COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 60

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 mai 2003
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition, préalable au débat d'orientation budgétaire de MM. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes, François Delafosse, Président de la première chambre et Jean-Raphaël Alventosa, rapporteur général de l'exécution budgétaire

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- Information relative à la Commission

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La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan a procédé à l'audition de MM. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes, François Delafosse, Président de la première chambre et Jean-Raphaël Alventosa, rapporteur général de l'exécution budgétaire.

Le Président Pierre Méhaignerie a indiqué que le débat sur les orientations budgétaires en séance publique devrait avoir lieu le matin du jeudi 19 juin prochain.

M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes, a rappelé que l'article 58-3 de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 prévoit, dans le cadre de la mission d'assistance que la Cour des comptes remplit auprès du Parlement, le dépôt d'un rapport préliminaire sur l'exécution des lois de finances, conjointement au dépôt d'un rapport du Gouvernement sur l'évaluation de l'économie nationale et les orientations des finances publiques. Il convient de rappeler que la Cour transmet ce rapport au Parlement depuis 1996, sans qu'il y ait d'obligation légale lui incombant, qu'il y ait ou non débat parlementaire sur les orientations budgétaires. Selon l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, la Cour devra fournir, outre le présent rapport préliminaire au débat d'orientation budgétaire, le rapport sur la loi de règlement et bientôt le rapport sur les comptes et la certification. La Cour doit donc résoudre le problème de l'articulation de l'ensemble de ces travaux, qui doivent être réalisés dans une période de temps relativement réduite. Sur le contenu de ces rapports, la Cour est tout à fait ouverte aux souhaits que les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat seraient susceptibles de formuler.

S'agissant du rapport préliminaire que la Cour vient de transmettre au Parlement, il s'agit d'analyser succinctement les conditions générales de l'exécution budgétaire, en élargissant cette analyse au reste de la sphère publique, afin d'apprécier la situation de la France au regard de ses engagements communautaires en matière de finances publiques. Ce travail s'appuie sur une analyse rétrospective à moyen terme de la dépense publique et sur le rappel des données fondamentales de la dernière loi de finances initiale. S'y ajoutent quelques éléments sur le début de l'exécution budgétaire en cours. À cet égard, la Cour n'a pu disposer de résultats d'exécution postérieurs à mars 2003. Elle s'est donc limitée à quelques remarques factuelles.

La loi organique du 1er août 2001 introduit une innovation dans le contenu du rapport préliminaire puisqu'elle prévoit que celui-ci est accompagné, le cas échéant, des observations du ministre délégué au budget. La réponse de celui-ci est ainsi jointe au présent rapport préliminaire. Elle ne tient pas compte, cependant, des dernières corrections du rapport qui sont intervenues après sa communication par la Cour.

Le prochain rapport définitif sur l'exécution des lois de finances inclura, en sus des parties traditionnelles, des développements importants consacrés à la mise en place progressive de la loi organique du 1er août 2001. En outre, des fascicules présentant les observations de la Cour sur les états financiers et les comptes de l'Etat seront intégrés : ils préfigurent, dans une certaine mesure, la certification de ces comptes qui interviendra à compter de l'exercice 2006.

Sur l'exécution de la loi de finances pour 2002, le Premier président François Logerot a présenté les observations suivantes :

- le niveau du résultat de l'exécution pour 2002 est préoccupant. Déjà, on pouvait noter en 2001 l'arrêt des améliorations de ce résultat qui avaient été observées les années précédentes. On peut d'ailleurs constater que l'exécution des lois de finances est toujours « en avance » d'une année par rapport aux prévisions. Ainsi, quand le solde d'exécution s'améliore, l'amélioration effectivement constatée est supérieure aux prévisions, alors que le retournement observé à partir de 2001 se retrouve dans la dégradation du résultat de l'exécution de manière anticipée par rapport aux prévisions. Le déficit d'exécution du budget de l'Etat pour 2002 s'établit ainsi à 49,3 milliards d'euros, soit le déficit le plus élevé depuis huit ans, à un niveau bien supérieur à l'hypothèse la plus défavorable de l'audit des finances publiques de juin 2002 (4,7 milliards d'euros de décalage) et supérieur également aux objectifs réajustés dans la loi de finances rectificative du 30 décembre 2002 ;

