COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 40

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 20 janvier 2004
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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Examen de la proposition de résolution (n° 1102) de M. Gilbert Gantier, tendant à la création d'une commission d'enquête sur le fonctionnement du Consortium de réalisation (CDR), société anonyme constituée en vue de céder les actifs du Crédit lyonnais après sa défaisance, et sur les « risques » nouveaux et importants que cet organisme aurait transférés à l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), de la proposition de résolution (n° 1281) de M. Éric Besson et plusieurs de ses collègues, tendant à la création d'une commission d'enquête visant à analyser les conditions des négociations menées par le Gouvernement dans le cadre de l'affaire dite « Executive Life » et à apprécier les risques, notamment financiers, pris dans ce cadre par le Gouvernement (M. François Goulard, Rapporteur) et création éventuelle d'une mission d'information de la Commission sur l'affaire « Executive Life »

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La commission des Finances a procédé à l'examen de deux propositions de résolution tendant à créer des commissions d'enquête, qu'elle a décidé de joindre.

M. François Goulard, Rapporteur, a estimé que l'historique des faits qui motivent les deux propositions de résolution dont la Commission est saisie pouvait être relativement bref, dans la mesure où il s'agit soit d'enjeux que la Commission connaît bien et sur lesquels elle s'est investie depuis longtemps, soit de faits qui ont été très largement commentés et sont assez bien connus. Les propositions de résolution portent sur deux enjeux distincts : sur le Consortium de réalisation (CDR) et l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR), d'une part ; sur l'affaire dite « Executive Life », d'autre part. Il faut rappeler que l'EPFR est l'organisme de surveillance du CDR. Ce dernier, qui est une société anonyme, a été chargé de céder les 28,356 milliards d'euros d'actifs transférés par le Crédit Lyonnais. Comme l'a rappelé devant la Commission le député représentant l'Assemblée nationale au conseil d'administration de l'EPFR, M. Charles de Courson, le 24 septembre 2003, les missions du CDR et de l'EPFR sont quasiment achevées. En effet, à la fin de 2002, en valeur brute comptable, il ne restait plus au CDR que 3,3 milliards d'euros d'actifs à céder, soit environ 11 % du montant total. Ces actifs ayant été provisionnés à 74 % dans les comptes du CDR, l'actif net résiduel s'établit à 866 millions d'euros, et ne devrait plus représenter que 400 millions d'euros à la fin de 2003. Le coût du fonctionnement de l'EPFR est nul, à la différence de celui du CDR. Celui-ci a pu compter jusqu'à 1.000 agents. Il n'en emploie plus qu'une centaine aujourd'hui, et n'en emploiera plus aucun à la fin de 2004. Le moment de dissoudre le CDR et l'EPFR est donc proche. Le Gouvernement souhaiterait maintenir le CDR pendant encore deux à trois ans, le temps de liquider les actifs, et conserver l'EPFR jusqu'en 2014, date de la fin du remboursement du prêt contracté auprès du Crédit Lyonnais, soit 10 à 11 milliards d'euros. Dès lors que le stock d'actifs à réaliser par le CDR s'est considérablement réduit, les ressources de l'EPFR pour faire face aux échéances du prêt du Crédit Lyonnais sont désormais quasi-exclusivement le produit des dotations consenties par l'État, et l'on observe que le montant des dotations à l'EPFR décroît régulièrement, depuis 1998.

S'agissant de l'affaire dite « Executive Life », un bref rappel chronologique est utile. Le Crédit Lyonnais, aujourd'hui filiale du Crédit Agricole, est accusé d'avoir organisé au début des années 1990, le rachat de l'assureur californien Executive Life de façon illégale, par l'intermédiaire de MAAF, à un moment où la loi américaine interdisait à toute banque de posséder plus de 25 % d'une société d'assurance. En 1991, Executive Life est en faillite. Deux opérations sont engagées par les autorités américaines pour la sauver : la vente des actifs de la compagnie, tenus pour être principalement des obligations à très hauts risques, dites « junks bonds » et la reprise de la compagnie elle-même. Sur le premier aspect, c'est le Crédit Lyonnais, via sa filiale Altus Finance, qui rachète le portefeuille d'obligations fin 1991, dont Artémis devient finalement en partie propriétaire en décembre 1992. C'est la seconde initiative du commissaire aux assurances américain, le rachat d'Executive Life elle-même par la MAAF et un groupe d'investisseurs, qui est dénoncée aux autorités américaines comme une opération de montage d'Altus Finance visant à contourner la réglementation américaine.

