COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 57

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 juin 2004
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

Puis de M. Michel Bouvard, Vice-président

SOMMAIRE

 

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- Examen pour avis des articles 16 et 22 du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (n° 1613) (M. Bernard CARAYON, Rapporteur pour avis).

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- Examen d'un rapport d'information sur la stratégie de défense en matière technologique (M. Bernard CARAYON, Rapporteur spécial)

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En préalable, M. Augustin Bonrepaux a souhaité, en raison de la réunion traditionnelle du groupe socialiste en fin de matinée et du fait de l'importance des enjeux sur EDF-GDF, que la Commission examine le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières avant le rapport d'information sur la stratégie de défense en matière technologique.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que l'examen du rapport d'information avait été reporté hier et que l'ordre d'examen avait été précisé dans la convocation, mais qu'il était possible d'inverser cet ordre.

En conséquence, la Commission des finances a procédé à l'examen pour avis des articles 16 et 22 du projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.

M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, a indiqué que le projet de loi constituait un tournant stratégique pour l'avenir des champions nationaux que sont EDF et GDF. La Commission des finances s'est saisie pour avis de deux articles essentiels : l'article 22 relatif au changement de statut et l'article 16 qui, en instaurant une contribution tarifaire, participe à la modernisation du mode de financement des retraites des personnels du secteur de l'énergie.

Compte tenu des enjeux économiques, il faut éviter de s'enliser dans un débat idéologique interminable et stérile à propos du rôle du gouvernement vis-à-vis du secteur privé. Il faut au contraire considérer les problèmes en dehors d'approches idéologiques et dépasser les clivages traditionnels en essayant de créer, comme le préconisait le secrétaire au commerce de Bill Clinton, Ron Brown, « un véritable partenariat gouvernement-affaires afin de faire face aux opportunités internationales ».

Le changement de statut proposé par l'article 22 du projet de loi s'inscrit dans cette perspective d'économie « métissée ». Il est ainsi prévu qu'EDF et GDF, qui sont actuellement des établissements publics à caractère industriel et commercial, deviennent des sociétés anonymes, dont le capital sera majoritairement détenu par l'État.

Ce changement de statut est vital pour ces entreprises pour trois raisons.

Tout d'abord, une raison économique et stratégique : l'abandon du statut d'EPIC permet de supprimer le principe de spécialité qui y est attaché. Actuellement ce principe limite le champ d'intervention d'EDF et de GDF aux seules activités de production, transport, de distribution, d'importation et d'exportation d'électricité et de gaz. Or, force est de constater qu'il existe sur les marchés énergétiques une demande croissante d'offre dite intégrée. Le développement de ces entreprises face à leurs concurrents européens se trouve ainsi entravé par le principe de spécialité. Il faut libérer nos champions nationaux de ce carcan, afin qu'ils puissent affronter leurs concurrents à armes égales.

La deuxième raison est d'ordre financier. Il convient en effet de créer des conditions d'accès aux marchés financiers favorables pour permettre à ces entreprises engagées dans un mouvement de concentration au niveau européen de disposer des moyens financiers nécessaires à leur développement, comme l'a souligné à maintes reprises le Président d'EDF, M. François Roussely.

Enfin, la troisième raison est juridique. La transformation en société anonyme répond à une obligation communautaire. La Commission européenne, dans sa décision du 16 décembre 2003, a en effet jugé contraire au principe de libre concurrence la garantie implicite de l'État liée au statut d'EPIC. Il convient de préciser, à nouveau, qu'il ne s'agit pas d'une privatisation. EDF et GDF demeureront soumises aux dispositions relatives aux entreprises publiques, en particulier à la loi de 1983 relative à la démocratisation du service public. En outre, la participation de l'État y restera majoritaire. Elle est fixée par le projet à plus de 50 %. En accord avec le Rapporteur et le Président de la commission des affaires économiques, il convient de la faire passer à 70 %, ce qui empêche tout actionnaire privé de disposer d'une minorité de blocage. Compte tenu de l'importance de ces deux entreprises pour la mise en œuvre de la politique énergétique de la France, et en particulier de la composante nucléaire d'EDF, elles doivent rester majoritairement détenues par l'État, lequel doit continuer à participer à la définition de leurs orientations stratégiques. Il s'agit en effet d'organiser de nouveaux rapports public-privé, fondés sur un véritable partenariat, pour se prémunir mais également pour agir.

L'article 22 correspond parfaitement à cette ambition nouvelle, qui apparaît d'autant plus justifiée que le secteur de l'énergie n'est pas un domaine économique comme les autres. Il constitue un marché stratégique où les critères de choix qui prévalent ne sont pas exclusivement ceux de l'économie libérale mais également ceux liés à la puissance et à l'influence. La définition de la stratégie doit rester du ressort de l'État, parce qu'il est le seul capable de faire la synthèse entre les différentes exigences, même si cette stratégie doit naturellement s'adosser aux expertises et aux besoins des entreprises concernées.

Même si l'idée d'une fusion peut apparaître séduisante, notamment par les effets de taille et les synergies entre les équipes qu'elle entraînerait, elle risque de générer plus d'inconvénients que d'avantages, notamment en termes de valorisation des entreprises. Une compétition maîtrisée et cohérente avec la stratégie industrielle française dans l'énergie est préférable.

L'article 16 institue une contribution tarifaire sur les prestations d'acheminement dont le produit sera affecté à la Caisse nationale des industries électriques et gazières pour assurer le financement des charges liées aux droits spécifiques afférents aux activités de transport et de distribution du gaz et de l'électricité ainsi que des soultes qui seront versées à l'occasion de l'adossement du régime spécial aux régimes de droit commun. Cette contribution s'inscrit en effet dans un schéma complexe, qui vise à limiter les conséquences négatives pour EDF et GDF de l'entrée en vigueur, à compter du 1er janvier 2005, d'une nouvelle norme comptable internationale, dite IAS 19, qui impose la comptabilisation des avantages du personnel, y compris les retraites.

Or, le provisionnement comptable des engagements de retraite d'EDF et de GDF aurait de lourdes conséquences sur la vie de ces entreprises. En effet, les engagements de retraite d'EDF sont estimés à environ 60 milliards d'euros et ceux de GDF à 12,5 milliards d'euros. Ainsi, les engagements d'EDF représentent plus du triple de ses fonds propres actuels, 14 milliards d'euros au 31 décembre 2002. Leur provisionnement induirait une situation de fonds propres très négatifs qui l'empêcherait d'accéder dans des conditions normales aux marchés financiers et serait in fine incompatible avec l'exercice de son activité dans un environnement concurrentiel.

Aussi, le présent projet de loi propose la mise en place d'un dispositif, validé par la Commission européenne en décembre 2003, qui devrait permettre de réduire les obligations de provisionnement de près des trois quarts.

