COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 55

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 2 juin 2004
(Séance de 11 heures)

Présidence de M.  Michel Bouvard, Vice-Président
puis de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

page

- Communication de M. Christian Cabal, Rapporteur spécial de la Recherche et des nouvelles technologies, sur les crédits de la Recherche, et comptes rendus de contrôles sur pièces et sur place

2

La Commission des finances a entendu une communication de M. Christian Cabal, Rapporteur spécial de la Recherche et des nouvelles technologies, sur les crédits de la Recherche, et sur des contrôles sur pièces et sur place.

M. Christian Cabal, rapporteur spécial de la Recherche et des nouvelles technologies, a rappelé que le mécontentement qui s'est exprimé au début de l'année 2004 dans le milieu de la recherche a eu deux causes : les variations de forte amplitude qui ont affecté le budget des organismes de recherche en 2002 et 2003, et la transformation d'emplois titulaires en emplois contractuels, sur laquelle le mouvement de protestation s'est focalisé. Des informations contradictoires ont été véhiculées, tout au long de cette crise, sur la situation budgétaire des établissements publics ainsi que sur la politique de l'emploi qui y est menée, aussi était-il nécessaire que la Commission puisse vérifier les données et en tirer des enseignements pour l'avenir, en particulier en prévision du budget 2005, et du futur projet de loi d'orientation et de programmation.

Une mission d'expertise des données budgétaires des laboratoires publics a été réalisée début 2004 à la demande du gouvernement, donnant lieu à la publication d'un rapport. Afin de préparer cette communication, le Rapporteur a indiqué avoir rencontré le Ministre de la Recherche et des nouvelles technologies, ainsi que son conseiller budgétaire, et avoir recueilli les conclusions du conseiller chargé des crédits de la Recherche à la Cour des Comptes. Enfin, des contrôles sur pièces et sur place ont eu lieu à Bercy, au CNRS et à l'INRA.

Il ressort tant de ces entretiens que des nombreuses conférences et publications récemment consacrées à la politique de la recherche en France que les difficultés actuelles ne se résument pas à une simple question de moyens. La réforme du système s'impose, et les États généraux qui vont se dérouler jusqu'à la fin de l'année, comme le Parlement lors de la discussion du projet de loi d'orientation et de programmation, auront à en définir le contenu.

Au cours des années 1998 à 2001, les laboratoires ont bénéficié d'une progression régulière de leurs soutiens de base, progression de 26,5 % au total. En outre, depuis 1999, les laboratoires ont profité de la croissance des crédits d'incitation du Fonds national de la science (FNS). Sur une période plus longue, allant de 1990 à 2003, les crédits de paiement globaux pour l'ensemble des établissements publics scientifiques et technologiques (EPST) ont progressé de 46,1 %. Cette croissance s'explique surtout par les dépenses de personnel, car les crédits de soutien de base aux laboratoires et d'équipement n'ont quant à eux augmenté que de 10,2 %, c'est d'ailleurs pourquoi la loi de finances pour 2004 tend à combler le retard en augmentant ce poste de 13 %. La subvention à la recherche universitaire a cru de 46 % pour la même période, finançant le traitement des enseignants chercheurs, ce qui explique que les universités n'ont que peu participé au mouvement des chercheurs.

Cette période d'abondance de crédits n'a cependant pas permis aux mandatements de suivre le rythme des engagements, ce qui a conduit à la formation de reports de crédits qui ont atteint un point culminant fin 2001. Les réserves sont ainsi passées de 232 millions d'euros en 1997 à 675 millions d'euros en 2001. Le fonds de roulement brut des établissements a atteint 816 millions d'euros fin 2001.

Face à la conjoncture budgétaire difficile, le Ministère des Finances a voulu faire appel aux réserves non consommées et réduire le niveau des fonds de roulement, excessif et inhabituel. Les nouveaux crédits devaient être calibrés sur les dépenses réelles des laboratoires plutôt que sur leurs demandes, afin de les inciter à utiliser les moyens disponibles non encore utilisés.

