COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 51

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 4 mai 2004
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président
puis de M.  Michel Bouvard, Vice-président,
puis de M.  Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie et de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au Budget et à la réforme budgétaire.

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La commission des Finances a procédé à l'audition de M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, et de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au Budget et à la réforme budgétaire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, a tout d'abord indiqué qu'il était heureux de pouvoir s'exprimer devant la Commission des finances, quatre semaines après avoir pris ses fonctions.

La situation économique n'est pas simple, mais la France connaît des signes encourageants de reprise économique.

En 2003, la croissance, en volume, de notre économie a été de 0,5 %, soit plus que la moyenne de la zone euro (0,4 %). Pour 2004, la prévision de croissance, selon le consensus des prévisionnistes, est de l'ordre de l,7 %, peut-être même 1,8 %. La croissance est donc plus solide qu'auparavant. Pourtant, la situation de notre économie n'est pas aussi bonne qu'il serait souhaitable. La croissance mondiale devrait s'élever, en moyenne à 4,6 %, à 4,6 % aux États-unis, à 3,4 % au Japon et à plus de 3 % au Royaume-Uni. De même, le commerce mondial devrait augmenter de 7 %, même si les situations de l'Allemagne et de l'Italie restent inquiétantes. Notre taux de chômage est stable, à 9,8 %, soit un niveau élevé.

Cette situation s'explique par trois raisons essentielles.

Notre commerce extérieur connaît de mauvaises performances : les exportations ont reculé de 2,5 %, en volume au cours de l'année 2003. Si l'appréciation de l'euro permet d'expliquer partiellement cette situation, il faut aussi souligner que nos exportations ne sont pas suffisamment orientées vers les pays qui tirent la croissance mondiale.

Outre les retraites, de nombreuses réformes structurelles restent à accomplir. Avec la loi relative à la réduction du temps de travail, la France est le seul pays au monde qui s'est donné lui-même une telle contrainte, qui bride ainsi son offre. Les ministres des finances du FMI sont dubitatifs devant cette particularité française qui coûte 10 milliards d'euros cette année et environ 16 milliards d'euros en 2006. Les dépenses d'assurance maladie ont progressé de 6,7 % en 2003. En quatre ans, le déficit annuel du régime a augmenté de 600 %. Ne pas aborder ces problèmes, c'est conduire la politique de l'autruche. Nous observons un effet de ciseau entre le temps de travail, qui diminue, et les charges publiques, qui progressent.

Le taux d'épargne est de 15,8 % du revenu disponible. Malgré une baisse d'un point en un an, il demeure très supérieur à celui de certains de nos partenaires : il n'est que de 10,8 % en Espagne et de 4,8 % au Royaume-Uni. Même si la comparaison de ces chiffres doit s'effectuer avec prudence, l'écart demeure important. Si les Français épargnent beaucoup plus que les citoyens des pays voisins, c'est parce qu'il n'ont pas confiance en l'avenir, du fait de la persistance d'un taux de chômage élevé et de l'ampleur des déficits. Il s'agit donc d'une épargne de précaution.

Le poids actuel de la dette s'explique par le fait que, depuis 23 ans, les projets de loi de finances ont été systématiquement présentés au Parlement en déficit. Ce phénomène s'est récemment amplifié, car la croissance n'a atteint que 1,2 % en 2002 et 0,5 % en 2003.

Pour lutter contre ces faiblesses et ces rigidités, trois actions prioritaires doivent être menées : redresser les finances publiques pour rétablir la confiance, soutenir l'activité, et donc la demande, dans un contexte budgétaire contraint, et mener une politique industrielle vigoureuse.

Certains économistes affirment que quand la conjoncture est médiocre, il faut creuser le déficit et la dette pour stimuler la croissance. Des économistes comme Jean-Paul Fitoussi ou Nicolas Baverez n'ont pas tort quand ils affirment que la dépense publique peut soutenir la croissance. Le problème, c'est la faiblesse des marges de manœuvre, aujourd'hui, qui oblige à une plus grande sélectivité. Nous ne pouvons pas continuer à creuser nos déficits. Le seul paiement des intérêts de la dette de l'État représentera en 2004 une somme de près de 40 milliards d'euros, c'est-à-dire quatre fois et demi nos dépenses d'investissement civil et davantage que l'ensemble des crédits consacrés aux politiques de l'emploi.