Pour les droits de base (40 milliards d'euros), il sera procédé à un adossement aux régimes de droit commun de la CNAV et de l'AGIRC-ARRCO. Les droits spécifiques, ceux acquis après le 31 décembre 2004 et ceux acquis avant cette date mais attachés à des salariés exerçant dans les activités concurrentielles, seront à la charge des entreprises, qui devront les provisionner ; tandis que les droits acquis avant le 31 décembre 2004 et relevant du secteur non concurrentiel, c'est-à-dire du transport et de la distribution seront financés par la contribution, qui reposera in fine sur le consommateur.

La contribution tarifaire représente un enjeu financier non négligeable, de l'ordre de 450 millions d'euros de rendement annuel. Elle va permettre de limiter les effets négatifs de l'entrée en vigueur des nouvelles normes comptables. En revanche, la création de cette taxe n'entraînera aucun avantage en termes de compte de résultat, dans la mesure où il sera procédé à une baisse des tarifs dans une proportion équivalente. La réforme proposée présente ainsi l'avantage d'être neutre pour le consommateur, qui est le contributeur final.

Il faut en effet rappeler que les tarifs d'électricité et de gaz facturés aux consommateurs comportent aujourd'hui une part destinée au financement des retraites des salariés des IEG, qui apparaît notamment dans la part fixe « frais de gestion » des tarifs d'utilisation des réseaux. La contribution tarifaire devrait s'ajouter aux tarifs mais dans le même temps, ceux-ci ne devraient plus inclure la part précédemment destinée au financement des retraites.

Enfin, l'instauration de la contribution tarifaire ne devrait pas avoir d'incidence sur l'équilibre des finances publiques, puisqu'il est prévu que le produit de l'imposition sera affecté à la Caisse nationale des industries électriques et gazières créée par le projet.

M. Augustin Bonrepaux a regretté que la présentation du Rapporteur laisse autant d'éléments dans l'ombre et comporte nombre d'ambiguïtés. Le rôle d'EDF dans le passé ne doit pas être oublié, notamment au regard de la capacité d'intervention de ses services, dans les meilleures conditions, pour assurer en toutes circonstances le service public. Aucune règle n'oblige aujourd'hui à privatiser EDF. S'agissant de l'évolution des tarifs, beaucoup d'industriels, à l'image de Jean-Louis Beffa, considèrent qu'il est plus opportun de s'expatrier, les perspectives d'augmentation du prix de l'électricité risquant d'avoir une incidence négative sur l'attractivité industrielle de notre pays. Il est paradoxal que la majorité actuelle s'emploie à porter atteinte à l'attractivité de la France.

Le Président Pierre Méhaignerie a jugé que cette présentation caricature le discours des industriels dans ce débat. Le service public de l'électricité doit faire face aujourd'hui à des coûts considérables, à commencer par celui du financement des retraites. C'est le contribuable qui paiera !

M. Augustin Bonrepaux a confirmé que l'analyse qu'il a décrite est bien celle d'industriels. Il faudra bien payer un jour les retraites des agents EDF. La question essentielle est la suivante : peut-on garantir que le prix de l'électricité n'augmentera pas ?

M. Charles de Courson a souligné que personne ne peut garantir cela.

M. Augustin Bonrepaux s'est étonné de ce que l'on ait refusé, hier, la création d'une mission d'information sur l'aménagement du territoire, alors que l'on cherche aujourd'hui à empêcher l'opposition de s'exprimer dans ce débat. De fortes interrogations se posent en matière de sécurité des installations électriques. Peut-on garantir le même système de péréquation si EDF est une entreprise privée ? Le risque est grand d'instaurer un prix de l'énergie à deux vitesses, entre les zones attractives et les zones plus délaissées de notre territoire. Il s'agit à l'évidence d'une grave rupture d'égalité. Enfin, quel sera le montant de la soulte versée par EDF ? On comprend aisément l'urgence qu'il y a pour la majorité à privatiser EDF dans le but d'équilibrer les comptes budgétaires du pays, tout en continuant de percevoir cette soulte, sans préjuger de ce que sera l'avenir : ce dispositif relève à coup sûr de la « cavalerie » et le groupe Socialiste s'opposera donc à ce projet de loi.

M. Henri Emmanuelli a indiqué qu'en dehors même de toute considération sur l'évolution du statut et des tarifs d'EDF, on donne le sentiment que les réformes sont construites de manière très complexe alors qu'il était possible de les faire très simplement. Quand et comment se feront les dotations de l'État vers le régime de retraite ? Il appartient au Rapporteur de fournir à la Commission une réponse très claire sur cette question. Les rentrées financières liées à la mise sur le marché sont immédiates, et les sorties sont échelonnées.

M. Alain Rodet a considéré qu'à une époque où il était si fréquent et si aisé de réviser notre Constitution, la garantie des 70 % du capital public d'EDF pourrait tout aussi bien être inscrite dans la Constitution. Ce ne serait pas plus absurde que certaines révisions constitutionnelles.

M. Marc Laffineur s'est étonné des critiques sur le devenir des missions de service public de l'électricité, alors qu'EDF reste à 70 % une entreprise étatique. Le risque ne serait d'ailleurs même pas certain s'il s'agissait d'une entreprise privée. Le projet de loi ne procède en aucune manière à la privatisation d'EDF. Les réformes proposées aujourd'hui résultent d'ailleurs d'une directive communautaire de 1999, acceptée par Mme Dominique Voynet. Il faut avoir le courage d'assumer les conséquences de ce que l'on a accepté par le passé ! La réforme va permettre à EDF de se diversifier, afin de rendre possible l'acquisition par l'entreprise de nouvelles parts de marché. Personne, quel que soit le statut de l'entreprise, n'est en mesure de dire quel sera le prix de l'électricité à l'avenir. L'une des vertus de la réforme proposée est qu'EDF pourra racheter des entreprises sans le faire en « cash » comme aujourd'hui.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. François Brottes a rappelé que les règles communautaires n'imposaient pas le changement de statut d'EDF. Si des membres de la majorité considèrent aujourd'hui que le principe de spécialité empêche l'évolution de l'entreprise, il faut rappeler que la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité a fortement et opportunément assoupli les règles en ce qui concerne les clients éligibles. Quel sera le montant de la soulte ? Il est vraisemblable que cette soulte, qui devrait être payée en une seule fois, affectera les comptes de la Nation. La remarque du Rapporteur sur la diminution des tarifs dans la même proportion que les modifications introduites par le projet de loi est fausse. Les tarifs seront au mieux maintenus à leur niveau actuel. Quelle est la conséquence de l'adoption de l'article 22 du projet de loi pour le service public de l'électricité ?

M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, a indiqué qu'il n'avait pas dit que les tarifs baisseraient.

