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COMMISSION DES FINANCES,

DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

COMPTE RENDU N° 64

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 mai 2006
(Séance de 16 h 15)

Présidence de M. Michel Bouvard, Vice-Président

SOMMAIRE

 

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- Examen pour avis du projet de loi portant dispositions statutaires applicables aux membres de la Cour des comptes (n° 3010) (M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis)

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La Commission a procédé, sur le rapport de M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, à l'examen du projet de loi portant dispositions statutaires applicables aux membres de la Cour des comptes (n° 3010).

En préambule, M. Augustin Bonrepaux s'est étonné de ce que la Commission n'examine pas les propositions de résolution tendant à la création de commissions d'enquête sur la fusion entre Suez et Gaz de France d'une part, et sur le prix de l'électricité, d'autre part, renvoyées à la commissions des Affaires économiques. La commission des Finances est dépossédée de sa compétence, car, classiquement, elle s'intéresse à ces sujets.

M. Michel Bouvard, Président, a répondu que le renvoi pour examen aux commissions permanentes de telles propositions de résolution s'effectuait au regard des champs de compétence respectifs de ces dernières, précisés à l'article 36 du Règlement. C'est donc logiquement que la commission des Affaires économiques, compétente pour l'énergie, a été saisie dans les deux cas d'espèce. Si une commission d'enquête est créée, les commissaires aux finances y auront toute leur place.

Abordant l'examen du projet de loi, le Rapporteur pour avis a estimé que, si le projet de loi avait été examiné il y a quatre ou cinq ans à peine, la commission des Finances ne s'en serait sans doute pas saisie pour avis. Il s'agit en effet d'un texte à visée statutaire, qui concerne le fonctionnement interne de la Cour des comptes, modifiant le régime disciplinaire de ses membres, réorganisant certains aspects du déroulement de la carrière de ses magistrats et élargissant sa politique de recrutements extérieurs.

Mais la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a, depuis, été adoptée. Cette loi organique, d'origine parlementaire, à la préparation et à la mise en place de laquelle la Cour de comptes a été associée, renouvelle profondément les missions de la Cour, et parmi elles sa mission constitutionnelle d'assistance au Parlement, une assistance qui, à bien des égards, prend la forme d'une relation privilégiée avec les commissions des Finances des deux assemblées. La naissance de cette mission d'assistance se confond avec celle du régime parlementaire dans notre pays, qui a suivi de peu la création de la Cour des comptes en 1807. Elle se retrouve, à des degrés divers et sous des formes variées, dans toute démocratie parlementaire. L'article 58 de la LOLF lui confère une dimension nouvelle, de même que la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Mais la commission n'avait pas attendu la LOLF pour créer, dès 1999, la Mission d'évaluation et de contrôle (MEC), qui illustre la richesse de la complémentarité entre la Cour et le Parlement : chacun avec ses pouvoirs propres, ils œuvrent ensemble à l'amélioration de la gestion publique, dans le sens d'une plus grande responsabilité et d'une meilleure performance de la dépense publique.

C'est la même proximité qui s'observe dans les enquêtes que les commissions des Finances, à l'Assemblée comme au Sénat, demandent à la Cour, en vertu de l'article 58-2° de la LOLF qui a redonné vie, en quelque sorte, à cette pratique. C'est encore la même relation particulière que l'on mesure dans la transmission des nombreux documents, rapports publics, référés ou autres communications dont les commissions des Finances sont les premières destinataires et dont elles peuvent tirer profit, connaissant la pertinence des analyses qui y sont développées.

Par conséquent, s'il ne s'agissait pour la commission des Finances que de saisir cette occasion de marquer, à l'égard de la Cour des comptes et de ses personnels, de ses magistrats notamment, toute l'attention qu'elle leur porte et le soutien qu'elle veut publiquement leur exprimer, ce serait déjà une raison suffisante pour donner un avis favorable à ce projet de loi. Mais il y a plus. Au-delà de la proximité « naturelle » entre la commission des Finances et la Cour des comptes, trois raisons spécifiques au moins justifient un avis sur ce projet.