La stratégie du Gouvernement consiste à se doter de règles de comportement budgétaire pluriannuelles. Dans notre pays suradministré, les dépenses de l'État ne doivent pas augmenter en volume. Puisque les rémunérations représentent 40 % du budget et que les charges de la dette sont lourdes, les efforts à accomplir sur les postes budgétaires les plus souples sont importants. En outre, un projet de loi organique sera déposé pour prévoir qu'en cas de recettes supérieures aux prévisions, 50 % au moins de ce surplus devra contribuer à la réduction de la dette. Ainsi nous éviterons les errements du passé, tels que ceux de la «cagnotte», où les suppléments de recettes temporaires ont été dépensés au profit de charges pérennes. Par ailleurs, les mesures fiscales dérogatoires - les « niches » - longuement débattues au moment de leur création pour résoudre une difficulté ponctuelle, doivent toutes avoir une durée de vie limitée à cinq ans, au risque de voir le système fiscal perdre de son efficacité. Ces mesures seront systématiquement évaluées ; celles qui se révéleront injustes ou inadaptées seront supprimées, et les gains obtenus seront transformés en baisse d'impôts. On ne peut baisser les impôts que si l'on procède à une baisse des dépenses.

Les effectifs de la fonction publique ont augmenté de 110.000 personnes entre 1992 et 2002. Les fonctionnaires sont très utiles, mais il faut pouvoir assumer la charge budgétaire qui résulte de leurs traitements. Le ministère des Finances, pour sa part, ne remplacera qu'un départ à la retraite sur deux. Si cette règle avait été mise en place il y a dix ans, nous économiserions 8 milliards d'euros par an, qui réduiraient d'autant le déficit. Mais les situations diffèrent d'un ministère à l'autre : ce seuil de remplacement n'est pas une norme. Pour réussir la réforme administrative, il faut que les gains de productivité, qui sont la concrétisation des efforts de tous, ne profitent pas qu'à quelques uns.

Toute administration qui fait des efforts pour améliorer sa productivité, en ne remplaçant pas tous ses agents partant en retraite ou en procédant à des réformes structurelles, doit pouvoir récompenser ses fonctionnaires. Tout effort en ce sens déclenchera l'ouverture de négociations salariales, au sein du ministère concerné, de manière à assurer une récompense de leurs efforts aux agents concernés. Au ministère des Finances, 5.000 postes seront supprimés d'ici à 2007, du fait de l'informatisation croissante des services. Le comité technique paritaire du ministère des Finances sera réuni en juin afin de discuter d'un plan de qualification et des effets sur le pouvoir d'achat de ses agents. De même, le personnel d'EDF, inquiet du changement de statut, devrait voir son pouvoir d'achat augmenter. La règle est donc simple : les administrations qui se moderniseront verront leurs agents récompensés. Par exemple, au ministère de l'Intérieur, la réforme des corps et des carrières va conduire à une diminution du nombre des officiers, qui devra s'accompagner de mesures catégorielles.

En ce qui concerne la dynamisation de la gestion du patrimoine public, un accord vient d'être conclu avec la Banque de France, en accord avec la Banque centrale européenne, sur la vente de 500 à 600 tonnes d'or, prévue sur cinq ans : la valeur de l'or et la plus-value seront intégrées dans le bilan de la Banque de France. Les dividendes, qui pouvaient être d'environ 100 millions d'euros en 2004 et de 200 millions d'euros à terme, seront reversés au budget de l'État. Le produit des privatisations sera utilisé pour réduire le déficit public.

Aucune amélioration des comptes publics ne sera possible sans la réforme de l'assurance maladie, laquelle doit être rapidement menée et plus profonde que les précédentes, pour ne pas aboutir à une nouvelle réforme à court terme.

Il faut trouver les moyens de soutenir l'activité sans peser sur le contexte budgétaire. Il est très regrettable que l'Europe, si elle est parvenue à construire une monnaie et une banque centrale uniques n'ait, en revanche, aucun gouvernement économique. Dès le budget 2005, il faudrait que des mesures économiques identiques soient prises dans l'ensemble des pays européens et que des politiques fiscales convergentes soient menées. Les États membres pourraient confronter leurs hypothèses de croissance et se mettre d'accord sur des indicateurs communs. En outre, l'évolution de certains postes de dépenses pourrait être la même partout, même si les calendriers budgétaires différents ne facilitent pas ce type d'accords. Plusieurs pays ont déjà témoigné de leur intérêt pour une telle expérience.

