COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 55

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 7 juin 2005
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen d'un rapport d'information sur les premiers résultats de l'exécution budgétaire 2004 (M. Gilles Carrez, Rapporteur général)

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- Examen de la proposition de résolution sur la communication de la Commission européenne relative aux lignes directrices intégrées pour la croissance et l'emploi (2005-2008) (n° 2328) (M. Daniel Garrigue, Rapporteur)

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La Commission des finances, de l'économie générale et du Plan a examiné, sur le rapport de M. Gilles Carrez, Rapporteur général, un rapport d'information sur les premiers résultats de l'exécution du budget en 2004.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a tout d'abord souligné l'intérêt qui s'attache aux enseignements à tirer des premiers résultats relatifs à l'exécution 2004, la définition des choix budgétaires et économiques du nouveau Gouvernement étant en discussion. La gestion budgétaire durant l'année 2004, dont les résultats sont exceptionnels du point de vue des finances publiques, démontre la pertinence des règles de conduite dont s'est dotée la majorité depuis l'alternance et la nécessité de s'y tenir pour mener à bien le redressement des finances publiques.

S'agissant de la gestion comptable 2004, le Rapporteur général a pu constater, auprès de l'Agence comptable centrale du Trésor (ACCT) et de la Direction générale de la comptabilité publique (DGCP), qu'aucun dossier n'a été soumis à la signature du ministre durant la période complémentaire, arrêtée au 21 janvier 2005, aucun report ni aucune anticipation de dépenses ou de recettes n'étant effectué entre les exercices 2004 et 2005. On ne constate également aucun élément très particulier s'agissant des règlements réciproques entre l'Etat et des organismes « satellites » qui entretiennent avec lui des relations financières. L'examen des soldes des comptes d'imputation provisoire (CIP) (où sont enregistrés des mouvements en dépenses ou en recettes dont l'imputation ne peut pas être effectuée de façon certaine au moment où ils sont réalisés) montre en outre que l'objectif de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 qui impose un apurement total des CIP de dépenses en fin de période complémentaire est en bonne voie d'être tenu : les soldes des comptes d'imputation provisoire, en diminution régulière depuis 1999, ne dépassent pas 70 millions d'euros en dépenses (- 72%).

L'essentiel est cependant, pour la deuxième année consécutive, le respect strict de la règle du gel en volume de la dépense de l'État, règle qui recouvre deux aspects : le niveau des crédits votés en loi de finances initiale ne dépasse pas les charges de l'année précédente majorées du seul taux d'inflation prévisionnel ; en exécution, le plafond de dépenses fixé par le législateur est rigoureusement respecté. Ainsi, les dépenses exécutées ont été strictement conformes aux crédits votés dans la loi de finances initiale pour 2004, soit 283,7 milliards d'euros. S'agissant des étapes de la gestion annuelle, les dotations budgétaires ont été aménagées par quatre décrets d'avance déplaçant 1,4 milliard d'euros de crédits, tandis que le principe de précaution, fondement de la régulation budgétaire, s'est traduit en cours de gestion par la mise en réserve de 4 milliards d'euros de crédits initiaux (20 avril) et de 2,9 milliards d'euros de crédits reportés de 2003 (30 mai) puis par l'annulation de 992 millions d'euros (9 septembre), ce qui témoigne d'une régulation moins contraignante qu'en 2003 (2,4 milliards d'euros alors annulés). Ces annulations, ajoutées à celles opérées par la loi de finances rectificative (3,7 milliards d'euros) ont permis de financer 5,5 milliards d'euros de dépenses nouvelles, notamment les OPEX (540 millions d'euros), les aides au logement (350 millions d'euros) et des dépenses de solidarité (CMU et allocation adultes handicapés, 195 millions d'euros). Cette régulation, à bien des égards mieux vécue qu'en 2003, devrait permettre de mener dans des conditions sereines le débat qu'ont lancé notamment MM. Didier Migaud et Alain Lambert, parlementaires en mission auprès du ministre chargé du budget, sur l'opportunité de renforcer le dispositif d'information et de mise en œuvre de la régulation budgétaire tel qu'il résulte de la loi organique relative aux lois de finances.

