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COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 54

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 mars 2006
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

puis de M.  Michel Bouvard, Vice-président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur la réforme de l'État

2

- Communication de M. Denis Merville, Rapporteur spécial, sur le suivi de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur les normes édictées par les fédérations et les ligues sportives

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- Information relative à la Commission

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La commission des Finances a procédé à l'audition de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, sur la réforme de l'État.

M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, a remercié la commission des Finances de son invitation à évoquer la réforme de l'État, et a rappelé que sa première initiative, au moment de sa prise de fonctions, en avril 2004, avait été - au risque, souligné par certains, de « faire entrer le loup dans la bergerie » - de demander à la Cour des comptes d'effectuer un bilan, tâche qui fut finalement assumée par l'Inspection générale des finances. L'indépendance ne doit pas signifier opacité, et tout gestionnaire de l'argent public, quel que soit son statut, doit rendre compte en toute transparence, et la pérennité d'un service public ne doit pas être liée au statut de celui-ci, mais à son utilité et à la qualité du service qu'il rend. Aussi serait-il bon qu'à l'avenir les commissions des Finances des deux assemblées puissent suivre l'action de cette autorité administrative indépendante qu'est le Médiateur de la République.

Dès avril 2004, des réunions du personnel de l'institution ont été organisées afin de préparer la mise en œuvre de la LOLF, de résoudre les problèmes des locaux, d'intégrer des éléments budgétaires dans le rapport annuel. Un processus de traitement des commandes publiques a été créé, ainsi que des procédures d'engagement et de mandatement. Une méthode d'évaluation des moyens et des coûts a été instaurée, ainsi qu'une comptabilité de type analytique - ne permettant toutefois pas encore de prendre en compte les personnels mis à disposition.

S'agissant de la gestion des ressources humaines, des groupes de travail par métiers ont été mis en place, ainsi qu'un comité de participation, et un plan pluriannuel de formation. Le régime indemnitaire a été mis à plat, le statut juridique des 300 délégués clarifié et le statut des contractuels doit encore être sécurisé - car il est absurde et inacceptable, tant sur le plan humain que pour la bonne marche de l'institution, que les fonctions des contractuels prennent fin ipso facto à l'achèvement du mandat du Médiateur lui-même, d'où la prorogation des contrats pour trois mois, à titre conservatoire, décidée en avril 2004.

En mai 2005, a été tenue une première « convention » des services ; a été également adoptée une charte d'engagements et d'éthique - car l'indépendance est essentielle à la tâche de médiation. Un nouveau logiciel de gestion informatique des dossiers a été mis en service, et une cellule d'urgences créée, en même temps qu'un portail Intranet permettant aux personnels du siège parisien et des délégations départementales de travailler en réseau. L'offre de médiation a été développée grâce à la modernisation des outils de communication externe et à la médiation « directe ».

Un comité des réformes a été installé. Le Médiateur participe, par ailleurs, au club des médiateurs du service public. Des protocoles d'accord avec les organismes partenaires ont été signés. Des processus de mutualisation avec les autres autorités administratives indépendantes ont été mis en place.

Le Président Pierre Méhaignerie s'est demandé si cette mutualisation pouvait éventuellement conduire à une réduction de l'enveloppe financière du Médiateur.

M. Jean-Paul Delevoye a répondu que le sujet n'était nullement tabou : tout euro mal dépensé a vocation à être supprimé, tout euro bien dépensé à être conforté. Si l'on estime, à l'aune de ce principe, que le budget du Médiateur est excessif, il faut le réduire ; dans le cas inverse, il faut l'augmenter. L'important, c'est d'assurer la traçabilité de la dépense.

Le Président Pierre Méhaignerie a estimé que cet état d'esprit pourrait utilement servir d'exemple aux responsables d'autres autorités indépendantes.