Cette volonté de faire diminuer les réserves a donné lieu à une appréciation de leur nature et de leur rôle. Celles-ci peuvent s'analyser en deux catégories. D'une part, des réserves « légitimes » qui correspondent à une utilisation différée des crédits : c'est le cas, par exemple, de laboratoires qui ont reçu la subvention d'État mais attendent l'accord d'autres partenaires (régions, Europe, partenaires privés) avant d'engager une opération. D'autre part, certaines réserves ne correspondant pas ou plus à des projets, sont conservées pour le cas d'une variation de la dotation. Ce sont ces dernières réserves, qui proviennent d'AP sans cesse reportées à l'année suivante, et qui restent dans les caisses de l'établissement, même en l'absence de dépense prévue, que la régulation de 2002 devait atteindre.

En 2002, l'exécution des crédits a comporté une annulation d'AP et de CP (respectivement de 108 millions d'euros et 100 millions d'euros), un abattement de la loi de finances initiale et le gel de reports considérables constatés en fin d'année (322 millions d'euros). En 2003, l'exécution a comporté trois annulations de crédits (14 mars, 3 octobre, et par la loi de finances rectificative du 30 décembre). Au total, il s'agit de 217 millions d'euros en AP, soit 9,2 % des AP inscrites en loi de finances initiale et 159 millions d'euros en CP, soit 2,6 % des crédits inscrits en loi de finances initiale. On peut considérer que ces AP étaient anormalement gonflées par rapport aux besoins.

Ces chiffres concernent l'ensemble du ministère. On notera cependant que la régulation a porté surtout sur le titre VI, c'est-à-dire les projets de recherche des organismes et les fonds incitatifs ministériels.

En ce qui concerne les EPST, si l'on ajoute les CP annulés et les abattements de la loi de finances initiale, c'est environ 370 millions d'euros qui ont manqué à la trésorerie des établissements sur les deux années. L'effondrement des crédits de paiement (-250 millions d'euros) a donc porté sur le tiers de leur potentiel, qui s'élève à environ 760 millions d'euros, hors masse salariale.

La régulation de 2002 a été efficace, car le fonds de roulement des EPST est retombé à la fin 2003 à un niveau légèrement supérieur à celui de 1997 : 416 millions d'euros et les reports de crédits se limitent à 285 millions d'euros. Cette régulation n'aurait pu être que la restitution d'un trop plein non consommé si, entre temps, les mandatements des établissements ne s'étaient accélérés. En effet, le Ministère de la Recherche, au vu de l'importance des reports, avait engagé les directeurs d'établissement à accélérer les dépenses ; les procédures d'appels d'offre ont d'ailleurs été simplifiées à cette époque, après avoir été longtemps critiquées en raison de leur lourdeur. La progression globale de dépenses des établissements a été de 14 % pendant les années 2000 à 2002, mais de 40 % pour si l'on considère les dépenses de fonctionnement. Depuis, le niveau des dépenses est resté élevé, et le Ministère du Budget enjoint les directeurs d'établissement à les limiter aux CP disponibles.

La régulation a donc produit un effet de ciseau très dommageable : fin 2003, les EPST ont vu leur taux de couverture des AP par les CP tomber à 67 % en 2002 et 79 % en 2003, ce qui a suscité de fortes craintes pour la gestion immédiate des laboratoires. Les crédits disponibles étant en priorité destinés aux salaires, il restait peu pour faire face aux opérations engagées.

Certains établissements ont subi la régulation de façon plus brutale que d'autres. Au CNRS, la différence entre les dépenses mandatées et les CP versés s'est élevée à 200 millions en 2002. L'INRA s'est aussi trouvé dans une situation difficile, et sa trésorerie correspond actuellement à 30 jours de fonctionnement seulement, alors que les organismes étaient habitués à disposer de trois mois de trésorerie environ. Les effets de la régulation ont été ressentis à l'INSERM, où a été mis en place au même moment un système de classement des laboratoires en trois catégories plus ou moins performantes, classement duquel dépend l'attribution des crédits par laboratoire.