Entre temps, en 1994 et 1995, Artémis prend le contrôle d' Executive Life, rebaptisée Aurora. Des procédures pénale, civile et réglementaire sont ouvertes en février 1999. Après de longs développements, le gouvernement français, qui négocie notamment pour le compte du CDR, accepte le 2 septembre 2003 un accord de principe avec le procureur fédéral de Californie, afin d'éviter un procès au pénal et de limiter la reconnaissance de culpabilité. Mi-octobre, le gouvernement français décide de ne pas accepter les demandes nouvelles auxquelles le procureur fédéral de Californie subordonne désormais l'accord, parce qu'elles apparaissent de nature à en affaiblir la sécurité juridique et, par voie de conséquence, la protection des intérêts de l'État. Après que des négociations très serrées se déroulent entre les différentes parties, le ministre des Finances confirme, le 15 décembre 2003, qu'un accord de principe est finalement obtenu. La justice pénale américaine et les parties françaises ont donc signé, mi-décembre, un accord amiable. Afin de mettre un terme aux poursuites pénales, ces parties ont accepté de payer 770 millions de dollars, soit 572 millions d'euros, sous forme d'amendes et de provisions pour le civil, dont 475 millions de dollars à la charge de l'État et une amende de 100 millions de dollars pour le Crédit Lyonnais. Sur les 475 millions de dollars, 100 millions sont versés au titre de l'amende de la Federal Reserve (le CDR étant garant du Crédit Lyonnais) et 375 millions de dollars constituent un à-valoir sur l'issue des procédures civiles, dont la moitié, soit 187 millions, sont potentiellement récupérables pour l'État français. C'est cet accord qui doit être entériné par un juge fédéral très prochainement. C'est donc à ce moment que la transaction pénale sera définitive, revêtant l'autorité de la chose jugée. Quant à la procédure civile, elle est loin d'être close. Les auditions sur le volet civil de l'affaire viennent à peine de débuter. Une transaction amiable n'est pas exclue, faute de quoi un procès civil aurait lieu, probablement en février 2005.

Il ressort des dispositions combinées de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140, 140-1 et 141 du règlement de l'Assemblée nationale que la recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est soumise à deux conditions cumulatives : les propositions doivent déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ; les faits ayant motivé le dépôt des propositions ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires. La première condition peut être considérée comme satisfaite en l'espèce. La seconde condition, en revanche, paraît se poser comme un obstacle à la création d'une commission d'enquête, et ce, tant s'agissant de la première proposition de résolution que de la seconde. La réponse du Garde des Sceaux à la notification de dépôt de la proposition de résolution de M. Gilbert Gantier, transmise au Président de l'Assemblée nationale le 8 décembre 2003, indique qu'un certain nombre d'informations judiciaires sont en cours devant le tribunal de grande instance de Paris portant sur des faits d'abus de biens sociaux ou d'escroquerie au préjudice des filiales du Crédit Lyonnais, et notamment de la société Altus Finance. Pour trois de ces informations judiciaires, le CDR s'est constitué partie civile. En ce qui concerne le cas particulier de l'affaire « Executive Life », cette même réponse indiquait qu'une information judiciaire pour abus de biens sociaux au préjudice de la société Altus Finance était en cours devant le tribunal de grande instance de Paris, portant sur des faits en relation directe avec l'affaire dite « Executive Life ». En effet, la cession par le groupe MAAF à une filiale d'Altus Finance de la société Financière de Banque et Union Meunière et de la société Immobilière de Port-Royal à un prix surévalué est en cause, en rémunération d'une opération de portage qui aurait été accomplie par la MAAF pour Altus Finance au moment de la reprise de l'activité d'assurance de la société Executive Life. Enfin, la réponse du Garde des Sceaux à la notification de dépôt de la proposition de résolution de M. Éric Besson, transmise au Président de l'Assemblée nationale le 16 janvier 2004, indique finalement qu'une procédure pénale est actuellement en cours pour abus de biens sociaux, recel et présentation de faux bilans commis au préjudice des sociétés Altus Finance et SBT BATIF dans le cadre du portage accompli par la MAAF au moment de la reprise de l'activité d'assurance d'Executive Life.