M. François Brottes a indiqué que les propos liminaires du Rapporteur étaient pourtant clairs, concluant à une baisse des tarifs.

M. Michel Bouvard a admis qu'il s'agissait d'un sujet emblématique, suscitant les passions. Pour autant, la réforme ne procède à aucune privatisation. Il faut rappeler que le gouvernement précédent a, quant à lui, cédé 40 % du capital des Autoroutes du Sud de la France. D'autre part, on soulignera également que l'ouverture du capital de la Compagnie Nationale du Rhône s'est faite dans les conditions les plus obscures, avec des amendements déposés en séance qui n'avaient pas été examinés par la Commission. Il convient donc aujourd'hui d'être prudent dans ses propos. Un éclaircissement est nécessaire quant à l'incidence du nouveau dispositif sur le coût du transport de l'énergie. Une modification plus ou moins importante des règles de péréquation n'irait pas sans poser de nombreux problèmes. Il faut garder à l'esprit les débats passés sur la taxation de l'énergie propre, qui a servi à financer les « 35 heures » ! Quel sera le montant de la soulte et comment ce montant pourra-t-il servir à régler le problème des retraites ? Il convient aujourd'hui de faire preuve de raison et de reconnaître que la question du statut de l'entreprise n'est pas le problème le plus essentiel. Les enjeux véritables résident dans l'ouverture du marché européen à la concurrence et dans la politique tarifaire pratiquée par nos voisins. Quant à la volonté de renouvellement du parc nucléaire français, elle mérite une prise de position claire, à l'image de celle adoptée par le groupe UMP, ce qui n'est manifestement pas le cas des autres groupes parlementaires.

M. Eric Besson a estimé illogique que l'opposition soit qualifiée de pragmatique si elle est d'accord avec la majorité et d'idéologique si elle lui est opposée. Il a rappelé que les politiques ne peuvent abandonner toute idéologie, dans la mesure où les valeurs qu'ils défendent sont, au moins en partie, liées aux dispositifs des textes. Le débat d'aujourd'hui est bien idéologique, car on constate qu'après une vague de libéralisme prônant la dérégulation et la libre concurrence dans le monde, s'opère un mouvement de marche arrière surtout lorsqu'il s'agit de biens essentiels fondamentaux dont l'électricité fait partie. Des économistes, même libéraux, s'interrogent sur le fait que le monopole public peut être plus performant pour la gestion d'un certain nombre de biens essentiels ; ce modèle est bien moins critiqué par nos partenaires étrangers aujourd'hui qu'il y a quinze ans. Nombre de ceux-ci considèrent également que la sécurité nucléaire est mieux assurée en France que dans leur propre pays. On peut citer en exemple la norme de durée de vie des centrales nucléaires qui est uniformément de 60 ans aux États-Unis, alors que la décision est prise au cas par cas en France. De même, il a été considéré que la France pouvait se doter de nouvelles centrales EPR pour en faire l'expérimentation et la démonstration, car nos normes de sécurité sont meilleures et permettront une exploitation sûre.

La clarté doit être faite sur des points fondamentaux du projet de loi. Pourquoi a-t-on écarté l'hypothèse de l'élargissement du principe de spécialité, sans même l'examiner ? Le droit communautaire n'impose aucune exigence quant au statut de l'entreprise exploitante. Le statut actuel pouvait donc être maintenu. Pourquoi n'avoir pas recherché d'autres solutions, considérant que la privatisation des services correspondants en Europe a conduit à une forte augmentation des prix par les industriels, liée en partie, mais pas seulement, à l'insuffisance de la production électrique en Europe ? Le montant de la soulte doit être connu pour que le débat de la Commission des finances ne soit pas totalement faussé.

M. Jean-Louis Dumont a souligné que l'entreprise EDF faisait l'unanimité sur ses activités dans notre pays ; la loi de 1946 définissant son statut conférait en outre un rôle important aux collectivités locales. Il semble qu'un nouveau dogme se soit imposé aujourd'hui, selon lequel le seul statut possible est la société anonyme. Il existe pourtant la société d'économie mixte nationale, qui fait intervenir les collectivités, ou le nouveau statut de société coopérative européenne auquel on aurait pu recourir. Le principe de spécialité est inscrit dans le cadre du monopole conféré à l'entreprise, et non du statut de celle-ci. L'obligation d'achat est-elle encore d'actualité et le sera-t-elle plus tard, en fonction de l'actionnariat ?

Il semble que l'on veuille séparer complètement EDF et GDF, sauf pour quelques travaux communs dans le domaine du service aux particuliers ; cependant EDF a l'avantage du service universel que GDF ne partage pas. L'article 22, homogène dans son principe, couvrira-t-il deux évolutions différenciées ? Il a rappelé qu'il s'est personnellement battu, comme beaucoup de ses collègues de territoires ruraux, pour que le gaz desserve les villes moyennes. La réponse était alors idéologique et dogmatique. Le Président de GDF, qui a conservé son poste sous plusieurs gouvernements, a négocié le prélèvement avec l'État, égal à l'impôt sur les sociétés.

Avec ce projet de loi, on inscrit les deux entreprises dans une démarche de privatisation à plus ou moins long terme, alors que l'Europe n'a pas exigé la conversion vers un statut privé. La majorité actuelle a critiqué le Président d'EDF alors que son entreprise connaissait des difficultés dans sa diversification internationale. Il y a donc là des contradictions. La plupart des arguments de la majorité en faveur du projet ne sont pas pertinents ; le seul argument recevable est que l'environnement économique et financier pose des difficultés à EDF, mais il ne conduit pas à la privatisation. Il faudrait faire intervenir les salariés et les collectivités territoriales dans le statut d'EDF. Il est vrai que le nucléaire appartient à une entreprise privée en Belgique. Mais chacun reconnaît que la sécurité du nucléaire impose la responsabilité de l'État ; il est difficile de justifier que l'on abandonne cette responsabilité, alors que l'entreprise a fait la preuve de son efficacité avec un service universel sur le territoire et une péréquation des prix. Il faut maintenir enfin l'obligation d'achat.

M. Charles de Courson a déclaré que la position du groupe UDF s'inspirait de deux principes. En vertu du principe d'efficacité économique, le groupe soutient que le statut d'établissement public doit être abandonné, car sinon on demeure lié par le principe de spécialité. L'élargissement répété de ce principe ne suffit pas pour s'adapter à l'évolution de l'entreprise. Par ailleurs, nos partenaires communautaires exigent de nous le respect du principe de réciprocité entre les États membres de l'Union européenne. C'est pourquoi, soutenir qu'EDF pourrait demeurer un établissement public est à la fois vrai et faux. Il pourrait garder ce statut, mais en abandonnant sa politique d'internationalisation et ses participations à l'étranger. Si EDF veut être présente à l'étranger, nos partenaires européens doivent également pouvoir prendre des participations en France. Enfin, la sûreté nucléaire n'est pas fonction du statut, car c'est l'État qui en fixe les règles.

