'est borné à faire en sorte que l'État puisse continuer à fonctionner normalement et payer ses dettes, en traduisant les résultats de l'audit. En revanche, le budget 2003 intègrera très fortement ses priorités. Le volet dépenses ne retient que 5 milliards d'euros de charges supplémentaires pour le budget général et 1,3 milliard d'euros d'écart négatif sur les comptes spéciaux, là où l'audit prévoyait un dérapage total compris entre 6,9 et 7,4 milliards d'euros. Ceci s'explique par le fait que l'audit raisonne en prévision d'exécution budgétaire, alors que le budget ouvre des crédits. Ainsi, à titre d'exemple, l'audit a identifié des dérapages dus à des consommations de crédits reportés des exercices précédents qui, par définition, ne peuvent pas être ouverts par le collectif, puisqu'ils sont d'ores et déjà ouverts.

Les trois principaux facteurs d'écart par rapport à la loi de finances initiale sont les dépenses du budget général, celles de la protection sociale et la situation des comptes spéciaux du Trésor.

En ce qui concerne le budget général, les ouvertures de crédits s'élèvent à près de 5 milliards d'euros. Leur unique finalité est d'honorer les dettes de l'État, soit qu'il s'agisse de dettes acquises fin 2001, pour un montant de 1,8 milliards d'euros, ou d'empêcher de nouvelles dettes de survenir fin 2002, du fait des sous-budgétisations de la loi de finances initiale. Ces ouvertures concernent au premier chef le secteur social : environ 2,5 milliards d'euros, dont plus de 900 millions d'euros pour les minima sociaux, 220 millions d'euros relatifs à la couverture maladie universelle (CMU) et 445 millions d'euros pour l'aide médicale de l'État. Elles concernent également le secteur de la défense pour un montant d'environ 900 millions d'euros. Enfin, des ouvertures de crédits sont nécessaires pour couvrir les charges de la dette. Ces charges progressent en effet d'environ 650 millions d'euros, essentiellement parce que le déficit de fin d'année sera beaucoup plus important que prévu. En dernier lieu, la traduction budgétaire de nos obligations internationales et le secteur de l'agriculture entraînent des ouvertures de crédit pour 250 millions d'euros chacun. Le besoin de financement du BAPSA est considérable, puisqu'il est évalué à près de 750 millions d'euros, pour une prévision de dépenses et de ressources de 14,6 milliards d'euros en loi de finances initiale, soit un écart de 5 % environ. Cette situation s'explique par trois motifs : 200 millions d'euros de dettes contractées vis-à-vis de la sécurité sociale, les ressources affectées devraient rapporter 250 millions d'euros de moins que prévu et les dépenses de maladie dérapent de près de 300 millions d'euros. Aussi, et afin d'éviter une crise de la protection sociale agricole, le Gouvernement propose, d'une part, de doubler la subvention du budget général, d'autre part de mobiliser les réserves excédentaires de trois organismes : la Mutualité sociale agricole, le Fonds pour les calamités agricoles et la société Unigrains.

Enfin, en ce qui concerne les comptes spéciaux du Trésor, un écart de 1,3 milliard d'euros est constaté sur le compte d'émission des monnaies métalliques.

Au total, le déficit budgétaire s'établira ainsi à 46 milliards d'euros avec des recettes en baisse de 9,3 milliards d'euros, des dépenses en hausse de 5 milliards d'euros et un solde des comptes spéciaux du Trésor déficitaire de 1,3 milliard d'euros.