Afin de ne pas voir leur trésorerie affectée, les directeurs des EPST concernés ont d'eux-mêmes mis en réserve des AP, puisqu'ils ne disposaient plus des CP correspondants, ce qui préfigure la future gestion en CP qui s'imposera dans le cadre de la loi organique, mais a suscité les protestations des laboratoires les plus touchés par la baisse de la notification de crédits.

Un premier dégel de crédits est intervenu en mai 2003, portant sur 197 millions d'euros d'AP et 72 millions d'euros de CP. A la fin de l'année 2003, le gouvernement s'est engagé à verser en 2004 les reports de crédits gelés depuis la fin 2002, soit 230 millions d'euros (CP), dont 17 millions iront au CNRS. Deux tiers de ce montant ont déjà été versés, un tiers restant à verser.

L'effort de régulation a beaucoup porté sur les fonds incitatifs, qui ont subi une annulation de 214 millions d'euros en AP et 95 millions d'euros en CP sur les deux années, ce qui représente environ le quart des crédits de paiement prévus initialement. L'orientation politique et la volonté parlementaire de favoriser les financements sur projets et les priorités thématiques a donc été particulièrement mal respectée dans ce domaine.

Pour ce qui concerne l'exécution en 2004, le dégel de crédits devrait permettre un fonctionnement normal des établissements. La loi de finances initiale a prévu une faible progression des crédits de la recherche pour 2004, de moins de 2 %, soit une hausse de 0,9 % pour le BCRD et de 1,8 % pour la Recherche. Cependant, si la hausse est faible par rapport à la loi de finances initiale pour 2003, elle sera conséquente si l'on rapporte les crédits qui seront exécutés en 2004 aux crédits exécutés en 2003. En effet, les crédits 2004 ne seront pas touchés par de nouvelles régulations, selon l'engagement pris par le Premier ministre, et la situation des établissements devrait donc être plus favorable.

La régulation a eu le mérite de clarifier la situation budgétaire des organismes. Les dotations pour 2004 ont été ajustées sur les prévisions de dépenses effectives, et les laboratoires devraient recevoir des crédits suffisants en 2004. Les marges de régulation sont à présent résorbées.

La préparation du budget 2005 des EPST verra apparaître un problème, lié au passage, prévu par la loi organique, d'un régime d'AP différents de CP à un régime de CP seulement, dès 2006. Il y aura lieu de prévoir un rattrapage des crédits de paiement dans la loi de finances pour 2005 pour honorer les engagements anciens.

Les effectifs de la recherche scientifique française seraient de 66.481 personnes en 2002. Le nombre des enseignants chercheurs a augmenté de 12 % entre 1996 et 2002, celui des chercheurs de 2,5 %. L'ensemble des neuf EPST compte 44.100 emplois budgétaires. Si ces emplois diminuent légèrement, de 300 unités entre la loi de finances pour 2001 et la loi de finances pour 2004, certains effectifs réels ont, en fait, augmenté. Le Ministère de la recherche a en effet demandé qu'il soit pourvu à environ 1.500 emplois traditionnellement non occupés. Au total, les effectifs présents dans le secteur de la recherche ont augmenté au cours des dix dernières années.

Le gouvernement a annoncé diverses mesures pour dénouer la crise. A part le dégel de crédits et leur sanctuarisation pour 2004, des mesures concerneront l'emploi scientifique :

- le rétablissement des 550 postes statutaires transformés en postes contractuels par la loi de finances pour 2004. De plus, le Ministère de la recherche maintiendra 220 à 230 contrats temporaires sur les 550 ouverts par cette dernière loi et qui s'ajouteront donc aux précédents ;

- la création de mille emplois dans les universités ;

- l'effort en faveur des jeunes chercheurs, pour lesquels 300 nouvelles allocations de recherche seront attribuées en 2004, la création de 300 nouvelles bourses pour les doctorants et 200 contrats supplémentaires pour les post-doctorants.