Afin de stimuler la consommation, le transfert des richesses entre générations doit être favorisé pendant une année. En effet, les jeunes générations consomment plus que leurs aînés, mais l'allongement de la durée de vie conduit à des héritages de plus en plus tardifs et à une véritable stérilisation du patrimoine : entre le 1er juin 2004 et le 31 mai 2005, tout don d'argent entre parents et enfants, ou entre grands-parents et petits-enfants, sera exonéré de droits, dans la limite de 20.000 euros par enfant et par donateur. La seule condition est que les enfants ou petits-enfants soient majeurs. Le coût de cette mesure sera, en réalité, lissé sur une génération. Ce dispositif s'ajoute à ceux qui existent déjà, à l'instar de la possibilité de donner jusqu'à 46.000 euros sans droits de succession, tous les dix ans. Il est aussi prévu de permettre de déduire des impôts les intérêts des crédits à la consommation, jusqu'à concurrence de 150 euros par an, sur deux années consécutives. Contrairement aux mesures de ce type prises au cours des années précédentes, celles-ci ne seraient pas limitées à certaines acquisitions : automobile, travaux dans la résidence principale... et pourraient donc concerner indistinctement tous les prêts à la consommation, quel que soit leur objet. Les prêts à la consommation représentant 9 millions d'euros par an, ce dispositif devrait permettre de soutenir l'activité et d'accélérer la reprise de la croissance économique.

Les crédits de participation, d'un montant de 5 milliards d'euros, seront débloqués et la question des prix dans la grande distribution sera prochainement abordée.

Afin de favoriser le maintien des commerces existants, il est proposé d'accorder à tout commerçant ou artisan qui cède son activité à un successeur, qui fait le même métier que lui, une franchise de taxation sur la plus-value et de droits de mutation. La partie de ces droits bénéficiant au budget général fera l'objet d'une exonération automatique, tandis que les collectivités locales pourront choisir d'accorder l'exonération sur la part qui leur revient. Ceci évitera la fermeture de commerces, notamment dans les petites villes, et l'impossibilité, trop souvent constatée pour les collectivités locales, de disposer d'un moyen d'action dans ce cas. Cette mesure devrait compenser le niveau de prix moins élevé que les petits commerçants et artisans peuvent investir dans le rachat d'une activité, par rapport au prix proposé par une banque ou une société d'assurances, par exemple.

En matière de politique industrielle, les délocalisations et la désindustrialisation ne sont pas une fatalité. Pour les combattre, aucune subvention publique ne doit être accordée sans que le bénéficiaire de celle-ci s'engage à refuser toute délocalisation. Dans le cadre des appels d'offres publics, l'acheteur doit pouvoir connaître le lieu de fabrication de ce qu'il achète. La délocalisation des services constatée, par exemple, pour des instituts de sondage et pour de nombreux centres téléphoniques, peut aussi être combattue par l'obligation pour leurs salariés d'indiquer à tout client le lieu d'où il appelle. Cette mesure de transparence vis-à-vis des consommateurs devrait limiter la délocalisation des centres d'appel, qui prive la France de 10.000 emplois par an. Les centres de recherche doivent disposer d'un statut fiscal, comme il en existe dans de nombreux autres pays européens. Ce statut pourrait contenir une forfaitisation du montant de l'impôt qui leur sera demandé. La Banque de développement des PME et l'ANVAR seront fusionnées. La SOFARIS sera dotée de moyens plus importants.

Pour conclure, il faut se défier de tout fatalisme : l'étroitesse de la marge de manœuvre budgétaire ne doit pas brider, mais au contraire stimuler et diversifier les initiatives du Gouvernement.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a salué l'énergie et la détermination du ministre des finances, ainsi que la lucidité d'un diagnostic que la Commission des finances partage largement. C'est un cap clair et sans ambiguïté qui est fixé. L'ensemble des mesures présentées est cohérent et permettra un retour de la confiance des ménages et la relance de l'investissement des entreprises. Concernant la coordination des politiques économiques en Europe, la Commission a déjà pris de nombreux contacts avec des parlementaires européens. Il est urgent que les pays de l'Union européenne coordonnent davantage leurs politiques économiques. S'agissant du respect des « règles d'or », notamment en matière d'affectation des surplus budgétaires, la Commission des finances doit approuver les propositions du ministre des finances. Il ne faut pas que se reproduise la situation de 1999, où les surplus de recettes fiscales n'ont pas été utilisés pour réduire le déficit et la dette de l'État mais affectés à des dépenses supplémentaires, comme le financement des 35 heures. Or, le surplus, en fonction de la conjoncture économique, peut disparaître mais la dépense, elle, demeure. Par ailleurs, l'Assemblée travaille actuellement sur la question de l'activation de la gestion immobilière de l'État. M. Alain Marsaud devrait prochainement faire des propositions de réforme dans ce domaine. De plus, s'agissant des niches fiscales, la Commission des finances partage le souci d'évaluation du ministre des finances et a d'ailleurs déjà supprimé certains dispositifs inefficients lors de la loi de finances pour 2004. Enfin, les mesures relatives aux donations devraient permettre de relancer efficacement la consommation.

