COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 66

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 22 juillet 2004
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Xavier Sahut d'Izarn, directeur de cabinet de M. François d'Aubert, ministre délégué à la Recherche et M. Didier Banquy, directeur de cabinet de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au Budget et à la réforme budgétaire en présence de M. Christian Bréchot, directeur général de l'INSERM, M. Bernard Larrouturou, directeur général du CNRS et Mme Marion Guillou, directrice générale de l'INRA

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La commission des Finances a procédé à l'audition de MM. Xavier Sahut d'Izarn et Didier Banquy, respectivement directeurs de cabinet de MM. François d'Aubert, ministre délégué à la Recherche et Dominique Bussereau, secrétaire d'État au Budget et à la réforme budgétaire, ainsi que de MM. Christian Bréchot, directeur général de l'INSERM, Bernard Larrouturou, directeur général du CNRS, et de Mme  Marion Guillou, directrice générale de l'INRA.

Le Président Pierre Méhaignerie a indiqué qu'en dépit de l'empêchement de M. François d'Aubert, ministre délégué à la Recherche, retenu par le Président de la République, il n'a pas voulu décaler dans le temps cette audition, afin de ne pas désorganiser l'emploi du temps des commissaires et a donc demandé aux directeurs de cabinet des deux ministres de suppléer ceux-ci.

M. Xavier Sahut d'Izarn, directeur de cabinet de M. François d'Aubert, ministre délégué à la Recherche, après avoir renouvelé les excuses du ministre pour n'avoir pu répondre à la demande d'audition, a souhaité rappeler plusieurs points concernant la situation actuelle de la recherche. En premier lieu, toutes les études économiques confirment la corrélation entre le niveau de recherche et développement d'un pays et son développement économique. C'est le cas notamment d'études de l'OCDE, qui ont permis de mesurer que la moitié de la croissance aux États-Unis est directement liée à l'effort de ce pays en recherche et développement. La comparaison établie sur le moyen terme entre les pays européens et d'autres pays industrialisés, tels que les États-Unis ou le Japon, fait état d'un écart de savoir défavorable à l'Europe, qui se traduit par un écart entre les gains de productivité. Cela constitue une réelle préoccupation, qui a conduit l'Union européenne, au Conseil européen de Lisbonne, à vouloir développer une économie de la connaissance et à accroître l'effort de recherche et développement au niveau de 3 % du PIB, la France se situant aujourd'hui à 2,2 %. En deuxième lieu, le gouvernement français s'est, conformément à cette orientation européenne, engagé à accroître de 3 milliards d'euros l'effort de recherche et développement d'ici 2007. Celui-ci a vocation à bénéficier à la recherche publique comme à la recherche privée, sachant que le niveau de recherche et développement des entreprises, qui s'établit à 1,2 % du PIB, est proportionnellement moins important que celui des autres pays développés comparables.

Cet effort, qui aura une traduction budgétaire, et peut-être aussi extra budgétaire, devra se traduire dans la durée, même si tous les arbitrages budgétaires n'ont pas encore été rendus. Il devra également s'accompagner d'une réforme du système national de recherche et d'innovation. Des propositions ont d'ailleurs déjà été formulées en la matière, que ce soit à l'Académie des sciences, à l'Académie des technologies, ou dans le cadre de l'opération Futuris par l'Association nationale de la recherche technique, qui tendent à améliorer la relation entre la recherche publique et la recherche privée. À cet effet, une concertation ouverte aux chercheurs publics et privés a été engagée, notamment au sein du Comité d'initiative et de proposition (CIP) présidé par les Professeurs Baulieu et Brézin. À la suite des conclusions que ce comité devrait rendre à la fin du mois d'octobre, un projet de loi d'orientation et de programmation pour la recherche sera préparé, puis soumis à concertation en décembre prochain, avant d'être déposé. Cette politique repose sur un contrat moral avec le monde de la recherche, au titre duquel, si des moyens importants sont accordés à celle-ci, les structures de recherche devront, de leur côté, entreprendre les réformes nécessaires pour accroître l'efficacité globale du système et tirer profit de tous les potentiels d'amélioration.