Le second principe est celui de la justice sociale. Le surcoût du régime de protection sociale des salariés d'EDF-GDF est de presque 6 % du chiffre d'affaires par rapport au coût du régime des salariés du privé avec des couvertures complémentaires généreuses. Il y a lieu, en ce qui concerne le régime de retraite, de clarifier ce qui relève du régime général, de régimes complémentaires et du régime chapeau. Le régime de retraite d'EDF est le deuxième régime en France. Le taux de cotisation patronale de ce régime s'élève à environ 55 %. Les électriciens et gaziers ont quatre niveaux superposés de prestations sociales dans leur régime de protection maladie. Outre le régime général, ils bénéficient d'un régime de prestation complémentaire, unique en France, géré par les seuls représentants du personnel. Le troisième niveau comporte des prestations supplémentaires et le quatrième niveau, réservé à une partie des salariés, assure des prestations sur-complémentaires et il est alimenté par les caisses qui ont des excédents.

La position du Groupe UDF vise trois objectifs du point de vue de la justice sociale :

- il s'agit d'abord de la clarification du régime de protection sociale des salariés de ces entreprises. Le Gouvernement ne fait porter cette clarification que sur la seule branche vieillesse. Il sera donc proposé, par amendement, d'élargir cette clarification à la branche maladie ;

- il s'agit ensuite du respect des droits acquis pour les salariés actuels, mais les nouveaux entrants n'auront pas le même régime ;

- enfin, il convient de rétablir l'égalité entre les Français. Il est surprenant de voir l'opposition défendre un régime dont le surcoût est de 6 % et le taux de cotisation patronale à 90 %, soit plus du double du taux moyen, ce qui ne va pas dans le sens de la justice sociale. L'UDF a d'ailleurs été le seul groupe à souligner cette contradiction lors du débat sur les retraites.

Les régimes de retraite ont été réformés, et seuls quelques régimes spéciaux ne l'ont pas été : EDF, la SNCF, la Banque de France ou la Comédie française. Cependant, les représentants de la Nation ne peuvent défendre le maintien du statu quo qui aboutit à l'injustice et à l'inégalité sociale entre les citoyens. Le Groupe UDF déposera des amendements en faveur d'une évolution, inéluctable, et qui va dans le sens de la justice sociale.

M. Henri Emmanuelli a estimé que ces propos niaient l'existence de rapports de force et relevaient d'un discours de « préau d'école ».

Le Président Pierre Méhaignerie a indiqué que, pour lui, le problème n'est pas de savoir si une entreprise était publique ou privée, mais à quel coût un service est produit. Or, ce coût de production est souvent élevé lorsqu'il est le fait du service public. Le mouvement de privatisation touche tous les pays du monde, y compris le Brésil et la Chine, car il est incontestable que le secteur public produit un même service à des coûts plus élevés que le secteur privé. Les spécialistes estiment que les salaires du privé sont trop faibles en France : cette situation a sans doute un lien avec le coût trop élevé des services fournis par les entreprises publiques. Il faut avoir le courage de dire que les lourdeurs de gestion ont un coût pour les salariés du privé. C'est de la responsabilité du Parlement de ne pas démissionner devant de tels constats.

C'est essentiellement au nucléaire que la France doit le coût relativement bas de son électricité. Lorsque des catastrophes se produisent, les interventions d'urgence sont d'ores et déjà réalisées, à hauteur de 70 %, par des entreprises privées. Il convient de ne pas caricaturer ou idéaliser à outrance le service public.

M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, a indiqué qu'une partie des questions posées, notamment celles relatives à l'attractivité économique de la France, au coût de la consommation et aux conditions d'exécution des services publics, n'avait pas de lien avec les deux articles du projet de loi dont la Commission des finances s'est saisie pour avis. Sur les autres points, il a apporté les précisions suivantes :

- ce projet est effectivement le résultat d'une approche non idéologique : d'une part, il s'inscrit dans le cadre des directives européennes du 19 décembre 1996 et, d'autre part, il poursuit le dispositif adopté sous la précédente majorité dans la loi du 10 février 2000. La nécessité d'appliquer une directive est-elle idéologique ?

- quel que soit le statut d'EDF, l'État ne saurait s'affranchir de ses compétences en matière de sécurité nucléaire. L'évolution de son statut est le corollaire de l'internationalisation de ses activités, laquelle peut comporter des avatars regrettables mais constitue indéniablement un phénomène positif dans son principe ;

- le rattachement de l'électricité et du gaz à la notion de « biens essentiels », évoqué par M. Éric Besson, est justifié ; alors que sur les marchés classiques n'interviennent que les critères de prix et de qualité, la Commission européenne reconnaît l'existence de marchés stratégiques, qui répondent à des besoins spécifiques des consommateurs ou de l'État. L'électricité et le gaz relèvent de ce type de marchés ;

- l'évolution du régime de retraite d'EDF et de GDF est rendue indispensable par l'évolution démographique : alors que ces entreprises comptaient 4 actifs pour un retraité en 1946, il y en a seulement 1,6 aujourd'hui et ce ratio sera inférieur à 1 à partir de 2020. Parallèlement, la contribution d'équilibre à la charge des entreprises est passée de 6 % de la masse salariale en 1946 à 60 % aujourd'hui, et serait aussi élevée que l'ensemble des rémunérations dans 15 ans ;

- l'obligation communautaire de passage aux normes comptables internationales, parmi lesquelles la norme IAS 19, conduit à comptabiliser les avantages accordés aux personnels et à inscrire une provision correspondante. Le montant total des engagements de retraite de la branche est de 76 milliards d'euros au 1er janvier 2003 ;

- la question de l'évaluation de la soulte est particulièrement délicate. Il ressort des méthodes de calcul habituellement appliquées que son montant serait de 12 milliards d'euros, pour l'ensemble de la branche, dont 9,7 milliards d'euros à la charge d'EDF. Le ministère des finances donne une fourchette allant de 0 à 10 milliards d'euros et la Commission européenne la chiffre entre 8 et 10 milliards d'euros. Tout comme le montant de la soulte, le rythme des versements demeure encore incertain. On ne peut donc faire une réponse précise immédiate à la question posée.

M. Henri Emmanuelli a vivement critiqué le fait que le gouvernement avait l'intention de comptabiliser la totalité de la soulte sur un seul exercice budgétaire alors que ces versements seraient échelonnés selon des modalités encore inconnues : le sentiment de « cavalerie » se confirme tout à fait.

M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, a estimé que la Commission des finances n'était pas le lieu dans lequel il convenait d'intenter des procès d'intention au gouvernement.