- le poids de la dette s'alourdit. Le ratio d'endettement public, qui était revenu de 59,5% en 1998 à 56,8% en 2001, a connu une forte augmentation en 2002 où il est égal à 59,1%. Ce ratio reste cependant inférieur au plafond européen fixé à 60%. A cet égard, il faut noter la divergence de l'évolution de la France par rapport à ses partenaires européens : ces derniers voient le poids de leur dette diminuer fortement (- 5 points de PIB en moyenne pour les Etats de la zone euro, depuis 1997), mais la moyenne européenne du ratio de la dette demeure supérieure au ratio de la France (69,1% pour la zone euro). Il en résulte, de manière quasi immédiate, une augmentation de la charge des intérêts de la dette. Le solde primaire, obtenu en déduisant du solde du budget de l'Etat le montant des charges nettes de la dette, devient négatif en 2002, alors qu'il était positif depuis cinq ans ;

- la présentation des résultats d'exécution budgétaire pose le problème, déjà souligné par la Cour, des « retraitements » opérés par le ministère de l'économie et des finances. Ce retraitement aboutit à réduire le volume affiché des dépenses, en déduisant de leur montant brut, par exemple, la part des remboursements et dégrèvements d'impôts liés à la situation du contribuable qui sont, selon la Cour, de véritables dépenses d'intervention. En outre, on peut regretter que le périmètre des dépenses publiques soit modifié chaque année et que les dépenses dites « exceptionnelles » voient leur définition varier selon les années. Enfin, certaines dépenses peuvent être ajustées en fonction de transferts de compétences entre l'Etat et d'autres organismes. De plus, est apparu en 2002 un nouveau concept - celui du « remboursement de dettes antérieures à 2002 » - c'est-à-dire les dépenses que le Gouvernement déduit du montant total, pour un montant de 1,8 milliard d'euros, en considérant qu'elles relèvent de la responsabilité du Gouvernement précédent. Au final, l'ensemble de ces ajustements conduit à un taux de progression apparent de 1,8% seulement en 2002 par rapport à l'exercice précédent.

Or, seul importe le montant des décaissements effectifs, qui est directement l'une des composantes du solde budgétaire. La Cour des comptes constate une augmentation des dépenses brutes de l'Etat de 4,3% en 2002, rythme supérieur à celui constaté en 2001, mais également à celui constaté sur la période 1998-2002, qui était de 2,4% par an.

Le Rapporteur général a souligné l'intérêt du rapport préliminaire présenté par la Cour des comptes, même si toutes les informations ne sont pas encore disponibles. Ce rapport présente des données précises concernant l'exécution budgétaire de 2002 et fournit des premiers éléments sur la gestion de 2003 : il nourrira utilement le débat d'orientation budgétaire du 19 juin prochain.

Ce rapport dresse des constats préoccupants concernant l'exécution budgétaire, déjà évoqués par le Rapporteur général dans le rapport relatif aux premiers éléments d'information sur l'exécution du budget 2002, présenté en avril dernier. Les données fournies par la Cour des comptes confortent l'analyse de la Commission des finances.

Il faut apprécier à sa juste valeur l'amélioration continue du traitement des opérations de fin de gestion, qu'il s'agisse de l'apurement des comptes d'imputation provisoire, du rattachement à l'exercice des dépenses et des recettes concernées ou du calibrage des recettes non fiscales. Il convient d'insister sur l'effort consenti par le Gouvernement en faveur d'une transparence accrue des comptes de l'Etat et donc, d'une bonne information du Parlement.

Mais, sur le fond, on ne peut que s'inquiéter du creusement du déficit budgétaire et de son impact sur l'endettement. La Cour des comptes souligne ainsi que l'endettement public s'est accru de 2,3 points de PIB en 2002, cette augmentation étant essentiellement imputable à la dette de l'Etat. L'aggravation de l'endettement public a un effet mécanique sur la charge de la dette de l'Etat, qui augmente de 3,5% en 2002. Compte tenu des perspectives d'accroissement du déficit public en 2003, la Cour des comptes est-elle en mesure de présenter, sur une tendance pluriannuelle, l'évolution de la charge de la dette, à la fois en termes de stocks et de charges ?

Le Rapporteur général a évoqué la question de la « rigidification » des dépenses de l'Etat, imputable aux dépenses de personnels, aux dépenses de pensions ou aux dépenses liées à la charge de la dette. Il est inquiétant de constater que le budget de l'Etat devient de plus en plus rigide.

