COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 40

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 15 février 2005
(Séance de 16 h 15)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen, en application de l'article 146 du Règlement, d'un rapport d'information sur les négociations agricoles entre le Brésil et l'Union européenne (M. Alain Marleix, Rapporteur spécial)


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- Examen, pour avis, du projet de loi (n°1596) relatif à la sauvegarde des entreprises (M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis)

5

- Informations relatives à la Commission

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Le Président Pierre Méhaignerie a tout d'abord informé la Commission qu'était mise à la disposition des commissaires une étude de l'INSEE sur l'impact économique des spécificités des rémunérations de la fonction publique outre-mer. Cette étude confirme la thèse de la commission des Finances sur le décalage entre le montant des compléments de rémunération et le niveau des prix outre-mer et les conséquences négatives de ce décalage pour les finances locales, l'emploi et l'économie dans ces collectivités. Par ailleurs, les lettres de cadrage et des informations concernant les mises en réserve des crédits ont été transmises à la Commission. Les mises en réserve devraient représenter 4 milliards d'euros.

Puis, la Commission a examiné le rapport d'information de M. Alain Marleix, Rapporteur spécial des crédits de l'Agriculture, sur les négociations agricoles entre le Brésil et l'Union européenne.

M. Alain Marleix a souhaité rendre compte de la mission qu'il a effectué au Brésil dans le courant du mois de janvier, en tant que Rapporteur spécial des crédits de l'Agriculture.

Après la mise en œuvre de la dernière réforme de la PAC, l'avenir des négociations commerciales internationales dans le domaine agricole constitue la première préoccupation, légitime, des agriculteurs européens, et notamment français.

Le Brésil, pays à l'honneur en 2005 dans le cadre d'une année d'échanges culturels avec la France avec pour point fort l'invitation par le Président de la République de M. Lula da Silva, Président du Brésil, au défilé militaire du 14 juillet, est au cœur des craintes et des inquiétudes des exploitants agricoles. Il a été possible de se rendre compte de la réalité de la puissance agricole et commerciale du Brésil, au travers d'échanges de vues constructifs sur les négociations agricoles au sein de l'OMC et entre le MERCOSUR et l'Union européenne, notamment en ce qui concerne les secteurs de la viande bovine et des biocarburants.

Une série d'entretiens et des visites de terrain ont permis à la fois de prendre la mesure d'une véritable puissance agricole en devenir et de sensibiliser nos partenaires brésiliens sur les contraintes fortes pesant sur l'agriculture européenne, notamment avec l'éco-conditionnalité des aides de la PAC.

Le Brésil s'étend sur 8,5 millions de km², soit quinze fois la taille de la France et près de la moitié des terres du continent sud-américain. Il est, de par sa superficie, au 5ème rang mondial. 60 millions d'hectares sont cultivés, mais 90 millions d'hectares de terres sont encore disponibles, hors forêt amazonienne (soit plus d'une fois et demi la superficie de la France).

Le Brésil est le 3ème exportateur mondial de produits agricoles, après les Etats-Unis et l'Union européenne. Il sera sans aucun doute le premier producteur mondial de produits agricoles à l'horizon de 10 ou 12 ans.

Le Brésil se positionne déjà comme une des toutes premières puissances agricoles et occupe le premier rang mondial pour de nombreuses productions. Le pays a dépassé les objectifs d'autosuffisance, malgré une population de plus de 184 millions d'habitants.

Cela est vrai pour la viande bovine. Le Brésil est ainsi le deuxième producteur mondial de viande bovine, derrière les États-Unis. Le cheptel, estimé à 184 millions de têtes, représente le double de l'Union européenne et plus du triple de l'Argentine. Le zébu domine largement pour les races à viande, mais de par les croisements réalisés par les éleveurs brésiliens avec des races européennes, le segment du Hilton Beef, viandes de qualité, est de plus en plus développé, notamment à l'exportation, ce qui concurrence directement les éleveurs français et européens.

Cela est aussi vrai pour la filière sucre/éthanol. La production de canne à sucre occupe plus de 5 millions d'hectares au Brésil, soit près de 10 % des surfaces cultivées. Le Brésil, premier producteur de canne au monde, est aussi le plus efficace, car il a beaucoup investi dans la recherche agronomique sur la canne à sucre, afin de développer des variétés plus productives. Ainsi, le coût de production est de l'ordre de 150 à 180 dollars par tonne, alors que d'autres grands exportateurs comme l'Australie et la Thaïlande ont un coût de revient de 335 dollars la tonne et que ce coût dépasse 700 dollars la tonne dans l'Union européenne.