Concernant l'exécution budgétaire en 2004, c'est en mettant en place des réserves de précaution que l'on peut faire face à des dépenses imprévues. Ainsi, les réserves de précaution constituées en 2003 ont permis de payer les dépenses liées notamment à la canicule et de tenir, à l'euro près, le montant des charges prévu dans la loi de finances. Certains postes budgétaires, tels que les transferts sociaux ou les crédits de personnel, donnent-ils aujourd'hui des signes d'un accroissement des dépenses ? L'augmentation du déficit en 2003 a exclusivement été liée à la baisse des recettes ; quelles sont les premières évaluations des recettes fiscales pour le 1er semestre 2004 ? S'agissant de la réforme de la taxe professionnelle, la commission présidée par M. Fouquet tarde à rendre ses conclusions, ce qui crée un climat d'incertitude pour les entreprises. Quelles sont les perspectives de réforme dans ce domaine ? Enfin, s'agissant de la réforme de la redevance audiovisuelle, sur laquelle le rapporteur spécial de la Commission des finances, M. Martin-Lalande, a rendu un rapport, quelles sont les perspectives de réforme, dont l'enjeu est l'efficacité de l'État et la lutte contre la fraude ?

M. Didier Migaud a regretté, après avoir écouté le Ministre avec intérêt et attention, le peu de consistance des propositions présentées. Le Ministre s'est livré à une forte condamnation de la politique économique, budgétaire et fiscale menée depuis deux ans, qui place aujourd'hui la France dans une situation qualifiée par lui de « pas simple », ce que l'on doit traduire par « extrêmement difficile ». Le Ministre a porté une critique directe envers le Chef de l'Etat, qui a agi effectivement de façon irresponsable en jugeant à l'époque que notre pays disposait d'une cagnotte et d'un surplus de recettes fiscales alors même qu'il connaissait l'ampleur des déficits. La déclaration du Ministre comporte certes des axes forts, mais ceux-ci relèvent du simple bon sens : il y a lieu de renforcer la politique industrielle, de favoriser l'activité économique et de rétablir la confiance, ce qui confirme que la confiance n'existe pas aujourd'hui, comme l'ont montré les élections régionales.

Cependant, si l'on peut être d'accord avec l'analyse des problèmes développée par le Ministre, M. Didier Migaud s'est dit en désaccord avec les réponses que celui-ci veut apporter. Aussi a-t-il posé les questions suivantes.

Si une croissance de 1,7 ou 1,8% est attendue pour 2004, pourquoi annoncer un plan de régulation ? S'agirait-il alors de financer des engagements en 2004 alors que les financements correspondants n'avaient pas été prévus ? Quelle sera la réforme de la taxe professionnelle ? Le Ministre défendra t-il, auprès des institutions européennes, la baisse de la TVA dans la restauration avec la même énergie que le Premier ministre ? Maintiendra t-il l'engagement du Gouvernement en faveur de la baisse des charges ?

La volonté de supprimer les niches fiscales doit être approuvée. Cependant M. Didier Migaud a constaté que le Ministre n'a fait qu'en proposer de nouvelles, car les mesures concrètes et « spectaculaires » annoncées constituent, en réalité, des niches fiscales. Ces mesures ne profiteront pas aux Français les plus modestes et ne soutiendront pas la consommation.

En ce qui concerne la décentralisation, quelle définition sera retenue pour les ressources propres des collectivités territoriales ? Comment réagira le Ministre au projet de la Commission européenne aux termes duquel les collectivités locales régionales ne seraient pas autorisées à fixer les taux de la TIPP, notamment pour le gasoil, ce qui aurait pour effet de remettre en cause la teneur du projet de loi de décentralisation ?