Il apparaît donc logique de s'interroger sur la régulation des dépenses de l'Etat : la Cour des comptes semble en effet sous-entendre que la régulation des dépenses n'a pas joué un rôle suffisant pour compenser la dégradation du solde budgétaire. Quelles seraient les mesures, au-delà du gel ou de l'annulation de crédits, qui permettraient une régulation plus efficace du budget de l'Etat ? Faut-il par exemple introduire dès le stade de la loi de finances initiale des « dotations budgétaires conditionnelles » ? Face à une dégradation des recettes imputables à l'évolution de la conjoncture, et non à une politique fiscale délibérée, faut-il compenser de façon automatique cette dégradation par le biais d'annulations de dépenses ?

Le Rapporteur général s'est ensuite interrogé sur les éléments d'information qui permettent à la Cour des comptes d'affirmer que « la limitation de la progression annuelle des dépenses de 0,2% en volume [prévue par la loi de finances initiale pour 2003] apparaît compromise ».

Enfin, dans son rapport, la Cour des comptes souligne qu'il ne peut y avoir de baisse d'impôt durable si celle-ci ne s'accompagne pas d'une baisse durable des dépenses : quelles pourraient être les propositions de la Cour des comptes en matière de dépenses publiques ? On évoque souvent la réduction des effectifs budgétaires de l'Etat, mais une politique de réduction des effectifs dans les administrations peut fort bien s'accompagner d'une augmentation des effectifs des établissements publics, ce qui contrarie l'objectif affiché. Quelles pourraient être les propositions de la Cour des comptes en faveur d'une maîtrise accrue des dépenses publiques et sur quelles dépenses cet effort d'assainissement devrait-il s'appliquer ?

M. François Logerot a souligné que l'appréciation de la politique budgétaire de l'Etat relève de choix politiques sur lesquels il n'appartient pas à la Cour de se prononcer. Celle-ci a pour mission d'établir des constats et de mettre en lumière les perspectives tendancielles de l'exécution budgétaire.

L'évolution de l'équilibre budgétaire a un effet mécanique sur le stock de la dette et donc sur la charge d'intérêt, même si, au cours des dernières années, la baisse des taux d'intérêt a permis de modérer la progression de la charge de la dette. Certes, le niveau d'endettement de la France reste inférieur à la moyenne communautaire ; cependant, il convient de souligner qu'en 2002 la France a cessé de dégager un solde primaire positif.

La Cour des comptes a souligné dans son rapport le caractère précis et professionnel de la gestion de la dette de l'Etat. Elle constate également des progrès dans la comptabilité de la dette, cette comptabilité étant déjà quasi « certifiable » au sens de la loi organique du 1er août 2001.

Plusieurs catégories de dépenses contribuent à la rigidification des dépenses de l'Etat :

- les dépenses de rémunérations, de charges sociales et de pensions, qui représentent à elles seules 40% des charges de l'Etat ;

- les charges d'intérêt de la dette, qui représentent 15% des dépenses de l'Etat ;

- les subventions aux établissements publics, qui pourraient sembler moins rigides que les dépenses précitées, mais le sont presque autant en réalité car elles comportent souvent une grande part de dépenses de personnel ;

- les dépenses d'intervention, lorsqu'elles correspondent à des rémunérations comme, par exemple, pour les personnels de l'enseignement privé.

Les charges de pensions s'élèvent désormais à 34 milliards d'euros. Sous réserve des décisions que le Parlement sera prochainement amené à prendre, il convient de souligner que ces charges augmenteront, en tendance, de plus d'un milliard d'euros par an d'ici à 2020. Or, elles ne sont couvertes que pour moins d'un tiers par les retenues prélevées sur les traitements et par les cotisations versées par les établissements publics au titre des fonctionnaires qui leur sont affectés, le total de ces recettes se montant seulement à 9 milliards d'euros.

