COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 66

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 6 juillet 2005
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président
puis de M. Yves Deniaud, Doyen d'âge

SOMMAIRE

 

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- Conclusions de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur l'évolution des coûts budgétaires des demandes d'asile (hébergement, contentieux, contrôle aux frontières) (Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure)

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La Commission a procédé, sur le rapport de Mme  Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure de la Mission d'évaluation et de contrôle, à l'examen des conclusions de la MEC sur l'évolution des coûts budgétaires des demandes d'asile (Hébergement, contentieux, contrôle aux frontières).

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure de la MEC, a souligné l'actualité et la difficulté du sujet, car la France se trouve aujourd'hui au premier rang des pays d'accueil pour les demandeurs d'asile en Europe, avec une hausse spectaculaire des demandes en 2003 et en 2004. Au contraire, nos partenaires européens, qui ont adopté des réformes avant la France, observent une baisse de la demande d'asile, et des coûts en diminution dans certains domaines. Il faut souligner que, de manière générale, ces pays engagent des crédits plus importants pour le traitement et l'accompagnement des demandeurs d'asile. La question se pose donc des raisons de l'attractivité de notre pays, sachant que le taux de reconnaissance de la qualité de réfugié, autour de 16 %, est proche de celui observé ailleurs.

Outre la hausse du nombre des demandes, on constate que la nature de la demande d'asile a évolué : les demandeurs qui étaient en majorité des hommes et femmes seuls se présentent souvent aujourd'hui en famille. Ces situations ont entraîné une embolie des structures d'accueil et se sont traduites par une progression des coûts représentés par l'hébergement et l'accès aux droits sociaux des demandeurs. Bien que l'accueil des demandeurs d'asile soit une compétence de l'Etat, les départements sont aussi amenés à engager certaines dépenses dans le cadre notamment de l'aide sociale à l'enfance.

Les différentes étapes de la procédure d'examen de la demande d'asile se traduisent par des particularités dont le recours quasi-systématique présenté par les déboutés et la possibilité d'exciper d'un « fait nouveau » intervenu dans le pays d'origine pour déposer une demande de réexamen, possibilité qui génère de très nombreuses demandes, souvent purement dilatoires. La procédure va connaître quelques évolutions à l'avenir en conséquence de l'adoption par le conseil d'administration de l'OFPRA, le 30 juin dernier, d'une liste des pays d'origine sûrs, et l'adoption prochaine de la directive « normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié », qui participera à un mouvement de « judiciarisation » mais qui risque de s'avérer coûteuse en termes d'aide juridictionnelle.

La loi du 10 décembre 2003 relative au droit d'asile et le décret d'application du 14 août 2004 ont amélioré les procédures. Les délais impératifs imposés par la loi, ainsi que les exceptionnels moyens en personnel alloués à l'OFPRA et à la Commission des recours des réfugiés, ont permis de réduire les délais de traitement à deux mois à l'Office et à quatre, et bientôt trois mois, à la Commission, délais à présent incompressibles. Au total, en incluant le mois de délai pour le dépôt initial de la demande et le mois de délai de recours, le délai d'examen total d'une demande est aujourd'hui de sept mois à sept mois et demi, l'objectif étant de le limiter, à la fin de cette année, à six mois, les « stocks » de dossiers en retard ayant été résorbés.

Après avoir souligné l'ampleur du progrès réalisé, si l'on compare avec la situation antérieure où la durée de la procédure pouvait être de 18 mois à deux ans, la Rapporteure a indiqué que la MEC propose un abrègement de deux délais de procédure : le délai de dépôt de la demande d'asile auprès de l'OFPRA, réduit à 15 jours, et le délai de recours, également réduit à 15 jours. Elle propose aussi d'abréger le délai de publication de la décision de la Commission, qui est actuellement trop long.

Les coûts budgétaires imputables à l'accueil des demandeurs d'asile et au traitement de la procédure, y compris l'ensemble des prises en charges du domaine social (hébergement, aide aux associations, allocation d'insertion, CMU de base et complémentaire, aide médicale de l'État pour les personnes déboutées, prise en charge des mineurs isolés) et les crédits européens peuvent être évalués à plus de 811 millions d'euros, évaluation insatisfaisante faute d'une imputation précise de la dépense dans beaucoup de domaines. Le volet « Intérieur » conduit, en rapportant les dépenses structurelles au nombre estimé des demandeurs d'asile figurant parmi les publics concernés, à près de 29 millions d'euros. Ici encore, l'imputation des dépenses structurelles par action et en fonction des personnes prises en charge ne fait que commencer ; le ministère de l'Intérieur a précisé que des indicateurs de suivi permettant d'établir le coût des demandes d'asile pour le réseau préfectoral allaient être mis en place. Enfin, le volet « Affaires étrangères » s'élève à 54 millions d'euros. Le total des coûts identifiables approche donc 900 millions d'euros, auxquels il convient d'ajouter les dépenses engagées par les collectivités locales.