L'ensemble de ces mesures s'inscrit dans l'objectif quantitatif de porter l'effort de recherche national à 3 % du PIB en 2010. Pour progresser vers cet objectif, le Premier ministre a annoncé qu'un milliard d'euros supplémentaire serait consacré à la recherche chaque année, pour les trois prochaines années. Ces trois milliards seront répartis entre crédits budgétaires, ressources extrabudgétaires et incitations fiscales.

La réponse du gouvernement aux inquiétudes des chercheurs a donc été très significative, si l'on considère que les AP gelées par les directeurs des laboratoires publics s'élevaient à une cinquantaine de millions d'euros en 2003. Il aurait donc fallu s'en tenir à la régulation de 2002 pour, peut-être, éviter la crise.

Atteindre l'objectif quantitatif ainsi prévu supposerait de consacrer des moyens beaucoup plus considérables qu'aujourd'hui à la recherche, d'ici 2010. Mobiliser les entreprises et le secteur privé en général suppose de trouver de nouvelles solutions attractives, au-delà du crédit d'impôt recherche réformé et des fondations à caractère scientifique, dont il faudra dresser le bilan dans quelques mois. Alors que l'on veut inciter les entreprises à consacrer davantage de moyens à la recherche, les grands groupes industriels français diminuent leur effort, ce qui est inquiétant.

Un problème se posera par ailleurs pour l'examen du BCRD pour 2005 : il serait souhaitable que celui-ci prenne en compte les débats des États généraux, et s'inscrive dans la logique de la loi de programmation.

Plusieurs pistes destinées à favoriser davantage le financement privé de la recherche sont en outre à l'étude : la réforme des contrats d'assurance vie afin qu'un faible pourcentage de la collecte de l'assurance vie soit placé en investissements dans des entreprises se consacrant à l'innovation, le recours à une partie des recettes de privatisation, un emprunt à la BEI, un prélèvement sur le fonds de la formation permanente, ou un financement provenant de la vente d'une partie des réserves d'or de la Banque de France.

Le Président Pierre Méhaignerie a indiqué qu'au-delà de l'importance des masses budgétaires en jeu, ce qui frappe c'est l'extrême complexité du dispositif institutionnel français et, selon le vieil adage, « on ne peut aimer ce qu'on ne comprend pas ». Ainsi la multiplication des « arrosoirs » potentiels empêche toute lecture claire du dispositif de recherche et un vrai travail de réflexion sur l'organisation et la gestion de ce dispositif doit être impérativement entamé, afin d'aller vers plus de simplicité.

M. Michel Bouvard a exprimé trois réflexions. D'abord le rapporteur spécial a fait un travail de contrôle remarquable, qui prouve que l'autorisation parlementaire n'a pas été respectée ces dernières années, en particulier s'agissant des fonds incitatifs et ce, alors que la volonté du Parlement avait été forte et claire. Il conviendra donc d'être particulièrement attentif à ce que dans le cadre de la loi organique les objectifs fixés par le Parlement soient respectés. On constate par ailleurs un décalage important entre les autorisations de crédits et leur consommation effective : on aboutit ainsi à des reports considérables. Au-delà des difficultés liées à la régulation, le problème structurel est celui d'une consommation des crédits insuffisante, et il est donc indispensable de modifier complètement les pratiques de consommation des crédits, en particulier dans la perspective de mise en œuvre de la loi organique qui supprimera les reports de crédits. On constate enfin la multiplicité des acteurs impliqués dans le dispositif de recherche français. À ce propos on peut s'interroger sur la vocation des futures fondations : seront-elles seulement des sas de financement ou géreront-elles également des personnels ? Dans ce dernier cas, comment ces personnels seront-ils intégrés aux plafonds d'autorisations d'emplois ?

