COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 59

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 22 juin 2004
(Séance de 12 heures 30)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Communication de la Mission d'information sur l'application de la loi organique relative aux lois de finances

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La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan a procédé à l'examen du projet de présentation de la loi de finances en missions et programmes.

M. Michel Bouvard a rappelé que la maquette du budget de l'État a été présentée en conseil des ministres mercredi dernier. Cette nouvelle nomenclature constitue un enjeu de taille pour le Parlement, puisqu'elle déterminera les conditions dans lesquelles le budget sera présenté, voté et exécuté. De la pertinence de la nouvelle structuration des crédits dépendront la portée de l'autorisation de dépense et la capacité du Parlement à contrôler l'utilisation de cette autorisation.

Par rapport à la maquette présentée en février, la nouvelle version présente des avancées significatives : le gouvernement a tenu compte de plusieurs propositions de la mission. Par contre, il a adopté une position moins ambitieuse sur d'autres points, qui méritent d'être corrigés afin de respecter les principes posés par la loi organique. À cet égard, il faut poursuivre la discussion avec le gouvernement pour que, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2006, première entrée en vigueur effective de la nouvelle nomenclature, les choses aient évolué positivement.

S'agissant des missions, les propositions d'amélioration de la maquette s'étaient orientées autour de trois principes directeurs : mieux identifier les politiques publiques pour rendre le budget plus lisible, assurer la cohérence du budget pour renforcer le contrôle du Parlement et, enfin, garantir la responsabilisation des acteurs pour améliorer l'efficacité de la gestion publique.

Une meilleure identification des politiques publiques suppose notamment de supprimer les missions mono programme, dont l'existence est contraire à la lettre même de l'article 7 de la loi organique. Cette recommandation n'a été que trop partiellement suivie. La mission « Sécurité », qui comprenait un unique programme « Police », a été transformée en une mission interministérielle avec l'adjonction du programme « Gendarmerie », conformément aux recommandations de la Mission d'information. Toutefois, il est dommage que les actions des deux programmes ne soient pas totalement miroir les unes des autres.

Par ailleurs, si la mission du budget annexe « Monnaies et médailles » et la mission du compte d'affectation spéciale « Cinéma et audiovisuel » ont bien été divisées en deux programmes, certaines missions conservent leur caractère « mono programme » sans que cela soit justifié. Il s'agit surtout de la mission « Conseil économique et social », mais également des missions « Journaux officiels » et « Course et élevage ».

La mission « Sécurité civile » a bien été divisée en deux programmes, mais, contrairement à ce qui avait été proposé par la Mission d'information, elle n'a pas été intégrée à une mission interministérielle « Écologie et maîtrise des risques », ce qui est très regrettable.

Afin de mieux délimiter les politiques publiques, la Mission d'information avait également proposé la création de trois nouvelles missions. La première, relative à la stratégie économique et au pilotage des finances publiques, devait regrouper les fonctions stratégiques du ministère de l'Économie et des finances ainsi que la charge de la dette et les fonctions de pilotage et d'expertise des finances sociales. Cette proposition n'a été que partiellement acceptée, puisque, si une mission « Stratégie économique et pilotage des finances publiques » est effectivement créée, elle n'inclut pas les crédits destinés au pilotage des finances sociales, ni d'ailleurs les crédits d'état-major et des inspections de Bercy. Néanmoins, les choses pourraient évoluer dans l'avenir.

La proposition de création d'une mission interministérielle « Politique des territoires », regroupant notamment les moyens de la DATAR, les crédits que le ministère de l'équipement consacre à la stratégie et à l'aménagement et le programme des interventions territoriales de l'État, autrement dénommé PITE, a en revanche été acceptée.

