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COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 50

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 22 février 2006
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif aux offres publiques d'acquisition (M. Hervé Novelli, Rapporteur)

2

- Informations relatives à la Commission

6

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Hervé Novelli, Rapporteur, le projet de loi adopté avec modifications par le Sénat en deuxième lecture relatif aux offres publiques d'acquisition (n°2876).

M. Hervé Novelli, Rapporteur, a rappelé qu'à l'issue de l'examen en deuxième lecture du projet de loi par le Sénat, le 21 février, sept articles restent en discussion.

Trois modifications sont d'ordre technique. A l'article 2, une amélioration rédactionnelle a été apportée à un alinéa introduit par la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, adoptée cet été. S'agissant de la définition du prix équitable, le Sénat a confirmé la rédaction proposée par la Commission des finances de l'Assemblée, plus favorable aux petits actionnaires. De même, à l'article 5, la rédaction d'un dispositif introduit par un amendement gouvernemental à l'Assemblé a été améliorée. En outre, à l'article 24, un amendement de coordination a été adopté.

Quatre articles ont fait l'objet de modifications plus substantielles. A l'article 7, le Sénat a renforcé l'information des comités d'entreprises lors des offres publiques d'acquisition. Ce dispositif oblige l'auteur de l'offre, lors de son audition par le comité d'entreprise de la société - cible à présenter précisément son projet industriel. Cet ajout du Sénat est particulièrement dissuasif pour les offrants. Il convient également de se demander si l'importance des éléments qui doivent être présentés ne constitue pas une entrave au déroulement d'une offre publique. A l'article 10, le Sénat a adopté un amendement présenté par le Gouvernement permettant d'émettre des bons de souscription d'actions (BSA), dans la société cible. La rédaction retenue prévoit que tous les actionnaires peuvent bénéficier d'une telle émission. En outre, la Commission des finances du Sénat a précisé que l'assemblée générale prend cette décision à la majorité simple et non à la majorité qualifiée des assemblées générales extraordinaires. Il est sans doute préférable d'en revenir au texte initial de l'amendement, car la majorité de l'assemblée générale extraordinaire est plus protectrice des intérêts des petits actionnaires.

À l'article 11, le Sénat a rétabli son texte de première lecture, estimant qu'une entreprise française cible de plusieurs offres, dont l'une, au moins, émane d'une entreprise n'appliquant pas l'article 9 de la directive, peut également ne pas appliquer ces dispositions.

A l'article 19, le Sénat a rétabli la réciprocité s'agissant des dispositions de l'article 11 de la directive. Cette question est particulièrement délicate. Ce dispositif vise à appliquer la clause de réciprocité aux cas où un ou plusieurs initiateurs d'offres visent des sociétés qui ont volontairement décidé d'inclure dans leurs statuts l'inopposabilité ou la suspension de restrictions facultatives au transfert de titres, à l'exercice du droit de vote, ou des droits extraordinaires de nomination ou de révocation de certains actionnaires. Celles-ci sont prévues par les articles 13 à 15 et 17 et 18 du projet de loi. Pour autant, le paragraphe 3 de l'article 12 de la directive, en ne prévoyant que l'application par les sociétés de l'article 11 en tant que tel, ne prévoit pas le cas d'une clause de réciprocité portant sur une partie seulement de cet article. Il subsiste donc une incertitude sur la conformité au droit communautaire du dispositif adopté par le Sénat.

Au Sénat, le Ministre a indiqué qu'il n'avait pas eu d'éclaircissement de la part de la Commission européenne. Le Président de la commission des Finances du Sénat, M. Jean Arthuis, a déclaré que cette question serait réglée en commission mixte paritaire. Il est donc plus sage de supprimer, à nouveau, cet ajout du Sénat.

Enfin, s'agissant de la procédure, il convient de s'interroger sur la compatibilité de l'amendement du Gouvernement adopté à l'article 10 au regard de la décision du 19 janvier 2006 du Conseil constitutionnel. Celui-ci a jugé que le droit d'amendement doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture, par chacune des deux assemblées parlementaires. Il ne saurait, à ce stade, être limité, dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité et la nécessité, pour un amendement, de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du projet. En revanche, à partir de la deuxième lecture, afin de satisfaire à l'économie générale de l'article 45 de la Constitution, les amendements parlementaires, comme ceux du Gouvernement, doivent être « en relation directe avec une disposition restant en discussion », sauf à être dictés par la nécessité de respecter la Constitution, d'assurer une coordination avec d'autres textes ou de corriger une erreur matérielle.