M. Didier Banquy, directeur de cabinet de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au Budget et à la réforme budgétaire, après avoir présenté les excuses du ministre, a apporté plusieurs éléments d'information complémentaires. En premier lieu, la France se situe en termes d'effort de recherche, à un rang très honorable parmi les pays de l'OCDE. Quel que soit le critère retenu : effort de recherche en pourcentage du PIB, nombre de chercheurs par rapport à la population, montant des dépenses de recherche par habitant..., elle occupe les premiers rangs, et est souvent située à la troisième ou quatrième place. Elle se caractérise, par ailleurs, par trois éléments principaux : l'importance de l'effort public de recherche et, corrélativement, l'insuffisance relative de l'effort de recherche privé, la faiblesse très marquée de la recherche duale, associant l'effort civil et l'effort militaire, qui représente 0,23 % du PIB, contre 0,46 % aux États-Unis, et la relative inefficacité des politiques publiques pour favoriser le développement de la recherche privée. Par ailleurs, malgré cet effort global important, les performances de la France ont plutôt tendance à se dégrader sur le moyen terme. Ainsi, la part des brevets français en Europe ou aux États-Unis est en constante diminution depuis 20 ans, accusant une perte de l'ordre de 25 %, quels que soient les critères retenus. Quant à l'indice d'impact des publications scientifiques à deux ans - c'est-à-dire la façon dont ces publications sont reprises dans le monde scientifique -, il n'est guère favorable. La France se situe d'ailleurs au quinzième rang des pays de l'OCDE pour le nombre de publications scientifiques par habitant. Cette situation appelle donc plusieurs réformes structurelles.

M. Didier Migaud a remercié les directeurs de leur venue et a regretté très vivement l'absence des ministres de la recherche et du budget. Le budget du secteur de la recherche et ses enjeux impliquent un engagement et une responsabilité politiques. Il n'incombe pas, par principe même, aux directeurs de cabinet de répondre aux interrogations politiques en la matière. Certes, ils peuvent apporter des éléments d'information technique aux parlementaires, mais cela doit plutôt se faire dans le cadre de réunions avec les rapporteurs spéciaux ou dans le cadre de réunions de travail et non dans le cadre de la Commission en réunion plénière. La situation présente est gênante pour les directeurs de cabinets eux-mêmes qui, bien entendu, ne sont pas personnellement en cause, et pose un problème plus général de relations entre l'exécutif et le Parlement. Il serait préférable de reporter la présente réunion.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné qu'il assumait pleinement le non report de la réunion à l'après-midi, compte tenu des contraintes d'emploi du temps pesant sur les parlementaires, qui les auraient certainement empêchés d'être présents.

Mme Marion Guillou, directrice générale de l'INRA, a donné des informations sur la situation d'ensemble de la recherche agronomique. Dans le monde, il existe trois grands pôles de recherche agronomique : les États-Unis, la Chine, qui a opéré une profonde réorganisation, et l'Europe dans laquelle la France joue un rôle de leader. Le premier élément apparent est que la recherche demeure un métier compétitif. Dans le domaine de la biotechnologie végétale, par exemple, il existe une concurrence très ouverte entre les travaux réalisés dans le monde entier. Même si la France se maintient à un niveau convenable, les États-Unis opèrent un effort beaucoup plus important que le nôtre. Les subventions fédérales publiques y sont en ce moment 40 fois supérieures. Quelques entreprises françaises sont cependant bien placées, en matière de semences végétales, mais l'avenir pourrait être obéré, faute de moyens suffisants. À titre de comparaison, le programme national « Génoplante » qui regroupe des partenaires publics (CNRS, CIRAD, IRD-INRA) et privés ne représente pourtant qu'un dixième de l'activité de recherche du premier groupe privé américain. Il existe un réel climat de compétition mondiale et la France n'a pas démarré à la même vitesse que ses concurrents, dans certains domaines de recherche. C'est le cas par exemple de la biosécurité ou du secteur de la valorisation non alimentaire, comme les biocarburants.

La seconde problématique qui se pose aujourd'hui est celle de l'attractivité et de l'efficacité du secteur public de la recherche avec toutes les contraintes de gestion et de contrôle public qui pèsent sur elle. Cette question se pose notamment sous l'angle des salaires des jeunes chercheurs. Par ailleurs, le système doit être réformé et des propositions ont été faites au ministre pour une meilleure insertion de nos laboratoires dans l'Europe, pour une organisation plus efficace et pour un système plus compétitif. Le bilan global sur le manque d'attractivité et d'efficacité du secteur de la recherche semble cependant trop pessimiste. La France demeure compétitive dans certains domaines comme le secteur de la biologie non médicale. Le secteur agroalimentaire présente toujours des résultats satisfaisants. Il est vrai que la part de recherche et développement reste globalement faible, mais ce constat peut être dressé pour ce secteur dans tous les pays. Il convient de rappeler que la recherche agroalimentaire met en œuvre des partenariats divers, aussi bien avec des entreprises qu'avec des agriculteurs ou des collectivités territoriales.