L'examen de la recevabilité de ces propositions de résolution n'épuise pas, loin de là, l'analyse qui doit en être faite. D'un côté, on peut croire que la mission du CDR, qui est quasiment achevée, ne justifie pas la création d'une commission d'enquête. Le CDR a fait et fait encore l'objet de nombreux contrôles externes, qu'il s'agisse de l'EPFR, de la mission de contrôle du CDR, des services du ministère des Finances et, le cas échéant, de la Cour des comptes, de la Commission bancaire et, bien entendu, du travail du Rapporteur spécial sur les entreprises publiques. D'autre part, il faut avoir à l'esprit, s'agissant de l'affaire Executive Life, que tout ce qui sera dit ne sera pas sans influence sur la procédure civile actuellement en cours et pourrait être utilisé contre les intérêts français.

C'est pour ces raisons qu'il paraît opportun de rejeter les deux propositions de résolution au bénéfice, peut être, de la création d'une mission d'information, sur un mode moins solennel, en attendant que la procédure civile soit plus avancée. Cette solution emporterait moins de risques d'interférence.

M. Gilbert Gantier a insisté sur le fait qu'il s'agit d'une affaire complexe qui est au cœur du travail parlementaire de contrôle de la dépense publique. L'idée du dépôt de la proposition de résolution lui est venue quand il a appris que l'État allait devoir verser des sommes importantes, estimées alors entre 750 et 850 millions de dollars. Au vu des informations données par le Rapporteur, l'État est effectivement condamné à payer 100 millions de dollars au titre d'une amende, le reste étant un à-valoir sur une éventuelle responsabilité civile.

Tout citoyen a le droit de savoir où est la cause de ces pénalités et quels en sont les responsables. Le Parlement devra établir dans quelles conditions exactes la responsabilité de l'État a été engagée. Il faudra aussi savoir le montant précis des dommages-intérêts qui devront être versés et sur quel chapitre budgétaire toutes ces sommes seront inscrites.

Certes, une commission d'enquête ne peut travailler sur un sujet déjà couvert par une procédure judiciaire, mais il n'y a pas de lien entre la responsabilité de l'État et les poursuites engagées contre les autres parties en cause, telles que la MAAF ou Altus Finance. La lettre du Garde des sceaux n'établit qu'un lien ténu et partiel entre les affaires citées et l'objet de la proposition de résolution. L'objection est aisée à contourner. S'il est avéré que les dommages civils atteignent 375 millions de dollars, il n'est pas sérieux de prétendre qu'une commission d'enquête n'est pas justifiée, dès lors qu'elle répond à la question du fait générateur. Les pouvoirs d'une mission d'information sont inférieurs à ceux d'une commission d'enquête, notamment au regard de la possibilité de déférer un témoin et de le faire témoigner sous serment. Une commission d'enquête ne s'intéresserait qu'au fait générateur de cette affaire, sans interférer avec la procédure judiciaire américaine, et ne donnerait en aucun cas d'arguments aux États-Unis à l'encontre des intérêts de la France.

S'agissant de la recevabilité au regard des informations judiciaires en cours, M. François Goulard, Rapporteur, a précisé qu'à ce stade du dossier il était reproché aux dirigeants du Crédit Lyonnais une opération de portage en violation de la loi américaine. Or ce portage, c'est-à-dire une dissimulation de la réalité économique, n'est pas formellement établi. Et c'est précisément sur ce point, qui est au cœur du sujet, qu'une procédure judiciaire est en cours devant la justice française. Concernant les autres questions sur l'imputation budgétaire et le montant exact des sanctions, le représentant de la Commission des finances à l'EPFR et le Rapporteur spécial concerné pourront facilement apporter les éléments de réponse, les sommes ayant été provisionnées dans les comptes de l'EPFR.

M. Didier Migaud a indiqué que le fait qu'il s'agissait de dossiers, lourds et sensibles ne devait pas empêcher le Parlement d'en connaître, au contraire. Les parlementaires sont attentifs au respect des intérêts français et aux conséquences sur le budget de l'État. Il aurait été souhaitable, comme M. Gilbert Gantier l'a défendu, de créer une commission d'enquête. Étant donné qu'une interprétation souple des textes peut prévaloir, elle ne serait pas incompatible avec les procédures judiciaires en cours. Il serait néanmoins possible de se rallier au raisonnement d'opportunité de M. François Goulard relatif à la constitution d'une mission d'information, pourvu que son champ recouvre bien les problématiques exprimées. Son travail devrait être guidé par la recherche de l'information des parlementaires et la préservation des intérêts de la France. Certes, les pouvoirs d'une telle mission seraient inférieurs à ceux d'une commission d'enquête, mais le refus d'une personnalité de répondre à une demande d'audition d'une mission d'information ne passerait pas inaperçu. Une telle mission aurait un souci de transparence et de contrôle, sans interférence avec les procédures judiciaires en cours.

