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COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN

Mercredi 22 novembre 2006

Séance de 16h

Compte rendu n° 23

Présidence de M. Pierre Méhaignerie, Président

 

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– Audition de M. Jean-François Copé, ministre délégué au Budget et à la réforme de l’État, sur l’application de la LOLF en matière de comptabilité de l’État, audition de M. Philippe Séguin, premier Président de la Cour des comptes, sur l’application de la LOLF en matière de comptabilité de l’État

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– Décision, en application de l’article 58-2 de la LOLF, de publication d’une enquête de la Cour des comptes sur les relations entre le ministère chargé de la jeunesse, l’INJEP et les associations intervenant en direction de la jeunesse (M. Denis Merville, Rapporteur spécial)




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La Commission a procédé à l’audition de M. Jean-François Copé, ministre délégué au Budget et à la réforme de l’État, puis à celle de M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes, sur l’application de la LOLF en matière de comptabilité de l’État.

M. Jean-François Copé, ministre délégué au Budget et à la réforme de l’État, a souligné que la réforme comptable s’inscrit dans la démarche consensuelle de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), après la réforme budgétaire, la réforme du fonctionnement des administrations et celle des systèmes d’information. Les exemples étrangers montrent que la réforme comptable est un très puissant levier de modernisation ; il importe de saisir cette chance historique pour conférer une cohérence d’ensemble au dispositif de gestion de l’État.

Les méthodes comptables seront complètement bouleversées. Les dépenses et les recettes ne seront plus rattachées à l’exercice correspondant à la date du paiement mais à celui qui les a vu naître. Par ailleurs, la situation patrimoniale de l’État sera décrite, avec son actif et son passif. Bref, c’est une comptabilité d’entreprise qui sera mise en place, avec évidemment, en parallèle, une comptabilité d’analyse du coût des actions.

Le comité des normes de comptabilité publique, présidé par M. Michel Prada, a élaboré treize normes comptables. Le Gouvernement, sur cette base, a établi un compte général de l’État, avec l’objectif de renforcer la transparence. Y sont valorisés les immobilisations, les principaux stocks et les passifs, afin de mieux apprécier la « soutenabilité » des finances publiques. Cette nouvelle comptabilité générale doit être un outil d’aide à la décision, parfaitement illustré par le précédent de la modernisation de la politique immobilière.

Les règles applicables à la comptabilité générale de l’État ne se distinguent plus de celles applicables aux entreprises qu’en raison de la spécificité de son action. Les normes de comptabilité publique s’inspirent de ce qui se fait dans le secteur privé et les principes comptables classiques s’appliquent aussi à l’État. La France se remet ainsi au niveau de pays comme les États-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Suède ou le Royaume-Uni, autant d’exemples dont elle peut s’inspirer.

Le bilan d’ouverture constitue un grand saut dans l’inconnu, car ce sera la première photographie de la situation patrimoniale de l’État. Une expérimentation a été conduite dans le domaine de l’immobilier de l’État. Une première version du bilan d’ouverture a été transmise à la Cour des comptes en juin et il sera présenté sous sa forme définitive au premier trimestre 2007. C’est un énorme changement de culture et de pratique au quotidien.

Selon la première estimation, encore très sommaire, les actifs de l’État sont évalués à 550 milliards d’euros environ, avec des immobilisations corporelles à hauteur de 270 milliards. Le passif, qui s’élève à 1 100 milliards d’euros, est mieux connu puisqu’il est constitué pour 90 % par la dette. Mais des travaux restent à conduire pour affiner ces chiffres. L’évaluation des actifs militaires est extrêmement complexe.

Pour les provisions, deux voies sont possibles. Provisionner au plus large serait la plus mauvaise solution, tant pour les intérêts financiers de l’État que pour la poursuite des réformes. Un débat est ouvert avec la Cour des comptes, certificateur de l’État. Elle a ainsi demandé de provisionner les risques naturels, ce qui est impossible. La même difficulté se pose pour les établissements publics contrôlés par l’État ainsi que pour les régimes spéciaux. Si les engagements de ces derniers sont provisionnés, il semble préférable de les inscrire hors bilan.

Le ministre délégué a appelé de ses voeux un double dialogue, d’une part entre le Gouvernement et le Parlement, de l’autre avec la Cour des comptes. Le Gouvernement est demandeur des conseils, des recommandations et des propositions des parlementaires. En outre, il est indispensable d’avoir un débat avec la Cour des comptes, car il ne s’agit plus de son activité traditionnelle mais d’un nouveau métier, celui de certificateur.