La politique de baisse de l'impôt sur le revenu ainsi que des taxes, compensée par une hausse des impôts locaux, s'effectue au détriment de la relance de la consommation et de l'activité économique.

En conclusion, on peut relever un point positif dans l'action du Ministre : le soutien qu'il a apporté à la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances. Il faut que davantage d'expérimentations aient lieu en 2005 et que le Ministre précise le sort qui sera réservé aux propositions émanant de la Commission des finances.

M. Michel Bouvard a considéré que les mesures annoncées par le Ministre sont appropriées et devraient conduire à la redynamisation du tissu économique, et en particulier à la stabilisation du tissu commercial de nombreux centre-villes en France. Pour ce qui est de la mise en œuvre de la loi organique dans la fonction publique, comment le Ministre envisage-t-il le rapport entre les statuts et les métiers, et quel lien sera fait avec l'évolution des rémunérations, dont la loi organique prévoit qu'elles s'orientent vers une prise en compte du mérite ? L'investissement important dans le domaine informatique, qui accompagne la réforme de la loi de finances doit engendrer des économies en termes de personnel. La levée du contrôle budgétaire tel qu'il s'exerce actuellement permettrait une économie de 5000 postes d'agents publics. Le Ministre a émis quelques doutes sur les politiques « contracycliques » liées aux privatisations qui, ne peuvent, en effet, se renouveler chaque année.

M. Michel Bouvard a souhaité que l'intention du Gouvernement de créer un établissement public recueillant les dividendes des sociétés d'autoroutes afin de financer des projets d'infrastructures ne soit pas remise en cause. Par ailleurs, comment éviter que les mesures de gels de crédits qui seront prises cette années ne produisent un « effet de dominos » défavorable, en entraînant l'abandon de projets d'investissements cofinancés par l'Etat et les collectivités locales ? Comment pourrait-on opérer un gel de crédits sélectif et intelligent, évitant de bloquer les investissements ?

La flambée actuelle des tarifs de l'électricité, en particulier du marché du gros a un effet négatif sur notre industrie primaire, ce qui fait peser sur elle des risques de délocalisations. Le Ministre envisage t-il la réforme du marché de gros de l'électricité sur lequel s'exercent aujourd'hui de forts mouvements spéculatifs ?

Enfin, un projet de loi de finances rectificative est-il prévu et quand sera-t-il déposé ?

M. Jean-Claude Sandrier a rappelé que si la France était le seul pays à avoir mis en place les trente-cinq heures, elle avait également été à l'origine, au cours du XXème siècle, d'autres avancées en matière de durée du travail, dont personne n'a lieu de se plaindre aujourd'hui. Il a demandé au Ministre si la réforme de l'assurance maladie s'imposait alors que le redémarrage de l'emploi, en faveur duquel il faut agir, pourrait avoir pour effet d'en équilibrer les comptes.

Le haut niveau de l'épargne s'explique par les incertitudes économiques et par les mesures prises par le Gouvernement en faveur des catégories aisées, qui ont tendance à épargner et non à dépenser. Le nouveau gel de crédits risque de nuire à la relance économique par la consommation.

À côté de la consommation de ménages, il y a lieu de relancer le pouvoir d'achat des bas salaires, par leur augmentation et par l'arrêt des ponctions qui, en outre, pénalisent la consommation. Il faut se féliciter de ce que le Gouvernement prenne enfin en compte le caractère néfaste de la « loi de la jungle » en ce qui concerne les délocalisations : il faudrait aller plus loin, à l'instar du Sénat américain, en refusant les subventions aux entreprises qui délocalisent, mais aussi incluant à la sous-traitance de ces entreprises. Une taxe aux investissements directs à l'étranger, comme une taxe « anti-dumping » social devraient être mises à l'étude. Il a souligné que les privatisations étaient un « fusil à un coup » en ce qui concerne les recettes qu'elles procurent. En revanche, les conséquences en termes d'emploi, de service rendu, de solidarité nationale, elles, s'apprécient dans le temps, c'est pourquoi il faut en tenir compte, y compris sous leur aspect financier.