M. Augustin Bonrepaux a jugé que les questions du montant de la soulte et des conditions de son versement relevaient incontestablement de la compétence de la Commission des finances et que l'absence de réponse précise sur ces points privait le débat de toute pertinence.

La Commission a alors abordé les deux articles dont elle est saisie.

Article 16 : Contribution tarifaire sur les prestations d'acheminement de l'électricité et du gaz

La Commission des finances a examiné un amendement présenté par M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, visant à remplacer le concept d'« acheminement », introduit par le projet de loi, par les notions de « transport » et de « distribution », juridiquement définies de manière précise et couramment utilisées. Après que M. Charles de Courson a fait observer que l'amendement supprimait aussi, en conséquence, la définition de la prestation d'acheminement, la Commission a adopté cet amendement.

Elle a ensuite adopté deux amendements de conséquence du même auteur.

La Commission a ensuite examiné un amendement présenté par M. Charles de Courson visant à retenir comme assiette de la contribution la quote-part de la facture relative à l'utilisation des réseaux. M. Charles de Courson s'est interrogé sur le système d'adossement prévu à l'article 17 du projet de loi qui constitue une totale innovation. Cet article donne en effet à la caisse la capacité juridique de conclure des conventions avec la CNAV et l'ACOSS, ainsi qu'avec l'AGIRC et l'ARRCO afin d'organiser l'adossement financier avec ces régimes. Il n'est néanmoins envisagé nulle part que les conseils d'administration de ces organismes puissent refuser de signer ces conventions. En outre, la pratique consistant à affecter une imposition de toute nature, dont l'assiette repose sur les usagers, au financement d'une caisse de retraite d'un régime privé est totalement contestable.

M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, a demandé le rejet de cet amendement, car selon la décision de la Commission européenne en date du 16 décembre 2003, l'assiette doit être indépendante de la consommation d'électricité. L'amendement n'est donc pas euro-compatible. M. Charles de Courson a donc retiré son amendement.

M. Philippe Auberger a remarqué que lorsque les collectivités locales sont obligées d'augmenter leurs cotisations pour financer une hausse de la surcompensation prise en charge par la CNRACL, il s'agit bien d'un transfert d'impôt vers des régimes de retraite privés.

M. François Brottes a indiqué qu'un article du texte prévoyait une mutualisation des risques sociaux entre les différents opérateurs dans le cas où l'un d'entre eux viendrait à déposer le bilan. La contribution est donc là pour que les opérateurs, qui n'interviennent pas majoritairement dans le domaine de l'énergie participent au financement de cette caisse.

M. Charles de Courson s'est étonné de ce que la Commission des finances accepte de voter le principe d'un impôt nouveau dont il lui est refusé de fixer le taux, puisque celui-ci peut varier entre 1 et 10 %, ce qui revient à abandonner toute compétence au pouvoir réglementaire.

M. Augustin Bonrepaux s'est interrogé sur les conséquences de ce nouvel impôt, en particulier sur les tarifs appliqués aux entreprises et aux ménages. Il a demandé au Rapporteur si celui-ci pouvait garantir que le texte aboutisse à une stabilité des prix de l'énergie.

M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, a précisé qu'il n'appartenait pas au législateur de s'engager sur la fixation des prix de l'énergie. Par ailleurs, une décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre 2000 a précisé qu'il ne résultait pas de l'article 34 de la Constitution que le législateur dût fixer le taux d'une imposition mais qu'il pouvait se contenter d'encadrer le pouvoir réglementaire en prévoyant une fourchette de taux.

La Commission a ensuite examiné un amendement du Rapporteur visant à indiquer de manière plus précise qu'il existe plusieurs taux de la contribution tarifaire et de déterminer les autorités compétentes en matière de fixation de ces taux. Cet amendement supprime également l'avis de la Commission de régulation de l'énergie.

M. Charles de Courson a souligné que la loi de financement de la sécurité sociale était le cadre idéal pour fixer ces taux et qu'il était inutile que le législateur délègue cette compétence au pouvoir réglementaire. Il s'est par ailleurs interrogé sur le montant attendu du produit de la contribution.

M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, a souligné la nature très particulière du secteur en question, ce qui explique le caractère quelque peu « baroque » du dispositif et a indiqué que le montant attendu du produit serait de l'ordre de 150 millions d'euros.

M. Charles de Courson a indiqué que l'amendement gagnerait à laisser à la loi le soin de fixer les taux annuels de la contribution tarifaire.

M. Louis Giscard d'Estaing a estimé qu'il s'agissait là d'un point fondamental quant au rôle du Parlement et qu'il serait utile que la Commission adopte l'amendement ainsi rectifié.

Après un accord du Rapporteur pour avis, la Commission des finances a adopté l'amendement ainsi rectifié.

M. Augustin Bonrepaux s'est à nouveau interrogé sur les conséquences tarifaires, pour le consommateur, de ce nouvel impôt. Il est phénoménal qu'aucune réponse ne soit apportée sur ce point. Où est la clarté du débat ?

M. Charles de Courson s'est interrogé sur l'articulation entre cet impôt et la TVA. En particulier sur sa compatibilité avec la directive européenne TVA et sur son inclusion dans l'assiette de la TVA.

M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, a affirmé que le dispositif n'avait en lui-même aucune incidence sur le prix de l'énergie. Ce sont deux problèmes distincts.

M. Jean-Jacques Descamps a estimé que la question de M. Augustin Bonrepaux n'avait pas de sens, sauf à s'interroger sur l'évolution des tarifs si le projet n'était pas adopté.

La Commission a adopté l'article 16, ainsi modifié.

Article additionnel après l'article 16 :

La Commission a examiné un amendement présenté par M. Charles de Courson prévoyant qu'un rapport est joint chaque année au projet de loi de finances sur le respect du principe de neutralité de la réforme du financement du régime spécial de retraites des personnels IEG au regard du consommateur et du contribuable. M. Charles de Courson a rappelé que l'exposé des motifs du projet de loi soulignait l'importance du respect de ce principe de neutralité de la réforme à l'égard du consommateur et du contribuable. Cette annexe « jaune » permettrait toute la transparence nécessaire.

Suivant l'avis favorable du Rapporteur pour avis, la Commission a adopté l'amendement de M. Charles de Courson.

Article 22 : Changement de statut d'EDF et de GDF

La Commission a examiné un amendement présenté par M. Éric Besson visant à supprimer cet article. M. Pascal Terrasse a regretté l'ouverture du capital d'EDF-GDF, qui représente en réalité une privatisation partielle. La réglementation européenne n'a jamais imposé de privatiser cette entreprise, comme en témoigne l'article 295 du Traité instituant la Communauté européenne, contrairement à ce que peuvent dire certains responsables politiques. Le gouvernement considère qu'une entreprise du secteur public ne peut pleinement intervenir dans un champ concurrentiel. Le groupe socialiste pense le contraire. L'augmentation actuelle du prix du pétrole est préoccupante et tous les indicateurs montrent que cette hausse va se poursuivre. Laisser au secteur privé la charge de la production énergétique et nucléaire est inquiétant pour l'indépendance énergétique de notre pays. De nombreux analystes de tous bords politiques, y compris gaullistes, s'inquiètent de cette évolution. Quel est l'objectif de cette privatisation partielle ? Va-t-elle servir à faire de nouveaux investissements ? Le gouvernement qui met en œuvre cette privatisation partielle sera responsable de la déconfiture à venir de l'entreprise.