Dans le contexte d'une dépense contenue dans l'enveloppe déterminée par le Parlement dans la loi de finances initiale, l'augmentation du plafond des charges de 1,76 milliard d'euros votée lors du collectif budgétaire de fin d'année a mécaniquement nourri les reports de crédits de la gestion 2004 vers la gestion 2005. A cet égard, on peut regretter la pause dans le mouvement de réduction du « surplomb » de reports, engagé depuis 2002, puisque les reports entrants sont passés de 14 milliards d'euros en 2002 à 11,3 milliards d'euros en 2003 puis 8,8 milliards d'euros en 2004, alors que les reports entrant en 2005 devraient atteindre environ 9,8 milliards d'euros. L'effort de réduction doit d'autant plus être poursuivi que la loi organique relative aux lois de finances impose, à juste titre, un plafonnement à 3% par programme du montant des crédits susceptibles d'être reportés.

Dans le domaine des recettes, l'exécution budgétaire 2004 a été très satisfaisante. Les bons résultats ont d'abord été permis par les prévisions particulièrement prudentes dans la loi de finances initiale, qui retenait une hypothèse de croissance de 1,7% et une hypothèse d'élasticité des recettes de 0,6. Les marges de manœuvres budgétaires anticipées, évaluées à 10,8 milliards d'euros, ont servi trois priorités. En premier lieu, 6,9 milliards d'euros ont répondu à la nécessaire progression des charges : 5 milliards d'euros pour l'évolution en valeur des dépenses dans le respect de la « norme zéro » en volume, 1,5 milliard d'euros pour la budgétisation des concours à Réseau ferré de France et 400 millions d'euros de hausse des prélèvements sur recettes. En deuxième lieu, 1,5 milliard d'euros ont été consacrés aux baisses d'impôts, en particulier à la diminution de 3% du barème de l'impôt sur le revenu et à l'augmentation de la prime pour l'emploi. En troisième lieu, 2,4 milliards d'euros ont été affectés à la réduction du déficit, soit plus d'un cinquième des surplus de recettes attendus.

Cette prudence initiale a permis de tirer pleinement parti des conditions d'exécution du budget 2004. Le niveau des plus-values de recettes a atteint un montant exceptionnel de 9,9 milliards d'euros de plus que prévu dans la loi de finances initiale : 4,3 milliards d'euros pour l'impôt sur les sociétés net, 2,5 milliards d'euros pour la TVA nette et 1,4 milliard d'euros pour l'impôt sur le revenu. Ces « bonnes surprises » ont été intégralement affectées à la réduction du déficit de l'État, choix qui devrait constituer un précédent à suivre dans l'avenir. Au total, les marges de manœuvre constatées en exécution ont donc été réparties à hauteur de 7% pour les baisses d'impôt (1,5 milliard d'euros), de 31% pour l'augmentation des dépenses (6,5 milliards d'euros) et de 62% pour la diminution du déficit (12,7 milliards d'euros).

Cette gestion à la fois prudente et vertueuse a permis d'abaisser le déficit de l'État à 44 milliards d'euros, soit 11 milliards d'euros de moins que prévu en loi de finances initiale et, surtout, 13 milliards d'euros de moins qu'en 2003 (- 23%). S'il faut se réjouir de ce que le déficit a été diminué de près d'un quart, on doit cependant constater qu'en dépit de ces bons résultats l'équilibre primaire, qui mesure le déficit après avoir retranché les charges de la dette, c'est-à-dire le poids du passé, n'a même pas été atteint, la charge nette de la dette de l'État représentant 37,8 milliards d'euros en 2004.

Cette amélioration du solde budgétaire a permis une légère décélération de l'endettement public. Celui-ci a progressé entre 2003 et 2004 de 7%, soit 71,4 milliards d'euros, alors qu'il avait augmenté de 10% entre 2002 et 2003 (94,2 milliards d'euros). La dette publique atteint aujourd'hui le montant colossal de 1.067 milliards d'euros, ce qui correspond à 64,7% du PIB et 17.161 euros par habitant. La dette de l'État représente 839,9 milliards d'euros, soit près de 80% de la dette publique.