M. Bernard Larrouturou, directeur général du CNRS, a rappelé que la crise du secteur public constatée en début d'année ne posait pas globalement un problème de qualité de la recherche française, qui présente de bons résultats dans de nombreux domaines. De même, les propos tenus sur la fuite des cerveaux sont souvent trop pessimistes et caricaturaux. La recherche française attire toujours de nombreux chercheurs étrangers. Le problème qui se pose est celui d'une organisation efficace et de la compétitivité de la recherche en France, ainsi que la faiblesse de la liaison entre public et privé. Le temps est aujourd'hui compté. Il faut, en particulier, assurer un meilleur passage des docteurs vers le privé. Il existe des difficultés spécifiques dans le domaine des sciences du vivant. C'est d'ailleurs la crise de ce secteur qui est, en début d'année, apparue la plus flagrante. C'est là que l'écart avec les USA s'est le plus creusé, nos doctorants partant pour l'étranger. Cette perte de vitesse apparaît clairement quand on considère l'impact des publications. Se pose aussi le problème du nombre d'emplois dans le secteur privé. Une autre faiblesse est le lien entre le secteur de la défense et les sciences du vivant. La capacité d'intervention est beaucoup plus grande aux États-Unis.

M. Bernard Larrouturou a rappelé qu'il était depuis un an au CNRS et que c'est un établissement d'une taille très importante, qui nécessite impérativement une réforme. Il existe actuellement une vraie fenêtre d'opportunités, car il y a une véritable conviction largement partagée dans le monde scientifique pour constater la nécessité d'une réforme profonde. Il faut opérer une clarification des missions du CNRS et renforcer la capacité des universités à développer une politique scientifique. Des propositions concrètes ont été faites pour que le CNRS intervienne dans le cadre de moyens et d'objectifs fixés préalablement. Le CNRS dispose de moyens importants, il convient cependant de recentrer ses missions, tout en conservant son caractère généraliste. Il faut aussi réformer la politique de ressources humaines, car se pose un problème d'attractivité. La situation n'est pas alarmante, puisque le CNRS recrute, en 2004, 23 % de chercheurs étrangers, mais une réforme en profondeur est nécessaire. Elle doit concerner d'autres sujets, tels que l'évaluation de la recherche, l'insertion au niveau européen et la réforme d'un organisme qui comprend près de 30.000 personnes. Une des pistes possibles est d'amplifier la déconcentration et de promouvoir des pôles régionaux plus forts. Un plan stratégique a été préparé, il constitue une réelle opportunité. Le CNRS comprend des effectifs importants, l'objectif souhaitable n'est pas nécessairement de les faire croître, mais d'organiser de façon plus efficace le travail en disposant notamment d'une perspective pluriannuelle et en optimisant les crédits affectés par tête de chercheur.

M. Christian Bréchot, directeur général de l'INSERM, a souligné que la France a besoin de réformer son système de recherche, et notamment sa recherche médicale. À défaut, nous connaîtrions de façon certaine un déclin de la recherche française. L'INSERM en a pris conscience et a entrepris des actions de réorganisation. L'absence d'étude sur la place de la recherche biomédicale française dans le monde est regrettable ; toutefois, la France demeure à la première place mondiale pour sa recherche dans certains secteurs de la médecine. Il serait souhaitable de connaître les domaines dans lesquels notre pays est en moins bonne position pour réagir.

En ce qui concerne la mesure de la performance de la recherche française, l'indice d'impact à deux ans des publications n'est pas toujours pertinent, car la prise en compte d'une durée plus longue est parfois préférable. Le thème du déclin de la recherche française ne doit pas occulter sa solidité et sa notoriété. Plutôt que de l'aligner sur les modèles anglo-saxons, il conviendrait peut-être de la consolider. Deux exemples illustrent cette affirmation. L'INSERM a mis en place un financement sur projet au sein du programme « avenir », dont l'objectif est de doter les jeunes chercheurs de moyens d'action forts. Ce programme permet d'allier à la fois un soutien financier et une utilisation intelligente et efficace des crédits. Les projets sont choisis par une commission indépendante dont les membres sont nommés et à laquelle participent des experts internationaux. Ces efforts peuvent également être appuyés par le programme ESPRI, dont les équipes sont soutenues par les régions et l'INSERM. La combinaison de programmes de ce type et du développement de centres de recherche atteignant une masse critique devrait permettre de soutenir de nombreux projets.