Au-delà du collectif budgétaire, il convient de maîtriser l'exécution du budget en 2002. Si le collectif n'a pas pu, par construction, prendre en compte l'ensemble des facteurs de dérapage de la dépense, le Gouvernement entend bien éviter d'aggraver le déficit. Aussi envisage-t-il de prendre des mesures de mise en réserve de certains crédits et de stabilisation du niveau des crédits de report. Conformément à la loi organique du 1er août 2001, le Gouvernement communiquera aux Commissions des finances des deux assemblées la totalité de ces mesures. Le prochain budget prendra évidemment pour base de référence la loi de finances pour 2002, complétée par les dépenses reconductibles du présent collectif, qui représentent environ 2,6 milliards d'euros. Un taux de progression de 0,2% en volume sera appliqué à cette base. Compte tenu des mesures de redéploiement envisagées, ceci permettra de financer les priorités budgétaires, notamment la sécurité des Français, la justice, l'aide au développement et une remise à niveau des crédits d'équipement militaire.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a souligné que le projet de collectif budgétaire présente deux aspects majeurs : la mise à jour des comptes de l'État, en fonction des conclusions de l'audit, d'une part, et la baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu, d'autre part. Sur le premier point, il faut rappeler qu'à l'occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2002, tous les membres de l'opposition d'alors au sein de la Commission des finances, sans exception, avaient dénoncé l'irréalisme et l'insincérité de ce budget. Ils l'avaient fait notamment en défendant une exception d'irrecevabilité et en saisissant le Conseil constitutionnel sur la base de l'article 32 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Cette dénonciation se trouve aujourd'hui totalement corroborée. S'agissant de la révision à la baisse des recettes, l'audit est venu confirmer les prévisions de l'opposition d'alors. Quand le Gouvernement s'arc-boutait sur des prévisions de croissance des recettes fiscales de 2,5 %, l'opposition parlait de 1,5 %. S'agissant de la sous-estimation des dépenses, l'audit, qui constate un dérapage estimé à 5 milliards d'euros, se révèle encore plus accablant que les prévisions de l'ancienne opposition. Il est regrettable que la Commission des finances n'ait pas pu travailler dès le début de l'année 2002 pour prendre la pleine mesure des ajustements qui étaient nécessaires.

Le second volet du projet, la baisse de l'impôt sur le revenu, est une mesure très simple et très lisible, qui répond de façon tout à fait satisfaisante à ce que l'ancienne opposition proposait en vain, par amendements, depuis 1998.

Il convient de s'interroger, compte tenu des mesures nouvelles, sur les méthodes que le Gouvernement entend employer pour tenir son engagement consistant à ne pas aggraver la situation des finances publiques, au-delà de celle qu'il a trouvée à son arrivée. Comment éviter la dérive des dépenses sociales ? Jusqu'à quel niveau peut-on pratiquer des opérations sur recettes non fiscales ?

M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, a apporté les réponses suivantes :

- l'engagement pris par le Gouvernement à Madrid, puis à Séville, vis-à-vis de ses partenaires européens sera tenu, comme l'impose l'appartenance à la zone euro. À cet effet seront prises des mesures de maîtrise de la dépense, qui ne sont pas encore totalement arrêtés à ce stade. Si la conjoncture mondiale se maintient, nos perspectives de croissance doivent permettre de tenir cet engagement sans difficulté ;

- s'agissant des dépenses sociales, et notamment de la CMU, le nombre potentiel des bénéficiaires de minima sociaux a été sous-estimé, même s'il ne l'a pas été volontairement. Grâce aux mesures présentées, la situation devrait se stabiliser. Il en va tout autrement de la question beaucoup plus vaste de la maîtrise des dépenses de santé, qui nécessitera un débat approfondi ;

- nombre d'entreprises ont été surprises par l'ampleur du retournement de conjoncture de la fin de 2001, ce qui peut, partiellement, expliquer que les prévisions de recettes non fiscales se soient révélées beaucoup trop optimistes.

M. Marc Laffineur, après avoir rappelé qu'il avait présenté une question préalable sur le projet de loi de finances pour 2002 pour déplorer son irréalisme et son insincérité, ce qui est aujourd'hui confirmé par les faits, a souhaité connaître le coût et les modalités de financement des mesures prises par le Gouvernement après le vote de la loi de finances, et notamment au cours de la campagne électorale.