Enfin, la dernière proposition de création de mission portait sur une mission interministérielle regroupant l'ensemble des actions de l'État en matière d'écologie et de maîtrise des risques : prévention des risques naturels, contrôle des risques industriels, sécurité civile, météorologie. Alors que la création de cette mission permettait de renforcer la coordination des différents ministères concernés et de rationaliser l'organisation des structures de l'État en recentrant les DRIRE sur leurs missions de contrôle, elle a été refusée. Le statu quo a été maintenu sous la pression des ministères de l'Écologie et de l'Intérieur. Il s'agit là d'une vraie déception, surtout au regard de l'effet d'affichage provoqué par le vote de la Charte de l'environnement et la constitutionnalisation du principe de précaution. On doit regretter un tel manque de cohérence.

Une définition plus cohérente des missions supposait également d'élargir le périmètre de certaines d'entre elles. En particulier, la Mission d'information avait proposé d'inclure dans la mission relative à l'action extérieure de l'État le réseau à l'étranger du ministère de l'Économie et des finances, ce qui a été refusé. En revanche, le gouvernement a accepté de rattacher à la mission « Recherche et enseignement supérieur » les établissements de formation et de recherche agricoles et de rapprocher les crédits de la ville et du logement au sein d'une même mission.

S'agissant des programmes, M. Didier Migaud, a rappelé que la Mission d'information avait proposé une architecture permettant de mieux cibler et piloter l'action de l'État.

En prévoyant 141 programmes dans la maquette présentée en janvier dernier, le gouvernement avait poussé très loin le mouvement de globalisation des crédits, offrant ainsi aux ministères une liberté de gestion considérable. Aussi, plusieurs programmes méritaient d'être scindés. Il s'agissait en particulier du programme remboursements et dégrèvements du ministère de l'économie et des finances. Alors que ces remboursements et dégrèvements concourent à des finalités très différentes, ils étaient regroupés au sein d'un même programme. Aussi, la Mission d'information avait-elle proposé de créer, en fonction des politiques poursuivies, plusieurs programmes (prime pour l'emploi, crédits d'impôt recherche...), et de les rattacher aux missions identifiant la politique publique visée : travail, recherche ou enseignement supérieur. Cette proposition a été refusée. En effet, la mission « Remboursements et dégrèvements » présentée par le gouvernement comprend deux programmes, l'un consacré aux impôts d'État, l'autre aux impôts locaux, ce qui ne correspond absolument pas à la logique de la démarche proposée par la Mission.

De même, les propositions de la Mission d'information sur le budget de la défense n'ont pas été suivies. Il s'agissait en particulier de réduire d'énormes programmes en isolant le recrutement et la formation des personnels, ainsi que l'armement nucléaire. Il aurait également été opportun de réorganiser les actions et sous-actions du programme « Activités et soutien des forces » afin de renforcer la gestion « interarmées ». Malgré leur pertinence, aucune de ces propositions n'a été suivie, le ministère de la Défense s'y opposant avec force.

A également été refusée la proposition d'identifier un programme consacré à la réforme de l'État et aux relations avec les citoyens, distinct de la coordination du travail gouvernemental. Si le programme « Direction de l'action du gouvernement » a bien été scindé en deux, cela a été fait dans une logique différente de celle préconisée par la Mission, puisqu'ont été distingués, d'une part, un programme qui regroupe sans grande cohérence la coordination du travail gouvernemental et les instances indépendantes comme le Médiateur et le CSA, et, d'autre part, un programme relatif à la fonction publique et à la réforme de l'État.

Si la proposition de création d'un programme « Vie de l'élève » au sein du programme « Enseignement scolaire public du second degré » a été acceptée, il n'en a pas été de même de la proposition de distinguer, pour les universités, les formations supérieures et la recherche dans deux programmes différents. Toutefois, il convient de souligner que l'ancienne action relative à la recherche universitaire est ventilée par grands domaines scientifiques en 7 actions, miroirs des actions du programme « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires ».

Enfin, ont été acceptées les propositions de la Mission d'information de distinguer les aides à la pierre et les aides à la personne pour le logement, de découper en deux le programme « Agriculture, pêche et territoires ruraux » en fonction des deux piliers de la PAC, et d'identifier la prévention et le contrôle des risques industriels dans un programme spécifique, même si celui-ci n'est pas rattaché à une mission interministérielle « Écologie et maîtrise des risques ».