Dans l'innovation et la valorisation de la recherche, il convient de dynamiser la preuve de concept. En effet, le nombre de brevets déposés par la France est en diminution. Or le problème ne réside pas dans la génération des connaissances, qui se poursuit, mais dans le décalage de 12 à 18 mois, qui existe entre le moment de la découverte et celui où des industriels peuvent prendre un risque fondé sur son exploitation. En ce qui concerne la fuite des cerveaux, il convient d'améliorer le contact avec les chercheurs français travaillant à l'étranger, qui ne sont pas systématiquement enregistrés dans les consulats et ambassades. Ils doivent être encouragés à le faire car le maintien d'un contact avec eux permet des retours significatifs pour la recherche française. On a, aujourd'hui, du mal à les identifier.

Par ailleurs, il ne faut pas encourager systématiquement les positions statutaires permanentes. L'INSERM a été impliqué dans la crise récente par le fait d'un malentendu portant sur la baisse du nombre des emplois permanents, qui a suscité la crainte d'un déséquilibre entre ces derniers et les emplois temporaires. Il est nécessaire aujourd'hui de faire évoluer le statut des chercheurs : ceux-ci devraient pouvoir bénéficier de contrats temporaires de trois à cinq ans portant sur des objectifs précis. Les deux tiers de leur rémunération seraient alors liés à leur position permanente, tandis qu'un tiers proviendrait de contrats temporaires. Pour faire revenir nos chercheurs partis à l'étranger, il est important de leur offrir à la fois la sécurité de l'emploi et une stimulation à la compétitivité. Nous aurions alors un système efficace et attractif.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a lui aussi regretté l'absence des deux ministres, alors que leur audition a été fixée il y a plus d'un mois. Il est cependant nécessaire de pouvoir, avant la discussion budgétaire, s'entretenir avec les directeurs des trois principaux établissements publics de recherche sur l'utilisation des crédits publics. Les dotations de la recherche, en France, sont situées à un niveau globalement convenable. Il est vrai que le financement privé est insuffisant. La récente crise s'est focalisée sur des problèmes de moyens, sans que jamais la question de l'évaluation de l'efficacité des organismes soit envisagée, ou celle des redéploiements, alors même que le contexte budgétaire est difficile. Deux problèmes ont été soulevés : celui du niveau des dotations budgétaires, car compte tenu de l'importance des fonds de roulement accumulés par les organismes, des mesures de régulation très brutales ont été pratiquées, et celui des statuts, une logique de fonctionnariat s'étant développée.

Alors que la loi organique est progressivement mise en œuvre, il ne s'agit plus de reconduire les services votés, mais il faut s'interroger sur l'efficacité des crédits au premier euro. Les crédits pourront être redéployés, une prise en compte pluriannuelle pourra prévaloir, et une approche contractuelle par projets serait souhaitable. C'est pourquoi il faut se doter d'instruments d'évaluation incontestables, qui permettent de remettre en cause certaines situations acquises, tout en mettant l'accent sur les sciences du vivant. Il faut concilier la nécessaire sécurité statutaire avec une approche contractuelle de la recherche. Par ailleurs, les recherches civile et militaire doivent être mieux articulées. Si la direction des applications militaires du commissariat à l'énergie atomique (CEA) s'inscrit dans cette voie, il semble que cette démarche n'est pas généralisée. Dans le cadre de la réflexion sur les missions et programmes, au sens de la loi organique, le Parlement a connu les pires difficultés pour obtenir que la mission interministérielle « recherche » comprenne un programme de recherche duale.

M. Christian Cabal, Rapporteur spécial des crédits de la recherche, a souligné que le budget de la recherche était particulièrement aride et que la présente audition permettait d'éclairer le vote des parlementaires. Le rapport présenté il y a quelques semaines proposait une interprétation budgétaire de la crise, laquelle dépasse largement le monde de la recherche pour concerner l'ensemble de la population. Les médias ont relayé des appréciations catastrophistes très exagérées. Aussi le propos liminaire des directeurs d'organismes a-t-il permis de rectifier certaines idées fausses, répandues dans l'opinion. À titre d'exemple, l'institut de technologie de Californie (Caltech) de Los Angeles est la troisième université au monde, et dispose d'une équipe travaillant sur les batteries ion-lithium comportant des chercheurs français. La recherche française est donc reconnue mondialement.

Les régulations budgétaires ont lourdement pénalisé les chercheurs. Le Rapporteur spécial a demandé aux représentants des ministres si le reliquat d'un tiers des crédits de report gelés avait été délégué par le Gouvernement, comme il s'y était engagé fin 2003. Il a estimé qu'il faudrait être particulièrement attentif à la question de la couverture des autorisations de programme par les crédits de paiement correspondants avant le passage au nouveau système prévu par la loi organique. Un manque d'environ 250 millions d'euros de crédits de paiement pourrait apparaître en 2005. Enfin, des chercheurs ont été recrutés sur des postes contractuels. Ces recrutements seront-ils maintenus ? Sur tous ces points, il faut rassurer la communauté des chercheurs et bâtir une politique de moyen et long termes transparente.