Tout d'abord, ce texte contient un certain nombre de dispositions que l'on peut relier directement à la pleine entrée en vigueur de la LOLF, ou plutôt à l'indépendance renforcée dont la Cour bénéficie, eu égard aux nouvelles missions que lui confie la LOLF, et à sa position d'équidistance entre les Pouvoirs publics, que le Conseil constitutionnel lui garantit. En effet, ce dernier, dans sa décision du 25 juillet 2001 sur la LOLF, a indiqué que la Cour, qui aux termes de l'article 47 de la Constitution « assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l'exécution des lois de finances », devra « faire en sorte que l'équilibre voulu par le constituant ne soit pas faussé au détriment de l'un de ces deux pouvoirs ». Alors que son positionnement budgétaire plaçait jusque-là la Cour dans une forme de dépendance à l'égard du ministère des Finances pour l'obtention et la gestion de ses crédits de fonctionnement, à l'évidence, cette décision du Conseil constitutionnel, comme la mission nouvelle de certification des comptes de l'État prévue par la LOLF, ne pouvaient qu'entraîner un changement. Souhaité par le Premier président, Philippe Séguin, ce changement a été proposé par le Gouvernement et voté par la commission des Finances, puis par les deux assemblées : les crédits de la Cour des comptes figurent désormais au sein du programme « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État », aux côtés du Conseil d'État, des autres juridictions administratives et du Conseil économique et social. Cette mission se caractérise par un rattachement des programmes qui la composent au ministre chargé des Relations avec le Parlement, et par un allégement notable de la régulation budgétaire en cours d'exercice. C'est en lien direct avec cette indépendance nouvellement renforcée que le projet de loi prévoit, dans deux de ses articles, la suppression de la référence au ministre des Finances dans l'exercice de certaines compétences concernant le fonctionnement interne de la Cour.

En deuxième lieu, le nouveau positionnement budgétaire de la Cour issu de la LOLF est en parfaite cohérence avec les dispositions du projet de loi qui alignent certains aspects de la carrière des magistrats de la Cour des comptes sur leurs homologues du Conseil d'État, puisque ces deux institutions « émargent » à une même mission du budget général. C'est ainsi, par exemple, que les règles de promotion des conseillers référendaires au grade de conseiller maître seraient alignées sur celles de la promotion des maîtres des requêtes au grade de conseiller d'État. De même, l'aménagement projeté des nominations au tour extérieur s'inspire-t-il des règles en vigueur pour les membres du Conseil d'État, pour ne citer que les exemples les plus marquants des rapprochements opérés.

En troisième et dernier lieu, c'est encore de façon connexe avec l'indépendance renforcée obtenue par la Cour des comptes grâce au levier de la LOLF que peuvent se lire les modifications apportées au statut des magistrats financiers. En effet, il ressort de l'analyse du projet que la notion d'« équidistance » ne se résume pas à l'équilibre dans les relations entretenues avec l'exécutif et le législatif, mais trouve à s'appliquer au statut même des membres de la Cour, à mi-chemin entre l'ordre judiciaire et l'ordre administratif. Car si, sur certains points, s'opère une forme d'alignement sur des traits caractéristiques de l'organisation du Conseil d'État, sur d'autres points, le projet de loi réaffirme les similitudes marquées qu'entretiennent les magistrats de la Cour des comptes avec les magistrats de l'ordre judiciaire, en particulier la prestation de serment et le principe de l'inamovibilité, mais aussi le conseil supérieur de la Cour des comptes, créé par le texte en lieu et place de la commission consultative, laquelle existe sous la même dénomination au Conseil d'État.