Produit dérivé de la canne à sucre, l'alcool est également très compétitif. Le coût de production moyen de l'éthanol au Brésil est de 19 cents par litre, contre 55 c/l en Europe. Le Brésil cherche à créer un marché international de l'éthanol, afin de libérer de l'espace sur les marchés internationaux pour ses exportations de sucre. Il a été aidé par une politique énergétique intérieure ambitieuse, dès le début de la crise pétrolière dans les années 1970, avec l'obligation d'intégrer de l'éthanol dans les carburants des automobiles, à hauteur aujourd'hui de 25 %. Toute la filière agro-industrielle a été aidée à l'origine, et elle est aujourd'hui imbattable au niveau mondial, cherchant des débouchés nouveaux.

Pour autant des goulets d'étranglement certains existent, les problèmes logistiques conduisant en effet à plafonner la production agricole. La structure de la propriété est particulièrement inégalitaire au Brésil, ce qui nécessite de mettre en œuvre des plans de soutien à l'agriculture familiale, par exemple en soutenant le biodiesel, qui n'est pourtant pas très rentable économiquement.

La compétitivité de l'agriculture brésilienne est aussi étroitement liée à la disponibilité des moyens logistiques, compte tenu de l'étendue du territoire et de la faible valeur ajoutée de la plupart des productions. La visite du port de Santos a permis de mesurer l'importance des projets d'infrastructure nécessaires pour désengorger la liaison routière, complètement saturée et rendant impossible l'absorption d'échanges supplémentaires.

Pour soutenir le développement de son agriculture, le Brésil doit donc développer des capacités de stockage, des réseaux de transport fluviaux, routiers et ferroviaires, ainsi que des infrastructures portuaires et aéroportuaires.

Au-delà de la problématique de la production, l'enjeu principal de l'agriculture brésilienne est celui de la commercialisation de ses produits. A cet égard, le Brésil a accompli des progrès remarquables. Il fait bruyamment entendre la voix des pays en développement - dont il se présente comme un des chefs de file - au sein des instances multinationales, afin d'obtenir une plus grande ouverture des marchés protégés des pays développés. De même, les professionnels de l'agriculture brésilienne montrent un grand opportunisme afin de saisir tous les marchés qui s'offrent à eux : c'est le cas de la viande et des oléo-protéagineux. Les efforts en matière de marketing portent aussi sur la cachaça, pour laquelle les Brésiliens veulent rééditer le succès obtenu par les Mexicains avec la tequila.

Le Brésil milite en faveur d'une libéralisation du commerce mondial des produits agricoles et d'une plus grande ouverture des grands marchés consommateurs.

L'Union européenne reste, de loin, le premier débouché pour les exportations agro-alimentaires du Brésil, dont elle absorbe 36 %. Pour des raisons historiques mais aussi commerciales, le Brésil et les pays du Cône Sud avec lesquels il est associé au sein du MERCOSUR privilégient plutôt le partenariat avec l'Europe qu'avec l'Amérique du Nord. Les négociations entre l'Union européenne et le MERCOSUR ont beaucoup progressé en 2004, un accord étant en voie d'être trouvé sur 60 %, malgré des divergences sur certains secteurs. En revanche, les négociations pour mettre en place une zone de libre échange des Amériques marquent le pas.

Surtout, l'enjeu pour l'année 2005 est la conclusion du cycle de Doha au sein de l'OMC, avec une réunion ministérielle décisive prévue à Hong-Kong en décembre prochain. A Cancun, en 2003, le Brésil a lancé le G 20, fédérant les pays en développement défendant l'élimination des subventions agricoles à l'exportation.

Le Brésil bénéficie d'un avantage comparatif pour de nombreuses productions agricoles. C'est pourquoi il réclame une libéralisation complète de l'agriculture mondiale et une plus grande ouverture des marchés extérieurs pour ses produits, en s'appuyant sur des pays beaucoup moins avancés que lui et dont les intérêts sont, à terme, très divergents. On peut regretter un certain manque de flexibilité du Brésil dans les négociations en cours. Il a fallu rappeler aux interlocuteurs brésiliens, notamment aux négociateurs à Genève, les efforts considérables faits par les agriculteurs européens avec la réforme de la PAC. Il ne s'agit pas pour nos agriculteurs de payer deux fois. Le Brésil doit bien avoir conscience des avancées qui ont déjà été réalisées en ce qui concerne le découplement des aides du volume et des prix de production.