La certification constitue un saut dans l’inconnu, qui nécessite une approche progressive, sous la forme d’un mouvement d’amélioration continu et non brutal. La certification est aussi un processus partenarial : assister n’est pas juger mais dialoguer de façon constructive, comme l’ont expliqué les parlementaires en mission Didier Migaud et Alain Lambert, inspirateurs de la LOLF, dans le rapport, très consensuel, qu’ils ont remis au Premier ministre : « Le fait que la certification ne soit pas un exercice en noir et blanc mais en nuances de gris reflète l’existence d’une relation spéciale entre le teneur des comptes et le certificateur : une démarche de certification bien conduite est un processus partagé, fondé sur une collaboration confiante et régulière tout au long de l’année ». Il serait utile, à cet égard, de s’inspirer des exemples étrangers ; cela fera l’objet d’un colloque, en janvier.

Il serait également souhaitable que chacun – Gouvernement, Parlement, Cour des comptes – fasse état de ses attentes et de ses besoins, en toute transparence, afin de fixer des règles du jeu avec le certificateur. Des postes supplémentaires ont d’ailleurs été ouverts à la Cour des comptes pour que celle-ci puisse remplir cette nouvelle fonction.

La réforme comptable est un fantastique rendez-vous de modernisation qui permettra de bien analyser la situation comptable de l’État, de la faire connaître aux Français et ainsi d’objectiver les débats budgétaires. La France doit avoir les yeux rivés sur les bonnes pratiques en vigueur à l’étranger. Cette réforme exige du temps, doit être mise en œuvre progressivement et commande un esprit partenarial. Il est impératif qu’elle se traduise par un succès. Or les hasards du calendrier font que le rendez-vous inaugural de la certification, au premier semestre 2007, coïncide exactement avec les échéances électorales ; il est d’autant plus indispensable d’extraire ce sujet du débat politicien traditionnel et de ses passions.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a affirmé que la LOLF est porteuse de progrès pour l’assainissement des finances publiques et qu’il est nécessaire de clarifier les relations avec la Cour des comptes. Dans leur rapport, Didier Migaud et Alain Lambert estiment que le certificateur « ne doit pas avoir une conception formelle de son indépendance ». Certifier des comptes, ce n’est pas les juger mais mener un travail de partenariat avec la direction financière. Or, la culture juridictionnelle de la Cour des comptes donne parfois l’impression de l’emporter sur la démarche de certification – cette opinion semble d’ailleurs partagée par MM. Didier Migaud et Alain Lambert.

Les charges à payer doivent être recensées de façon exhaustive. L’État paie des prestations par le canal d’opérateurs comme les caisses d’allocations familiales, et les ouvertures de crédits sont toujours décalées par rapport aux sommes réellement versées.

Il faut se mettre d’accord sur les provisions à comptabiliser et celles à ne pas prendre en compte. Les partenaires de l’État, qu’il s’agisse des collectivités territoriales ou des caisses sociales, estiment trop souvent qu’en dernier recours, l’État paiera ; or il ne le peut plus. Il faut donc veiller à ce qu’un excès de provisionnement n’accentue pas cette perception. Au passif, la Cour des comptes recommande de provisionner largement, alors que, par exemple, un actif incorporel d’une vraie valeur n’est pas pris en compte : la capacité de l’État à lever des impôts. Il convient de déterminer une méthode pour fixer ces règles, et la commission des Finances est prête à y participer.

M. Charles de Courson a précisé que le bilan financier de l’État existait déjà précédemment, mais l’a estimé étrange, puisque excluant tous les biens matériels. Ne conviendrait-il pas de légiférer, si possible à l’unanimité, pour définir les grands principes comptables ? La certification se conclura nécessairement par de nombreuses réserves. Pourquoi ne pas envisager, nonobstant l’article 40 de la Constitution, que le Parlement puisse déposer des amendements pour rectifier le bilan, ce que la Cour des comptes sera dans l’incapacité de faire ? Les systèmes d’armes seront-ils amortis de façon à prendre en compte non seulement leur usure mais aussi leur obsolescence technologique ? Comment le Gouvernement compte-t-il procéder ? Un ministre chargé du budget aura forcément tendance à faire le mauvais arbitrage : inscrire les provisions pour retraites des régimes spéciaux dans le hors bilan. Il serait préférable, sur ce sujet, de ne pas suivre l’avis des services et d’opter pour la clarté. Comment seront distinguées charges de fonctionnement et charges d’investissement ? Le laxisme ambiant tend par exemple à faire sortir toutes les dépenses d’éducation du fonctionnement.