En définitive, ce projet n'est donc pas le texte purement technique et plutôt désincarné qu'il peut paraître au premier abord. Il représente une mise à jour de leur statut très attendue par les membres de la Cour, et il tire à bien des égards les conséquences d'une vaste réforme - celle que porte la LOLF - que la commission des Finances a voulue, et qu'elle continue de faire vivre, y compris grâce à l'assistance des personnels de la Cour des comptes. C'est pourquoi la Commission se doit d'apporter son soutien à ce texte. Au-delà, l'occasion est ici donnée d'encourager la Cour à développer, en marge de cette rénovation statutaire, sa gestion des ressources humaines. Il faut aussi souhaiter que la Commission suive avec toute l'attention requise l'évolution à venir du régime de responsabilité des comptables et, à une échéance encore un peu plus lointaine sans doute, celle du régime de responsabilité des ordonnateurs, chantier législatif évoqué par le Premier président Philippe Séguin au cours de la séance solennelle de la Cour du 23 janvier dernier.

M. Charles de Courson a déclaré que le groupe UDF votera ce texte, qui va dans la bonne direction. Il s'est néanmoins interrogé sur trois points précis. Tout d'abord, est-il nécessaire d'élargir le recrutement de conseillers maîtres en service extraordinaire dont le nombre est porté à douze ? Ensuite, même si la question demeure très théorique, a-t-on bien mesuré les problèmes de composition de l'instance disciplinaire créée par le projet, par exemple lorsqu'il s'agira d'examiner le cas d'un Président de chambre, puisque ne peuvent siéger que les magistrats d'un grade égal ou supérieur à celui de la personne mise en cause ? Enfin, s'agissant des nominations au grade de Président de chambre, prévoir que le Premier président présente « une liste de plusieurs noms » n'est-il pas trop vague ? S'il n'y a que deux noms sur la liste, le choix risque d'être prédéterminé.

M. Jean-Louis Dumont a évoqué le rapport qu'il a remis, avec M. Yves Jégo, sur le suivi des préconisations de la Cour des comptes. Certains Présidents de chambre n'ont pas daigné répondre aux questions que les rapporteurs leur ont soumis. Pourant, certains magistrats souhaitaient une modernisation du fonctionnement de la Cour, mais d'autres considèrent qu'ils n'ont de comptes à rendre à personne. Par ailleurs, les travaux et recommandations des chambres régionales des comptes sont mal connus. On peut comprendre l'indépendance financière de l'institution, mais, de ce fait, son contrôle doit relever du Parlement. Ce projet de loi va dans le bon sens en ce qui concerne la carrière et la discipline, mais il faudrait qu'il garantisse que la Cour des comptes et les chambres régionales sont bien au service de l'État. Enfin, la nomination, comme Premier président de la Cour des comptes, de magistrats ayant effectué une carrière politique, étonne parfois beaucoup à l'étranger, même si les personnes ne sont pas en cause.

M. Louis Giscard d'Estaing a émis quelques réserves concernant les rapports entre le Parlement et la Cour des comptes : il n'y a pas eu de progrès spectaculaire, et l'arrivée du Premier président Philippe Séguin ne s'est pas traduite par une amélioration de leur coopération. Ainsi, dans le cadre de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC), les magistrats de la Cour apportent souvent une contribution plutôt passive.

S'agissant du statut, l'article 2 du projet de loi prévoit qu'un élu ne peut pas participer au conseil supérieur de la Cour des comptes. Or, il n'est jamais question des membres de la Cour qui exercent des fonctions électives : sont-ils en disponibilité ? N'est-ce pas en contradiction avec le principe selon lequel aucun élu ne participe à une instance qui contrôle le fonctionnement de la Cour des comptes ?

M. Michel Bouvard, Président, a précisé que contrairement à la tradition anglo-saxonne, la Cour des comptes n'est pas une émanation du Parlement. L'indépendance de la Cour des comptes par rapport à l'exécutif a été préservée, tandis que les liens avec les commissions des Finances de l'Assemblée nationale et du Sénat ont, indéniablement, été renforcés même avant la LOLF. L'office de l'évaluation des politiques publiques, créé en 1996 sur l'initiative du Président de l'Assemblée nationale Philippe Séguin, n'a pas fonctionné, la MEC, créée en 1999, mettant en œuvre le même objectif politique.