Usant de la faculté que l'article 38 du Règlement de l'Assemblée nationale confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, M. Pierre-André Périssol a souligné qu'un élément caractéristique de la recherche française est la relative faiblesse de la recherche universitaire, et un rééquilibrage devrait être opéré. Les directeurs d'organismes partagent-ils ce constat ? Quelles sont les intentions du Gouvernement à cet égard ? Quelles actions de rapprochement peuvent conduire les organismes tels que l'INSERM, le CNRS ou l'INRA avec l'université ?

Par ailleurs, l'effort de recherche et développement doit être accru, mais l'opinion doit pouvoir comprendre les choix qui sont faits afin de soutenir cet effort. Comment sont arrêtées les priorités de recherche ? Quel est le rôle des responsables politiques ? Cette question concerne en particulier le domaine important de la recherche relative aux maladies neurovégétatives.

M. Hervé Mariton a approuvé le propos préliminaire de M. Gilles Carrez. S'agissant de la comparaison entre la France et l'étranger sur le nombre de publications, on peut constater un taux de croissance considérable des pays concurrents. Si la France garde encore un rôle convenable, celui-ci est susceptible de se dégrader. Quelles sont les perspectives dans ce domaine ?

S'adressant à M. Xavier Sahut d'Izarn, directeur de cabinet de M. François d'Aubert, il a souhaité connaître les réflexions du ministère sur l'avenir de la politique budgétaire. L'État envisage-t-il d'acquérir de nouveaux instruments de recherche océanographique ? Un financement privé est-il envisagé ? Ces questions peuvent être posées par exemple à propos du « pourquoi pas ».

M. Jean-Pierre Brard a constaté que la proportion de chercheurs étrangers au CNRS qui est de 23 % montre l'attractivité de la recherche française malgré la faiblesse des salaires. Quel est le nombre de chercheurs français qui partent à l'étranger ? Quelle est la proportion qui y reste ? De quels pays proviennent ces 23 % de chercheurs ? Le constat d'attractivité ne peut, en effet, pas être le même si les chercheurs étrangers proviennent de pays où les activités de recherche sont moins bien rémunérées qu'en France, car le niveau général de vie y est moindre.

M. Michel Bouvard a souhaité connaître les choix et les priorités retenus en matière de recherche. S'agissant de la mise en œuvre de la loi organique, il a constaté la timidité du programme dual du ministère de la défense, et le découpage regrettable en deux programmes de la recherche d'une part, et de la recherche universitaire d'autre part. Se pose la question du fonctionnement de la mission interministérielle qui impliquera sept ministères, compte tenu du fait qu'à l'avenir des redéploiements de crédits pourront être opérés entre les programmes. De quelle manière s'effectuera la coordination au niveau de la mission et des différents programmes ? Par ailleurs, comment s'articule la politique des différents établissements de recherche et la recherche universitaire ? Quelle sera cette articulation à l'avenir ? En effet, des postes sont fléchés dans les laboratoires universitaires. Existe-t-il une coordination, y compris quand les crédits ne sont pas fléchés ? Quel est l'avis des directeurs sur la présentation qui est faite d'une répartition des chercheurs universitaires qui travaillent 50 % de leur temps en recherche et qui font de l'enseignement supérieur les 50 % du temps restant ? S'agissant des indicateurs de performance, existe-t-il des indicateurs comparables, ou équivalents, entre programmes ? Peut-on bâtir des indicateurs performants et incontestables ? L'exemple de la pondération des chiffres selon les secteurs de l'impact des publications, cité précédemment montre les difficultés de l'exercice. S'agissant de la taille du CNRS, décrit comme « très grand », ne peut-on pas dire qu'elle est « trop » grande ?

M. Jean-Michel Fourgous a constaté que la France se situait au 4ème rang dans le monde pour les résultats du secteur de la recherche et au 9ème rang en ce qui concerne le dépôt de brevets. Mais elle se situe au 11ème rang de l'Union européenne lorsqu'on utilise le ratio du nombre de brevets déposés par chercheur. Pourquoi cet écart ? Que peut-on faire pour améliorer ces résultats ? Il existe une véritable culture de résultat aux États-Unis, comment peut-on faire pour la développer en France ? Ayant travaillé au CNRS, il a souligné qu'il existait des gens très compétents, mais qu'il y avait un véritable carcan qui suscite un « gâchis d'intelligence ». Comment remédier à cette situation ? Quels critères peut-on trouver pour fixer des objectifs aux chercheurs et les responsabiliser ?