M. Alain Madelin a rappelé que le Gouvernement s'était réjoui de l'accord intervenu suite au « plaidé coupable ». Les contribuables français ont moins de raisons de se réjouir : ils payeront !

Il faut établir les responsabilités passées dans la mise en place du CDR, en mettant en évidence leur enchaînement. Sur la recevabilité, en droit, il est possible d'amender la proposition de résolution de M. Gilbert Gantier pour la recentrer sur la responsabilité de l'État, en enlevant donc les 41 autres risques, qui peuvent faire l'objet de procédures judiciaires. La commission d'enquête ne s'intéresserait pas davantage aux affaires de la Société immobilière de Port-Royal, qui est un problème très périphérique. Il s'agit d'établir ce qui s'est passé, plus que de connaître la responsabilité exacte du Crédit Lyonnais. L'affaire pénale est désormais close avec la reconnaissance de la culpabilité et l'amende infligée. Il s'agit maintenant de suivre les conséquences financières en France. Les parlementaires ont un devoir de vérité. Si une mission d'information est bien adaptée à l'évaluation des conséquences des 35 heures, seule une commission d'enquête permettrait d'établir la vérité avec les moyens que constituent le pouvoir de déférer et le témoignage sous serment. Certains propos de M. Jean Peyrelevade ou de M. Bernard Tapie pourraient justifier des déclarations sous serment. Même le premier protagoniste de cette affaire, le patron d'Artemis, a souhaité cette commission d'enquête et le Président de l'Assemblée nationale ne semble pas y être opposé. On se demande alors qui a peur de cette commission d'enquête, sachant qu'il n'y a pas d'obstacle juridique à sa constitution et qu'elle est indispensable, en termes d'opportunité.

M. Jean-Pierre Brard a demandé au Rapporteur de quels « intérêts de la France » il parlait lorsqu'il affirmait que certaines découvertes faites par la commission d'enquête risquaient de les mettre en cause.

M. François Goulard, Rapporteur, a précisé qu'il avait seulement indiqué que, détournés de leur contexte, certaines déclarations ou certains écrits pourraient être utilisés par la justice américaine contre des intérêts publics ou privés français.

M. Jean-Pierre Brard a souligné que, pour lui, les intérêts privés français n'étaient pas nécessairement compatibles avec l'intérêt public. Le parcours de M. Jean-Marie Messier peut en attester. Il s'est réjoui de ce que M. Alain Madelin plaide pour la transparence. M. Gilbert Gantier, dont l'expérience de parlementaire de la Commission des finances est grande, a donné des arguments solides étayant sa volonté d'aller jusqu'au bout de la recherche des responsables. Proposer simplement la création d'une mission d'information témoigne d'une certaine timidité. Qu'est-ce qui peut justifier cette dernière ? S'il y a des choses à cacher, il est du devoir des parlementaires de les découvrir. Les pouvoirs d'une mission d'information sont tels qu'une personne auditionnée peut beaucoup plus facilement pécher par omission qu'elle ne le ferait devant une commission d'enquête.

M. Philippe Auberger a rappelé que la plupart des informations relatives à cette affaire étaient déjà sur la place publique et que le CDR allait être liquidé fin 2004, les affaires dont il a la charge devant alors être gérées par la Caisse des dépôts et consignations. Une commission d'enquête ne possède pas les pouvoirs de l'autorité judiciaire et il n'y a guère de révélation à en attendre. La création d'une commission d'enquête, alors que des informations judiciaires sont en cours en France et à l'étranger, créerait un précédent dangereux dans la mesure où l'autorité judiciaire américaine saisie à la suite d'une délation, est à l'affût de toute information qu'elle pourrait utiliser dans l'instruction de l'affaire devant le juge civil.