M. Jean-Paul Delevoye a rappelé que, dans l'architecture de la LOLF, le Médiateur de la République est une action au sein du programme « Coordination du travail gouvernemental », et dispose d'un budget opérationnel de programme. La LOLF a amené l'institution à mener une réflexion sur l'affectation des moyens, les résultats ex ante et l'évaluation ex post. Dans les faits, l'autonomie budgétaire du Médiateur est entamée par la gestion des emplois des personnels mis à disposition, qui lui échappe entièrement : depuis que, voici quelques mois, l'un d'eux est reparti à la direction de l'ANPE, le ministère de l'emploi et celui de la santé n'arrivent pas à se mettre d'accord pour pourvoir à son remplacement. Il faudrait mettre en place une cellule d'observation des effets, positifs et pervers, de la LOLF, qui peut notamment être un frein à la mobilité au sein de la fonction publique et aller à l'encontre de l'objectif de modernisation. Ce n'est pas au comptable de guider le politique, mais l'inverse. Il conviendrait également de créer une cellule de suivi des contentieux, afin d'épargner à l'État, à l'heure où celui-ci cherche à faire des économies, d'avoir à payer des pénalités de retard importantes parce qu'il tarde à s'acquitter des sommes auxquelles il est condamné.

Chaque année, le Médiateur de la République traite 60 000 affaires, dont 10 000 au siège, que l'on peut classer en trois grandes catégories. À cet égard, trois grands effets comportementaux se révèlent. Il y a, d'abord, les abus de droits, nourris par une tendance actuelle et croissante à utiliser toutes les armes de la procédure pour faire valoir sa position, voire pour contester le droit : une personne privée de son permis de conduire, par exemple, exigera de se le voir restituer afin de pouvoir aller travailler pour nourrir sa famille. Il peut même s'agir, dans certains cas, de véritables filières organisées de fraude, par exemple s'agissant des prestations familiales ou du RMI, favorisées par l'absence d'interconnexion des fichiers départementaux. On a même découvert, dans un département du Sud, une filière « mafieuse » d'abandon de mineurs étrangers de douze ou treize ans sur le territoire français, visant à les faire prendre en charge par le département jusqu'à leur majorité, âge auquel ils seront inexpulsables et rétrocéderont aux organisateurs une partie des prestations auxquelles ils auront alors droit. Il est impératif de s'attaquer à ces agissements, afin de ne pas nourrir des tentations extrémistes visant à la remise en cause générale des dispositifs de protection sociale eux-mêmes.

Il existe également de nombreuses situations, tout aussi préoccupantes, de ruptures de droits. C'est le cas, par exemple, de salariés partis travailler dans un autre pays européen et qui, revenus en France, s'aperçoivent qu'ils n'ont pas droit aux ASSEDIC, parce que leur employeur n'a pas cotisé. C'est aussi le cas de personnes divorcées qui se trouvent engagées, sans le savoir, par les dettes que leur conjoint a contractées, organisant, le cas échéant, de façon malhonnête, leur insolvabilité. Enfin, il peut s'agir, plus classiquement, de conflits de droits, de conflits éthiques entre légalité et légitimité, entre le juste et l'injuste, mais aussi de conflits de normes, notamment nationales et européennes.

Les nouveaux enjeux sont la poursuite de l'installation de délégués dans les établissements pénitentiaires ; le développement du réseau des délégués en fonction de l'augmentation du nombre de zones urbaines sensibles ; l'expérimentation de permanences dans les chambres consulaires, conformément à la loi « PME-PMI » du 2 août 2005 ; la coordination de l'action des délégués avec les personnes référentes des maisons départementales du handicap, conformément à la loi du 11 février 2005 et des réformes de portée sociétale. Il s'agit, notamment, de mettre le système français d'amendes en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme : actuellement, en effet, le paiement de l'amende vaut reconnaissance de faute et prive, de ce fait, le payeur de tout recours ; en outre, la procédure de l'avis à tiers détenteur devrait être réservée aux amendes fiscales. Les Français ne sont prêts à accepter d'être verbalisés avec une sévérité accrue que si, en contrepartie, les voies de recours sont améliorées - quitte à sanctionner, naturellement, les procéduriers abusifs.

Les fichiers « STIC » et « JUDEX » de la police et de la gendarmerie nationales posent également problème, notamment pour l'accès à certaines professions ou fonctions publiques soumises à agrément préfectoral : certaines personnes ayant quitté leur emploi à la suite de leur admission à un concours ont ainsi perdu le bénéfice de celle-ci en raison d'informations erronées. Ces fichiers n'apportent pas toutes les garanties que sont en droit d'attendre chaque citoyen ; ils servent à cloisonner l'administration. Les tutelles et les curatelles sont devenues un moyen préoccupant de détournement de patrimoines, et le risque s'accroît du fait du vieillissement de la population et du développement des maladies neuro-dégénératives. Les familles ne sont pas consultées sur la gestion des biens par les tuteurs et curateurs, et les archives ne sont accessibles qu'au bout de cent ans ! Les associations familiales et les associations de personnes handicapées s'emploient activement à faire prendre conscience de la gravité du problème ; de leur propre aveu, 90 % des patrimoines ainsi gérés échappent à tout contrôle.