M. François Logerot a estimé qu'il ne disposait pas de « recette miracle » pour dégager des marges de manœuvre budgétaires. De véritables marges ne peuvent apparaître que si les autorités politiques décident de s'attaquer aux plus grandes masses du budget, à savoir la charge de la dette, par l'intermédiaire d'une réduction soutenue du déficit, et, surtout, les dépenses de personnel. Le « train de vie de l'Etat », entendu au sens des moyens de fonctionnement mis à la disposition des administrations, a déjà été fortement mis à contribution : la plupart des services ont du mal à maintenir en état leur patrimoine immobilier et à couvrir leurs frais fixes. Par exemple, en sa qualité de gestionnaire des juridictions financières, il constate que la diminution de 5% des crédits de fonctionnement des chambres régionales de comptes en 2003 commence à poser des problèmes de gestion significatifs, conduisant à réduire les déplacements consacrés aux réunions de travail afin de maintenir les déplacements pour contrôle - qui constituent le fondement même de l'activité des chambres régionales des comptes.

Une action sur les effectifs ne peut avoir d'effets immédiats. Par exemple, la possibilité évoquée ces derniers mois du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux ne conduirait à diminuer les effectifs que de 30.000 personnes, de façon étalée sur l'ensemble de l'année. Il va de soi qu'un tel mouvement ne peut provoquer qu'un infléchissement de tendance et, en aucun cas, un retournement spectaculaire de la dépense. On ne peut pourtant pas exclure de faire porter les efforts sur ce poste de dépenses, qui représente 40% des dépenses du budget général. Certes, il existe des marges de productivité dans les administrations, notamment grâce à une optimisation très souhaitable de l'emploi des nouvelles technologies. Peut-être doit-on aussi réfléchir à une révision de la carte géographique des services administratifs : a-t-on vraiment besoin de réseaux territoriaux aussi denses au ministère des finances ou ailleurs ? Mais, en tout état de cause, toute action de fond ne peut être menée sans s'interroger parallèlement sur le maintien de certaines missions assurées par l'Etat. C'est tout l'enjeu de la loi organique du 1er août 2001, qui obligera chaque ministre à justifier au premier euro l'affectation de moyens humains et financiers à des objectifs déterminés.

Les appréciations portées par la Cour des comptes sur la régulation pratiquée en 2002 sont très factuelles : force est de constater qu'elle n'a pas eu un impact suffisant sur l'exécution budgétaire. Ce constat n'est pas sans lien, d'ailleurs, avec l'étroitesse des marges de manœuvre évoquée précédemment : le gel a porté sur 4 milliards d'euros et seul 1,4 milliard d'euros a été annulé jusqu'ici. Des techniques autres que la régulation des crédits ont pu être avancées depuis plusieurs années, comme les fonds d'action conjoncturelle. Ces techniques ne sont pas explicitement prévues dans la loi organique du 1er août 2001, mais rien n'empêche de les considérer, sur une base conventionnelle. Les nouvelles techniques de programmation budgétaire qui seront associées à la construction des programmes permettront peut-être d'identifier des « actions conditionnelles ». Un point est acquis, cependant : les reports de crédit ne joueront plus le rôle qu'ils ont eu - parfois à l'excès - ces dernières années. Les administrations ne pourront plus jouer des effets d'affichage sur leurs dotations initiales (notamment en matière de crédits d'équipement) et accumuler les reports de crédits non consommés (faisant d'ailleurs peser un risque sur l'exécution des budgets ultérieurs) car les services seront « rattrapés » par le rapprochement entre leur gestion budgétaire et le degré de réalisation de leurs objectifs.

Faut-il ajuster automatiquement le niveau des dépenses à l'état de la conjoncture ? La réponse à cette question est assez difficile. La rigidité de la dépense conduit d'ailleurs à ce que cette sanction ne puisse être immédiate, en cas de ralentissement économique. La qualité d'un éventuel ajustement dépendrait aussi de la finesse du suivi conjoncturel, ce qui pourrait poser des problèmes délicats aux administrations et nuire, in fine, à la qualité globale de la gestion budgétaire.

S'agissant de l'objectif de progression des dépenses en volume de 0,2% défini dans la loi de finances initiale pour 2003, le rapport préliminaire de la Cour des comptes s'est peut-être un peu trop avancé en indiquant que sa réalisation « apparaît compromise ». Il faut pourtant relever que les hypothèses fondamentales sur lesquelles a été construit le budget 2003 sont d'ores et déjà obsolètes, ce qu'a d'ailleurs reconnu officiellement le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie à l'occasion du dernier exercice semestriel de prévision économique, au printemps dernier. Certes, la croissance française au premier trimestre 2003 a agréablement surpris, la progression de 0,3% du PIB étant significative et montrant que notre pays n'est pas entré en récession au tournant de l'hiver. Il n'empêche qu'une situation économique plus défavorable que celle prise en compte lors de la construction du budget ne peut être sans influence sur ses conditions d'exécution.