En définitive, trois conclusions peuvent être tirées des premiers résultats de l'exécution budgétaire 2004. D'abord, il ne faut pas gaspiller les excédents de recettes qu'offrent les périodes de croissance. Cette exigence, pleinement satisfaite en 2004, a trop souvent été négligée dans le passé. Ensuite, les baisses d'impôt doivent être décidées avec la plus grande prudence, a fortiori lorsque la croissance fléchit. La diminution des prélèvements suppose une stratégie fiscale constante, lisible et pluriannuelle. Enfin, il faut tenir la norme de maîtrise de la dépense, « règle d'or » indispensable à l'assainissement de nos finances publiques. En dépit du ralentissement de la croissance, il semble que les prévisions de recettes de la loi de finances initiale puissent être atteintes même en cas de croissance effective en 2005 aux alentours de 1,7%. Cette « marge de sécurité » ne doit pas être gaspillée. L'effort de réduction de nos déficits n'est pas seulement la conséquence de nos engagements européens, il est avant tout la condition indispensable de notre désendettement et, partant, de l'allégement du fardeau qui pèse sur les générations futures, les grandes sacrifiées de notre politique budgétaire depuis trop longtemps.

M. Didier Migaud a salué l'habileté de présentation du Rapporteur général, tout en soulignant qu'elle ne saurait camoufler les mauvais résultats de l'exécution budgétaire. Le Rapporteur général a pris le risque de présenter un rapport sur l'exécution qui pourrait accuser un décalage avec celui que la Cour des comptes publiera prochainement. Car sa démarche procède d'un optimisme démesuré : les résultats observés ne sont « assez remarquables » qu'au regard de leur médiocrité et de l'inefficacité qu'ils reflètent. Le taux des prélèvements obligatoires a augmenté : il ne saurait donc être question d'une quelconque baisse des impôts, même si l'impôt sur le revenu a été allégé, ce qui ne constitue pas au demeurant la mesure la plus pertinente pour soutenir la consommation.

Au regard du niveau de chômage et de la dette publique, l'année 2004 ne paraît constituer une « amélioration » par rapport à l'année 2003 que dans la mesure où cette dernière année avait été celle de tous les mauvais records. L'économie française a pourtant crû de 2,3 % l'an dernier, ce qui laissait une marge de manœuvre appréciable pour mener une politique budgétaire adaptée aux besoins de notre économie. Il n'en a rien été. L'opposition ne peut dans ces conditions porter qu'une appréciation sévère sur l'exécution du budget, certes non sur le seul plan comptable, mais sur le terrain de la solidité financière à moyen terme.

M. Didier Migaud s'est en outre inquiété de la pratique qui consiste à faire voter des crédits supplémentaires dans la loi de finances rectificative du mois de décembre, alors que le temps n'est plus suffisant pour les dépenser, ce qui n'a pas grand sens. La régulation budgétaire peut être un mal nécessaire à partir du moment où elle relève du principe de précaution. Elle ne saurait cependant être systématisée sans faire naître le soupçon d'insincérité budgétaire sur le niveau et le détail des crédits votés par le Parlement qui, lorsque la régulation devient excessive, peuvent sembler peu réalistes. Même s'il est vrai que l'exécutif ne doit pas pouvoir dépasser le plafond de crédits voté par le Parlement, cette régulation apparaît le plus souvent comme une régulation subie.

Il reste enfin à établir si le poids de la dépense publique par rapport au PIB n'a réellement pas augmenté. Les ministres des Finances manient avec dextérité les notions de comptes de l'État et de comptes publics, pour présenter les chiffres sous leur jour le plus favorable. Il apparaît cependant que ce sont les comptes publics en général, collectivités locales y compris, qu'il importe de prendre en considération. Si l'on prend cette mesure de référence, il semblerait que la dépense publique a encore augmenté en France et, qu'à tout le moins, les déficits publics et la dette restent fort préoccupants.

M. Didier Migaud a conclu que, dès lors, la présentation du Rapporteur général paraît d'autant meilleure dans la forme qu'elle était difficile, voire intenable, sur le fond.

M. Jean-Pierre Gorges n'a pas estimé possible d'être pleinement satisfait d'un budget qui ne va pas au-delà d'une stabilisation des dépenses en volume, alors que ces dépenses le placent en dessous de l'équilibre primaire à hauteur de six milliards d'euros. Dans les années 1997 à 2002, période économique faste, le Gouvernement n'a pas hésité à engager des dizaines de milliers de fonctionnaires, dont la rémunération progresse mécaniquement de 3,5 % par an, ce qui représente une charge très lourde. Car un écart subsiste toujours entre ce chiffre et la croissance économique, souvent inférieure d'1 point, voire davantage. Pour infléchir la tendance, une baisse de 2 % des dépenses en volume serait nécessaire.