Dans le domaine des affaires familiales, la question de la fiscalité des couples a fait l'objet d'un rapport, demandé à la Cour des comptes, qui fait apparaître de fortes inégalités et laisse craindre l'instauration d'une « famille à la carte », selon le régime matrimonial. Se pose également le lancinant problème des enfants nés sans vie, qui n'ouvrent aux parents ni droits sociaux, ni possibilité d'introduire une action en responsabilité médicale, ni le droit de disposer d'un livret de famille, s'agissant d'un couple non marié, et d'accorder un nom à cet enfant.

Il faut agir en synergie avec le Parlement sur un certain nombre de points. Les missions d'information sur la famille et sur l'amiante ont auditionné le Médiateur qui a attiré l'attention sur l'injustice faite à des travailleurs exclus de toute indemnisation, au motif qu'ils avaient changé de régime. La question de la réforme des tutelles et celle des allocations logement sont également en débat. Il est inéquitable d'instituer un plancher de 24 euros.

En conclusion de son propos, le Médiateur de la République a rappelé qu'il remettrait son rapport annuel le 27 mars au Président de la République et le présenterait publiquement à l'Assemblée nationale le 29 mars.

Le Président Pierre Méhaignerie a remercié le Médiateur de la République. Certains des dossiers évoqués mériteraient d'être suivis de façon approfondie par deux membres de la commission des Finances, désignés à cet effet.

M. Michel Bouvard a estimé qu'il y aurait même matière à étude pour chacun des rapporteurs spéciaux, et s'est interrogé sur l'ampleur, et donc l'urgence respective des différents dossiers cités par le Médiateur - bien que certains cas encore isolés puissent constituer des « bombes à retardement » jurisprudentielles.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a jugé très intéressante la conception des autorités indépendantes développée par le Médiateur : l'indépendance doit avoir pour contreparties la transparence et l'efficacité. Le Parlement a cependant un problème général de relations avec ces autorités, dont certains de ses membres contestent la légitimité au motif qu'elles les dépouilleraient de leurs prérogatives. Sans aller jusque-là, ne faudrait-il pas mettre au point une sorte de méthodologie de l'évaluation desdites autorités ? Cela permettrait de sortir « par le haut » des débats, douloureux et récurrents, auxquels donne lieu leur création.

Parmi les dizaines de milliers de cas dont est saisi, chaque année, le Médiateur, ne pourrait-on dégager trois ou quatre thèmes prioritaires, que le Parlement pourrait suivre de façon privilégiée ?

Le Président Pierre Méhaignerie a rappelé que l'interconnexion des fichiers, pourtant utile, tant pour lutter contre les fraudes que pour assurer l'égalité concrète des chances, se heurte à un certain dogmatisme de la part de la CNIL, au demeurant partagé par le Sénat, qui s'oppose au nom des grands principes républicains à tout outil de connaissance statistique des minorités visibles. Le soutien du Médiateur sur cette question serait le bienvenu.

M. Alain Rodet a rappelé que M. Eric Woerth disait être le 43e ministre chargé de la réforme de l'État depuis le début de la Ve République et demandé au Médiateur de la République quels étaient ses rapports avec ce ministère.

Une question préoccupe beaucoup d'agents économiques : celle de la publicité et de la mise en ligne des marchés publics. Des progrès notables sont constatés sur le terrain, mais il y a un blocage au niveau de la direction de la Concurrence et de la direction de la Comptabilité publique du ministère de l'Économie. Comment lever cet obstacle ?

M. Jean-Paul Delevoye a répondu que les relations entre les autorités indépendantes et les pouvoirs publics pouvaient être perçues comme un problème, et regretté de ne pas avoir de relations institutionnalisées avec les commissions des Finances des deux assemblées. Mais les hommes politiques doivent aussi balayer devant leur propre porte : lorsque la défenseure des enfants a critiqué, à tort ou à raison, l'action des départements en matière de protection de l'enfance, les sénateurs, dont un grand nombre président des conseils généraux, ont, par mesure de rétorsion, amputé son budget de 100 000 euros ! L'indépendance, c'est aussi le droit à l'impertinence.