Au total, on constate que le Ministère de la recherche n'est pas géré par les ministres eux-mêmes en raison de la multiplicité des structures et établissements qui en dépendent.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a d'abord remercié le rapporteur spécial d'avoir ainsi démêlé l'écheveau des crédits de la recherche. Le ministère est manifestement incapable d'avoir une bonne connaissance de ses crédits et surtout de ceux qui sont délégués aux organismes. Il s'est ainsi laissé imposer par le Ministère des finances des mesures de gel portant sur des montants colossaux, fondées sur des fonds de roulement eux-mêmes très importants. Il a ignoré l'accélération des mandatements, ce qui a placé les gestionnaires dans des situations financières particulièrement difficiles. La gestion politico-budgétaire du côté de la Recherche a donc été déficiente face aux décisions du Ministère des finances qui a imposé sa politique.

Le principal problème se situe en fait au sein des établissements publics eux-mêmes pour la gestion desquels il est indispensable que les futures assises de la recherche et la loi de programmation mettent en place des principes clairs et des modalités de suivi précises. Outre la question des gels des crédits, le cœur de la difficulté est la transformation de postes de titulaires en contractuels. Or il est manifestement impossible d'être chercheur fonctionnaire à vie, ce qui constitue d'ailleurs une spécificité française.

Enfin, la baisse de l'effort de recherche privée est particulièrement inquiétante. Le crédit d'impôt recherche a été très sensiblement amélioré dans le projet de loi de finances pour 2004, mais si les entreprises diminuent leur effort ou transfèrent leur recherche à l'étranger, notre retard s'accroîtra à nouveau.

M. Daniel Garrigue a souligné le très grand intérêt du rapport, la complexité qui y est décrite lui rappelant certains autres ministères comme celui de la défense. En fait, les niveaux des autorisations ont été déterminés en fonction des crédits de paiement, ce qui est un renversement du système. Le débat s'est focalisé ces derniers mois sur la distinction emplois contractuels/titulaires, or le vrai problème est la nécessaire dualité entre le financement des structures de base et le financement des projets, dualité aujourd'hui absente en France. Une partie de projets doit émaner des chercheurs eux-mêmes. Il est par ailleurs nécessaire de mieux aménager la carrière des chercheurs et, à cette enseigne, le statut d'enseignant-chercheur pourrait être un élément de souplesse pour la gestion de ces carrières. Enfin, s'agissant du problème de la recherche privée, il faut souligner que celle-ci ne peut être stimulée que par le marché ou par des aides publiques : aux États-Unis, pays où le niveau de la recherche privée est le plus élevé, la part de financement public dans cette recherche est également particulièrement importante.

M. Louis Giscard d'Estaing a demandé s'il était possible d'avoir connaissance de la situation réelle des emplois au CNRS et à l'INRA, ce qui suppose notamment de connaître les effectifs à l'unité près. Par ailleurs, l'examen de l'exécution des contrats de plan État-région montre que le CNRS ne connaît pas l'existence des régions administratives. Il est regrettable de ne pas pouvoir obtenir une ventilation par région des crédits affectés au CNRS.

M. Thierry Carcenac a souligné l'intérêt de distinguer les crédits affectés à la masse salariale de ceux consacrés aux investissements. S'agissant de l'objectif de 3 % du PIB, on escompte beaucoup d'un effort du secteur privé dont le niveau est actuellement de l'ordre de 1,2  % du PIB. Mais il faut également connaître les priorités assignées aux établissements, et plus précisément, aux laboratoires. Enfin, il conviendrait d'avoir une plus grande lisibilité sur le dispositif en faveur des jeunes chercheurs.

M. Pierre Hériaud a indiqué qu'il serait opportun de connaître la décomposition des objectifs fixés à la recherche privée. Il faudrait également distinguer les investissements et leurs amortissements des masses salariales, afin de déterminer les coûts opérationnels sur lesquels des gains de productivité pourraient être trouvés. Pour atteindre l'objectif de 2 % fixé à l'horizon 2010, le secteur privé devrait porter sa contribution de 35 à au moins 50 milliards d'euros. L'effort demandé aux entreprises est-il compatible avec leur stratégie ? L'État mène-t-il à leur égard une politique suffisamment incitative ?