M. Augustin Bonrepaux s'est étonné du manque total de précision du montant de la soulte évalué entre 7 et 10 milliards d'euros. Quel en est le montant précis ? Quelles seront les modalités de versement ? Quelle sera son utilisation ?

M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, a répondu qu'il existait actuellement trois évaluations différentes de la soulte : une faite par l'État, une faite par la Commission européenne et une faite EDF-GDF. L'exposé sommaire de l'amendement explique que la production, le transport et la distribution de l'électricité ne peuvent être livrés à des intérêts autres que l'intérêt général. Or, l'intérêt général n'est pas un monopole du service public. Dès le début du siècle, des partenaires privés ont été associés à la réalisation de l'intérêt général. Suivant l'avis défavorable du Rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement.

La Commission a ensuite examiné un amendement du Rapporteur portant la part de détention de l'État dans le capital d'EDF-GDF de 50 à 70 %.

M. Charles de Courson a souhaité déposer un sous-amendement visant à maintenir le taux de 50 % pour GDF et à suivre la proposition du Rapporteur de faire passer ce taux à 70 % pour EDF. Ces deux entreprises ne sont pas dans la même situation. Ainsi, la fonction de production n'existe pratiquement pas pour GDF. Les engagements du Gouvernement prévoyant un taux maximum de 70  % ne concernent qu'EDF.

M. Bernard Carayon, Rapporteur pour avis, a souligné qu'il est difficile de prévoir un traitement différencié pour les deux entreprises.

M. Charles de Courson a considéré que ce serait une erreur stratégique d'assimiler les deux entreprises. Elles n'ont pas les mêmes besoins en capitaux ni le même degré d'internationalisation.

M. Pascal Terrasse a rappelé que lier le sort des deux entreprises est une demande des salariés et des cadres. Le ministre examine actuellement la fusion des deux entreprises. Pourquoi pas ? Certains opérateurs européens sont compétents dans l'ensemble du secteur énergétique. Sommes-nous dans une logique de privatisation ou veut-on sauvegarder le secteur public ? Mais il n'y a aucun critère objectif pour justifier deux taux différents.

M. Daniel Garrigue a indiqué qu'il convenait de faire évoluer le statut des deux entreprises parallèlement tant que leur relation n'était pas fixée.

M. Augustin Bonrepaux a constaté que le projet de loi ne comportait aucune réforme visant à mettre en place une société unique. Le seul objectif de ce projet de loi est la privatisation.

Suivant l'avis défavorable du Rapporteur pour avis, la Commission a rejeté le sous-amendement de M. Charles de Courson et adopté l'amendement du Rapporteur pour avis, sans modification.

M. Marc Laffineur a présenté un amendement prévoyant qu'une partie des actions mises sur le marché est proposée de manière préférentielle aux salariés dans les conditions prévues par la loi n° 86-912 du 6 août 1986 et précisées par décret en Conseil d'État. Cet amendement a pour objectif de mieux intégrer les salariés à l'évolution du statut, en leur permettant de devenir actionnaires de leur entreprise. Le rappel de ce principe, conforme à la législation en vigueur, est tout à fait souhaitable. Suivant l'avis favorable du Rapporteur, la Commission a adopté l'amendement et a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 22 ainsi modifié.

M. Pascal Terrasse a souligné que le secteur énergétique serait désormais dérégulé et désorganisé. La péréquation tarifaire ne sera plus assurée à terme et ce projet de loi fait peser des menaces lourdes sur l'indépendance énergétique et donc sur la sûreté et la sécurité des citoyens. C'est pourquoi le groupe socialiste votera contre ce texte.

M. Charles de Courson a indiqué que le groupe UDF était favorable à la mise sur le marché d'une partie du capital d'EDF-GDF. En revanche, en ce qui concerne l'article 16 et la réforme du système de retraite des salariés de cette entreprise, le groupe souhaiterait que la réforme aille plus loin et prévoit l'extinction du régime à terme en alignant le régime des retraites des nouveaux salariés sur le régime général.

Puis la Commission a émis un avis favorable à l'adoption des articles 16 et 22, ainsi modifiés.

*

* *

Puis la Commission des finances a examiné un rapport d'information de M. Bernard Carayon, Rapporteur spécial, sur la stratégie de sécurité économique ;

M. Bernard Carayon, Rapporteur spécial, a indiqué que le présent rapport s'inscrivait dans le prolongement du rapport qu'il a remis en 2003 au Premier ministre, intitulé « Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale ». En effet, ce dernier abordait quatre thèmes : la sécurité économique, la compétitivité de l'économie française, les stratégies d'influence et la formation. L'intelligence économique est une politique publique qui doit s'appliquer aux marchés stratégiques, qui ne peuvent être régulés par le seul marché. Les marchés de l'énergie, de l'aéronautique civile et de la défense appartiennent à ces secteurs. Si les attentats terroristes retiennent notre attention, l'évolution des menaces est bien plus large. Celles-ci pèsent notamment sur l'information qui est désormais au cœur de nos processus productifs. Nous sommes entrés dans une véritable guerre économique. L'actualité illustre cette situation, puisque le leader mondial de l'intelligence économique et de l'investigation, Kroll, est en train d'être racheté par Marsh&McLennan, qui est le plus grand groupe mondial de courtage d'assurance, lequel comprend en outre une société de consultants (Mercer) et l'un des plus gros fonds d'investissements américains (Putnam). Ce rapprochement montre la maîtrise des anglo-saxons sur les métiers stratégiques que sont l'audit, l'investigation ou le courtage d'assurance. Les États-Unis se sont donc dotés d'une plateforme d'intelligence économique privée intervenant dans tous ces métiers. En outre, des fonds d'investissement, comme le fonds In-Q-Tel contrôlé par la CIA, leur permettent de s'assurer de la maîtrise des hautes technologies.

Dans ce contexte, quelles actions ont été entreprises par l'État ? Sans impulsion politique déterminante, seuls des efforts épars ont été conduits. En matière de sécurité des systèmes d'information, un centre de recensement et de traitement des attaques informatiques a été créé en 2000 au sein de la Direction centrale de la sécurité des systèmes d'information du Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN). S'agissant du contrôle des investissements étrangers dans des entreprises françaises sensibles, la loi de sécurité financière du 1er août 2003 a renforcé les prérogatives du Ministre de l'économie. Il est aujourd'hui urgent de définir une stratégie de sécurité nationale englobant la Défense nationale, la protection de notre économie et un système d'alerte contre les nouvelles menaces.