Pour diffuser ces idées dans l'opinion publique, les comparaisons par rapport au produit intérieur brut ne sont pas suffisamment parlantes. Il faut faire expressément référence à ce que ces grandeurs représentent pour chaque habitant. À l'heure où chacun met en avant ses propres revendications, le récent scrutin référendaire est parfois interprété comme une exhortation à céder davantage. Au contraire, il faut faire mieux connaître la situation de surendettement que connaît notre pays et faire autour de ce thème la publicité indispensable.

M. Jean-Jacques Descamps a abondé dans le sens de M. Jean-Pierre Gorges. Comme le Rapporteur général, il a estimé que l'exécution du budget de 2004 constitue bien une performance. Les dépenses ont été limitées et l'exécution a été performante au-delà de la simple conformité avec les objectifs annoncés. Il convient cependant de tirer toutes les leçons de cette exécution : la dette augmente toujours, certes moins vite, et le déficit demeure. Le budget de l'État s'apparente à ces énormes navires mettant un temps considérable à freiner. M. Didier Migaud n'a pas de leçons à donner à l'actuelle majorité et les déclarations des membres du groupe socialiste donnent à penser que leur intention n'est pas de freiner la dépense. Un grand travail de publicité devra être fait pour communiquer les chiffres au public. Il est nécessaire de démontrer que si l'on veut diminuer le déficit et la dette, il conviendra de diminuer la dépense cette année et qu'il ne servirait à rien de transférer des dépenses de l'État vers les régimes sociaux. L'analyse des charges publiques, comme celle des prélèvements obligatoires, n'est pertinente que menée globalement.

M. Philippe Auberger a souligné les progrès sensibles réalisés en matière budgétaire. Cependant, si la direction est bonne, il faut être encore plus rigoureux dans les conclusions à en tirer. La question de l'équilibre du déficit primaire n'est pas suffisamment parlante. Le niveau du solde est lié au déficit de fonctionnement du budget de l'État et des prestations sociales. Cette situation est liée, non pas à un défaut de demande, mais à un défaut d'investissement. Or, seul le rééquilibrage de l'ensemble des comptes de fonctionnement permettra de dégager des marges de manœuvre pour l'investissement. Par ailleurs, l'effort d'analyse d'économique doit s'attacher à démontrer que l'objectif de rétablir les fondamentaux économiques poursuivis par l'actuelle majorité est bien différent de celui de la précédente.

Le Rapporteur général a souligné qu'il n'y a pas eu, entre 2003 et 2004, d'augmentation du ratio « dépenses publiques/PIB » celui-ci diminuant à l'inverse de 53,7% à 53,5%. En revanche, la part des prélèvements obligatoires dans le PIB a très légèrement augmenté, les baisses d'impôts pratiquées en 2004, à 1,5 milliard d'euros, étant modérées dans un contexte traditionnel de forte surréaction des ressources fiscales à une croissance de la richesse nationale elle-même plutôt positive. Il convient cependant de se concentrer sur le caractère remarquable de la gestion au cours de l'exécution du budget de 2004, les crédits votés ayant été strictement respectés. En outre, deux tiers des surplus de recettes entre 2003 et 2004 ont été affectés à la diminution du déficit, ce qui témoigne d'une responsabilité budgétaire qui rompt avec le passé. Malgré tout, la situation des finances publiques reste très fragile et l'endettement continue à augmenter. Même si le déficit de l'année 2004 est limité à 44 milliards d'euros, auxquels il convient d'ajouter une dizaine de milliards d'euros de déficit sur les comptes sociaux, il reste très excessif. S'agissant de la dette, compte tenu du très bas niveau des taux d'intérêt, le poids des intérêts demeure stable, bien que le stock de dette augmente de manière importante. La France est donc aujourd'hui dans une situation de vulnérabilité totale face à une éventuelle augmentation des taux d'intérêt. Il convient d'ajouter que les marges de gestion active de la dette sont utilisées au maximum grâce au travail de grande qualité de l'Agence France Trésor.