M. Didier Migaud a contesté l'idée selon laquelle l'audit aurait révélé une situation jusque-là inconnue. Le président de la République, tout comme M. Alain Lambert lorsqu'il était Président de la Commission des finances du Sénat, ont été tenus parfaitement informés, de manière systématique, de la situation hebdomadaire des finances publiques. Au demeurant, M. Francis Mer témoignant de sa propre expérience d'industriel, tempère les propos polémiques du Rapporteur général en soulignant le caractère imprévu du retournement de la conjoncture mondiale. L'échec de la saisine du Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'insincérité budgétaire, dément l'analyse du Rapporteur général. La sincérité est un concept relatif : afficher une prévision de 3 % de croissance pour 2003, c'est bien faire preuve de volontarisme, puisque si ce chiffre est avancé par certains instituts de conjoncture, il est jugé trop élevé par une majorité d'entre eux. Pourquoi, dès lors, retenir l'hypothèse la plus pessimiste lorsqu'il s'agit de tirer les enseignements de l'audit, et l'hypothèse la plus optimiste concernant la croissance future ?

Au début de chaque année, la direction du budget rédige une note spécifique, traditionnellement pessimiste, sur les prévisions d'exécution de l'année à venir. Cette année, la note - qui ne doit pas être confondue avec le document sur les perspectives à l'horizon 2003-2004, qui a provoqué récemment une polémique - paraît indiquer un dérapage prévisible de 2,8 milliards d'euros, soit à peu près le même chiffre qu'en 2001. Comment expliquer alors le décalage entre cette note, dont la diffusion serait bienvenue, et le projet de collectif budgétaire, sinon par une volonté de « noircir le tableau » ? Il serait souhaitable que, par l'intermédiaire du Rapporteur général, la Commission puisse alors avoir connaissance de cette note de la direction du budget.

M. Charles de Courson a estimé que le Gouvernement avait fait _uvre utile en rétablissant la réalité des comptes, et est convenu avec le Rapporteur général que, si d'une manière générale, l'ancienne opposition avait bien estimé la réalité, elle avait cependant sous-estimé le dérapage des dépenses - hormis le cas du BAPSA -. M. Laurent Fabius comme M. Didier Migaud n'ont pas alors tenu un langage de vérité, sauf peut-être à partir du mois de janvier, où ne fut annoncée qu'une demi-vérité.

Si la mesure de réduction de l'impôt sur le revenu paraît à peu près gagée par l'arrêté d'annulation à hauteur de 2,2 milliards d'euros sur les 2,5 milliards d'euros nécessaires, comment se fera le financement des 13 milliards d'euros de dérive des dépenses restant à couvrir ? S'agira-t-il, comme il faut le souhaiter puisqu'il n'y a pas d'autre issue, d'un gel de crédits, suivi d'une annulation en fin d'année ? La baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu est approuvée par l'ensemble de la majorité présidentielle. Mais une autre mesure est attendue et nécessaire : la baisse des charges sociales salariales jusqu'à 1,4 SMIC. Elle n'apparaît évidemment pas dans le projet de collectif. Figurera-t-elle dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2003, ou dans le projet de loi de finances pour 2003 ?

Le rapport spécial du BAPSA pour 2002 retenait une prévision de déficit pour l'exercice 2001 de 200 millions d'euros, dont l'ordre de grandeur a été confirmé en exécution. Pour 2002, était avancé le chiffre de 200 millions d'euros de déficit, quand la réalité sera plus proche de 550 millions d'euros. Le projet de collectif prévoit quatre mesures ponctuelles pour trouver le total de 750 millions d'euros de déficit ainsi cumulé. Deux d'entre elles - le relèvement de la subvention budgétaire et le prélèvement sur le fonds de garantie des calamités agricoles - ne posent pas de problème. Mais les deux autres sont préoccupantes. D'une part, on peut s'interroger sur les aspects juridiques du prélèvement de 165 millions d'euros opéré sur Unigrains, alors qu'est interdite l'affectation à l'État du produit d'une taxe parafiscale. Est-il compatible également avec la convention du 7 juillet 1983 entre l'État et Unigrains qui prévoit une renégociation obligatoire avant toute modification substantielle ? D'autre part, la mesure consistant à prélever des sommes sur la trésorerie de 41 des 78 caisses de base du régime agricole ne peut être que temporaire et ne règle rien pour l'avenir. De surcroît, elle pénalise les caisses vertueuses, à savoir celles où existent des excédents, comme en Gironde, en Ille-et-Vilaine ou encore dans la Marne, qui ont des taux de recouvrement de l'ordre de 99 %, ce qui est loin d'être le cas dans d'autres départements, comme la Corse. La solution choisie mérite donc débat.