Il est nécessaire que s'instaure, sur la question des moyens du Médiateur, un arbitrage en amont. C'est au Parlement et au Gouvernement qu'il appartient de fixer le cadre général, car il ne serait pas convenable qu'une autorité indépendante puisse s'abstraire du contexte budgétaire d'ensemble. Mais, au moins, ces autorités devraient-elles, pour que leur indépendance soit confortée, être épargnées par les régulations a posteriori.

L'évaluation est une question-clé. Il faut que l'on puisse savoir si l'existence de telle autorité est toujours justifiée ou pas, si ses missions se sont accrues ou ont au contraire diminué, et fixer ses moyens en conséquence. Quels indicateurs de performance retenir pour le Médiateur ? Le nombre de dossiers traités n'a pas de vraie signification, car toute publicité faite à un problème quelconque, celui des contraventions de police, par exemple, a pour effet d'accroître le nombre de contentieux de ce type. Plus pertinents sont les indicateurs de qualité du service rendu : c'est pourquoi le Médiateur s'est fixé pour objectif d'accuser réception de tous les dossiers sous quinzaine, et de leur apporter une réponse dans les trois ou six mois.

Un contact permanent entre le Parlement et la Médiature sur certains dossiers serait très utile, afin d'amener le pouvoir politique à décider de la nécessité de réformes. Le Médiateur n'est pas un décideur politique : il fournit à celui-ci des éléments de réflexion sur les réformes à faire ou à ne pas faire.

Pour avoir été le 42e ministre chargé de la réforme de l'État, l'actuel Médiateur a le sentiment d'avoir contribué à davantage de réformes dans l'exercice de ses fonctions présentes que dans celui de ses fonctions passées, ce qui s'explique très naturellement par le fait qu'un ministre est le chef de son administration, et craint de la perturber en faisant trop bouger les choses.

S'agissant des tutelles et des curatelles, seul le rapport des forces politiques pourra faire évoluer les choses, et il en va de même du revirement, souhaité, de la jurisprudence en matière de droit de la consommation : actuellement, un tribunal d'instance ne peut soulever un moyen de droit non invoqué par le plaignant, de sorte que le faible, qui se passe souvent d'avocat - comme il en a le droit devant cette juridiction, est mal protégé.

Le Médiateur a mis en place un suivi des réformes, notamment en matière de maladies professionnelles, ou lorsqu'il s'est agi de mettre fin à cette absurdité qui voulait que certains étrangers ayant fait venir leur famille ne pouvaient recevoir de prestations familiales, les CAF exigeant un certificat de l'OMI.

Le Médiateur est saisi d'un nombre croissant de contentieux dus au fait que la résidence alternée des enfants de parents divorcés se développe : un seul des deux parents perçoit la totalité des allocations familiales, alors que les frais d'hébergement et d'éducation sont supportés par les deux. Par ailleurs, et c'est là un remord de l'ancien ministre de la fonction publique à l'époque, la réforme des retraites de 2002 n'a malencontreusement pas étendu les bonifications pour enfants aux fonctionnaires ayant adopté - puisqu'ils n'ont pas interrompu leur activité aussi longtemps que dans le cas d'un congé de maternité.

Il faudrait, enfin, s'efforcer d'éviter que les abus de pouvoir reprochés à l'État puissent l'être à certains élus locaux - ceux qui, par exemple, s'obstinent contre toutes les décisions des tribunaux administratifs à refuser, pour des raisons personnelles, un permis de construire à tel ou tel administré.

M. Albert Facon a appelé l'attention sur le scandale des assurances-vie que personne ne vient réclamer après le décès du souscripteur, banquiers et assureurs s'abstenant de rechercher les bénéficiaires et conservant les fonds par-devers eux. On estime les montants en cause à quelque 20 % des sommes placées. Un tel comportement n'est-il pas assimilable au vol aggravé ?

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a demandé au Médiateur s'il estimait justifié le maintien de l'obligation de passer par un parlementaire pour le saisir, et d'autre part si, parmi ses propositions de réforme, certaines sont de nature à entraîner, non pas des extensions de droits et donc de nouvelles dépenses, mais au contraire des économies.