M. François Delafosse, Président de la première chambre, a rappelé que la progression de dépenses en volume s'était élevée à 2,4% en 2002. En l'absence de dispositif visible de maîtrise de la dépense, il est difficile de penser que l'objectif de 0,2% affiché pour 2003 pourra être atteint.

M. François Logerot est revenu sur les développements du rapport consacrés aux prélèvements obligatoires. Le programme pluriannuel d'allègement de la taxe professionnelle conduit, assurément, à une diminution des prélèvements obligatoires. Cependant le fait que cet allègement soit compensé par l'Etat aux collectivités territoriales ne conduit pas à une réduction de la dépense publique. Ce processus a donc des effets indubitables sur le taux de prélèvements obligatoires mais n'est pas véritablement vertueux en termes de gestion des finances publiques. Pour autant, les comparaisons internationales directes entre les taux de prélèvements obligatoires ou bien les taux de dépenses publiques ne doivent pas être considérées sans circonspection ; elles reflètent surtout des « effets de structure », des choix essentiels de société, comme l'organisation (publique ou privée, centralisée ou décentralisée) de certaines missions comme l'éducation ou la protection sociale. Les choix politiques en matière de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires doivent se fonder plutôt sur l'analyse des équilibres internes que sur le positionnement par rapport à des moyennes internationales ou à la situation de certains États partenaires spécifiques, qui sont des indicateurs modérément pertinents en ce domaine.

M. François Delafosse a précisé qu'à l'image du volume des dépenses publiques, le volume des emplois publics est contraint par d'importantes rigidités. Il faut d'ailleurs noter que dans le contexte d'un débat public désormais engagé sur l'opportunité de réduire l'emploi public, celui-ci a crû durant la dernière décennie de façon substantielle, y compris en 2002. Entre 1990 et 2002, le volume des emplois financés sur le budget de l'Etat a augmenté de 110.000 unités, soit 5,3%, ce qui correspond à une progression annuelle de 0,4% en moyenne. On doit d'ailleurs constater une accélération en 2002, puisque le volume des emplois publics financés sur le budget de l'Etat a crû de 1,45% au cours de cet exercice. Encore faut-il tenir compte de l'effet modérateur exercé, sur la période 1990-2002, par la professionnalisation des armées. Pour les seuls budgets civils, la progression des effectifs s'est établie à 2,5% en 2002.

On peut noter que la progression du volume des emplois publics financés respectivement sur les budgets de la Justice et de l'Intérieur s'est élevée à 4,3% et 3,1%. Ces augmentations significatives correspondent manifestement aux engagements politiques qui ont été pris par la majorité issue des élections du printemps 2002. Plus curieusement, on constate des augmentations sensibles sur d'autres budgets, tels que celui de l'Agriculture et de la pêche (+ 1,68%), ou celui de la Culture et de la communication (+ 2,31%). Enfin, la progression du volume des emplois publics financés respectivement sur les budgets de l'Enseignement scolaire et de l'Enseignement supérieur s'est élevée en 2002 à 1,04% et 1,24%. Il faut noter que ces taux sont difficiles à établir de façon exacte et définitive. Les informations transmises par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie demeurent souvent susceptibles de modifications pendant un délai relativement long, ce qui, d'ailleurs, pose la question de la capacité de l'Etat à compter ses agents de façon fiable.

Évaluer la mesure de l'emploi public nécessite par ailleurs de s'intéresser aux emplois publics « indirects », c'est-à-dire aux emplois qui relèvent d'un organisme autre que l'Etat, quelle que soit sa forme juridique, dès lors qu'ils sont financés indirectement par le budget de l'Etat, grâce au versement, par celui-ci, d'une subvention au bénéfice dudit organisme. En rapportant cette subvention au montant du budget propre de cet organisme, notamment à ses dépenses de personnel, il est en principe possible d'évaluer la fraction des emplois rattachés audit organisme qui peut être considérée comme financée par la subvention d'Etat. Cette méthode n'est pas définitivement opérationnelle dans toutes ses dimensions. Il n'est donc pas possible de rendre publiques des évaluations précises portant sur le nombre de ces emplois publics indirects. S'agissant du budget de l'Enseignement supérieur, on peut cependant estimer que les crédits qui y sont inscrits permettent le financement de 6.600 à 7.000 emplois publics indirects. Ce chiffre peut être évalué entre 2.500 et 3.000, s'agissant du budget de la Santé. Il faut noter que, parmi les emplois publics financés par le budget des Affaires étrangères, seuls 40% d'entre eux le sont directement. En volume d'emplois, les budgets qui contribuent aux plus grands nombres d'emplois publics indirects sont les budgets de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Le nombre des emplois publics indirects ne peut pas être considéré comme négligeable. Dès lors, il est sans doute opportun de renforcer le travail d'analyse budgétaire préalable sur ce point, dans le cadre duquel il serait intéressant de déterminer le volume d'emplois publics indirects induit par le versement de chaque subvention imputée sur le budget de l'Etat. La maîtrise de la subvention publique doit sans doute s'entendre de son montant mais aussi de son objet.