M. Édouard Landrain a souhaité connaître le temps de gestation moyen d'un projet et le rythme pluriannuel d'échéances de leur mise en œuvre.

M. Gérard Bapt s'est interrogé sur l'état de la recherche sur le traumatisme crânien en France et sur les conséquences des psychotropes sur ce type de traumatisme. Alors que l'explosion de l'usine AZF à Toulouse a endommagé plusieurs établissements universitaires ou de recherche, l'Institut national polytechnique (INP) et le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) sont victimes de gels de crédits, l'État paraissant vouloir retarder le déblocage de 41 millions d'euros destinés à ces deux organismes.

Le Président Pierre Méhaignerie a souhaité savoir si un pays de 60 millions d'habitants comme le nôtre, avec un niveau de dépenses publiques considérable et des contraintes budgétaires particulièrement fortes, peut véritablement imaginer entrer en compétition avec d'autres pays à la fois sur le front européen, c'est-à-dire au sein d'un espace multilingue, et avec les États-Unis.

M. Christian Bréchot, directeur général de l'INSERM, a indiqué qu'il était évident que les moyens dont disposait notre pays sont moindres qu'aux États-Unis, notamment dans le domaine de la recherche biomédicale. L'effort public en France est cinq fois inférieur à l'effort public américain en matière de recherche. Il est impératif de se donner plus de visibilité. La loi relative à la politique de santé publique a fixé des objectifs. Il s'agit maintenant de les décliner en programmes, notamment s'agissant du diabète et des maladies cardio-vasculaires. Il sera alors possible de mettre en place des indicateurs performants pour suivre les progrès réalisés dans ces différents domaines. Le rôle de l'INSERM est de soutenir la recherche par tous les moyens. S'agissant des universités, il faut utiliser au mieux l'existant avant de chercher à tout réinventer ! Les formules existantes, notamment celles de contrats temporaires, doivent être développées pour permettre de rapprocher nos chercheurs du monde de l'enseignement et de l'industrie. Il est possible de combiner l'évaluation nationale et les stratégies locales d'universités.

M. Bernard Larrouturou, directeur général du CNRS, a considéré que l'avenir de la recherche française ne peut se concevoir hors d'une perspective européenne. Le développement de l'Europe de la recherche peut nous permettre d'être compétitifs au niveau international. On constate, par exemple, que les Européens mettent en place de nombreux programmes qui n'existent pas encore en Californie. Le CNRS n'organise désormais plus que des colloques européens, et non uniquement français. La compétition est très âpre, notamment face aux États-Unis et même à la Chine, dont les progrès sont impressionnants, y compris dans le domaine scientifique.

Le problème n'est certainement pas que le CNRS est « trop » grand : il faut comprendre quelles sont ses missions, comment il est possible de le réformer et de quelle manière il doit être organisé. Dans ce dernier domaine, de nombreux progrès restent à accomplir et il y a indéniablement des potentialités insuffisamment développées au sein de l'établissement. La réforme passera par un accroissement de la mobilité, une modernisation de la fonction de gestion des ressources humaines et la mise en place d'une logique d'objectifs. Le sujet des universités est l'un des plus essentiels de la période actuelle. En 1939, on constatait que la recherche à l'université ne marchait pas, alors on a créé une structure extérieure : le CNRS. Dans les années 60 et 70, on disait que la France ne consacrait pas assez de moyens à la recherche, alors on a créé les laboratoires communs avec les universités. Aujourd'hui, où 90 % des laboratoires sont communs avec les universités, on se demande surtout comment faire pour que celles-ci deviennent progressivement des établissements majeurs en matière de recherche. La loi organique relative aux lois de finances va forcer le CNRS à avancer et à se réformer. C'est un sujet essentiel. Il doit aboutir à déterminer plus clairement les choix à opérer. L'un des éléments clef de l'évolution est celui du « reporting » global sur les politiques de recherche. Le CNRS s'emploie actuellement à améliorer la pertinence des indicateurs en la matière.

Un grand travail reste à accomplir sur les brevets et leur exploitation, même si les résultats ne sont, de facto, pas moins bons qu'aux États-Unis. Un brevet peut, en effet, à lui seul, assurer de très gros retours financiers, ce qui relativise l'agrégat du seul nombre de brevets déposés.