Monsieur Michel Vaxès a relevé une contradiction entre, d'une part, les propos tenus par le Rapporteur général dans un article de presse du 28 juin 2002, selon lesquels le collectif devait dégager 5 milliards d'euros d'économies, afin de ne pas accroître le déficit, et, d'autre part, le projet de collectif budgétaire, lequel prévoit des moins-values de recettes qui ne sont pas compensées par des économies. Les perspectives budgétaires ne sont donc pas claires : y aura-t-il des réductions de crédits, le déficit a-t-il été surévalué ou celui-ci est-il destiné à augmenter ?

S'agissant de la baisse uniforme de 5 % de l'impôt sur le revenu, plusieurs critiques s'imposent. Il convient tout d'abord de constater qu'elle est profondément injuste, puisque seuls les contribuables imposés en bénéficieront et, ce, sans distinguer selon le montant de leurs revenus. Les justifications avancées - la baisse soutiendra la consommation et encouragera les ménages les plus aisés à consommer davantage - mériteraient d'être étayées.

La baisse est, en outre, en contradiction avec la forte croissance des impôts locaux, qui, elle, frappe tous les ménages et qui est due à une explosion des dépenses sociales des collectivités locales, et notamment à la création de l'allocation d'autonomie pour les personnes âgées (APA). Il est par ailleurs regrettable que les lettres de cadrage budgétaire n'aient pas été transmises au Parlement alors que le précédent gouvernement s'était engagé, en mai 2000, à les communiquer.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que la baisse de l'impôt sur le revenu avait pour vocation de soutenir la croissance, mais qu'elle devait être accompagnée d'autres réformes, comme l'harmonisation des salaires minimum et le renforcement du fonds de péréquation destiné au financement du plan d'aide au retour à l'emploi, notamment pour venir en aide aux départements à forte population âgée.

S'agissant du BAPSA, il est choquant de devoir constater maintenant un déficit de plusieurs centaines de millions d'euros. Le principe de sincérité semble avoir été mis à mal dans cette affaire.

En réponse aux différents intervenants, M. Francis Mer a fourni les réponses suivantes :

- il n'y a aucun obstacle à la transmission à la Commission des lettres de cadrage ;

- l'hypothèse de croissance économique retenue pour l'élaboration du collectif budgétaire est réaliste ; si le déficit s'avère moins important que prévu, des marges de man_uvre supplémentaires seront alors dégagées, dans le cadre des engagements européens de la France, qu'il convient de respecter sans casser la croissance. Pour 2003, celle-ci sera peut-être supérieure à ce qui est prévu mais rien ne permet de l'affirmer pour l'instant. En tout état de cause, le projet de loi de finances pour 2003 ne se fondera, en aucune manière, sur des hypothèses de croissance qui ne pourraient pas être atteintes ;

- 16 millions de ménages bénéficieront de la baisse de l'impôt sur le revenu. Le Gouvernement n'a, sur cette affaire, aucun état d'âme : la baisse augmentera les revenus disponibles des ménages de 0,2 à 0,3 % et conduira à un surcroît de croissance de 0,1 %, dans un contexte où la consommation comme le taux d'épargne (14 %) sont stables. Il ne s'agit nullement là d'un « cadeau », mais d'un élément nécessaire au dynamisme économique.