M. Michel Bouvard a rappelé que les « plafonds des autorisations d'emplois », prévus par la loi organique du 1er août 2001, ne seraient applicables qu'aux emplois financés directement par le budget de l'Etat. Les organismes bénéficiaires des subventions budgétaires ne seront pas contraints dans leur recrutement, alors même que les rémunérations de certains de leurs agents seront, de fait, financées par ces subventions. Il convient donc que le Parlement, assisté par la Cour des comptes, puisse établir l'inventaire des emplois publics indirects, puis mette en œuvre un dispositif permettant un contrôle effectif de leur volume.

Le Rapporteur général a estimé qu'un tel contrôle pourrait s'appuyer sur un contrat entre l'Etat et l'organisme considéré, précisant que le versement de la subvention est subordonné au respect d'une politique de l'emploi définie dans ce contrat. M. Laurent Hénart, rapporteur des travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de la Commission des finances relatifs à l'intervention des architectes et des services archéologiques dans les procédures de sauvegarde de patrimoine, a d'ailleurs proposé que soit mis en œuvre un tel contrat, sous la forme d'un projet d'établissement entre l'Etat et l'Institut national de recherches archéologiques préventives, qui prévoirait la stabilité des effectifs de cet institut durant cinq ans.

M. Marc Laffineur a estimé nécessaire de s'interroger sur le lien entre la progression récente et rapide du nombre des emplois publics et la mise en œuvre de l'aménagement et de la réduction du temps de travail dans la fonction publique. Par ailleurs, un lien analogue existe sans doute entre la mise en œuvre de l'aménagement et de la réduction du temps de travail au sein des organismes qui bénéficient des subventions imputées sur le budget de l'Etat et l'évolution rapide des dépenses publiques. En tout état de cause, le financement global de l'aménagement et de la réduction du temps de travail a drainé d'importantes ressources publiques vers le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale (FOREC), ressources qui ne sont pas disponibles aujourd'hui pour compenser un contexte budgétaire plus contraint. C'est d'ailleurs dans ce contexte budgétaire que la majorité doit mettre en œuvre la réforme générale des retraites, alors qu'il aurait sans doute été plus aisé de la mener à bien au cours de la précédente législature. Il serait sans doute instructif, par ailleurs, de mesurer, dans l'augmentation récente du déficit des administrations publiques, la part qui revient aux dépenses liées à la mise en œuvre de la couverture maladie universelle ou de l'allocation personnalisée d'autonomie.

M Thierry Carcenac a salué le travail de la Cour des comptes, qui permet de prendre connaissance de quelques constats intéressants, au regard de certains discours tenus par ceux qui sont désormais chargés des affaires publiques. Ainsi, en 2002, on constate une forte dégradation du solde primaire d'exécution du budget de l'Etat et une forte augmentation du volume des emplois publics. S'agissant de l'exécution budgétaire pour 2003, il est à craindre que le solde primaire ne s'améliore pas par rapport à 2002, tant le montant des reports de cet exercice vers l'exercice 2003 rend aléatoire la réalisation de l'objectif prévisionnel d'évolution des dépenses retenu dans le projet de loi de finances pour 2003. Une solution pourrait cependant être envisagée, qui s'appuierait sur une stimulation de la demande globale par la puissance publique, permettant un accroissement de l'activité économique, à même, par le jeu des prélèvements, de rétablir un certain équilibre de nos finances publiques. Une telle politique constituerait un choix préférable à celui consistant à diminuer le montant des dépenses pour complaire à une certaine orthodoxie économique.