Il est dès lors nécessaire de s'astreindre à une réelle pédagogie sur les enjeux de la dette. Cet effort d'information sur les effets néfastes de l'endettement est un devoir impérieux. Rien ne sert de se cacher derrière les obligations européennes : la dette publique est un problème strictement national. L'intérêt national, et lui seul, exige d'y faire face.

S'agissant des observations de M. Philippe Auberger sur l'effort d'investissement, il est vrai que des progrès sont à accomplir. Cependant, il faut rappeler que les guichets sociaux qui fonctionnent à plein régime obèrent notre capacité à lui consacrer tous les moyens indispensables. Ainsi, en 2005, entre les centres d'hébergement des demandeurs d'asile ou l'aide médicale d'État, ce sont d'ores et déjà des centaines de millions d'euros de dépenses supplémentaires par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale qui ont été constatés. C'est autant d'argent qui n'ira pas à la recherche et au développement.

Le Président Pierre Méhaignerie, tout en approuvant l'argumentation du Rapporteur général, a cependant souligné la nécessité de renforcer le pouvoir d'achat de manière importante, en particulier si, au même moment, on demande aux Français de réaliser les indispensables réformes de structure qu'appelle la modernisation de notre pays.

La Commission a ensuite autorisé la publication du rapport d'information.

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La Commission a procédé à l'examen, sur le rapport de M. Daniel Garrigue, Rapporteur, la proposition de résolution sur la communication de la Commission européenne relative aux lignes directrices intégrées pour la croissance et l'emploi (2005-2008) (n° 2328).

M. Daniel Garrigue, Rapporteur, a rappelé que le Conseil européen des 16 et 17 juin prochains devrait se prononcer sur la « stratégie de Lisbonne » révisée, qui concerne un exercice de coordination des politiques économiques, sociales et environnementales au sein de l'Union européenne. Cette stratégie a été initiée en 2000, lors du Conseil européen de Lisbonne, puis complétée par plusieurs conseils européens ultérieurs. Elle a pour ambition de faire de l'Union européenne « l'économie la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici 2010 », en rattrapant son retard de croissance avec notamment les Etats-Unis.

Le Conseil européen des 22 et 23 mars derniers avait conclu que cet objectif n'avait pas été atteint. Les raisons invoquées sont que le programme était trop ambitieux et que les indicateurs chargés de mesurer les avancées étaient trop nombreux. Comme le disait M. Wim Kok dans son rapport avant le Conseil européen de mars, « la stratégie de Lisbonne traite de tout, donc de rien ». Son péché originel était d'imaginer que le développement des NTIC pouvait régler tous les problèmes de croissance ; cette analyse a volé en éclats après l'éclatement de la bulle informatique. On a également regretté le fait que les Etats membres ne se soient pas suffisamment impliqués dans la stratégie, dont une bonne part des actions relève des compétences nationales.

Le Conseil européen de mars a donc décidé de recentrer la stratégie sur les thèmes prioritaires de la croissance et l'emploi, sans abandonner pour autant totalement les aspects sociaux et environnementaux. Il s'est prononcé pour la « poursuite indispensable d'une politique industrielle active ». Il a affirmé la volonté de mettre en place des instruments plus cohérents permettant de rassembler les efforts des Etats membres. Les Grandes orientations des politiques économiques (GOPE) et les Lignes directrices pour l'emploi (LDE) ont été intégrées dans une procédure commune. On peut cependant regretter que cette intégration soit encore très imparfaite avec des procédures d'examen éclatées entre trois formations du Conseil : « ECOFIN », « Compétitivité » et « Emploi politique sociale santé et consommateurs ». Il s'agit, au total, de mieux impliquer les Etats membres avec l'obligation pour chacun de présenter à la Commission européenne, avant le 15 octobre prochain, un « programme national de réforme ». La Commission européenne demande à chaque Etat membre d'intégrer les partenaires sociaux et les représentations parlementaires dans l'élaboration de ces programmes. Cette date du 15 octobre, si elle est confirmée par le Conseil européen, permettrait une correspondance de discussion avec le projet de loi de finances pour 2006. Au vu des 25 programmes nationaux de réforme, la Commission européenne établira ensuite un rapport de suivi.