M. Eric Besson a évoqué les points suivants :

- en ce qui concerne l'article 7, il faut bien rappeler que la note obligatoire était déjà prévue par l'article 4 de la loi relative aux nouvelles régulations économiques, s'agissant des conséquences en termes d'emplois de l'offre. La rédaction proposée par le Sénat va dans le bon sens ; il y a seulement information des salariés, sans renversement de la charge de la preuve. La réserve exprimée par le Rapporteur est donc étonnante : il serait surprenant que l'Assemblée nationale revienne sur cette disposition adoptée par le Sénat à l'initiative du Gouvernement ;

- en ce qui concerne l'article 10, on peut penser, à l'inverse du Rapporteur, que l'amendement du Gouvernement se situe bien dans les limites constitutionnelles, car le lien avec les dispositions restant en discussion paraît suffisamment étroit. Il ne faut donc pas s'opposer à une disposition qui peut être utile pour les sociétés françaises menacées d'OPA ;

- le choix entre les règles de majorité d'une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire devra être précisé ;

- en ce qui concerne les articles 11 et 19 du projet de loi, que le Rapporteur lie dans la perspective de la Commission mixte paritaire, la rédaction adoptée par le Sénat dans les deux cas doit être retenue, car elle est bien plus protectrice pour les sociétés françaises. Le groupe socialiste exprime donc son désaccord absolu avec la rédaction de l'article 11, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture sur proposition du Rapporteur.

M. Philippe Auberger a présenté les observations suivantes :

- depuis le débat en première lecture, le Gouvernement n'a toujours pas présenté son projet de décret relatif à la convocation des assemblées générales, alors qu'il est fondamental de savoir dans quelles conditions pourra être convoquée une assemblée générale en cas d'offre publique d'acquisition. Il est essentiel que le Rapporteur dispose d'éléments sur ce sujet avant le débat en séance publique ;

- actuellement, la situation générale des entreprises et de la bourse est plutôt favorable pour lancer des offres publiques d'acquisition, en raison de l'importance des liquidités disponibles. Il est donc de la responsabilité de la Représentation nationale de traiter politiquement le problème, indépendamment des limitations du droit d'amendement évoquées par le Conseil constitutionnel ;

- le Parlement doit contrôler la manière dont l'Autorité des marchés financiers (AMF) remplit ses missions. L'AMF a délégué son visa pour Arcelor à l'autorité du Luxembourg, alors que cette société est également cotée à la Bourse de Paris ;

- il y a une différence fondamentale, parmi les offres publiques d'acquisition, entre une offre publique d'achat, où les actionnaires reçoivent un paiement immédiat, et une offre publique d'échange, dont les trois quarts sont faites à crédit. Il importe donc que les actionnaires soient très bien informés de la situation financière de l'entreprise. La note d'information à destination des actionnaires doit donc être très précise dans le cas où il y a un échange de titres. Ces informations doivent être fournies aux actionnaires avant le comité d'entreprise ;

- il est indispensable de plafonner les droits de vote multiples, comme cela est prévu par la directive. Il faut donc être plus vigilants que le texte proposé, notamment en cas de détention d'au-moins 50 % du capital de l'entreprise au travers des droits de vote familiaux. Le respect de la majorité qualifiée sera alors plus facile.

M. Richard Mallié a convenu que les droits de vote familiaux constituent un scandale, mais a estimé que fixer un seuil de 50 % est insuffisant pour régler le problème ; il faut donc plafonner l'ensemble des droits de vote. Par ailleurs, le Rapporteur devrait éclairer la procédure d'émission de BSA. En effet, cette procédure a pour effet, par dilution du capital, de diminuer la valeur de l'action, alors qu'elle est censée dépendre de la valeur de l'entreprise telle qu'évaluée par la bourse.