Les chambres régionales des comptes développent souvent un rôle de conseil et d'expertise auprès des collectivités locales. On peut se demander si la réforme engagée est susceptible de favoriser la mobilité entre la Cour et les chambres régionales, ainsi que ce rôle d'expertise, très utile aux collectivités.

Les référés du Premier président de la Cour des comptes sont systématiquement communiqués aux assemblées parlementaires. Le Président de la commission des Finances les transmet aux rapporteurs spéciaux, avec un traitement spécial lorsqu'ils sont confidentiels, ce qui est rare.

S'agissant de la MEC, il est regrettable que les magistrats de la Cour soient davantage observateurs qu'acteurs. Cela dit, leur implication varie selon les sujets. Ceux-ci sont souvent choisis précisément parce que la Cour y a déjà travaillé, ce qui peut expliquer qu'elle ne souhaite pas intervenir de nouveau. Il faudra aborder ce sujet avec le Premier président de la Cour lors de sa prochaine audition.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a tout d'abord rappelé que le projet de loi prévoit que le nombre de conseillers maîtres en service extraordinaire passe de 10 à 12 ; cette augmentation n'est pas considérable, et permettra notamment le recrutement de membres dont les compétences techniques seraient nécessaires à l'exercice par la Cour de ses missions nouvelles.

S'agissant de la discipline, le décret de 1852 était inapplicable. Le dispositif adopté semble suffisant, même en cas d'examen de la situation d'un Président de chambre, puisque la formation disciplinaire du conseil supérieur de la Cour des comptes comprendrait encore tous les autres magistrats du grade de président de chambre.

M. Charles de Courson a soulevé l'hypothèse d'une erreur commise par le Premier Président de la Cour des comptes. Aux termes des textes actuels, le Premier Président n'est soumis à aucun contrôle.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a soulevé la même question concernant le Vice-président du Conseil d'État, le Premier président de la Cour de cassation ou le Président du Conseil constitutionnel, dont la situation de facto sinon de jure, est identique.

M. Charles de Courson a répondu que le premier est, théoriquement, responsable devant le Président du Conseil d'État, c'est-à-dire le Premier ministre, le deuxième relevant du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), tandis que le dernier n'est pas un magistrat.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a rappelé que le régime de responsabilité des personnes précitées est un sujet purement théorique. Par ailleurs, la question des nominations de Président de chambre à partir d'une « liste de plusieurs noms » pourrait être précisée par voie réglementaire, pour éviter qu'il n'y ait que deux noms.

M. Michel Bouvard, Président, s'est interrogé sur l'opportunité de fixer dans la loi une telle précision, M. Charles de Courson indiquant qu'il serait effectivement souhaitable que cette liste comporte au moins trois noms, afin de garantir la liberté de choix de l'autorité de nomination.

Puis M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, a rappelé que le dernier rapport public annuel de la Cour des comptes détaille le suivi des préconisations antérieures, ce qui prouve que MM. Jean-Louis Dumont et Yves Jégo ont été entendus, même s'ils n'ont pas eu l'impression que leurs travaux étaient initialement bien accueillis par la Cour. Il faut souligner combien la Cour tient à son indépendance, ce qui contribue, dans certains cas, à tempérer son zèle dans sa mission d'assistance.

M. Michel Bouvard, Président, a rappelé que le Parlement a voté une modification de la LOLF qui permet un débat dans les assemblées autour du rapport public annuel de la Cour, afin d'insister sur les préconisations estimées les plus importantes.

M. Jérôme Chartier, Rapporteur pour avis, , a rappelé que la Cour des comptes doit respecter le principe du contradictoire avant toute publication, ce qui rend impossible la transmission au Parlement des travaux de la Cour au fur et à mesure de leur avancement. Quant à la participation des magistrats de la Cour à la MEC, elle dépasse leur seule présence aux réunions, notamment par le travail fait en amont. Enfin, il est établi qu'un membre de la Cour des comptes détenteur d'un mandat électif tel que celui de parlementaire ne peut pas exercer sa fonction de magistrat pendant la durée de ce mandat.

La Commission a ensuite, suivant l'avis du Rapporteur, émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi.

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