M. Michel Bouvard s'est tout d'abord inquiété de la sensibilité de la charge de la dette aux fluctuations des taux d'intérêt. Sa croissance depuis 2001 s'est réalisée malgré des conditions de taux de plus en plus favorables. La Cour dispose-t-elle d'éléments permettant, par exemple, de cerner les conséquences d'une hausse d'un point des taux d'intérêt ?

Par ailleurs, la Cour estime à un milliard d'euros par an l'évolution structurelle du coût pour l'Etat des pensions. Ne serait-il pas opportun d'isoler et de mieux identifier les charges de retraites assumées par l'Etat dans les documents budgétaires, le cas échéant par la définition d'un compte spécifique ?

Enfin, la décision d'Eurostat de requalifier en subvention la dotation annuelle que l'Etat accorde à Réseau ferré de France - alors que depuis 1997 cet apport était classé en opération financière, et donc exclu du calcul du déficit public au sens de Maastricht - a abouti à un alourdissement non anticipé des dépenses publiques. Ce type de retraitement qui modifie, dans des proportions parfois considérables, le niveau des déficits publics pourra-t-il survenir à nouveau ? Existe-t-il d'autres dépenses dont le traitement comptable européen pourrait évoluer ?

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé l'intérêt de la Commission pour des travaux de synthèse permettant de chiffrer clairement les coûts de choix budgétaires majeurs. Ainsi a-t-il rappelé qu'il s'est abstenu, lors du vote de la Commission sur le projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, au motif que ce texte ne procède à aucune remise en cause des avantages de toute nature dont bénéficient les résidents de l'outre-mer. En deuxième lieu, le principal problème pour le législateur est la surabondance et l'extrême complexité des procédures qui engendrent un effet d'inertie et rendent quasi-impossible toute réforme. La Cour des comptes pourrait apporter une précieuse contribution au Parlement afin de « peigner des textes » qui entretiennent la machine à complexifier. En dernier lieu, on doit s'interroger sur la façon de mieux prendre en compte dans le budget la nécessité de mener une régulation conjoncturelle, sans exposer le Parlement à la remise en cause, dès le mois de janvier, d'un budget voté en décembre en faisant la part belle aux effets d'affichage, mais fondé sur des hypothèses de croissance trop volontaristes.

M. François Logerot a tout d'abord précisé que l'audit remis au Premier ministre en juin 2002 avait été réalisé, certes par deux membres de la Cour des comptes, M. Jacques Bonnet, magistrat à la retraite, et M. Philippe Nasse, magistrat détaché, mais non par la Cour des comptes qui n'a d'ailleurs été sollicitée à aucun moment.

M. François Logerot a estimé impossible d'identifier précisément les conséquences des 35 heures sur le budget de l'Etat dans la mesure où leur mise en place dans les administrations n'a pas donné lieu à compensation par augmentation des effectifs, en tout cas pas officiellement. Il est cependant évident que des créations d'emplois ont été liées à la réduction du temps du travail, de la même manière qu'il sera, à l'avenir, nécessaire de pallier les difficultés réelles qu'elle a occasionnées dans certains services, afin d'éviter que les usagers n'en paient le prix, notamment en souffrant d'horaires d'ouverture réduits.

Concernant les charges de retraite, la dynamique est en effet extrêmement forte. Il serait positif de mettre un terme aux dispositions favorables dont bénéficient certaines catégories de fonctionnaires, à tout le moins en réduisant certains « avantages acquis » excessifs pour les nouveaux recrutements. Par exemple, les majorations de pensions dans l'outre-mer représentent un coût de l'ordre de 150 millions d'euros par an pour le budget de l'Etat. Ces bonifications, établies à une époque où l'expatriation impliquait un réel effort, n'ont plus guère de justifications aujourd'hui.

M. Marc Laffineur a rappelé que l'ensemble des charges occasionnées par les avantages acquis concernant les pensions des agents publics en outre-mer, en incluant notamment les collectivités locales, aboutit à un montant beaucoup plus important.