La France souffre de vulnérabilités juridiques. Elle ne dispose pas d'une réelle protection du secret des affaires telle que le Cohen Act l'assure aux États-Unis. La loi du 5 janvier 1988 relative à la fraude informatique, n'est efficace qu'en cas d'intrusion ou de tentative d'intrusion avérée. Par ailleurs, la législation sur le droit d'auteur et le droit des producteurs ne permettent pas de protéger efficacement l'accès et l'utilisation des bases de données. La loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ne vise que les informations nominatives. Globalement, ces dispositifs ne protègent qu'imparfaitement les savoir-faire français. De plus, des entreprises sont parfois victimes de procédures judiciaires étrangères. En effet, lors de commissions rogatoires internationales, des prises illicites de renseignements peuvent se produire.

Des menaces financières pèsent également sur notre économie. Les cas de Saft, Eutelsat ou Gemplus qui ont fait l'objet de tentatives ou de prises de contrôle par des fonds d'investissement, illustrent la vulnérabilité du capital des entreprises stratégiques françaises et européennes. Gemplus, qui est le leader mondial de la carte à puce, a fait l'objet d'une prise de participation de 550 millions de dollars par le fonds américain Texas Pacific Group. Le nouveau président de Gemplus a été administrateur du fonds In-Q-Tel. Ce fonds est un outil de veille ainsi qu'un incubateur de jeunes pousses. En ce qui concerne le contrôle des investissements étrangers en France, la loi de sécurité financière a étendu les pouvoirs du ministre de l'économie qui peut désormais s'opposer à un investissement dans une entreprise mettant en cause la Défense nationale. Pour autant, cette notion n'est pas précisément définie, alors même que les Américains ont une vision dynamique de la sécurité nationale. Le SGDN est chargé de conduire une réflexion interministérielle sur les prises de contrôle par les capitaux étrangers d'entreprises françaises.

Aux États-Unis, le Comité pour les investissements internationaux permet de les évaluer au regard des intérêts stratégiques des États-Unis. En Allemagne, le Parlement vient d'adopter un projet de loi permettant de contrôler la compatibilité des opérations financières avec les intérêts majeurs de sécurité. Au plan international, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) permet aux États de déroger aux principes du libre échange quand leurs intérêts vitaux sont en jeu. Cependant, ceux-ci ne sont pas précisément définis. De même, une législation nationale encadrant les investissements internationaux n'est compatible avec le droit communautaire qu'à deux conditions : les États doivent pouvoir justifier de la proportionnalité de la mesure et les investisseurs doivent connaître avec précision les conditions qui leur sont imposées. Les mêmes menaces portant sur les technologies de l'information et de la communication pèsent sur l'État et les entreprises. Les microprocesseurs, les systèmes d'exploitation, le contrôle d'accès, la transmission d'information et les applications bureautiques constituent autant de cibles pour les personnes mal intentionnées souhaitant accéder à l'information. Les moyens de lutte contre ces menaces sont limités. La fonction d'audit de la Direction centrale de la sécurité des systèmes d'information du SGDN est particulièrement utile, mais elle n'est composée que de six personnes. Il convient donc de mettre en place une mission interministérielle d'expertise technique et industrielle des systèmes d'information des administrations publiques.

Pour faire face à ces menaces, l'État doit se réformer pour mettre en place une politique de sécurité nationale. Les États-Unis se sont dotés des outils législatifs (USA Patriot Act) leur permettant, notamment, d'intercepter les courriers électroniques. Un Département de la Sécurité du territoire national a été créé. Ce dispositif pourrait être utilisé à des fins de renseignement économique. De plus, l'Advocacy Center du Département du commerce, en liaison avec les postes de présence américaine à l'étranger, assure la gestion de l'information ouverte. L'État soutient donc les grandes firmes américaines dans leurs contrats stratégiques. Dans ce contexte, une cellule de contact et de soutien aux entreprises françaises relevant du périmètre stratégique devrait être mise en place. Ce périmètre stratégique doit englober un petit nombre de technologies de souveraineté. Cette définition ne doit pas être trop large pour éviter l'éparpillement de l'action publique. Elle ne doit pas non plus être trop précise afin d'éviter une vision « gosplaniste » de l'État. La stratégie de sécurité nationale doit s'inscrire dans un cadre européen. La puissance de l'Europe repose en effet sur sa capacité à réduire ses dépendances technologiques et commerciales à l'égard du reste du monde. La mise en place d'une politique de sécurité nationale doit s'appuyer sur un renouveau de l'action publique. À l'instar du Conseil de sécurité intérieure, placé depuis 2002 auprès du Président de la République, il faut créer un Conseil de sécurité économique. Seule une impulsion politique donnée au plus haut niveau de l'État pourra vaincre les cloisonnements administratifs.

Afin d'appuyer une véritable politique industrielle en faveur de la sécurité économique, il faut créer un « CEA » des technologies de l'information, de la communication et de la sécurité. En effet, le CEA créé par le Général de Gaulle, en 1945, est l'exemple même d'une réussite industrielle éclatante issue d'une impulsion politique forte. Il faut aujourd'hui mutualiser les dépenses publiques en faveur de ces technologies dont les crédits servent trop souvent de variable d'ajustement des budgets des différents ministères. Ce Commissariat devra mettre en œuvre les orientations définies par le Conseil de sécurité économique et assurer la mutualisation des financements publics. Il établira, en liaison avec les entreprises, un panorama des vulnérabilités françaises. Une plateforme industrielle des technologies de l'intelligence industrielle économique devrait compléter ce dispositif. Celle-ci, s'appuyant sur un fonds d'investissement, pourra soutenir les jeunes pousses dans le domaine des technologies de l'information. La création de ce fonds est urgente et son absence est d'autant plus inexplicable que les acteurs sont prêts à le mettre en place. Enfin, il faut permettre à l'Agence pour la diffusion de l'information technologique d'étendre ses activités en Europe.

Pour mieux protéger les entreprises françaises, des actions concrètes doivent être entreprises. Il faut tout d'abord renforcer la définition du secret des affaires en droit français. Une proposition de loi relative à la protection des informations économiques sera prochainement déposée. Par ailleurs, il faut soutenir les entreprises stratégiques. Les États-Unis ont instauré depuis plus de 40 ans une procédure de subvention systématique des sociétés de croissance dans les domaines de haute technologie jugés importants pour le maintien de la « suprématie militaire et technique des États-Unis d'Amérique ». Cette expression ne choque d'ailleurs pas les Européens. Nous devons donc renforcer le tissu des petites entreprises innovantes. Aujourd'hui, le saupoudrage des crédits, aussi bien publics que privés est la règle. La France a, certes, pris conscience de l'importance de l'enjeu en nommant un haut responsable de l'intelligence économique, mais cette stratégie doit être amplifiée. Il faut enfin s'assurer de la maîtrise des technologies critiques. À ce titre, une convention entre l'Agence nationale de valorisation de la recherche et la délégation générale pour l'armement prévoit de financer des petites entreprises innovantes du secteur de la Défense.