M. Jean-Michel Fourgous a souligné le fait que les États-Unis avaient leur propre stratégie en matière de R&D, qui consiste à investir massivement dans certains secteurs afin de ne pouvoir être rattrapé par d'autres pays. Qu'en est-il en France ? Serait-il possible de disposer, s'agissant de la masse budgétaire consacrée à la recherche, de comparaisons sur une période de 10 ans entre les pays européens ? Dans quel cadre interviennent les fonds de formation professionnelle ? Dans la perspective de la réflexion sur le renforcement des pouvoirs de contrôle du Parlement, quels enseignements le Rapporteur spécial tire-t-il des contrôles qu'il vient de mener ? Comment est-il possible de les améliorer ?

M. Jean-Pierre Gorges a regretté qu'on n'associe jamais aux masses budgétaires engagées les résultats et produits qui en découlent. Il est nécessaire de trouver les moyens de mesurer de la façon la plus pertinente possible l'efficacité de la recherche. Est-il possible de savoir comment les moyens accordés ont été utilisés ?

En réponse à ces questions, M. Christian Cabal, Rapporteur spécial, a répondu que son travail ne consistait pas en une étude critique exhaustive de l'affectation des crédits consacrés à la recherche, ce qui est l'objet du rapport spécial, mais en un examen des moyens mis à la disposition des équipes de recherche sur la période 2002-2004.

Les fonds incitatifs ont été les plus touchés par les mesures de restriction budgétaire parce qu'il était impossible de réduire les dotations des établissements publics de recherche, composées en grande partie de salaires. Les parlementaires n'ont malheureusement jamais été consultés sur cette question.

Il convient de souligner que l'objectif de Bercy quant à la régulation a été atteint dans la mesure où les 800 millions d'euros ont été résorbés aux deux tiers. La réaction des chercheurs a été forte car ils ont eu l'impression que les mesures de régulation étaient prises de manière brutale. Trois organismes ont été fortement touchés : le CNRS, l'INRA et l'INSERM. Toutefois, il faut souligner que ce sont les établissements qui ont décidé quels laboratoires seraient concernés par les baisses de crédits. Compte tenu de l'importance des rémunérations dans les crédits destinés à certains domaines de recherche comme les sciences humaines, les diminutions de dotations ont automatiquement des effets sur les emplois. Une fois les crédits distribués, le ministère de la Recherche éprouve de grandes difficultés à suivre et orienter les choix des établissements publics à caractère scientifique et technologique. Ce constat est encore plus vrai dans le cas des établissements publics à caractère industriel et commercial. S'agissant par exemple de la canicule, sur les 600 à 700 projets de recherche portant sur la climatologie, une seule équipe travaille sur les effets des variations thermiques sur les populations humaines. Les orientations fixées par le ministère ne sont pas toujours suivies par les laboratoires. On constate en cela une faillite ou au moins une insuffisance du ministère à définir les priorités et à les faire appliquer.

S'agissant du développement des emplois contractuels, une erreur avait été commise lors de l'annonce de leur augmentation, dans la mesure où le niveau de rémunération retenu était celui d'un jeune chercheur débutant, ce qui ne permettait pas d'attirer des chercheurs travaillant à l'étranger. Le tir a été rectifié, puisque c'est désormais un niveau moyen de rémunération qui est proposé. Les emplois dans le secteur de la recherche devront se répartir entre statutaires et contractuels. Il est nécessaire de pouvoir disposer d'une souplesse dans la gestion des chercheurs, ce qui explique d'ailleurs que les chiffres relatifs aux effectifs présentés aujourd'hui ne concordent pas tous. Il est en effet impossible de connaître le nombre exact de chercheurs dans les laboratoires compte tenu de la diversité des situations (allocataires, conventions CIFRE, libéralités, etc.). La spécificité du secteur fait que seule une minorité de jeunes chercheurs est inscrite sur des emplois budgétaires.

Pour le suivi des contrats de plan État-région, il est regrettable que le découpage retenu par le CNRS ne corresponde pas à l'échelon régional.