Ces programmes nationaux de réforme peuvent être qualifiés d'« instruments d'interface » entre les objectifs communautaires et les actions prises au niveau national. Les programmes de stabilité qui doivent être transmis le 1er décembre de chaque année à la Commission européenne en sont un autre exemple ; de façon similaire, il serait utile qu'ils soient débattus au sein des parlements et de leurs commissions compétentes. Une meilleure association des parlements nationaux aux politiques communautaires entraînerait une interaction fructueuse, permettant de faire remonter à Bruxelles des objectifs ou des préoccupations.

La communication de la Commission européenne établit un diagnostic intéressant et courageux de la faiblesse de la croissance en Europe, avec des analyses qui ne sont pas suffisamment mises en avant en France. Le taux d'emploi dans l'Union européenne est encore estimé à 62,9 %, alors que l'objectif est de 70 % comme aux Etats-Unis. Le nombre d'heures travaillées est inférieur à celui des autres grandes zones économiques. Le taux d'emploi des femmes de 56,1 % est encore plus faible (objectif de 60 %) et le taux d'emploi des personnes âgées est de seulement 40,2 % (objectif de 50 %), ce qui explique une partie du retard de croissance. L'Europe souffre d'un effort de recherche insuffisant et d'un faible niveau de croissance de sa productivité, avec une diffusion relativement lente des NTIC. Sa population vieillit, ce qui a des conséquences en termes de taux d'intérêt réel et d'endettement implicite ; il faut maîtrise la dette publique, sinon son impact sera insupportable.

Les 23 lignes directrices proposées par la Commission européenne sont regroupées en trois volets : macro-économique, micro-économique et emploi. Sur le volet macro-économique, il faudrait veiller à maintenir un équilibre entre la nécessaire stabilité, rappelée par la Commission européenne, et la toute aussi nécessaire croissance, dans les termes précisés par la réforme du pacte de stabilité et de croissance. Les nécessaire réformes structurelles, également rappelées par la Commission européenne, ne doivent pas pour autant se substituer à la définition de politiques macro-économiques coordonnées autour d'un « policy mix » (politique budgétaire et monétaire) adapté.

Au plan micro-économique, le développement du marché intérieur doit se poursuivre, avec pour la France un niveau encore insuffisant de transposition des directives communautaires, même si on constate une amélioration récente. Le Conseil européen de mars dernier a clairement indiqué que le parachèvement du marché intérieur des services devait préserver le modèle social européen et que tous les efforts devaient être entrepris dans le cadre du processus législatif pour dégager un large consensus sur ces objectifs. La communication de la Commission devrait également être complétée par la mention de la nécessité d'une harmonisation fiscale, pour éviter tout risque de dumping en la matière.

La Commission a raison de mentionner l'ouverture extérieure et la concurrence, mais elle devrait également rappeler les nécessaires règlementations en matière d'environnement et de santé publique, qui sont mieux assurées en Europe qu'ailleurs dans le monde. Comme dans le cadre du programme REACH d'enregistrement des substances chimiques, M. Daniel Garrigue, Rapporteur, préconise la mise en place d'un observatoire permettant d'évaluer les différentes législations environnementales et de santé dans les grands ensembles mondiaux, afin de permettre de se situer et d'exercer des pressions sur nos concurrents.

Dans le texte de la Commission européenne, la notion de « services économiques d'intérêt général » (SIEG) apparaît en retrait par rapport aux conclusions du Conseil européen de mars et aux orientations de la période antérieure. La communication de la Commission européenne présente les SIEG comme un « sous-produit » de l'amélioration du marché des industries de réseau, ce qui n'est pas totalement conforme aux conceptions précédemment retenues.

La communication de la Commission soutient, à juste titre, l'amélioration de l'environnement règlementaire des entreprises, une politique volontariste de soutien à la recherche et la poursuite des grands travaux d'infrastructure européens, pour lesquels des financements adaptés devront être trouvés. On peut cependant regretter la pauvreté du débat en Europe sur la politique énergétique, comparativement à d'autres zones économiques. Le 7ème programme cadre de recherche et développement (PCRD), actuellement en préparation, devra prévoir des structures moins lourdes et moins de saupoudrage des crédits. En France, le Gouvernement présentera bientôt un projet de loi d'orientation sur la recherche ; la procédure d'appel à projet devra être développée en France et en Europe.

Le maillon le plus faible de la proposition de la Commission européenne réside certainement dans l'insuffisante défense de la base industrielle de l'Union, avec des termes qui sont en net retrait par rapport aux conclusions du Conseil européen de mars. Or, un tissu industriel solide est un enjeu fondamental, comme rappelé dans le récent rapport de M. Jean-Louis Beffa.