Il ne semble pas souhaitable d'ouvrir exagérément les quotas d'importation, pour la viande de bœuf ou l'éthanol, sans contrepartie réelle sur les secteurs des investissements et des services. Il n'est pas question de risquer de déstabiliser le marché européen de la viande, encore très fragile après la crise de la vache folle, ni de déstabiliser la production naissante de biocarburants, nécessaire pour garantir notre autonomie énergétique. On peut donc se demander s'il fallait vraiment faire la réforme de la PAC avant la conclusion des négociations commerciales internationales, afin de ne pas répéter ce qui s'était passé avec les accords de Blair House et de Marrakech en 1993 et 1994.

Le Président Pierre Méhaignerie a estimé ce rapport très instructif vis-à-vis des inquiétudes légitimes des représentants des agriculteurs français et européens à plus ou moins long terme. Il est clair que les pays en développement, ou déjà en passe de l'être comme le Brésil, ne sont pas près de laisser l'Europe se reposer sur ses lauriers. Le Brésil a un potentiel agricole illimité et des prix de revient très compétitifs. On a ainsi pu constater en Bretagne, avec l'ouverture du marché des poulets, une diminution de 20 % des emplois industriels en deux ans. Il risque de se poser pour l'agriculture le même problème que pour le textile. Il ne faut donc pas que l'ouverture des frontières ne déséquilibre trop brutalement les régions dépendant beaucoup de l'agriculture. Il faut ménager des étapes suffisamment lentes pour permettre une reconversion adaptée des secteurs concernés par la concurrence internationale.

M. Charles de Courson a rappelé que les prix relatifs comparés entre le Brésil et l'Europe risquent d'aboutir à une disparition de certains secteurs de production si les tarifs douaniers ne sont pas préservés, et ce malgré les coûts de fret. Une rationalisation de l'outil de production peut cependant permettre de rester compétitifs dans certains secteurs, comme le sucre. Il ne faut pas prendre le risque de « tuer dans l'œuf » le développement de la filière des biocarburants en France.

M. Jean-Louis Dumont a estimé nécessaire que la Commission soit très attentive à l'impact économique des négociations commerciales en cours sur certaines filières. En ce qui concerne l'éthanol en particulier, il faut encourager les producteurs à se regrouper, pour réduire les coûts et passer à une échelle de production compétitive. Il s'agit d'un véritable défi à relever, avec le soutien d'organisations agricoles responsables comme COOP de France.

La Commission a autorisé, en application de l'article 146 du Règlement, la publication du rapport d'information.

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* *

Puis, sur le rapport de M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, la Commission a procédé à l'examen pour avis du projet de loi relatif à la sauvegarde des entreprises (n°1596).

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a tout d'abord rappelé qu'environ 60.000 entreprises faisaient l'objet, chaque année, d'une demande d'ouverture de procédure de redressement judiciaire. En 2003, ce chiffre atteignait 62.515. 15.734 d'entre elles ont fait l'objet d'un rejet ou d'une déclaration d'incompétence du tribunal, 30.355 ont fait l'objet d'une liquidation judiciaire immédiate et 14.344 ont abouti à l'ouverture de la procédure. Parmi celles-ci, seules 152 entreprises avaient un chiffre d'affaires dépassant 15 millions d'euros.

Le projet de loi vise, à la fois, à diversifier et à clarifier les procédures de traitement des difficultés, dans une logique de revalorisation du rôle du chef d'entreprise et de protection des créanciers.

La nouvelle procédure de conciliation serait ouverte à la seule initiative d'un entrepreneur confronté à des difficultés ou bien en état de cessation de paiements depuis moins de 45 jours. L'accord obtenu sera homologué par un jugement rendu public, mais la confidentialité du contenu même de l'accord sera assurée.

La nouvelle procédure de sauvegarde permettra, dès que l'entrepreneur justifiera de difficultés « susceptibles de conduire à la cessation des paiements », de prendre des mesures destinées à la réorganisation de l'entreprise, afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif. Deux comités de créanciers regrouperont les établissements financiers, d'une part, et les fournisseurs, d'autre part. En outre, l'État jouera pleinement son rôle de créancier. La mission de l'administrateur judiciaire sera limitée à la surveillance et à l'assistance du débiteur. Il ne pourra pas assumer de mission complète de gestion de l'entreprise. Sa tâche est donc singulièrement allégée par rapport à la procédure de redressement judiciaire.