Un certain nombre de propositions de la Mission d'information ont été retenues. Pour autant, il reste quelques points durs sur lesquels il faudra que le Parlement revienne : les remboursements et dégrèvements, les programmes du ministère de la Défense, la mission « écologie et maîtrise des risques ».

Il serait souhaitable que la Mission d'information reçoive de la Commission des Finances mandat pour poursuivre ses travaux pour convaincre le gouvernement de la nécessité d'arbitrages plus ambitieux et plus respectueux de la loi organique, d'ici le projet de loi de finances pour 2006.

M. Michel Bouvard a exprimé sa satisfaction au regard du chemin parcouru depuis les projets de maquette qui figuraient dans les réponses aux questionnaires budgétaires relatifs au projet de loi de finances pour 2004. L'évolution a été rapide et impressionnante. Pour autant, des points durs subsistent, qui ne s'expliquent aucunement par des raisons techniques, la Mission d'information ayant étudié avec soin la faisabilité de ses propositions, mais par des raisons politiques déplacées et injustifiées : le précédent ministre de l'Intérieur ne voyait pas d'objection à la participation de la Protection civile à une mission interministérielle et la constitution d'un programme spécifique au nucléaire ne soulevait aucune difficulté technique. S'agissant du ministère de la Défense, on risque de se heurter à de véritables boîtes noires sur lesquelles le Parlement n'aura aucune prise. Il est donc nécessaire de rappeler que si le Parlement ne peut, par son droit d'amendement, créer de nouvelles missions, il peut en revanche très facilement supprimer un programme, une mission, ou bien les scinder. Une telle solution doit être très sérieusement envisagée. Enfin, il serait utile de faire apparaître une action « lutte contre la fraude fiscale » au sein du programme « gestion fiscale et financière de l'État et du secteur public local », pour souligner l'attachement du gouvernement et du Parlement à cet objectif.

À défaut d'améliorations de la maquette sur ces points, il sera nécessaire de procéder, en 2005, par voie d'amendements de la Commission.

Le Président Pierre Méhaignerie a observé que, compte tenu de la convergence politique rare intervenue entre les membres de la mission d'information, du travail important réalisé et de la totale autonomie du Parlement par rapport aux pressions de certains corporatismes, il serait souhaitable que les principaux membres de la mission cosignent une lettre argumentée au Premier ministre, qu'il transmettra.

Il a interrogé les membres de la mission sur la position qui doit être celle de la Commission face à la demande, pressante et injustifiée, du Conseil économique et social qui veut faire l'objet d'une mission mono programme.

M. Jean-Louis Dumont, rappelant sont attachement à cette institution, a proposé de placer le Conseil économique et social au sein des pouvoirs publics.

M. Charles de Courson a estimé qu'il ne fallait pas accorder une importance exagérée au Conseil économique et social, qui représente, certes, des intérêts légitimes sociaux économiques et autres, mais ne peut être placé à l'égal du Parlement qui, lui, représente la Nation. Il faut, purement et simplement, informer le gouvernement que si le programme correspondant était maintenu sous forme de programme unique d'une mission, la Commission des Finances adopterait un amendement de suppression. La définition de la mission Défense est très insatisfaisante et infondée, car comme chacun le sait, elle a résulté de luttes bureaucratiques. La loi de programmation militaire définissait huit missions dont on pouvait s'inspirer pour élaborer la nomenclature, tout en gardant la possibilité de les faire évoluer avec le temps. La Commission devrait informer le gouvernement que s'il n'est pas tenu compte des observations complémentaires, elle se réservera le droit d'amender l'actuelle nomenclature, comme elle en aura le droit, voire pour supprimer certaines missions. Il serait préférable que le gouvernement tienne compte, en amont, des observations de la Commission, plutôt que d'ajouter à des suppressions de crédits.