M. Jean-Raphaël Alventosa, Conseiller maître, rapporteur général de l'exécution budgétaire, en réponse à M. Michel Bouvard, a estimé qu'il est difficile de calculer l'incidence des variations de taux d'intérêt sur la charge de la dette, tout en proposant à la Commission des finances de réaliser des travaux plus détaillés à son attention. D'ailleurs, l'évolution concrète de cette charge depuis 1998 ne permet pas d'isoler ce facteur dans les fluctuations : entre 1998 et 2001 la part de la dette dans les dépenses de l'Etat diminue dans un contexte d'amélioration relative du solde budgétaire et de baisse modérée des taux ; en revanche, le solde se retourne dès 2001, tandis que les taux restent faibles, sans que là encore il soit possible d'isoler la part respective des deux phénomènes.

M. François Logerot a ajouté que le suivi extrêmement réactif de la dette par l'Agence France-Trésor, dont la politique consiste à veiller à ce que l'Etat réduise au minimum sa trésorerie inemployée sur son compte à la Banque de France, rendait un peu plus difficile cette mesure d'« effet taux ».

S'agissant de l'identification des charges de retraite, il serait peut-être opportun d'anticiper la mise en place du compte d'affectation spéciale des pensions prévu dès 2006 par la loi organique du 1er août 2001. Evoquant une critique récurrente et à ses yeux infondée, il a rappelé que si l'Etat éprouve des difficultés à identifier clairement son effort au titre des retraites de ses agents - ou du moins à différencier sa contribution d'employeur de la contribution qu'il supporte pour assurer l'équilibre du régime - les fonctionnaires, pour leur part, connaissent clairement le montant de leur retenue (7,85% du traitement) qui apparaît sur leur fiche de paye.

Bien avant que les changements de définitions comptables européennes n'impactent le montant du déficit public français pris en compte par les institutions communautaires, la Cour des comptes avait elle-même porté son attention sur la nature réelle de la dotation annuelle à Réseau ferré de France (RFF), concluant qu'elle devait être intégrée dans les dépenses publiques au sens du traité de Maastricht, à l'image de la dotation versée à l'Etablissement public de financement et de réalisation (EPFR). Il est évident que le choix d'Eurostat de requalifier l'aide à RFF a une conséquence politique majeure, puisque le déficit public français notifié est ainsi passé de 3,04% du PIB à 3,1%, chiffre motivant l'engagement d'une procédure pour déficit excessif à l'encontre de la France.

M. Jean-Raphaël Alventosa a indiqué que les principaux débats sur la comptabilité publique au sens de Maastricht se concentrent aujourd'hui sur la très forte instabilité des séries statistiques concernant les collectivités locales et les administrations de sécurité sociale dont les changements rapides à des échéances rapprochées entretiennent un doute sur la sincérité du déficit notifié par la France à la Commission européenne.

M. François Logerot, répondant au Président Pierre Méhaignerie, a souligné que la part d'image et d'affichage dans les décisions budgétaires serait plutôt renforcée par la mise en place de la loi organique relative aux lois de finances. En revanche, cette dernière, sans le prévoir, ne semble pas pour autant s'opposer à la mise en place de mécanismes de « crédits conditionnels » tels qu'évoqués par le Rapporteur général. Cependant, cette stratégie ne pourra être réalisée qu'à la condition de mener à bien la redoutable tâche de convaincre le ministère des finances de renoncer au pilotage budgétaire qu'il exerce aujourd'hui seul.

M. François Delafosse a rappelé qu'à l'origine, l'introduction des 35 heures ne devait pas déboucher sur des créations d'emplois dans la fonction publique hospitalière. Cependant, le système hospitalier ne pouvait se placer dans l'impossibilité d'assurer la continuité du service : dès lors, l'application des 35 heures s'est traduit par des créations d'emplois, sous forme de crédits de remplacement. Le financement des remplacements a été, pour partie, imputé sur le budget de l'Etat.

La Poste constitue également une exception au principe de non-création d'emplois : les 35 heures s'y sont traduites par la création de 14.000 emplois, afin d'assurer la continuité du service, ce qui a pesé sur le budget de La Poste et sur ses relations financières avec l'Etat. Toutefois, La Poste recrute désormais l'essentiel de ses effectifs en recourant à des personnels contractuels, et non à des personnels placés sous statut de la fonction publique.

Il faudrait analyser ministère par ministère les conditions d'introduction des 35 heures, afin de déterminer si le principe originel consistant à ne pas augmenter l'emploi public a été bien respecté.

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Information relative à la Commission

La commission des Finances a nommé M. Xavier Bertrand, rapporteur pour avis sur le projet de loi sur les retraites.

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