La MEC propose trois types de réformes.

La première est la mise en place d'un suivi des demandeurs d'asile. Ce suivi suppose notamment de créer une obligation de résidence des demandeurs d'asile dans un centre d'accueil du dispositif national d'accueil et de sanctionner le refus de l'hébergement proposé par la perte de l'allocation sociale. L'augmentation des capacités d'accueil à 17.000 places prévues par le plan de cohésion sociale, comme l'accélération des délais de traitement participent à l'objectif de loger la plupart des demandeurs dans les structures dédiées. Pour les demandeurs d'asile hébergés à l'extérieur en cas d'insuffisance des capacités, il convient de créer une obligation de résidence, pendant la durée de la procédure, dans un département déterminé par une décision préfectorale. Le demandeur ne devrait pas quitter le département pendant la phase d'instruction de la demande.

Par ailleurs, une allocation spécifique aux demandeurs d'asile doit être créée, venant en remplacement de l'allocation d'insertion ; ses conditions d'octroi et de suspension doivent être adaptées à la situation du demandeur, ce qui suppose de faire coïncider le versement de l'allocation et la durée de la procédure. Il est important que le versement de cette allocation soit conditionné à l'acceptation de la résidence déterminée par le préfet.

La deuxième proposition est la création d'une procédure rapide d'examen au fond des demandes d'asile présentées à la frontière. Il s'agit en fait de demandes d'admission sur le territoire, qui sont présentées, pour 95 % d'entre elles, à l'aéroport de Roissy. Or les statistiques d'admission sur le territoire confrontées à celle du dépôt effectif de la demande d'asile montrent que les failles de notre procédure portent un grand tort aux efforts de rigueur et d'efficacité de la Police aux frontières dans la lutte contre l'immigration clandestine. En effet, alors que les agents de l'OFPRA présents en permanence dans la Zone d'attente des passagers en instance (ZAPI) rendent un avis majoritairement défavorable à l'admission du demandeur sur le territoire (3,75 % d'avis favorable en 2003 et 14 % en 2004), le taux global d'admission s'élève à 67,5 %, les responsabilités de l'admission étant multiples. Or, on constate que par la suite, parmi ces personnes admises à la frontière au titre de l'asile, seules 15 % concrétisent leur démarche en présentant réellement une demande en préfecture. Cette situation insatisfaisante conduit à proposer une procédure rapide d'examen au fond de la demande d'asile alors que le demandeurs est retenu dans un centre fermé. Certains pays européens, notamment les Pays-Bas, ont mis en place une telle procédure, qui permet en outre un traitement juridique et humanitaire parfaitement abouti.

Cette proposition est à considérer dans le contexte d'un accroissement du trafic à Roissy, le Hub d'Air France étant prévu pour accueillir 80 millions de passagers par an en 2008, avec plusieurs vols provenant de pays demandeurs chaque jour.

La troisième proposition conduit à poursuivre l'effort de coordination entre les structures administratives chargées de l'accueil des étrangers. Il conviendrait de créer une direction unique réunissant l'ensemble des agents définissant et mettant en œuvre les politiques de l'asile, de l'immigration, de l'aide au retour et de la naturalisation.

Cette direction réunirait l'OFPRA, une partie de la DFAE (Ministère des affaires étrangères), une partie de la DLPAJ (Ministère de l'Intérieur), une partie de la DPM (Ministère de l'Emploi et de la solidarité) ainsi que l'ANAEM, éventuellement. Cette direction serait placée sous l'autorité d'un ministre délégué, placé sous la tutelle du Ministre des Affaires étrangères ou de la Justice. Certains pays européens ont mis en place une telle structure, qui présente des avantages en termes de cohérence.

La Rapporteure a souligné la cohérence et l'autorité qu'impliquent une telle organisation ; le suivi humanitaire de la personne y semble, en outre, beaucoup mieux assuré, puisque le passage d'un statut juridique à l'autre se traduit concrètement par la transmission du dossier à un autre service dans un même bâtiment, avec une liaison entre les agents beaucoup plus immédiate.

La Rapporteure a ensuite détaillé l'ensemble des propositions de la MEC.

S'agissant de la proposition n° 11 relative à l'hébergement obligatoire dans un centre d'accueil des demandeurs d'asile, M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a demandé si les pays qui ont imposé une obligation de résidence obtiennent de meilleurs résultats que la France en termes d'éloignement des déboutés du droit d'asile. Le logement dans un CADA n'empêche pas la personne déboutée de quitter les lieux afin de ne pas être reconduite à la frontière.

La Rapporteure a répondu qu'en effet, le seul fait d'être hébergé en CADA ne change pas considérablement les choses. C'est plutôt le recours aux centres fermés qui facilite la reconduite, et aussi le suivi précis du demandeur.