M. Didier Migaud a prôné le dialogue avec la Cour des comptes, comme dans tous les pays où la certification est en vigueur, dans la mesure où celle-ci n’est pas de nature juridictionnelle. Elle requiert aussi un dialogue entre le Parlement et le Gouvernement, car la comptabilité de l’État ne saurait être traitée comme celle d’une entreprise. Reste à définir précisément et à identifier les spécificités de la certification des comptes de l’État, non pas par la loi mais de façon consensuelle, empirique et pragmatique. Si la situation se bloque, il sera temps d’y remédier dans trois ou quatre ans, en ajustant les règles de la LOLF. Il est certain que l’exercice est extrêmement difficile : aux États-Unis, où la certification existe pourtant depuis assez longtemps, aucun budget n’a pu être certifié convenablement dans son entier.

M. Henri Emmanuelli a suggéré que soit créée une cellule sas entre la fonction juridictionnelle et la fonction de conseil, afin d’assurer le dialogue nécessaire.

M. Michel Bouvard a souhaité que la réforme soit banalisée, pour ne pas faire l’objet de controverses, et que, même si la démarche doit être pragmatique, un délai soit fixé, au terme duquel la situation devra être stabilisée. Quel sera le périmètre des opérateurs publics au sens de la LOLF ? Jusqu’à quel type d’opérateurs la consolidation peut-elle s’étendre ? La logique de guichet suppose que les systèmes d’information soient performants ; or les données disponibles sont insuffisantes. Pour cette raison aussi, il est important de prévoir un calendrier.

M. Louis Giscard d’Estaing a approuvé la réforme, qui permettra de mieux cerner les comptes de l’État. Une entreprise ne peut provisionner 100 % d’un risque, tant que celui-ci n’est pas avéré ; cette règle a vocation à s’appliquer aux comptes de l’État. Dans le litige Executive Life, la France aurait été mal inspirée de provisionner le risque maximal. En début de législature, au cours d’une audition de la commission d’enquête sur les dysfonctionnements des entreprises publiques, le commissaire aux comptes titulaire de France Télécom avait jugé que le niveau d’endettement de l’entreprise n’était pas un critère de nature à empêcher la certification de ses comptes.

M. Jean-Jacques Descamps s’est félicité de voir progressivement mis sur pied un système d’information financière s’inspirant à la fois des normes du privé et du public: les citoyens et les parlementaires qui n’ont pas une grande culture de la comptabilité publique s’y retrouveront un peu mieux. Mais cette meilleure vision comptable débouchera-t-elle sur un effort de prospective ? Cela relève-t-il des compétences de la Cour des comptes ou du Parlement ? La liaison entre les comptes de fonctionnement et de bilan sera-t-elle claire, en particulier pour distinguer les dépenses de fonctionnement et d’investissement ?

Les indicateurs utilisés sont dépassés : le montant de la dette, par exemple, ne signifie rien en soi ; il faut le rapporter aux capacités d’autofinancement ou de remboursement. Il est donc nécessaire de construire une série de nouveaux indicateurs. Sur quels éléments d’information les choix stratégiques reposeront-ils ?

M. Jean-François Copé, ministre délégué au Budget et à la réforme de l’État, a formulé, en réponse, les remarques suivantes :

– Pour les charges à payer et les produits à recevoir, de nouvelles procédures ont été retenues ; elles doivent maintenant être formalisées. Dès lors que les dépenses sont comptabilisées au moment où elles sont décidées, la philosophie change, puisque la situation et la progression peuvent être mesurées en permanence ;

– si le champ des provisions est excessif, il sera difficile de les évaluer et les partenaires risquent de se démobiliser,

– une loi n’est pas forcément la meilleure façon de définir les règles du jeu, car celles-ci doivent pouvoir continuer d’évoluer. La LOLF est une création encore jeune, à laquelle il faut donner sa chance,

– une fois les comptes certifiés, les conseils d’administration ne peuvent plus les amender. Mais, s’agissant des comptes de l’État, le débat reste ouvert,

– pour les systèmes d’armes, il faudra s’en tenir aux règles d’amortissement conventionnelles,

– le Gouvernement est très demandeur d’une démarche partenariale et il aura très régulièrement besoin de dialoguer avec les députés sur l’avancement de la procédure,

– la question des opérateurs est cruciale et, sur ce point, la LOLF est quelque peu lacunaire. Quelques problèmes de fond devront être résolus, notamment celui des « jaunes » des opérateurs. Les audits permettront de mieux connaître la situation. Enfin, le périmètre des opérateurs devra être précisé,

– la comptabilité n’est pas un affichage, mais doit permettre d’objectiver la décision publique. Il sera beaucoup plus facile d’argumenter et de documenter une décision politique lorsqu’elle sera étayée par une photographie aussi précise de la comptabilité de l’État.