S'agissant de l'origine géographique des 23 % des chercheurs étrangers, les données exhaustives ne sont pas encore connues pour cette année, le recrutement venant de s'achever, mais il est certain que ces recrutements sont de bonne qualité et que l'origine géographique de ces chercheurs est principalement européenne, qu'il s'agisse de chercheurs venant de l'Est, en particulier des Roumains et des Hongrois, ou de pays voisins, comme l'Allemagne ou l'Italie, qui nous envient souvent nos postes permanents. Peu d'Asiatiques viennent au CNRS, mais l'on trouve quelques Américains et quelques Russes.

Mme Marion Guillou, directrice générale de l'INRA, a indiqué que, parmi les divers choix qui doivent être faits, la question première demeure celle des choix politiques. Dans le cadre de ces choix et des missions qui lui sont confiées, l'INRA doit organiser son dispositif et ses programmes de recherche. Le champ d'action est désormais extrêmement vaste en matière de maladies émergentes à étudier, notamment animales et végétales, très supérieur à ce qu'il était il y a trente ans. Il est impératif, avec nos voisins allemands et britanniques par exemple, de mettre en place un véritable réseau européen performant de veille et des programmes de travail en commun. Il est également crucial de réviser régulièrement le champ des missions des différents organismes de recherche français. Pourquoi créer un organisme nouveau chaque fois qu'une mission nouvelle de recherche doit être développée? Dans les organisations, il faut imaginer des répartitions de compétences avec une logique plus européenne et, à l'intérieur de chaque organisme, il faut mettre en place un « aller-retour » efficace entre les orientations données et les propositions que formulent les équipes de recherche. À l'INRA, cela se fait sous la forme des schémas stratégiques de département, déclinés en objectifs, en périmètres et en jalons. Ce travail sera la base d'une évaluation plus performante de notre action.

Les programmes de recherche sont en principe bâtis sur une échéance de 4 ou 5 ans. Cela donne aux chercheurs une visibilité satisfaisante, entre la contrainte du budget annuel et les aléas des recherches. C'est l'Institut qui joue un rôle d' « amortisseur » pour assurer le financement des recherches en cours, lorsque la délégation de crédits est irrégulière dans le temps.

En ce qui concerne le choix des programmes, il faut prendre en compte les thématiques sur lesquelles la France est en pointe, ou ne l'est pas. Il faut aussi définir les secteurs sur lesquels la France souhaite rester compétitive au niveau mondial, pour établir des priorités. Nous sommes, par exemple, très compétitifs en matière de sciences végétales ou animales. Entend-on le rester ?

L'INRA est très lié à la recherche universitaire - ou aux écoles - puisque la moitié des unités de recherche sont mixtes : il y a 141 unités mixtes de recherche (UMR) regroupant 1.250 chercheurs et ingénieurs de l'INRA et 940 enseignants chercheurs. Sur certains secteurs de recherche, comme la nutrition animale, il n'y a pas de recherche universitaire, mais l'INRA coopère avec les écoles agronomiques et vétérinaires. Ces procédures d'association au sein d'unités mixtes de recherche sont cependant très lourdes en gestion et il serait souhaitable de simplifier celle-ci, en rendant possibles les mandats de gestion. Le système administratif souffre d'une trop grande complexité.

Une multiplicité de personnes de statuts différents collabore au sein des laboratoires. En plus des 1.800 chercheurs statutaires, il y a 1.700 thésards et 1.000 étudiants ou chercheurs étrangers accueillis dans les laboratoires de l'INRA. De ce fait, en « force chercheurs » globale, il y a davantage de non permanents que de permanents. Il ne peut pas en aller de même pour les personnels ingénieurs (ITA), qui circulent moins. On manque d'ailleurs d'outils favorisant la mobilité des personnels entre unités de recherche : il n'y a aujourd'hui aucun moyen d'inciter à la mobilité. La profession de chercheur est sans doute la plus évaluée qui soit, mais il faut définir précisément ce qu'on évalue, sur quels critères et avec quelles conséquences, compte tenu notamment du caractère très coûteux en temps-homme de l'ensemble des processus d'évaluation. Il y a un risque à vouloir par trop homogénéiser l'évaluation, car les critères dépendent des missions fixées et des objectifs à atteindre. Ainsi, le nombre de publications dépend-il très fortement du type de sujet traité. Il faut prendre garde à la manière dont l'évaluation est réalisée, pour éviter d'instituer une pratique scientifique uniforme et maintenir la nécessaire diversité des métiers.

M. Xavier Sahut d'Izarn, directeur de cabinet de M. François d'Aubert, ministre délégué à la Recherche, a apporté les précisions suivantes :

- un objectif majeur de la future loi sera de traduire les réformes permettant de dégager des priorités claires et d'instaurer un véritable pilotage stratégique ;

- la définition des priorités de la recherche doit relever d'un choix politique, évitant deux écueils : la multiplication de priorités et le caractère trop détaillé des programmes d'une part, et la critique, par le monde scientifique, de la légitimité du politique à effectuer ces choix d'autre part. Il est donc nécessaire de mettre en place un conseil scientifique consultatif, mais en réexaminant à cette occasion l'ensemble des structures consultatives existantes, qui sont déjà nombreuses à intervenir dans le domaine de la recherche.