M. Jean-Paul Delevoye a souligné que le ministère des finances a accompli de grands efforts pour rendre plus harmonieux les rapports entre les citoyens et l'administration, ainsi qu'en témoigne la forte diminution du nombre des contentieux fiscaux, grâce au développement de la prévention des conflits et de l'information dispensée aux contribuables. Les tribunaux d'instance, par contre, voient augmenter le nombre de litiges portant sur des sommes faibles, de l'ordre parfois d'une trentaine ou d'une cinquantaine d'euros, et qui semblent surtout nés de la volonté du plaignant de « punir » son adversaire.

Parmi les suggestions du Médiateur, l'une au moins est susceptible d'améliorer le service rendu au citoyen : il s'agit, au lieu de se réfugier derrière des standards et des serveurs vocaux sophistiqués qui servent surtout l'intérêt des opérateurs téléphoniques, d'humaniser l'accueil en développant l'écoute des usagers et l'information des personnes vulnérables sur leurs droits. Le besoin de médiation est très fort, mais trop souvent, comme en matière de santé, le curatif prend le pas sur la prévention.

S'agissant du filtre parlementaire, la relation entre le Médiateur et les parlementaires est très précieuse, mais ceux-ci ne peuvent constituer la seule voie d'accès : la France est d'ailleurs l'un des deux seuls pays d'Europe à pratiquer encore la saisine indirecte, et sera le tout dernier lorsque le Royaume-Uni, comme il est sur le point de le faire, y aura renoncé. Le « monopole » s'écroule sous la réalité des faits, qui parlent d'eux-mêmes : les citoyens sont de plus en plus nombreux à saisir directement le Médiateur, y compris des enfants qui vivent à l'étranger et sont l'enjeu de conflits entre leurs parents, séparés. La pratique consiste, en pareil cas, à traiter le dossier sans attendre, en orientant le requérant, pour que la bonne règle soit respectée, vers un député ou un sénateur - qui est généralement, dans l'exemple cité, le président du groupe d'amitié avec le pays en question. Au demeurant, un député peut ne pas souhaiter être impliqué dans un litige local, et un citoyen, inversement, peut ne pas souhaiter que son député soit au courant de sa situation. Les parlementaires apportent une valeur ajoutée, qui est l'éventuelle résolution législative des problèmes juridiques, parfois inextricables, que révèle la saisine.

La question des assurances-vie non réclamées pose celle des pratiques des banquiers et des assureurs en général : la France peut-elle continuer d'avoir un système financier qui ne gère plus les risques des entreprises et se paie sur les particuliers, notamment en leur faisant souscrire des crédits qui aggravent leur endettement au-delà du raisonnable ? On peut, même avec de faibles revenus, obtenir un crédit de 10.000 euros en 24 heures, et il y a des gens qui ne découvrent qu'au moment de leur divorce qu'ils sont enchaînés à vie par l'endettement démesuré de leur conjoint. Le surendettement des fonctionnaires, en particulier, est un phénomène préoccupant, dont l'ampleur est trop souvent insoupçonnée. Faut-il opter pour un fichier « positif » - celui des emprunts - ou un fichier « négatif » - celui des incidents de paiement ? La Fédération française des banques penche pour le second.

La question du surendettement est alimentée par la faible capacité de certains à résister à des offres de crédit extrêmement alléchantes. On peut comprendre que les hommes politiques cherchent, au nom de la croissance, à stimuler la consommation, mais il faut prendre garde à ce que l'illusoire n'éclipse pas le nécessaire : or, actuellement, le chiffre d'affaires du commerce de détail recule, tandis que progressent les dépenses de téléphonie mobile ou de jeux divers, ainsi que de logement. Il s'agit certes, dans ce dernier cas, de dépenses nécessaires, mais le nombre de logements construits est un indicateur trompeur, qui masque une pratique croissante de la part de certains constructeurs, nouveaux « marchands de sommeil », consistant à proposer des surfaces trop restreintes pour vivre décemment. Autant de sujets que le médiateur de la République a vocation à porter sur la place publique.

M. Michel Bouvard, Président, a remercié le Médiateur de la République et a considéré que la Commission et ses rapporteurs spéciaux avaient manifestement un travail à poursuivre en commun avec lui.

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La Commission a ensuite entendu une communication de M. Denis Merville sur le suivi de la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC) sur les normes édictées par les fédérations et les ligues sportives.