La Commission des finances a décidé de se saisir pour avis de cinq articles de ce projet de loi.

L'article 12 propose l'instauration d'une procédure de sauvegarde des entreprises. Elle est ouverte à la demande exclusive du « débiteur », c'est-à-dire de l'entrepreneur, lorsqu'il « justifie de difficultés susceptibles de le conduire à la cessation des paiements ». Cette procédure se situe donc dans un contexte de difficultés plus graves que la procédure de conciliation, qui peut être ouverte dès lors qu'existe une difficulté « avérée ou prévisible ». L'objectif de la procédure de sauvegarde est de « permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif ». Ces objectifs, similaires à ceux de la procédure de redressement judiciaire, visent à permettre la survie et la pérennité de l'entreprise. Le dispositif proposé se décompose en deux périodes : une « période d'observation » puis, à l'issue de celle-ci, un « plan » de sauvegarde, arrêté par jugement.

L'article 13 précise le champ des bénéficiaires de la procédure de sauvegarde, étendue aux professionnels libéraux exerçant à titre personnel. En outre, cet article rappelle le principe selon lequel il est impossible d'ouvrir plus d'une procédure collective à l'endroit d'une même personne selon l'adage : « faillite sur faillite ne vaut ».

L'article 72 propose à la fois d'étendre le champ des créanciers publics concernés par la procédure et de leur permettre de consentir des remises du principal des dettes, et non pas seulement des intérêts. Dans le cas des créances fondées des impôts directs des collectivités territoriales, la remise de dette accordée par le comptable public sera compensée par l'État. Par ailleurs, cet article précise qu'il sera désormais fait référence aux créances des « administrations financières », qui incluent l'ensemble des administrations de l'État, et non plus le seul Trésor public.

L'article 185 propose d'aménager le régime de la publicité obligatoire des privilèges fiscaux et d'étendre ce dispositif aux privilèges douaniers. S'agissant des privilèges fiscaux, il est prévu que la publicité sera obligatoire lorsque les sommes dues par un redevable à un même poste comptable dépassent au dernier jour d'un semestre civil un seuil fixé par décret. Actuellement, cette obligation s'impose à l'issue d'un trimestre civil, pour un seuil fixé à 12.200 euros. Ce dernier seuil étant, par essence, d'ordre règlementaire, il est proposé de le fixer par décret.

L'article 188 vise à permettre au comptable public de restituer à la première demande du liquidateur, tout ou partie des sommes encaissées par lui à titre provisionnel, pour permettre la répartition du produit de la liquidation judiciaire.

Puis, la commission des Finances a examiné ces articles.

Article 12 : (art. L. 620-1 du code de commerce) : Institution d'une procédure de sauvegarde

La Commission a examiné un amendement de M. Gérard Bapt tendant à supprimer la référence à la « réorganisation de l'entreprise » au premier alinéa de l'article L.620-1 du code du commerce. Son auteur a souligné que le terme « réorganisation » était source de confusion. Il sous-tend que des licenciements pourraient être effectués dans le cadre de cette procédure, alors que l'entreprise n'est pas en cessation de paiements et que l'un des objectifs est le maintien de l'emploi. En outre, si des licenciements sont décidés pendant la phase de sauvegarde, ils sont réalisés selon la procédure de droit commun, contrairement à ce qui est prévu en procédure de redressement judiciaire. L'objectif de cet amendement est de réaffirmer le principe selon lequel la réorganisation de l'entreprise ne peut être un motif de licenciement.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a indiqué que son rapport présenterait une comparaison entre la procédure française et le chapitre 11 du code du commerce américain. Les deux procédures sont profondément différentes. Si on retire la notion de « réorganisation » de l'entreprise dans la procédure de sauvegarde, on retire l'objet même de celle-ci qui n'est pas la restructuration, terme profondément « bourdieusien », mais bien la réorganisation de l'entreprise, ce qui implique la modification de son organisation pour qu'elle puisse mieux fonctionner. Si on retire la possibilité pour l'entreprise de se réorganiser, on compromet très fortement ses chances de rétablissement.

La Commission a rejeté cet amendement.