M. Alain Madelin a indiqué que ce risque n'existait pas pour ce qui est de la procédure pénale, celle-ci étant close.

M. Philippe Auberger a insisté sur le fait qu'une commission d'enquête n'a pas le pouvoir de confronter des témoins. En créer une serait source de risques sans présenter réellement d'avantages ; une mission d'information n'apporterait probablement pas de révélation supplémentaire. En revanche, le Rapporteur spécial en charge des entreprises publiques pourrait plus opportunément étudier ce dossier.

M. Charles de Courson a lu un passage de l'introduction du rapport de la commission d'enquête sur le Crédit Lyonnais, qui semble exonérer M. Jean-Yves Haberer de toute responsabilité directe dans le scandale financier, ce qui a été retenu par l'opinion publique, alors que telles n'étaient pas les conclusions de la commission d'enquête.

Le second risque évoqué par le Rapporteur, relatif à l'existence d'informations judiciaires en cours, peut être aisément levé par un amendement au dispositif proposé par la résolution de M. Gilbert Gantier. La jurisprudence de l'Assemblée nationale sur la manière de prendre en compte ce critère est assez floue : il existe de nombreux cas dans lesquels des commissions d'enquête ont été constituées, nonobstant l'existence d'informations judiciaires ; d'autre part, l'obstacle juridique peut être levé en excluant du champ d'investigation de la commission d'enquête l'affaire sur laquelle porte l'information judiciaire en cours en France. Le problème soulevé par le Rapporteur en ce qui concerne la prise en compte de procédures en cours devant des juridictions étrangères doit être résolu par la négative, puisque le critère relatif à une information judiciaire en cours repose sur le principe de la séparation des pouvoirs. Il n'a donc pas lieu de s'appliquer lorsque des informations judiciaires sont en cours à l'étranger. Dans le cadre d'une commission d'enquête, les personnes auditionnées prêtent serment et, si elles mentent, la justice peut être saisie, comme cela a été le cas à la suite de la commission d'enquête sur « Air Lib ». Il est important de montrer aux citoyens que les parlementaires recherchent la vérité.

M. Michel Bouvard a signalé que le rachat d'Executive Life avait été évoqué dans le rapport sur le Crédit Lyonnais. L'analyse de M. Philippe Auberger lui semble pertinente. S'il est incontestable qu'il faut rechercher la vérité et sanctionner les responsables, la vraie question doit porter sur les conséquences négatives que pourrait avoir une commission d'enquête, notamment dans quelle mesure elle pourrait conduire à remettre en cause l'autorisation d'exercer aux États-Unis du Crédit Agricole, alors que ce dernier n'a aucune responsabilité dans l'affaire.

M. Marc Laffineur a souligné que tous les membres de la Commission ont intérêt à connaître la vérité, mais que, pour autant, il faut veiller aux risques qui pourraient peser sur le Crédit Agricole, mettant potentiellement en jeu des milliers d'emplois. S'il existe le moindre risque pour les intérêts français, une mission d'information est préférable à une commission d'enquête.

M. Hervé Novelli a souligné que M. Philippe Auberger avait insisté sur le fait qu'une commission d'enquête était plus utile qu'une mission d'information, tout en l'estimant dangereuse. Cependant, le risque supporté par le contribuable est, lui, avéré. Il est donc aberrant qu'au nom du risque d'aggraver la situation, le recours à une commission d'enquête soit jugé délicat. La seule préoccupation pertinente est de connaître les raisons de la situation actuelle, supportée par le contribuable français.

Après avoir souligné que les échanges semblent conforter le recours à la commission d'enquête, M. Didier Migaud a rappelé que cette structure ne doit pas effrayer. Cependant, si le principe même de la commission d'enquête a été écarté par la Conférence des présidents, c'est parce que le groupe majoritaire n'a pas souhaité sa constitution. La commission d'enquête étant refusée par la majorité, une mission d'information doit pouvoir se mettre en place sans délai, car personne ne comprendrait que la Commission des finances ne se préoccupe pas de cette question. Une telle structure n'empêche nullement d'élever le ton face aux personnes convoquées. En outre, elle peut obtenir des pouvoirs d'enquête. Les députés membres d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information sont capables de tenir compte des éléments de contexte et de prendre tout le temps nécessaire afin que la vérité apparaisse. La vérité doit triompher, et elle finit toujours par éclater avec le temps.