S'agissant du troisième volet des lignes directrices sur les politiques de l'emploi, la Commission fait des propositions intéressantes sur la réforme des marchés du travail conciliant flexibilité et sécurité, dans la ligne du rapport d'information présenté par le Président Pierre Méhaignerie sur le marché de l'emploi au Danemark. La Commission mentionne le « pacte pour la jeunesse » inscrit dans la stratégie de Lisbonne à l'initiative du Gouvernement français.

En conclusion, la communication de la Commission présente un diagnostic courageux avec une mise en perspective intéressante et des orientations que l'on peut partager. Cependant, sur un certain nombre de points, quelques réorientations ou infléchissements seraient nécessaires.

Le Président Pierre Méhaignerie a souligné que ces lignes directrices sont à replacer dans le contexte du cycle de négociations de Doha à l'OMC, et du récent débat sur l'article III-314 du Traité établissant une Constitution pour l'Europe, relatif à l'insertion de l'Union européenne dans le commerce mondial. M. Maurice Allais, Prix Nobel, a récemment soutenu que cet article, qui en l'état actuel ne protège pas contre les excès du libéralisme, bien au contraire, devrait être rédigé dans le sens du développement harmonieux du commerce mondial ; une protection communautaire raisonnable doit être assurée à l'encontre des importations des pays tiers dont les niveaux des salaires ou cours des changes s'établissent à des niveaux incompatibles avec une suppression de toute protection douanière.

M. Philippe Auberger a rappelé qu'un certain nombre de devises sont sous-évaluées, dont le yuan chinois. Ainsi, cela accroît artificiellement la compétitivité des pays concernés.

M. Daniel Garrigue, Rapporteur, a déclaré partager ces interrogations. Sur le marché mondial, il faut affirmer la préférence communautaire.

Le Président Pierre Méhaignerie a remarqué que la préférence communautaire est un concept délicat à manier. Toutefois, les niveaux de salaire trop bas, la sous-évaluation des monnaies ou la remise en cause des brevets risquent de provoquer des mutations brutales et montrent que les règles du marché ne conduisent pas forcément à une concurrence équitable. Les opinions publiques sont déstabilisées et certains pays comme la Turquie ou des États du Maghreb sont particulièrement touchés.

M. Hervé Novelli a rappelé que la préférence communautaire n'est pas compatible avec les règles de l'OMC. C'est dans le cadre de l'OMC qu'il convient de résoudre les problèmes posés par les échanges internationaux. Le rapport d'information sur les échanges commerciaux avec la Chine, que la commission des Finances a confié à MM. Hervé Novelli et Tony Dreyfus, permettra de comparer l'avantage que procure une monnaie sous-évaluée avec le différentiel des coûts de production. En réalité, le second est bien plus important que le premier. Il faut permettre des périodes suffisantes pour mener à bien les adaptations qui sont inéluctables.

M. Daniel Garrigue, Rapporteur, a souligné que la proposition de résolution doit donner un sens à la voix de la France et de l'Europe dans les futures négociations. Il ne s'agit pas de mettre en cause le processus d'ouverture aux échanges internationaux, mais d'atténuer la brutalité insupportable des changements.

Puis la Commission a procédé à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution.

Article unique :

La commission a adopté quatre amendements du Rapporteur :

- le premier et le troisième modifiant la place du huitième alinéa de cet article, vers la fin du texte ;

- le deuxième insérant un considérant prévoyant que « si la communication de la Commission souligne l'attachement de l'Union européenne à l'ouverture au commerce international, elle ne met pas suffisamment l'accent sur la très grande inégalité des concurrences, liée en particulier aux conditions de travail, à l'insuffisante protection des brevets, à la sous-évaluation manifeste de certaines monnaies et aux fortes différences de législation en matière d'environnement et de santé publique, alors que ces éléments devraient être placés au cœur des négociations du cycle de Doha, afin d'éviter que la brutalité des mutations en cours ne finisse par remettre en cause les conditions mêmes de l'ouverture des marchés » ;

- le quatrième faisant référence aux conclusions du Conseil européen des 22 et 23 mars 2005.

Après avoir adopté l'article unique ainsi modifié, la Commission a adopté la présente proposition de résolution.

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