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé le cas de l'usine Renault de Vilvoorde et le difficile choix entre la protection de l'emploi et la protection des personnes. Il faut donner aux entreprises toute liberté et toute marge de main-d'œuvre pour se réorganiser et sauvegarder, à terme, l'emploi.

M. Charles de Courson s'est interrogé sur le choix de la commission des Finances de ne pas se saisir de l'article 34 du projet de loi, relatif aux créances. Il a souligné que le système des privilèges fiscaux et sociaux présentait aujourd'hui des limites et qu'il avait souhaité déposer un amendement permettant au juge de modifier l'ordre de paiement des créances.

Le Président Pierre Méhaignerie a répondu que la commission des Finances avait fait le nécessaire choix d'une saisine limitée et que la problématique des créances pourrait être évoquée en séance publique.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a ajouté qu'il avait lui-même déposé un amendement, à l'article 8, sur le thème du super-privilège des banques. Ce privilège particulier apparaît superflu dans la mesure où l'État, lui-même, qui détient pourtant des privilèges significatifs, pourra désormais abandonner tout ou partie de sa créance. Par conséquent, il n'existe plus de raison pour accorder un super-privilège aux banques. En effet, le privilège d'argent « frais » ou « new money » se traduira concrètement par un apport sur les comptes courants, un apport des associés ou un nouveau crédit. Or, seules les banques déjà partenaires de l'entreprise accorderont un crédit. Elles seront incitées à le faire, si elles croient en l'entreprise, pour espérer voir leurs créances antérieures payées.

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 12.

Article 13 (art. L. 620-2 du code de commerce) : Bénéficiaires de la procédure de sauvegarde

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 13, sans modification.

Article 72  (art. L. 626-4, L. 626-4-1 et L. 626-4-2 du code du commerce) : Remise des dettes par les créanciers privés et publics

La Commission a examiné un amendement de M. Gérard Bapt visant à ce que les collectivités territoriales concernées puissent émettre un avis, lorsque les administrations financières consentent des remises de dettes au titre des impôts directs locaux.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a souligné qu'un tel dispositif compliquerait profondément la procédure. Il a rappelé que la remise totale ou partielle de la dette ne concerne que la fiscalité directe et que s'agissant de la fiscalité indirecte, n'était possible que la remise des pénalités de retard. Dans la mesure où ces remises de dettes sont compensées à 100 % par l'État, le niveau des recettes des collectivités territoriales n'est pas affecté. Par ailleurs, ce dispositif ne contredit pas le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné qu'une telle complexité de la procédure pourrait avoir des conséquences fatales pour l'entreprise en difficulté qui serait obligée d'attendre l'avis de chaque collectivité territoriale concernée pour obtenir la remise de dette. De manière générale, le citoyen est de plus en plus réticent face à la complexité administrative.

M. Charles de Courson s'est interrogé sur les conséquences de la remise de dettes sur la véracité des comptes des collectivités territoriales. En effet, la remise de dettes ne devient définitive qu'après la clôture de ces comptes. Si ces remises sont importantes, ne compromettent-elles pas l'équilibre des comptes, tel que validé par la collectivité territoriale ?

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a souligné que l'équilibre des finances des collectivités territoriales n'était pas en jeu, car l'État compense intégralement ces remises de dettes.

M. Charles de Courson a indiqué que le problème se situe au niveau du contrôle des comptes, notamment par les juridictions financières, et au niveau du vote du compte administratif. Il s'est interrogé sur l'articulation entre cet article et la compétence des juridictions financières. Il convient en effet de se demander dans quelles conditions les comptables publics seront amenés à rendre compte des remises de dette qu'ils accordent. Le dispositif devrait, peut-être, être encadré par des critères qualitatifs pour éviter les abus.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a souligné qu'un tel encadrement pourrait relever du domaine réglementaire.

M. Jean-Yves Cousin a indiqué que l'encadrement de la procédure s'effectuait par le contrôle hiérarchique sur les comptables publics.

M. Charles de Courson a ajouté que les décisions prises par les comptables publics étaient soumises, in fine, au contrôle de la Cour des comptes. En outre, selon les montants en cause, la remise est effectuée par le comptable public, le trésorier-payeur général, voire par le ministre. Si des critères d'encadrement doivent exister, ils relèvent du pouvoir législatif. Le second problème est la clôture des comptes par les collectivités territoriales, qui intervient longtemps après la remise de dettes.