M. Charles de Courson a souligné que le risque de perte de la licence d'exploitation du Crédit Agricole et du Crédit Lyonnais aux États-Unis est écarté, puisqu'un accord a été conclu au pénal. Questionné par M. Michel Bouvard, qui s'interrogeait sur l'existence d'un risque similaire au civil, M. Charles de Courson a affirmé que ce risque n'existe pas. En effet, il n'est plus possible de revenir sur cette transaction. La commission d'enquête peut décider que ses travaux sont secrets.

Après avoir estimé que les risques semblent identiques pour une mission d'information ou une commission d'enquête, M. Alain Madelin a indiqué préférer qu'il soit opté pour la seconde, car les personnes convoquées témoignent sous serment. Il s'est ensuite interrogé sur l'attitude qu'aurait la commission des Finances, si aucun risque judiciaire n'existe. Serait-elle, dans ce cas, favorable à une commission d'enquête ? L'objectif des députés n'est pas de savoir si le Crédit Lyonnais a causé un préjudice à des assureurs américains, mais de préciser les conséquences, en France, de la décision de plaider coupable au pénal. Il s'agira donc de montrer pourquoi les conséquences de cette opération, pourtant profitable, incombent finalement au contribuable français. Seule cette vérité « franco-française » doit être recherchée et si elle ne l'était pas, les députés failliraient à leur mission.

Après avoir insisté sur le fait que la défense des intérêts français devait être pris en compte, dès lors qu'il appartient à la justice de sanctionner les comportements délictueux, M. Bernard Carayon a suggéré que la Commission auditionne les principaux acteurs concernés pour connaître leur opinion sur l'éventualité d'un risque lié au contentieux civil.

M. Daniel Garrigue a souligné que cette affaire ne relève pas uniquement du droit français. La difficulté repose sur la qualification juridique des faits par la justice américaine. L'action des parlementaires français risque donc de remettre en cause l'accord récemment obtenu.

En réponse aux différents intervenants, M. François Goulard, Rapporteur, a souligné qu'une commission d'enquête serait souhaitable, si il est avéré qu'il n'existe aucun risque au plan international. Il a donc suggéré que le Rapporteur spécial compétent vérifie, dans les deux mois, l'existence de tels risques.

Après avoir indiqué qu'il était, au début de la réunion, convaincu que la mission d'information était la meilleure réponse au problème posé et que telle avait été la position de la conférence des Présidents, le Président Pierre Méhaignerie a souligné que le débat avait montré que la situation était plus complexe qu'il n'y paraît à première vue. Pour autant, la commission d'enquête voit sa durée limitée à six mois. Afin d'éviter un problème de calendrier, il convient, au préalable, et quelle que soit l'option ensuite retenue, de vérifier l'existence d'un risque judiciaire aux États-Unis. Il est donc souhaitable de consacrer quelques semaines pour que la commission soit éclairée sur ce point.

M. Alain Madelin a réaffirmé que l'unique question à laquelle les parlementaires doivent répondre sera de savoir pourquoi le contribuable allait devoir payer. Il a en outre suggéré le nom de M. Charles de Courson, représentant l'Assemblée nationale à l'EPFR, pour traiter de cette question.

M. Didier Migaud a indiqué qu'il était défavorable à la proposition de report du Président de la Commission, car il serait plus simple de créer dès aujourd'hui une mission d'information susceptible de se voir ensuite dotée de pouvoirs d'enquête.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que l'article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, permettait effectivement de doter une mission de pouvoirs d'enquête.

M. Alain Madelin a souligné l'utilité de la création d'une mission d'information qui permettrait, dans un premier temps, de vérifier l'existence d'un risque civil, puis, dans un deuxième temps, de se transformer en commission d'enquête.

M. Jean-Pierre Brard s'est rallié à la position de Didier Migaud et Alain Madelin, tout en soulignant qu'il convenait d'agir vite.

Le Président Pierre Méhaignerie a proposé que la commission des Finances étudie l'existence d'un risque dans un délai de cinq à six semaines.

M. Pascal Terrasse a rappelé que l'Assemblée ayant prévu de suspendre ses travaux plusieurs semaines au cours du premier semestre, il convenait de raccourcir ce délai.

Le Président Pierre Méhaignerie a indiqué que cette question serait tranchée rapidement après la suspension du mois de février et que, dans ce délai, il informerait la Conférence des Présidents.

La proposition du Président Pierre Méhaignerie a alors été adoptée par la Commission.

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