M. Jean-Jacques Descamps a évoqué les points suivants :

- le législateur ne doit pas se laisser influencer par la pression de l'actualité. Il ne doit pas avoir pour seul objectif de contrer une opération particulière ;

- en ce qui concerne l'article 7, il est nécessaire d'attendre la décision des actionnaires avant d'informer le comité d'entreprise. En effet, une OPA est avant tout un problème d'actionnaires, libres de choisir en toute connaissance de cause. Ceux-ci doivent donc avoir connaissance de la stratégie de l'entreprise qui présente l'offre ;

- un chef d'entreprise doit réaliser un arbitrage entre la nécessité d'informer le personnel en cas d'OPA et celle de ne pas informer ses concurrents en donnant trop d'informations. Il court un risque en ne connaissant pas toute la structure de l'entreprise achetée, et il ne faut pas non plus inquiéter inutilement le personnel. La rédaction du Sénat sur l'article 7 va donc beaucoup trop loin, car le résultat d'une offre dépend toujours et avant tout des actionnaires ;

- dans le cas d'une offre publique d'échange, il faut tenir compte des perspectives de profit et des dividendes de l'entreprise fusionnée après l'offre. Cette appréciation stratégique peut permettre d'éviter de courir des risques, aussi nombreux dans le cas d'une offre publique d'échange que d'une offre publique d'achat ;

- les droits de votes familiaux peuvent permettre de mener des stratégies d'entreprises favorables à l'ensemble des actionnaires. Il faut donc laisser toute liberté d'appréciation aux actionnaires eux-mêmes ;

M. Jean-Pierre Balligand a souligné que le texte proposé n'est pas satisfaisant sur la question des obligations d'information en matière d'OPA. Compte du caractère plus risqué d'une offre publique d'échange pour les actionnaires, il est justifié que l'information fournie soit alors plus abondante. Il apparaît d'autant plus nécessaire de compléter le texte sur ce point que nous allons assister à la multiplication d'opérations mixtes, alors que le marché boursier est de plus en plus dynamique et que de nombreuses sociétés sont encore sous cotées. Il n'est donc pas inopportun de mettre en place un dispositif qui permette d'améliorer sensiblement l'information des actionnaires dans le cadre d'une offre publique d'échange. Il est ensuite évident que la création de BSA aboutit à réduire le pouvoir dont disposaient auparavant les actionnaires et à amoindrir la valeur de l'action. Une explication supplémentaire sur ce point apparaît donc nécessaire. Il est d'autant plus impératif d'améliorer le texte proposé que le nombre d'OPA va se multiplier, compte tenu de la situation globale des marchés. S'il n'est pas souhaitable de légiférer sur un cas d'actualité particulier, il convient toutefois de tenir compte du contexte général d'accélération des opérations boursières. La Commission des finances doit pouvoir disposer d'un texte lisible.

M. Jean-Pierre Brard s'est dit touché par l'altruisme de M. Jean-Jacques Descamps, lequel ne souhaite pas inquiéter les salariés. Son raisonnement est cohérent : Arcelor relève du droit luxembourgeois. Pour sa part, le Rapporteur Hervé Novelli, qui est ce que l'on appelait autrefois un « agent du grand capital international », va jusqu'au bout de ses convictions. Si l'amendement adopté par le Sénat déplaît à la majorité, celle-ci n'aura aucune difficulté à trouver soixante députés pour saisir le Conseil constitutionnel. Il existe trois camps au sein de la majorité : les libéraux convaincus, idéologues dont le rapporteur Hervé Novelli fait partie et dont le programme figurait dans le texte fondateur « Alternance 2002 » ; ceux qui ne sont pas en désaccord avec les libéraux mais dont le sens politique et l'attachement aux électeurs les retiennent de soutenir trop ouvertement le texte et, enfin, les « saintes reliques du gaullisme », qui se taisent. Dans ce contexte, le rôle de l'opposition est avant tout pédagogique : il s'agit de présenter la stratégie de la majorité pour, ensuite, lui en faire payer le prix.

Le Président Pierre Méhaignerie a jugé préférable de reporter l'examen des amendements par la commission d'une semaine, compte tenu des problèmes de délais rencontrés et des difficultés juridiques posées.

M. Hervé Novelli, Rapporteur, a souligné que le texte avait été examiné en première lecture à l'Assemblée nationale sans que l'opposition participe au débat, ce comportement ayant pour conséquence regrettable le report de certaines questions en deuxième lecture. Alors que l'on s'est beaucoup référé à l'exemple de l'OPA hostile de Mittal Steel sur Arcelor, il faut rappeler qu'il n'est pas souhaitable de légiférer pour répondre à un cas particulier mis en évidence par l'actualité, comme on a trop souvent tendance à le faire.