En réponse aux différentes intervenants, le ministre d'État a apporté les précisions suivantes :

- même si les prévisions de croissance sur lesquelles est bâti le budget pour 2004 semblent devoir être respectées, il existe des risques sur l'exécution de celui-ci. En effet, il est nécessaire de financer un certain nombre de dépenses supplémentaires, telles que les opérations militaires extérieures (OPEX), l'augmentation de certaines prestations sociales ou l'abandon de la réforme de l'allocation spécifique de solidarité (ASS) ;

- l'exonération de taxe professionnelle pour les investissements réalisés entre le 1er janvier 2004 et le 30 juin 2005 sera mise en oeuvre et compensée pour les collectivités territoriales, ce qui constitue une autre dépense supplémentaire affectant l'exécution 2004. La régularisation de cette mesure fera l'objet d'une disposition législative, qui est déjà prête et sera vraisemblablement intégrée dans le prochain projet de loi relatif à la cohésion sociale. Cette disposition devra être votée avant la date limite de dépôt des déclarations de taxe professionnelle faites par les entreprises, soit le 31 décembre 2004 ;

- il n'est pas compréhensible que certains puissent proposer la suppression de la redevance audiovisuelle sans prôner également la disparition du service public : on ne peut être favorable à cette disparition, si le service public est maintenu. Il existe cependant des marges de réforme s'agissant de cette imposition. Des négociations sociales seront engagées, dès le mois de juin, pour examiner l'avenir du service de la redevance et de ses 1.400 agents, pour une réforme qu'il est souhaitable de mettre en œuvre dès l'année prochaine ;

En réponse à M. Didier Migaud qui a jugé les mesures annoncées peu substantielles, le ministre d'État a indiqué que, en raison de sa grande connaissance des dossiers budgétaires, celui-ci ne manquerait sans doute pas de faire des propositions que le Gouvernement examinera avec intérêt. S'agissant du débat sur la « cagnotte », le Président de la République était dans son rôle en révélant l'existence de ces recettes supplémentaires et la responsabilité incombe d'abord à ceux qui ont pris les décisions concernant leur utilisation. Sur le dossier Sanofi-Aventis, la porte était étroite et il a fallu faire preuve de détermination pour l'ouvrir et aboutir à une solution qui a évité à notre pays de se retrouver confronté à deux difficultés industrielles majeures. De même, le Gouvernement aborde le complexe dossier d'Alstom avec la même détermination, car il importe de sauver une entreprise qui emploie 75.000 personnes en Europe et dispose de vrais savoir-faire technologiques.

Puis le ministre d'État a répondu que :

- la baisse de la TVA sur la restauration est un engagement du Président de la République et du Premier ministre qui doit être mis en œuvre. L'accord de l'Allemagne sur cette mesure est acté, et il convient d'obtenir l'accord des autres États membres. La mesure de compensation portant sur les baisses de charges sera mise en œuvre, mais le Gouvernement s'attachera à obtenir en contrepartie des engagements précis de la profession en matière de créations d'emplois. Toute mesure sera liée à ces engagements ;

- la demande d'autorisation du transfert de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) sera adressée à la Commission européenne dans les prochains jours et portera sur les trois quarts de son assiette, puisque le gasoil à usage professionnel en est exclu, à la demande des autorités communautaires. La question de ce transfert est délicate et il est souhaitable qu'une nouvelle audition ait lieu à la Commission des finances spécifiquement sur ce dossier ;

- tous les gouvernements ont eu recours à des mesures de régulation budgétaire. Il faut éviter que les ministères ne fassent porter cette régulation soit sur des dépenses inéluctables soit sur des postes sur lesquels la régulation se heurte à de telles oppositions que l'on soit obligé de reculer. Le ministère des finances examinera donc les choix opérés par les ministères, et se réserve le droit de prendre les décisions si ceux-ci ne le font pas ;

- le projet ACCORD II rencontre des difficultés dont il conviendra de sortir rapidement, peut-être par une mise en œuvre plus progressive ;

- le calendrier de mise en œuvre de la loi organique sur les lois de finances sera respecté. Il est souhaitable d'augmenter le nombre d'expérimentations en 2005. Il convient d'approuver certaines des propositions avancées par la mission d'information de la commission des finances, notamment le regroupement dans une même mission interministérielle des crédits de la police et de ceux de la gendarmerie ;

- en ce qui concerne le soutien à la consommation évoqué par M. Jean-Claude Sandrier, l'augmentation programmée du SMIC (+ 11,4 %) y participe pleinement et il est donc difficile de dire que le Gouvernement mène une politique de rigueur. De même, le lien évoqué entre négociations salariales et réforme de l'État est un discours suffisamment rare dans la bouche d'un ministre des finances pour ne pas être relevé ;

- en ce qui concerne la lutte contre les délocalisations, l'exemple américain met en évidence la propension de ce pays à se présenter comme un adepte résolu du libéralisme et du libre-échange, tout en n'hésitant pas à mettre en place des dispositifs protectionnistes. Il convient d'en finir avec la naïveté française ou européenne en ce domaine. À cet égard, on ne peut que s'étonner de ce que Bruxelles interdise à l'État français de garantir les cautions des clients d'Alstom, alors que le gouvernement canadien le fait, sans état d'âme, pour Bombardier.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné qu'en toute hypothèse il ne fallait qu'aucune des missions ne soit constituée d'un seul programme.