M. Alain Lambert a, pour sa part, ajouté les précisions suivantes :

- manifestement, et c'est un euphémisme, l'opposition de la précédente législature, a eu plus de chance que la majorité de l'époque dans ses prévisions ;

- les ouvertures de crédits supplémentaires effectuées par la loi de finances rectificative pour 2001 et les mesures de revalorisation de la condition des militaires pèseront, au minimum, à hauteur de 1,4 milliard d'euros sur l'exécution 2002 ;

- si le Conseil constitutionnel a globalement validé la loi de finances pour 2002, il serait normal que sa jurisprudence sur le principe constitutionnel de sincérité budgétaire évolue au vu de l'écart important entre les prévisions et l'exécution budgétaires constaté par le projet de loi de règlement ;

- les notes de la direction du budget laissaient présager les dérapages aujourd'hui constatés. Les propos du Gouvernement ne noircissent donc pas le tableau à dessein et, d'ailleurs, les Français ont rendu leur jugement sur la gestion passée ;

- la baisse des charges est à l'étude dans le cadre de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 ;

- la protection sociale agricole connaît une crise sans précédent. La subvention du budget de l'État au BAPSA doit être augmentée de 290 millions d'euros. Si le prélèvement opéré sur les caisses de mutualité sociale agricole, évoqué par M. Charles de Courson devait être plus réduit, il faudrait alors faire appel au budget de l'État, et donc à l'ensemble des contribuables, dans de plus grandes proportions, ce qui serait encore plus contestable. Il faut noter que la société anonyme « Unigrains » disposait jusqu'à présent de l'affectation d'une taxe parafiscale qui ne lui est plus affectée aujourd'hui. Alors qu'un prélèvement sur cette société au profit du BAPSA de 200 millions d'euros pouvait être envisagé, c'est un montant plus modeste de 165 millions d'euros qui a été finalement retenu pour compléter le financement du budget annexe, dans le parfait respect de l'orthodoxie budgétaire ;

- les propos de M. Michel Vaxès sur la baisse de l'impôt sur le revenu laissent à penser que son groupe aurait dû désapprouver la suppression de la vignette automobile, qui, à l'évidence, n'a pas tenu compte des capacités contributives de chacun, puisque les propriétaires de véhicules luxueux et modestes ont été traités exactement de la même manière. Lorsque la part régionale de la taxe d'habitation a été supprimée, la mesure a bénéficié, par définition, aux ménages qui payaient cette taxe et pas à ceux qui ne la payaient pas. Les 20 % de ménages de la ville d'Alençon qui ne paient pas la taxe d'habitation n'en ont, par exemple, pas profité ;

- si des crédits doivent être annulés, il n'a pas paru raisonnable au Gouvernement de procéder à des annulations rapides, forfaitaires et brutales. Des crédits seront donc mis en réserve et des crédits de report seront stabilisés. Dans cette perspective, le prochain collectif budgétaire devra s'attacher à ne pas dégrader le déficit constaté ;

- il serait nécessaire d'engager une réflexion sur les moyens de réguler le financement de l'APA, dispositif adopté dans l'enthousiasme, mais sans que les moyens nécessaires aient alors été déterminés. Il faut s'interroger sur la possibilité de faire assumer par les familles qui le peuvent et non par la collectivité une partie des charges en cause, notamment par le biais des retours sur successions, solution qui constituerait une mesure de justice.

M. Yves Deniaud a souhaité obtenir des précisions sur le niveau du déficit budgétaire à la fin de cette année, compte tenu des évolutions économiques et des mesures prévues par le Gouvernement. La reconduction prévisible de la baisse de 5% de l'impôt sur le revenu en 2003 se fera-t-elle selon les mêmes modalités qu'en 2002 ?

Compte-tenu du projet de décret procédant à l'annulation de 2,2 milliards d'euros de crédits, Mme Martine Lignères-Cassou s'est interrogée sur l'ampleur des autres annulations de crédits qui seront décidées avant la fin de l'année.

M. Paul Giacobbi a rappelé que le précédent gouvernement avait refusé la mise en place d'un fonds interministériel pour mettre en _uvre le programme exceptionnel d'investissement décidé pour l'île, demandé par l'ensemble des élus de Corse. Dans la mesure où le Premier ministre a évoqué, dans son discours de politique générale, la mise en place d'une procédure « efficace et unifiée », il a souhaité connaître les intentions du Gouvernement sur la nature de cette procédure.