M. Jean-Pierre Brard a approuvé les propos du Président ainsi que ceux de ses collègues. Il a estimé qu'il faut reconnaître les avancées obtenues, ce qui autorise à souligner les défauts résiduels de la maquette gouvernementale : il s'est dit favorable à l'organisation d'une conférence de presse sous la présidence du Président de la Commission, pour faire connaître ces avancées et ces défauts. Parmi ces derniers, il a relevé la nomenclature du ministère de la Défense et le traitement de la lutte contre la fraude, car l'actuelle maquette reflète une grande irrésolution pour combattre la fraude. Il a estimé que les deux ministères ne devaient pas être mis sur le même plan, les échanges s'étant dans l'ensemble fort bien déroulés avec le Ministère des Finances, ce qui n'a pas été le cas avec le Ministère de la Défense.

M. Charles de Courson a suggéré que le Président de la Commission signe également la lettre des quatre membres de la mission.

Le Président Pierre Méhaignerie a jugé préférable de s'en abstenir et d'en assurer la transmission, afin de donner plus de poids à cette initiative réunissant les représentants de tous les groupes politiques.

M. Didier Migaud a approuvé cette initiative du Président de la Commission, indiquant que la lettre devrait être transmise au Premier ministre, puis faire l'objet d'une diffusion. Il a précisé que le Parlement disposait, certes, de la capacité d'amender la maquette mais qu'il ne pourra le faire que lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2006. Jusque-là le Parlement ne pourra que transmettre des observations, d'où l'intérêt de convaincre le gouvernement de la pertinence des observations de la Mission d'information, pour ne pas que la première présentation budgétaire appliquant la loi organique ne traduise un affrontement.

En ce qui concerne l'action relative à la fraude fiscale, M. Nicolas Sarkozy n'a cependant pas été insensible à l'argument selon lequel il convient de donner toute son importance à ce sujet. Sur les autres thèmes que sont le budget de la défense et les deux missions « remboursements et dégrèvements » et « écologie et maîtrise des risques », la Commission doit en effet continuer à défendre nettement sa position. Enfin, il n'y a effectivement pas de raison d'ériger le Conseil économique et social en pouvoir public : le Conseil d'État ou le Conseil supérieur de la magistrature sont eux aussi mentionnés dans la Constitution et ne font pas l'objet de missions. Même si les défauts relatifs à la défense et à l'écologie sont autrement lourds de conséquences, c'est ici une question de principe.

M. Jean-Louis Dumont a accepté cette observation indiquant qu'il ne changeait cependant pas d'opinion, sur le fond. Il a interrogé les rapporteurs sur les modalités d'une lecture économique et financière en termes de développement, d'efficacité et de résultats portant sur les financements européens, tels que les financements au titre de la politique régionale, de la politique agricole, ou de l'appui aux actions transfrontalières : l'affichage des politiques sera moins clair, ce qui risque d'entraîner une moindre valorisation de celles-ci.

M. Michel Bouvard a précisé qu'il conviendrait de trouver des moyens d'identifier ces financements en utilisant des indicateurs spécifiques pour les ministères ayant à gérer ces fonds. Par ailleurs, il a mentionné à l'intention de ses collègues le récent rapport sur la préparation de la mise en œuvre de la loi organique, qui dresse un bon état des lieux, ainsi que la parution du guide de la démarche de performance qui sera adressé aux ministères et constituera un socle pour la construction des indicateurs de performance.

En conclusion, le Président Pierre Méhaignerie a approuvé la démarche des quatre membres de la mission appuyée par l'ensemble de la Commission, consistant dans l'immédiat à adresser une lettre au Premier ministre recensant les différentes critiques formulées sur la maquette du gouvernement, et à en organiser ensuite une diffusion. Il a noté que l'ensemble de la Commission est favorable à cette démarche ainsi qu'à la publication, à terme, d'un rapport, cette publication étant cependant reportée après l'envoi de cette lettre signée par les membres de la mission.

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