S'agissant de la proposition n °16 relative à la prise en charge des mineurs isolés demandeurs d'asile, M. Augustin Bonrepaux, Président de la MEC, a souligné que les départements étaient parfois contraints de prendre en charge une dépense, à travers l'aide sociale à l'enfance, qui incombait en réalité à l'Etat, seul compétent pour l'accueil des demandeurs d'asile. Il y a donc lieu de demander une clarification des participations financières en la matière.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a souhaité savoir quels décrets étaient visés par la proposition n° 29, relative à l'aide médicale de l'Etat.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure, a précisé qu'il s'agissait des décrets d'application de deux dispositions législatives réformant le dispositif de l'aide médicale de l'Etat : l'article 57 de la loi de finances rectificative pour 2002 et l'article 49 de la loi de finances rectificative pour 2003. Certaines des mesures de réformes ainsi adoptées ont pu entrer en vigueur immédiatement, mais pour d'autres, l'adoption de mesures réglementaires est nécessaire, et la parution des décrets est régulièrement demandée par le Parlement.

M. Jean-Louis Dumont a salué l'excellent travail de la Rapporteure et a remercié cette dernière pour la grande qualité d'écoute dont elle a fait preuve, permettant de dépasser les polémiques. La MEC peut s'honorer d'avoir choisi un thème aussi transversal et de ne pas s'être exclusivement intéressée à la question du coût du droit d'asile. La réduction des délais est un impératif. Face à des personnes souvent fragilisées et nerveuses, il est essentiel de veiller à une bonne formation et une suffisante mobilité des personnels chargés de l'accueil des demandeurs d'asile. Malgré les évolutions qui ont déjà concerné l'OFPRA, cet office a encore besoin d'évoluer. Même si les associations font un travail d'encadrement remarquable, l'enjeu principal est de ne pas laisser les demandeurs d'asile en situation d'oisiveté lorsqu'ils attendent, pendant parfois plusieurs années, le terme des procédures engagées. Le groupe Socialiste votera les conclusions du rapport, ne serait-ce que parce qu'il est important que ces dernières suscitent des réactions. La diversité des flux en matière de demandes d'asile doit être observée de près, dans le respect des valeurs humaines conformes à notre tradition. Parmi les demandeurs, on observe de plus en plus de femmes seules, avec enfants, qui proviennent de pays instables où elles sont victimes d'incessants changements de régime.

Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapporteure, a précisé qu'une proposition avait, un temps, été envisagée, consistant à demander une modulation des primes des fonctionnaires chargés de l'accueil des demandeurs d'asile.

M. Jean-Louis Dumont a indiqué qu'il ne souhaitait pas nécessairement une proposition normée, mais qu'il était important que le rapport évoque la question des personnels administratifs. Les préfets ont une grande part de responsabilité dans l'encadrement des demandeurs d'asile, certains d'entre eux demeurant trop souvent fermés à l'analyse des associations et des élus.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a félicité et remercié la Rapporteure pour la qualité de son analyse et la richesse de ses propositions. C'est la première fois que la MEC aborde un sujet aussi complexe, avec une approche transversale et interministérielle. C'est l'honneur de l'Assemblée nationale de rappeler le souci que nous avons tous de respecter le droit d'asile, l'un des socles de notre démocratie. Seule la mise en œuvre des procédures est en cause, à commencer par le problème des délais. La MEC doit veiller à ce que le Gouvernement tire les conséquences concrètes des conclusions du rapport.

M. Augustin Bonrepaux, Président de la MEC, s'est joint aux remarques de ses collègues sur la difficulté du travail et a salué l'efficacité de la Rapporteure.

S'associant à ces félicitations, M. Yves Deniaud, Président de la MEC, a tenu à souligner le climat de consensus des travaux de la MEC et la grande qualité des services auditionnés, dont la compétence, l'humanité et le souci de transparence à l'égard des investigations parlementaires se sont révélés tout à fait conformes à l'esprit de la MEC. Il ne s'agit aucunement de mettre en cause le droit d'asile, mais de s'attaquer aux procédures qui entravent sa mise en œuvre concrète et son efficience.

M. Jean-Louis Dumont a indiqué que, forte de ces expériences concluantes, la commission des Finances est désormais parfaitement armée pour étudier des domaines aussi vastes que sensibles et qu'il convient à présent de donner une suite aux demandes répétées du Président Augustin Bonrepaux de créer une MEC sur la Défense nationale.

M. Michel Bouvard a considéré que la MEC pouvait tout à fait aborder des sujets complexes, pour autant que l'on s'assure de la mise en œuvre effective des préconisations formulées. Cette forme d'exercice d'un « droit de suite » doit constituer une pression positive sur le Gouvernement, que les propositions relèvent ou non du domaine de la loi. Les questionnaires budgétaires, de même que les indicateurs et les objectifs de performance sont un des moyens d'assurer le suivi de la mise en œuvre des préconisations des MEC.

La commission a alors adopté les conclusions de la MEC et autorisé, en application de l'article 145 du Règlement, la publication du rapport.

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