La nouvelle loi organique relative aux lois de finances a posé le principe de la mise en place d'une comptabilité d'exercice au sein de la comptabilité de l'État. Dès lors, il est essentiel que le Gouvernement précise la méthode qu'il envisage de suivre pour procéder au traitement comptable des engagements de l'État en matière de retraite à l'égard de ses agents, dont la Cour des comptes a chiffré le montant entre 600 et 800 milliards d'euros.

Enfin, il serait souhaitable que les analyses macro-économiques étudiant les effets de la totalité de la baisse des impôts sur le revenu, envisagée par le Gouvernement sur les prochaines années, soient largement diffusées.

M. Michel Bouvard s'est félicité de ce que l'Europe ait reconnu que le rythme des réductions du déficit public dépend étroitement du rythme de la croissance économique. C'est d'ailleurs le reproche que l'on peut faire au précédent Gouvernement de ne pas avoir profité de la forte croissance des dernières années pour réduire les déficits.

Le projet de loi de finances rectificative ne fait que réparer l'insincérité du budget 2002, certaines dépenses ayant même été artificiellement minorées au cours de la discussion devant le Parlement pour financer les besoins en matière de dépenses électorales et les conséquences des décisions prises au profit des policiers et gendarmes. D'ailleurs, en compensant les budgétisations de la loi de finances initiale, le collectif budgétaire ne fait que respecter le sens de la décision du Conseil constitutionnel s'agissant des charges liées à des décisions à venir, dont la prise en compte est renvoyée au collectif.

Les prévisions de recettes au titre des dividendes versés par les entreprises publiques sont réduites, notamment en ce qui concerne EDF et France Telecom. Une information complète sur l'évolution de ces dividendes au cours des dernières années, ainsi que sur celle des prélèvements sur la Caisse des dépôts et consignations serait utile pour évaluer la façon dont ce type de recettes a été, par le passé, utilisé en tant que variable d'ajustement. Enfin, qu'en est-il des dividendes attendus s'agissant d'Autoroutes du Sud de la France ?

Après avoir remarqué que l'audit avait reconnu la difficulté de procéder à des évaluations à mi-année, M. Augustin Bonrepaux a appelé le rapporteur général a plus de modération dans ses appréciations et s'est étonné de ce que le Gouvernement ait retenu l'hypothèse la plus défavorable de la fourchette, c'est-à-dire l'hypothèse la plus alarmiste, pour bâtir le collectif. De même, la dérive des comptes sociaux est délicate à apprécier, l'audit ayant fait observer qu'il était impossible d'évaluer les économies qui pourront être générées par les mesures de bonnes pratiques accompagnant la revalorisation du tarif des visites des médecins. Si la situation financière était aussi difficile qu'annoncée, la première décision du Gouvernement n'aurait pas dû être d'aggraver le déficit budgétaire par la diminution des recettes.

La décision de baisser d'une manière uniforme l'impôt sur les revenus témoigne de la conception injuste que le Gouvernement se fait du principe d'égalité. Il aurait été instructif que le Gouvernement ait fait procéder à l'évaluation de l'effet sur la croissance économique, non seulement de la baisse de l'impôt sur le revenu, mais, à titre de comparaison, d'une augmentation du salaire minimum. Le fait que la prime pour l'emploi ne diminue pas est la moindre des choses, mais la question se pose du nombre de ses bénéficiaires, qui vont profiter d'une baisse de l'impôt sur le revenu. Enfin, il serait équitable que l'information donnée au contribuable à l'occasion du versement du dernier tiers provisionnel précise également l'effet des baisses d'impôt décidées par le précédent Gouvernement.

S'associant aux remarques du Président Pierre Méhaignerie à propos de l'APA, il a rappelé que les présidents des Conseils généraux ne s'étaient pas, à sa grande surprise, mobilisés pour s'opposer à ce texte lors de ses discussions au Parlement.

Le projet de loi de finances rectificative tient compte des effets de l'amnistie en ce qui concerne les pertes de recettes. En revanche, aucune compensation n'est envisagée au profit des collectivités locales, lesquelles qui vont voir diminuer les ressources qu'elles tirent des amendes, alors que celles-ci servent à financer des travaux de sécurité.