S'agissant des personnels, dans le cadre de la préparation des prochains États généraux de la recherche, les équipes de chercheurs se sont montrées disposées à ce qu'une partie de leurs emplois ne soient pas pourvus par des personnels statutaires. Cette évolution est appropriée dans la mesure où, d'une part, aucune diminution d'emplois budgétaires n'est prévue en 2003 ni en 2004, et où, d'autre part, la gestion des mises à disposition est facilitée, si l'on maintient une gestion prévisionnelle des effectifs. Celle-ci a été mise en place de façon satisfaisante par M. Roger-Gérard Schwartzenberg. La situation de crise, sur ce point, est donc derrière nous.

La politique de recherche menée actuellement aux États-Unis poursuit la même logique que celle de l'administration précédente, à savoir une « stratégie de dominance ». Par exemple les crédits du NIOSH (National Institute for Occupational Safety and Health), dans le domaine de la santé, se montent à 40 milliards de dollars ; ils ont donc triplé en 5 ans. Par rapport à la France, les moyens américains représentent un facteur 10 en recherche civile et un facteur 50 en recherche militaire. Il s'agit d'une volonté politique clairement assumée. Le financement est essentiellement public, sous forme de subventions budgétaires ou de crédits d'impôts. Mais la caractéristique majeure de ce système est qu'il repose sur le creusement d'un déficit financé par le reste du monde, via l'émission de bons du Trésor. Tenue par ses obligations communautaires, la France ne peut pas avoir recours aux mêmes techniques. Dès lors, l'hypothèse selon laquelle les dépenses de recherche ne seraient pas prises en compte pour le calcul du déficit des administrations publiques au sens du pacte de stabilité et de croissance prend tout son intérêt.

Le ministre a, en effet, évoqué, parmi d'autres pistes, la possibilité d'une ponction limitée des crédits de formation professionnelle pour financer la recherche.

Le bilan de la réforme du crédit d'impôt recherche ne pourra être connu qu'en 2005, mais une chose est d'ores et déjà certaine : les entreprises françaises, et les PMI en particulier, se montrent très prudentes dans l'utilisation de ce dispositif, à cause des contrôles approfondis qu'il entraîne systématiquement de la part des services fiscaux. Le ministère des finances réfléchit actuellement, avec le ministère de la recherche, au moyen d'alléger ces contraintes administratives. Les fondations constituent indéniablement un outil intéressant de financement de la recherche, encore insuffisamment développé : les crédits inscrits en loi de finances ne représentent que 150 millions d'euros, alors qu'on pourrait espérait un volume global de l'ordre du milliard d'euros. Le cadre législatif régissant l'activité des fondations, fixé par la loi relative au mécénat, paraît peu adapté aux spécificités de la recherche, puisqu'il prévoit que les résultats d'une recherche conduite dans ce cadre tombent automatiquement dans le domaine public. Le ministère délégué au Budget travaille à la mise en place d'outils plus incitatifs au dépôt de brevets par les fondations.

En conclusion, le Président Pierre Méhaignerie a souligné la complexité et l'absence de lisibilité du financement public de la recherche qui constituent autant de facteurs d'inutiles polémiques dans l'opinion. Cette situation crée une obligation de transparence, d'autant plus qu'une difficulté supplémentaire résulte du manque de communication entre les centres de recherche et les entreprises privées exerçant dans le même secteur de compétence, par exemple entre l'INRA et les industries agro-alimentaires. Comme d'autres politiques publiques, la recherche apparaît sur-administrée et sous-organisée.

M. Gilles Carrez, Rapporteur Général, a proposé que la Commission auditionne publiquement, sur la base de la communication du Rapporteur spécial, des directeurs de grands établissements de recherche, puis le ministre lui-même.

Le Président Pierre Méhaignerie a suggéré que le ministre délégué au Budget y participe également. Une telle réunion pourrait avoir lieu dans le courant du mois de juillet. Dans cette attente, il convient de surseoir à la publication de la communication du Rapporteur spécial.

--____--


© Assemblée nationale