Tout en prenant acte des annonces faites par le ministre d'État en ce qui concerne les personnes âgées, les droits de mutation, le crédit à la consommation ou les petites et moyennes entreprises, M. Pascal Terrasse a exprimé des réserves liées aux silences gardés sur de nombreux points. Une simple question se pose : par quels moyens les baisses de recettes seront-elles compensées ? Aucune explication claire n'a été apportée sur ce point fondamental. En ce qui concerne les réformes de l'assurance maladie, un effort devra certainement être accompli en matière de prélèvements sociaux. Mais il s'agit d'un sujet sensible. Est-il opportun de modifier structurellement l'assiette des cotisations qui pèsent sur le travail ? Qu'en est-il des hausses de CSG qui pénalisent la consommation ? Une réforme de la CRDS qui repousserait les mesures de quelques années aurait inévitablement comme effet de se traduire par l'instauration d'un impôt sur les naissances ! Si la France dispose d'un taux d'épargne parmi les plus élevés au monde, il faut avoir conscience du fait que cette épargne est fondamentalement sanctuarisée. Les mesures annoncées en matière d'épargne risquent donc de n'avoir aucun effet significatif sur la relance de la consommation. Quant aux privatisations, il semble extrêmement risqué de se défaire des « bijoux de famille » ! Une accélération incontrôlée des privatisations serait assurément en contradiction avec les objectifs d'une gestion en « bon père de famille ». Il est particulièrement étonnant de constater qu'une privatisation des sociétés d'autoroute soit à nouveau annoncée, alors même que l'actuel secrétaire d'État au Budget et à la réforme budgétaire a eu encore, très récemment, l'occasion de défendre, en tant que secrétaire d'État aux Transports, des positions différentes en la matière. Quel est donc le sentiment de l'actuel secrétaire d'État sur la question de l'évolution du capital des sociétés d'autoroutes ?

M. Philippe Auberger, tout en saluant la qualité de l'exposé du ministre d'État, s'est étonné de l'absence de mise en perspective des mesures annoncées avec les nécessaires engagements européens de la France en matière de réduction du déficit budgétaire programmés et chiffrés. Le Gouvernement peut-il confirmer les engagements qui ont été pris à l'égard de nos partenaires de l'Union européenne ? Une révision du pacte de stabilité est-elle envisagée ?

M. Daniel Garrigue a salué le volontarisme du ministre d'État, notamment en matière de politique industrielle. Il est tout à fait louable que les mesures proposées se caractérisent par leur simplicité et leur lisibilité, ce qui ne peut avoir que des effets positifs pour rétablir la confiance des Français. Trois questions se posent néanmoins. Le pacte de stabilité sera-t-il réévalué, voire redéfini ? La législation européenne en matière de concurrence apparaît particulièrement ambiguë, dans la mesure notamment où elle empêche la constitution de groupes européens atteignant une taille suffisante pour être capables de se défendre au niveau mondial : les règles du droit de la concurrence peuvent-elles être infléchies ? Enfin, le problème des délocalisations se pose à la fois au sein de l'Union européenne, et à l'échelle mondiale : à quel niveau seront prises les mesures pour lutter contre les effets les plus graves des délocalisations pour les entreprises françaises ?

M. Jean-Yves Cousin s'est réjoui de la volonté du ministre d'État d'introduire une gouvernance économique européenne. Peut-être faudra-t-il envisager un « pacte de croissance » au niveau européen. Il est de plus en plus manifeste que les délocalisations d'entreprises se traduisent par des drames humains et l'on constate depuis deux ans que les effets de délocalisations, en Chine notamment, sont de plus en plus forts. Ne pourrait-on pas, par exemple, envisager une taxe européenne en matière de recyclages des déchets, qui permettrait d'amortir les effets négatifs de l'importation des produits concernés, fabriqués à l'étranger mais dont le retraitement nous incombe ? Cela permettrait également de préserver l'environnement, en reversant, par exemple, le produit de cette taxe à une structure environnementale. Enfin, il faut assigner à l'euro une véritable mission en matière de promotion de l'emploi.