M. Éric Woerth s'est également inquiété d'une éventuelle compensation des pertes de recettes des collectivités locales au titre des amendes.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que les précédentes lois d'amnistie n'avaient pas prévu de telles compensations.

M. François Grosdidier s'est étonné du « chahut » qui règne au sein de la commission des Finances et qui ne permet pas de profiter au mieux de la présence des ministres. La sous-estimation des charges budgétaires liée au RMI pour 600 millions d'euros, au paiement des loyers de la gendarmerie, ou au remboursements à la SNCF des frais de transport des militaires est particulièrement choquante puisqu'il s'agit de dépenses connues et obligatoires. Une telle faculté de dissimulation volontaire est impensable dans toute structure autre que l'État, qu'il s'agisse d'une collectivité territoriale ou d'une entreprise. Il est indispensable que le Gouvernement et le Parlement réfléchissent ensemble à la façon d'interdire, à l'avenir, de tels comportements.

M. Jean-Pierre Brard a estimé que présenter la baisse de l'impôt sur le revenu comme une « mesure simple pour tous les contribuables » augurait mal de la volonté de sincérité affichée par le Gouvernement. En substituant les notions d'équité et de proportionnalité à celle d'égalité et de progressivité, la démarche choisie par le Gouvernement constitue une véritable régression, puisque 30% de la réduction globale de l'impôt bénéficieront à 1 % des contribuables les plus fortunés. L'indemnité de départ de M. Jean-Marie Messier bénéficiera-t-elle également de cette diminution ?

En réponse aux différents intervenants, M. Francis Mer a apporté les précisions suivantes :

- les décrets d'application de la loi sur la Corse sont en cours de rédaction et apporteront une réponse appropriée à la mise en _uvre du programme exceptionnel d'investissement ;

- les informations concernant les évaluations macro-économiques des effets de la baisse de l'impôt sur le revenu et sur l'évolution des dividendes et des divers prélèvements sur les entreprises publiques seront naturellement présentées ;

- le fait que la réduction d'impôt soit calculée sur le montant de l'impôt brut à payer permet, effectivement, aux bénéficiaires de la PPE de profiter de la réduction ;

- le principe de progressivité de l'impôt ne s'oppose pas, au contraire, à ce que l'ensemble des tranches d'imposition soit traité de la même façon ;

- il est indispensable que l'État puisse, à terme, présenter un véritable compte d'exploitation ;

- la question du traitement comptable des engagements de retraite de l'État est une question importante, lourde d'enjeux, à laquelle il faudra apporter la meilleure réponse possible, parallèlement à la réponse qui sera apportée au fonds du dossier et qui devrait intervenir à la fin de l'année 2003, conformément aux engagements pris par le Premier ministre.

M. Alain Lambert a apporté les informations complémentaires suivantes :

- le déficit prévisionnel pour 2002 devrait être d'environ 45 milliards d'euros pour l'État, le Gouvernement ayant pris l'engagement de maintenir pour 2002 le déficit de l'ensemble des administrations publiques au niveau constaté par les auteurs de l'audit ;

- un tableau d'ensemble des dividendes prélevés par l'État sera fourni, dans un souci de transparence, aux commissions parlementaires ;

- les annulations prévues dans le projet de décret qui a été transmis sont des annulations pour ordre, qu'il ne faut pas confondre avec les annulations qui pourraient être adoptées avant la fin de l'exercice ;

- le respect du principe de sincérité posé par la nouvelle loi organique se renforcera progressivement au fil de l'élaboration et de l'exécution des lois de finances successives ;

- l'effet de la baisse de l'impôt sur les revenus de 2001 décidée par le précédent Gouvernement s'élève à 2 milliards d'euros, à comparer aux 2,5 milliards d'euros de la mesure proposée aujourd'hui ;

- l'impact sur les finances des collectivités locales des lois d'amnistie n'ont effectivement jamais fait l'objet, dans le passé, de mesures de compensation ;

- malgré l'intérêt que M. Jean-Pierre Brard porte au cas particulier de l'ancien président de Vivendi Universal, la baisse de l'impôt dû en 2002 ne porte naturellement que sur les revenus de 2001.

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