Le Président Pierre Méhaignerie a regretté le peu de résultats obtenus jusqu'à présent, car l'empilement des structures reste intact, ce qui est ressenti avec une certaine amertume par les députés : toute tentative de simplifier est souvent vouée à l'échec. Par ailleurs, un système de révision annuel des priorités est peut-être trop bref.

M. Xavier Sahut d'Izarn a poursuivi :

- l'horizon pluriannuel des programmes à quatre ou cinq ans est pertinent, mais il faut conserver une révision annuelle pour, le cas échéant, redéployer les effectifs ou les moyens, mais aussi reconfirmer la poursuite d'objectifs ;

- il peut être souhaitable de confier aux organismes existants la mise en œuvre de grands programmes nationaux, avec des règles strictes de gouvernance, car ces agences fonctionneraient au profit de l'ensemble des acteurs de la recherche, mais non uniquement pour leur propre compte. Dans ces conditions, l'État pourrait se concentrer sur la définition de la stratégie, le contrôle de sa mise en œuvre et l'évaluation des résultats ;

- l'ensemble des crédits 2002, qui ont été dégelés, a été mis à la disposition des organismes ;

- les recrutements 2004 sont en cours, pour 1.750 à 1.800 personnes au sein des établissements publics à caractère scientifique et technologique, à un niveau analogue à celui des autres années. Les postes contractuels déjà occupés ou réaffectés, au nombre d'environ 200, ont été maintenus dans les organismes ;

- pour améliorer la recherche duale, ce qui est fondamental, un protocole est en cours d'élaboration avec le ministère de la défense, afin que soit établie une relation de confiance en la matière ;

- les modes d'acquisition des grands équipements doivent être modernisés, en s'inspirant, par exemple, du modèle anglais. Il faut s'interroger a priori sur les meilleurs modes d'investissement en recourant, le cas échéant, à des financements innovants. Cette approche, bien entendu valable au niveau pertinent d'investissement qu'est l'Europe, doit aussi être engagée, pour les nouveaux équipements, au niveau national. Le processus de financement du « Pourquoi pas » est en cours d'expertise, mais le navire doit être mis à l'eau en novembre prochain.

M. Didier Banquy, directeur de cabinet de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État au budget et à la réforme budgétaire, a apporté les précisions suivantes :

- il est évident que le principal objectif des pouvoirs publics doit être, aujourd'hui, d'assurer un véritable pilotage stratégique pour la recherche. Il est évidemment impossible de tout faire, et il devient donc indispensable de déterminer des choix et des priorités, c'est-à-dire de définir, avant tout, les enjeux de la recherche ;

- s'agissant du partage entre le secteur public et le secteur privé, la France se caractérise par une part du privé trop faible. Un euro investi dans le secteur public correspond à 1,35 euro dans le secteur privé. Au Japon, ce rapport est d'1 à 3,7 ;

- la question du « reporting » est tout à fait fondamentale et doit être prise en compte dans les indicateurs de performance. D'une manière plus générale, il est souhaitable de ne pas trop diversifier les indicateurs, faute de quoi les objectifs deviendront trop difficiles à cerner. En revanche, il est indispensable de disposer d'indicateurs robustes et efficaces. Par la suite, il faut tirer les conséquences du « reporting », ce que nous ne faisons pas suffisamment ;

- si la régulation budgétaire a été mal ressentie, il faut cependant observer que la dépense réelle, entre 2000 et 2003, a été supérieure, en moyenne, de 7 %, aux dotations inscrites dans la loi de finances initiale ;

- s'agissant des incidences liées à l'explosion de l'usine AZF de Toulouse, le déblocage des crédits va avoir lieu. La décision est prise.

Le Président Pierre Méhaignerie a remercié tous les intervenants. Il a indiqué que la réunion lui avait semblé tout à fait utile et fructueuse. Elle montre bien à quel point la loi organique du 1er août 2001 comporte des enjeux fondamentaux.

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Au cours de sa séance du 2 juin, la Commission avait décidé de surseoir à la publication d'un rapport d'information de M. Christian Cabal, Rapporteur spécial, sur la politique de recherche, jusqu'aux présentes auditions. Celles-ci ayant eu lieu, le rapport d'information sera donc publié en application de l'article 146 du Règlement.

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