M. Denis Merville, Rapporteur spécial des crédits de la jeunesse, des sports et la vie associative, a rappelé que le rapport de la MEC demeure, un an après, un sujet conflictuel et même passionné. La preuve en a été donnée par le communiqué de presse publié par la commission des Finances en octobre dernier, en réaction à l'initiative de certains dirigeants du monde sportif d'exprimer publiquement leur opposition à la volonté du ministre des sports d'encadrer par décret la compétence des fédérations sportives pour édicter des règlements applicables aux équipements sportifs.

Il est essentiel de rappeler que les membres de la Commission restent fidèles à l'esprit des conclusions de la MEC - adoptées à l'unanimité - et insensibles aux pressions qui peuvent s'exercer. Le Président de l'Association des maires de France (AMF) soutient d'ailleurs cette démarche. Les élus nationaux et locaux connaissent bien, en effet, l'absurdité des coûts engendrés, pour les finances locales, par l'application de normes nouvelles - souvent peu justifiées - pour des équipements sportifs aux dimensions et aux besoins parfois modestes... Le décalage entre les exigences des grandes ligues et les réalités des petites communes est parfois aberrant ! François Scellier ou Michel Bouvard ont encore récemment fait part d'exemples de gâchis d'argent public dans leur circonscription. Dans ce contexte, on ne peut que se réjouir que les propositions les plus concrètes du rapport soient en passe de devenir les acquis les plus tangibles de la MEC. D'une part, la proposition n° 19 s'est traduite, dans les faits, avec la publication du décret du 22 février 2006, relatif aux règles édictées en matière d'équipements sportifs par les fédérations sportives. Même si ce décret n'est paru que le 24 février dernier - et non en 2005 comme la MEC le demandait -, il reprend totalement les préconisations de cette dernière. Son article 1er énonce ainsi, très clairement, que les fédérations ne peuvent imposer, en matière d'équipements sportifs, « des règles dictées par des impératifs d'ordre commercial », telles que la « définition du nombre de places » et « des espaces affectés à l'accueil du public » ou des installations « ayant pour seul objet de permettre la retransmission audiovisuelle des compétitions ». Le décret intègre également, dans son article 3, la demande de la MEC, en contraignant les fédérations à transmettre au ministre « tout projet de règlement en matière d'équipements sportifs » ou « tout projet de modification » de celui-ci et, ce, afin de permettre au Conseil national des activités physiques et sportives (CNAPS) de rendre un avis préalable sur toute modification.

Quant à l'article 2 du décret, il s'inspire directement des propositions de la MEC visant à prévoir des délais raisonnables pour la mise en œuvre des normes, proportionnés à la nature, à l'ampleur et à la difficulté des travaux, puis une fois un équipement réalisé, à prévoir un délai minimum avant toute nouvelle mise aux normes. Ainsi cet article énonce-t-il des principes généraux de nécessité et de proportionnalité des normes nouvelles, lesquelles doivent notamment être « publiées dans le bulletin de la fédération » et prévoir des « délais raisonnables » pour la mise en conformité des installations existantes « notamment au regard de l'importance des travaux nécessaires ». Enfin, l'article 4 du décret correspond au souci de la proposition n° 1 de la MEC, visant à clarifier le vocabulaire et les termes employés afin d'identifier clairement, pour toutes les disciplines sportives, la force juridique de chaque règle nouvelle et la responsabilité de son auteur. Au total, ce nouveau décret est une bonne nouvelle : il était nécessaire pour clarifier, dans le sens des précisions qu'un avis du Conseil d'État avait, d'ailleurs, déjà apportées en novembre 2003, le contenu de la délégation octroyée aux fédérations sportives en matière d'organisation des compétitions et de définition des règles techniques. Il rend donc inutile le recours à la dernière préconisation de la MEC visant à donner une valeur législative aux termes mêmes de l'avis du Conseil d'État.

D'autre part, la proposition n° 9 est, elle aussi, en cours de mise en œuvre puisque le ministère a quasiment achevé la rédaction du guide synthétique et pédagogique sur l'étendue du pouvoir normatif des fédérations. Ce guide « juridico-pratique » est désormais bien avancé. Son élaboration s'est faite de façon concertée, puisqu'un groupe de travail associant le mouvement sportif et toutes les associations d'élus s'est réuni de façon régulière. Comme la MEC l'avait demandé, le ministre a associé le Rapporteur spécial à son élaboration. Ce guide, d'une quarantaine de pages, qui sera régulièrement réactualisé, intègre parfaitement la logique de l'avis du Conseil d'État et est illustré par des exemples concrets permettant de dégager une ligne de conduite vertueuse. Le groupe de travail doit finaliser le 13 mars prochain ce document, qui fera l'objet d'une large diffusion au niveau local, dans le courant du deuxième trimestre 2006, utilement relayée par les associations de maires.