M. Gérard Bapt a indiqué que, comme le montrait la discussion, l'amendement ne couvre qu'une partie du problème et que des amendements complémentaires seront certainement présentés par le groupe socialiste.

Suite à l'avis défavorable du Rapporteur pour avis, la Commission a rejeté l'amendement.

La Commission a ensuite examiné un amendement de M. Gérard Bapt visant à ce que le montant total des dettes remises ne puisse représenter plus d'un pourcentage, fixé par décret et qui ne peut être supérieur à 50 %, de l'effort consenti par les autres créanciers. Il a indiqué que le projet de loi restait vague, quant aux conditions dans lesquelles les créanciers publics pourraient consentir des remises de dettes, en réalité des remises des impositions et cotisations dues au profit du débiteur. Cette possibilité n'est ouverte que sous condition d'un effort consenti par les créanciers privés. Mais aucune limite n'est fixée quant à la disproportion pouvant exister entre l'effort des créanciers « publics » et « privés ». Le risque est de voir une possibilité a priori complémentaire devenir la base prépondérante d'une procédure de conciliation ou de sauvegarde.

M. Charles de Courson a indiqué que cet amendement était intéressant dans la mesure où il éviterait, dans des affaires comme celles d'Air Lib, une intervention peu judicieuse de l'État, qui n'était pas accompagnée d'un effort des créanciers privés.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a indiqué que cette affaire serait certainement extrêmement riche d'enseignements au niveau jurisprudentiel. Le plus important dans la remise de dettes est de conserver toute la souplesse de la procédure. Il faut que la situation de difficulté de l'entreprise ne soit plus vécue comme une infamie et que l'État joue un rôle d'accompagnateur des entreprises en difficulté, c'est-à-dire d'« État bienveillant ». Un tel rôle pour l'État est d'ailleurs conforme aux directives communautaires. En effet, la remise de dettes, par l'État, étant effectuée « concomitamment » à l'effort des autres créanciers, il ne peut pas s'agir d'une aide d'État, au sens du droit européen.

M. Charles de Courson a indiqué que la compatibilité d'un tel dispositif avec le droit communautaire dépend de la façon dont il est appliqué. Si la remise de dettes est abusive, elle pourrait être soumise au contrôle de la Commission européenne. Si l'amendement était adopté, l'attitude de l'État à l'égard de l'entreprise « Air Lib » ne serait plus possible.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a indiqué que les remises de dettes abusives étaient extrêmement marginales. Il faut donc relativiser ce problème.

M. Charles de Courson a précisé qu'il n'était pas favorable à cet amendement et que son argumentation visait à mettre en place des critères qualitatifs et non quantitatifs.

M. Gérard Bapt a souligné que la loi surprotégeait les organismes de crédits et qu'il faut que les banques contribuent. C'est pourquoi l'amendement a été retiré mais d'autres amendements seront déposés par le groupe socialiste en ce sens.

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 72.

Article 185 (art. 1900 quater du code général des impôts et art. 379 bis du code des douanes) : Obligation de publication des privilèges fiscaux et douaniers

La Commission a examiné un amendement de M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis relatif aux sommes faisant l'objet d'une conciliation en cours. Le Rapporteur pour avis a indiqué que cet amendement, d'apparence rédactionnelle, est en réalité une incitation très forte pour le dirigeant à déclencher une procédure de conciliation qui le mettra à l'abri, le temps de la négociation, d'une ou de plusieurs inscriptions de nature à entamer la confiance des fournisseurs.

Après avoir adopté cet amendement, la Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 185, ainsi modifié.

Article 188 (art. L. 269 B du livre des procédures fiscales) : Restitution par le comptable public des sommes perçues à titre provisionnel

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'article 188 sans modification.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a ensuite indiqué qu'il déposerait des amendements sur des articles dont la Commission n'est pas saisie, dont un amendement à l'article 4 du projet visant à ce que l'expert-comptable exerce une sorte de droit d'alerte en informant le dirigeant de l'entreprise des difficultés prévisibles. La commission des Lois a, elle, adopté un amendement obligeant l'expert-comptable à informer le tribunal.