Le Président Pierre Méhaignerie a regretté la brièveté de l'intervention du ministre d'État et a souhaité que la prochaine audition dure au moins deux heures.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au Budget et à la réforme budgétaire, a présenté les excuses du ministre d'État, regrettant la brièveté de son intervention devant la commission des Finances. En ce qui concerne l'Agence de financement des infrastructures de transport (AFIT), il n'y a aucun affrontement entre le ministère des Finances et celui des Transports. Comme il en a été décidé lors du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 18 décembre dernier, les dividendes des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes seront attribués à l'AFIT. L'augmentation de capital de certaines de ces sociétés a, elle aussi, été décidée à l'occasion du CIADT. Il n'y a donc aucune incompatibilité entre les deux mesures. L'AFIT devrait être constituée le 1er janvier 2005.

Le Président Pierre Méhaignerie a souhaité connaître l'état d'avancement de la mise en place des mesures relatives au partenariat public-privé (PPP).

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au Budget et à la réforme budgétaire, a indiqué que s'il s'agit d'une très bonne question, la nécessité de financements complémentaires pour les projets d'infrastructure apparaît de plus en plus évidente, comme le montre l'exemple de la liaison Lyon-Turin où les partenariats pourraient atteindre jusqu'à 30 % du financement total. Il est donc nécessaire qu'un texte soit publié sur une question aussi importante. Les mesures annoncées en matière de droits de succession ne devraient pas avoir de coût pour les finances publiques, mais pourraient se traduire par un effet immédiat sur la consommation. Quant à la réforme de l'assurance maladie, la mission parlementaire s'est réunie ce matin à l'Assemblée nationale et c'est au ministre de la Santé et de la protection sociale d'annoncer les mesures envisagées par le Gouvernement. Le débat est complexe. Faut-il davantage responsabiliser le patient ? On ne peut pas sous-estimer les inconvénients de la CSG, notamment en termes de diminution du pouvoir d'achat, même si cet impôt possède des avantages évidents. Le Gouvernement n'entend pas mettre en place un nouveau et éphémère plan de réforme, ni adopter les mêmes méthodes que celles qui ont conduit à creuser le trou de la sécurité sociale. En ce qui concerne les privatisations, l'idée du Gouvernement n'est pas de brader les « bijoux de famille », mais il ne paraît pas illégitime de tirer profit d'investissements réalisés par le passé pour continuer à investir dans l'avenir. À titre d'exemple, la privatisation d'Air France paraît être une mesure d'autant plus appropriée qu'il n'y a pas de légitimité à ce que l'État soit propriétaire d'une entreprise qui, grâce à l'ouverture de son capital, a pu bénéficié d'un rapprochement stratégique avec KLM. D'ailleurs, ce qui bloque la compagnie Alitalia dans son développement, c'est précisément son statut public.

M. Pascal Terrasse a souhaité savoir si les Autoroutes du Sud de la France (ASF) sont concernées par de prochaines évolutions capitalistiques.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au Budget et à la réforme budgétaire, a indiqué que leur privatisation n'était pas d'actualité. Quant aux engagements européens de la France, il est essentiel de les ménager, de la même manière que la réforme de l'assurance maladie devra impérativement être entreprise. Les pistes de réforme résident soit dans la suppression des avantages fiscaux, soit dans un effort accru de maîtrise des dépenses. Ces réformes, nécessaires, sont à mettre en place en liaison avec nos partenaires européens. Enfin, le problème des délocalisations trouvera sa solution dans une initiative commune au niveau de l'Union européenne. Si l'État, les collectivités territoriales et l'Union apportent des aides aux entreprises, l'une des contreparties devrait être l'engagement de ne pas délocaliser. La seule réponse possible en la matière est une réponse européenne.

Le Président Pierre Méhaignerie a précisé que la prochaine audition des ministres serait consacrée aux perspectives économiques du projet de loi de finances pour 2005. M.  Michel Bouvard a demandé si un collectif budgétaire est envisagé.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au Budget et à la réforme budgétaire, a répondu que cette question serait précisée au moment de sa prochaine audition devant la commission des Finances, c'est-à-dire dans la deuxième quinzaine de mai au plus tôt.

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