En revanche, on regrettera que certaines préconisations de la MEC n'aient pas encore été mises en œuvre. Il n'existe toujours pas d'outil ou d'indicateur de mesure de l'évolution des surcoûts liés à l'édiction des normes, pourtant indispensable à une bonne connaissance des conséquences financières des normes nouvelles sur les budgets des clubs et les finances locales. Ces conséquences restent, aujourd'hui encore, mal connues, alimentant spéculations et fantasmes. Surtout, la proposition n° 4 de la MEC, qui exigeait de disposer avant la fin de l'année 2005 de la carte des équipements sportifs existants, n'est pas entièrement mise en application. Souhaitée par le ministre des sports, cette carte est une nécessité, ne serait-ce que pour la répartition des crédits par le Centre national pour le développement du sport (CNDS). Le recensement des 310.000 équipements dispersés sur le territoire est désormais totalement terminé. Cette phase a mobilisé près d'un millier d'intervenants issus des services de l'État, du secteur associatif, ainsi que des collectivités territoriales. Reste désormais à achever la phase d'intégration des données brutes à un outil d'exploitation performant. De plus, pour que les informations collectées conservent leur pertinence, elles doivent être régulièrement actualisées dans le cadre de la déclaration des équipements sportifs qui incombe obligatoirement à chaque propriétaire : pour faciliter cette déclaration et en liaison avec l'AMF, le ministre s'apprête à publier un nouveau décret, mettant en place une procédure cohérente avec le nouvel outil du recensement des équipements sportifs.

Les outils d'exploitation des données devraient être totalement opérationnels - et mis à la disposition de tous les acteurs du sport - avant le 15 avril 2006. Une autre interface Web sera, par ailleurs, mise en ligne pour le grand public sur le site du ministère des sports, en mai 2006, avec notamment une possibilité de visualiser « spatialement » les équipements sportifs. Mais il demeure essentiel, dans l'esprit de la MEC, que le ministre des sports confirme la mise à disposition la plus large et la plus transparente possible de cet outil nouveau, dans l'intérêt d'un aménagement du territoire national en équipements nouveaux, qui soit à la fois rationnel sur le plan budgétaire et adapté aux besoins des bassins de vie. Si les équipements sportifs sont largement entre les mains des collectivités locales, l'Etat a également un rôle important à jouer.

Le bilan de la MEC est, au total, très positif, l'unanimité réunie sur les préconisations formulées ayant, de toute évidence, constitué un signal très positif pour stopper la surenchère normative en matière d'équipements sportifs. Il faut continuer à le faire savoir sur le terrain. Pour autant, ce rappel à une juste mesure des choses n'est en aucun cas incompatible avec la modernisation et le développement des équipements dont un pays comme le nôtre a besoin pour rester à la pointe du sport européen.

M. Michel Bouvard, Président, a salué le travail effectué par le Rapporteur et a noté que les travaux de la MEC avaient été suivis de résultats et qu'elle jouait, par conséquent, parfaitement son rôle.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a souligné la nécessité d'assurer le suivi des travaux de la MEC et a demandé si les élus locaux étaient représentés au Conseil national des activités physiques et sportives (CNAPS). C'est en faisant preuve de ténacité que la commission des Finances suscitera des réformes. Les résultats obtenus sur l'immobilier montrent que les travaux de la MEC sont suivis d'effets. Marie-Hélène des Esgaulx devra aussi assurer le suivi des préconisations faites sur le dossier, très important, du droit d'asile.

M. Denis Merville, Rapporteur spécial, a répondu que les élus locaux étaient représentés au CNAPS et que si les travaux de cette mission ont davantage concerné les finances locales, elles n'en étaient pas moins riches d'enseignements sur la maîtrise de la dépense publique. Il est essentiel que les élus, notamment l'association des maires de France et l'association des départements de France, soient associés au groupe de travail qui assure le suivi de ce dossier.

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Information relative à la Commission

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a nommé M. Philippe Rouault Rapporteur pour avis sur le projet de loi, adopté par le Sénat, sur l'eau et les milieux aquatiques (n° 2276).

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