M. Charles de Courson a approuvé l'idée du Rapporteur pour avis et a souligné qu'il ne fallait pas faire de l'expert-comptable un « chien de garde ». Il convient de préserver le lien de confiance entre le chef d'entreprise et l'expert-comptable. Il faut cependant que l'information du dirigeant soit formalisée sous forme de courrier.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a répondu qu'il s'agit bien de l'esprit de l'amendement, mais que cette précision était d'ordre réglementaire. Il a ensuite indiqué qu'il déposerait un amendement à l'article 7, visant à éviter que les représentants du personnel soient amenés systématiquement à commenter l'accord de conciliation. Il n'est pas utile d'alerter, et donc d'inquiéter, toutes les parties en présence, dès lors qu'il ne s'agira que d'un échelonnement de dette, par exemple. En revanche, ils doivent être associés à cette discussion dès lors qu'une restructuration de l'entreprise est envisagée.

M. Charles de Courson a indiqué qu'une telle procédure de consultation de l'ensemble des parties, si elle n'était pas systématique, devait néanmoins rester possible car elle était parfois utile.

M. Pierre Hériaud s'est interrogé sur les conséquences négatives d'une mise à l'écart du comité d'entreprise dans la procédure de sauvegarde de l'entreprise.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a indiqué que l'amendement ne concerne pas la phase de sauvegarde mais la phase de conciliation et qu'il pouvait être parfois préjudiciable, à ce stade, d'alerter et d'inquiéter certaines parties en présence comme le comité d'entreprise ou les délégués du personnel. Aujourd'hui, cette consultation est systématique et il faut laisser des marges de manœuvre à l'entreprise lors de la procédure de conciliation. Il a ensuite indiqué qu'il présenterait un amendement à l'article 8 visant à supprimer le super-privilège dont bénéficieraient les banques et les établissements de crédit qui apporteraient des fonds aux entreprises en difficulté.

M. Charles de Courson s'est interrogé sur les conséquences d'un tel amendement qui pourrait conduire à ce que les banques ne s'impliquent plus financièrement dans le redressement de l'entreprise.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a indiqué que le métier de banquier avait profondément évolué, dans un sens plus libéral, et que les banques ne s'impliqueront financièrement que si elles y ont intérêt, c'est-à-dire que si la situation de l'entreprise le justifie. Le super-privilège ne changera pas le diagnostic des banques. Si elles croient en l'avenir de l'entreprise, elles apporteront des fonds, dans l'espoir de voir leurs créances antérieures honorées. Il est illusoire d'imaginer que des banques qui ne sont pas déjà partenaires de l'entreprise en difficulté lui apportent des fonds.

M. Gérard Bapt a demandé si les nouveaux apports des banques, dans le cadre de la conciliation, étaient assortis d'un « super-privilège ».

M.  Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis a répondu affirmativement, tout en précisant qu'il estimait que ce privilège n'était pas justifié.

M.  Gérard Bapt a alors indiqué qu'il était prêt à voter en faveur d'un amendement présenté à titre personnel par le Rapporteur, tendant à ne pas accorder ce privilège.

M.  Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis a ensuite précisé qu'il défendrait un dernier amendement à l'article 102, autorisant, lorsque le ou les administrateurs sont chargés d'assurer seuls et entièrement l'administration de l'entreprise et dans le cadre d'une procédure générale, le tribunal à désigner un ou plusieurs experts en gestion opérationnelle afin de les assister dans leur mission de gestion. Dans les autres cas, le tribunal aura la faculté de les désigner. Le président du tribunal arrêtera la rémunération de ces experts, mise à la charge de la procédure. En effet, le recours par les administrateurs à des experts est fréquent dans ce cas de figure exceptionnel. Il doit être reconnu mais également encadré, ce qui aura pour effet de créer un nouveau métier.

M. Edouard Leveau a indiqué qu'il présenterait lors de l'examen du texte en séance publique, un amendement ne relevant pas non plus de la compétence de la Commission des finances, tendant à conditionner le changement d'avocat d'une entreprise faisant l'objet d'une procédure à l'accord des créanciers et des représentants du personnel.

M.  Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis a estimé qu'il s'agissait d'une très bonne idée, permettant d'éviter que des entreprises soient déstabilisées par un changement d'avocat.

La Commission a émis un avis favorable à l'adoption de l'ensemble du projet de loi, ainsi modifié.

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Informations relatives à la Commission

La commission a nommé M. Philippe Rouault, rapporteur sur la proposition de loi adoptée par le Sénat (n° 2061) sur le conseil des prélèvements obligatoires.

La commission a été informée de la mise en distribution :

- d'un rapport relatif aux spécificités des rémunérations de la fonction publique outre-mer ;

- des lettres de cadrage ;

- des mises en réserve des crédits, par ministère.

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