S'agissant de l'article 7, les ajouts apportés par le Sénat, qui portent plus particulièrement sur la présentation, par l'auteur de l'offre, d'un plan stratégique au comité d'entreprise précisant la localisation des centres de décision, n'étaient pas prévus par la législation en vigueur. Ces précisions entraînent un véritable bouleversement. Il s'agit d'un changement majeur dont il convient d'examiner en détail les conséquences.

L'amendement présenté par le Gouvernement à l'article 10, relatif aux BSA prévoit la possibilité, pour l'assemblée générale, de décider, à chaud ou à froid, l'autorisation d'émettre des BSA. Les deux options sont prévues. Le BSA est une technique d'augmentation du capital. Il y a un risque de dilution, car le BSA peut être ou non souscrit. Le risque est plus important pour le petit actionnaire que pour les porteurs de blocs d'actions.

S'agissant du principe de réciprocité, il convient de souligner qu'une discussion approfondie a plus particulièrement eu lieu sur l'article 11 en première lecture. La question est de savoir si l'on peut décider de s'affranchir de consulter l'assemblée générale dans le cas où l'entreprise attaquante s'est elle-même affranchie de consulter sa propre assemblée générale pour lancer une OPA. Le problème est posé en cas de pluralité d'attaquants : sur lequel faut-il s'aligner ? Le Sénat a décidé que l'alignement pouvait porter sur une entreprise qui s'était affranchie des obligations de consultation, tandis que l'Assemblée nationale préférait privilégier l'alignement sur une entreprise attaquante vertueuse. Les deux options présentent des avantages et des inconvénients. Toutefois, compte tenu du contexte actuel, il apparaît désormais envisageable de faire jouer la clause de réciprocité dans le sens prévu par le Sénat. En revanche, s'agissant de l'article 19, il serait souhaitable d'adopter un amendement qui revienne à la position initiale du Gouvernement et, par conséquent, au texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. La rédaction retenue pour cet article est entachée d'incertitudes juridiques majeures. L'enjeu est de savoir si le principe de réciprocité peut s'appliquer à une partie, seulement, des clauses d'inopposabilité.

La distinction qui a été faite entre les offres publiques d'acquisition selon qu'elles prennent, ou non, la forme d'un échange de titres, est tout à fait juste. Une offre publique d'échange suppose que l'information soit parfaite et précise. Il appartient néanmoins à l'AMF, et non au législateur, de poser les bonnes règles. On est encore en attente de la modification du décret fixant les modalités de convocation des assemblées générales. En première lecture, le Gouvernement s'était engagé à ce que ce décret soit rapidement modifié ; cet engagement doit être tenu. Concernant le plafonnement des droits de vote majorés, le Rapporteur s'est déclaré en parfait accord avec M. Philippe Auberger.

L'émission de bons de souscription d'actions peut se traduire effectivement par une dilution de la part de chaque actionnaire, si celui-ci ne souscrit pas à l'augmentation de capital. Par ailleurs, la valeur de l'action est amoindrie mécaniquement. On peut néanmoins noter que cette technique n'a été utilisée, en quinze ans, qu'une seule fois aux États-Unis. Il ne s'agit pas d'interdire les OPA, mais bien d'inciter à la négociation en permettant une valorisation plus importante et nécessitant donc une offre plus élevée. L'effet est donc dissuasif.

Si la typologie de la droite française proposée par M. Jean-Pierre Brard est très intéressante, on doit souhaiter que le même exercice soit conduit pour la gauche.

Le Président Pierre Méhaignerie a ensuite informé la Commission, compte tenu de la durée de cette discussion, et des points restant en débat, que l'examen des amendements au projet de loi aurait lieu le mercredi 1er mars à 16 heures, le délai de dépôt des amendements étant fixé au mardi 28 février à 18 heures.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a nommé MM. Marc Laffineur et Augustin Bonrepaux rapporteurs d'information sur les transferts de compétences de l'État aux collectivités locales et leur financement.

La Commission a reporté la nomination d'un rapporteur d'information sur les questions des salaires et des retraites outre-mer.

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