Le renforcement de la sécurité des systèmes d'information doit être une priorité pour l'État. Une stratégie industrielle est nécessaire. L'utilisation de logiciels libres de droits doit se développer et il convient de sensibiliser les salariés des entreprises à ces enjeux. De plus, cette politique doit s'appuyer sur la coopération européenne que permet la création, par un règlement européen du 10 mars 2004, de l'Agence européenne pour la sécurité des réseaux et de l'information. Il faut rappeler que les États-Unis se sont dotés d'un outil équivalent il y a plus de douze ans.

M. Michel Bouvard, Président, a estimé que cet excellent rapport contribue au débat actuel sur la désindustrialisation et les délocalisations. Il reste une place très importante pour l'action publique en la matière. Dans ce cadre, il est nécessaire de construire des objectifs par ministère en s'inspirant des résultats des expériences territoriales. Les indicateurs prévus par la loi organique doivent y contribuer. On peut cependant s'interroger sur la nécessité de créer un nouvel organisme sous la forme d'un Conseil de sécurité économique alors qu'il doit exister d'autres structures pour l'héberger.

M. Daniel Garrigue a souhaité placer le problème posé par le rapport au cœur du débat européen. Il existe un certain nombre de structures en matière de sécurité nationale qui ont mal vieilli et ont du mal à s'adapter aux évolutions technologiques, notamment pour les technologies de pointe, très évolutives. On peut ainsi regretter que des entreprises nationales, qui ont été pionnières dans des secteurs stratégiques, n'aient plus aujourd'hui la dimension suffisante dans un cadre strictement national. C'est pourquoi il faut s'interroger sur la détermination politique réelle de la France et de l'Europe en la matière par rapport aux États-Unis. L'exemple du système de positionnement par satellite Galileo permet de prouver qu'il est possible de soutenir des projets européens ambitieux.

M. Thierry Carcenac a considéré que le sujet abordé par le Rapporteur correspond à une question véritablement politique. Il est possible de prévoir d'autres utilisations pour les dispositifs déjà existants, comme cela s'est passé avec le satellite Spot par exemple. L'analyse du Rapporteur est pertinente sur le fond mais on peut cependant avoir des divergences d'appréciation sur les préconisations du rapport. Il semble en effet indispensable de mettre en œuvre un effort certain des ministères au niveau informatique, en utilisant des logiciels libres de droits. Il est également souhaitable de ne pas se faire piller le travail des chercheurs français dans les secteurs industriels stratégiques, ainsi que d'éviter leur départ à l'étranger.

M. Pierre Hériaud a estimé souhaitable que ce rapport soit porté à la connaissance du plus grand nombre de personnes concernées. Nous vivons, en effet, dans une société de risques où l'essentiel de la production normative, législative ou réglementaire, vise à contrer ces risques. Or, la France et ses partenaires européens ont pris un retard important en la matière par rapport aux États-Unis. Il ne sert à rien de vouloir protéger de petits secrets avec de petits moyens ; il faut au contraire concentrer l'ensemble de l'effort budgétaire de l'État pour la sécurité civile ou informatique, soit plus de 1,6 milliard d'euros, sur les secteurs les plus stratégiquement importants.

La mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances doit permettre un regroupement des moyens disponibles pour une plus grande efficacité de l'argent employé. Les cloisonnements entre ministères aboutissent à des investissements saupoudrés alors que l'État se doit de mener une stratégie globale à destination des entreprises en matière d'intelligence économique. Dans ce cadre, il est indispensable d'avoir des dispositifs très sécurisés.

M. Jean-Louis Dumont a estimé possible de dépasser les clivages politiques sur les questions de sécurité nationale. Le Parlement, dans son ensemble, doit faire pression sur le Gouvernement pour qu'il donne suite à ce rapport et définisse une véritable stratégie en matière de sécurité nationale.

M. Bernard Carayon, Rapporteur spécial, a apporté les réponses suivantes :

- Il est tout à fait possible d'intégrer le nouveau Conseil de sécurité économique, qu'il est souhaitable de créer au niveau ministériel, au sein du Conseil de sécurité intérieure, ce qui ne crée pas de structure supplémentaire.

- Le Comité pour la compétitivité et la sécurité économique (CCSE) mis en place par le gouvernement Balladur en 1995 ou le rapport Martre du Commissariat général du Plan n'ont pas abouti à des résultats tangibles car ils ne s'inscrivaient pas dans la perspective d'une véritable politique publique pour l'intelligence économique. Un simple effort de veille pour les entreprises n'est pas suffisant, même dans le cadre de nations libérales. Il faudrait réconcilier le Gouvernement et les affaires, car le marché ne peut pas disposer de la capacité de synthèse que seul l'État maîtrise en la matière.

- La question de la nationalité des entreprises à protéger est une préoccupation essentiellement franco-française. Elle ne repose guère dans les pays anglo-saxons. Au-delà des critères objectifs, il existe en effet un fort sentiment subjectif qui est le ciment d'un véritable patriotisme économique. Dans ces conditions, l'État, le Congrès aux Etats-Unis n'hésitent pas à intervenir publiquement lorsque des intérêts industriels et économiques nationaux concernant des entreprises privées sont en jeu. On a pu découvrir ce même type d'intervention en France, par exemple avec le rôle joué par le Premier ministre sur le dossier Sanofi-Aventis.

- Il faut résister à une tentation « gosplaniste » pour apprécier tout ce qui est stratégique. La mise en place de fonds d'investissement pour sauvegarder certains secteurs stratégiques rentables pour la France et l'Europe doit être ciblée au vu d'un accord entre le public et le privé sur ce qui est stratégique. La protection des réseaux publics et privés est un service rendu non seulement aux entreprises, mais aussi à tous les citoyens dans leur vie quotidienne.

- Un accord politique est tout à fait possible sur ce sujet. Pour preuve, la mise en place de la fondation « Prométhée », qui vise à cibler des actions de sécurité économique, s'est faite en collaboration avec M. Jean-Michel Boucheron, ancien président socialiste de la commission de la Défense nationale, comme vice-président. Dans ce cadre, tout le monde doit pouvoir participer à une réflexion déterminante pour le destin de la France et l'Union européenne.

En application de l'article 146 du Règlement de l'Assemblée nationale, la commission des Finances a autorisé la publication du rapport d'information.

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