M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes, a insisté sur la nouveauté de l’exercice, qui justifie que la Cour des comptes explique la démarche en cours à son interlocuteur privilégié qu’est le Parlement.

Le principal chantier actuel est le bilan d’ouverture de l’État au 1er janvier 2006, le premier vrai bilan, établi selon les nouvelles normes. Cette novation est importante mais difficile car elle bouleverse la perception de la situation financière de l’État. Dans son rapport sur les comptes de 2005, la Cour a qualifié le bilan d’ouverture de l’État pour 2006 d’« acte fondateur ». Elle n’aura certes pas à certifier isolément le bilan d’ouverture puisqu’elle examinera globalement l’ensemble des états financiers. Le bilan d’ouverture est toutefois le point de départ de l’ensemble des écritures comptables de l’exercice 2006 mais aussi de tous les exercices ultérieurs. Il convient d’être d’autant plus attentif à ses lacunes actuelles que les ajustements futurs modifieront les principaux résultats apparaissant désormais dans les comptes.

La direction générale de la comptabilité publique (DGCP) travaille activement à ce chantier. Elle a remis à la Cour une première maquette du bilan d’ouverture, établie au 30 juin, puis une seconde, arrêtée au 31 octobre ; elle en établira une troisième au 15 décembre et continuera d’ajuster les chiffres jusqu’à l’arrêté des comptes de 2006, en février 2007. La Cour encourage ce processus. Entre le 30 juin et le 13 novembre, quatorze réunions formelles se sont tenues avec la DGCP à propos de la certification, sans compter des échanges informels. En outre, quand l’administration le souhaite, la Cour se prononce sur des questions de principe sans attendre son futur rapport, dans le respect de son processus collégial.

La Cour, de son côté, a entamé ses premières vérifications. Après une phase d’analyse des risques et de programmation, elle a mené, entre le 18 septembre et le 6 octobre, des contrôles sur place dans vingt-sept implantations de la DGCP et, plus marginalement, de la direction générale des impôts (DGI) et d’autres services des finances. Cette opération, sans précédent, a pu être menée notamment grâce aux experts recrutés en vertu des lois de finances pour 2005 et 2006, qui sont désormais opérationnels. Trente-quatre rapporteurs et experts ont participé à ces vérifications. Un ensemble d’observations, suffisamment détaillées pour servir à la suite des travaux, a été transmis fin octobre à la DGCP. Après ces contrôles chez les comptables, la Cour enquête chez les ordonnateurs et chez les gestionnaires. De plus, des expertises sont en cours sur les principaux systèmes d’information, notamment le « palier 2006 ». En septembre et octobre, chaque secrétaire général ou directeur des affaires financières de ministère est venu lui présenter, en présence de la DGCP, son plan d’action ministériel pour mettre en œuvre la réforme comptable. Ces plans s’appuient notamment sur les observations et recommandations formulées par la Cour au début du printemps 2006. Le ministère de la défense sera entendu le 15 décembre.

La certification des comptes de l’État s’appuie également sur la somme des constats et observations dressés par les sept chambres de la Cour dans le cadre de leurs contrôles habituels. Il existe en effet un grand nombre d’opérateurs de l’État dont les comptes ne sont ni intégrés dans ceux de l’État ni consolidés avec eux. Vérifier que les comptes traduisent la situation réelle des opérateurs de l’État et la réalité des relations financières entre l’État et les opérateurs est donc un sujet d’investigations très important.

Il s’agit donc d’une démarche de certification classique : vérification des procédures, recoupement des informations, contradiction avec les teneurs de comptes que sont les administrations. Toutefois, la Cour ne définit pas le référentiel comptable. Les rôles sont bien partagés entre la Cour, le comité des normes et le comité d’interprétation des normes. La Cour participe, comme cela se passe dans certains pays étrangers, à ces deux instances, dans lesquelles sa représentation ne revêt aucune prééminence. Elle ne souhaite d’ailleurs pas assumer la responsabilité de la définition du référentiel comptable de l’État, et sa certification ne peut porter que sur la conformité des états comptables avec le référentiel qui s’impose au teneur de comptes. Il lui appartient néanmoins de suggérer les améliorations à apporter à ce référentiel. Cette fonction a d’ailleurs été rappelée par le Conseil national de la comptabilité : dans son avis du 6 avril 2004 sur les normes comptables de l’État, il a expressément indiqué que « l’évolution des normes comptables de l’État et de leurs modalités d’application aura à prendre en compte les observations publiques du certificateur ». S’il apparaissait à la Cour que telle disposition ou telle interprétation du référentiel risquerait de compromettre l’image fidèle du patrimoine de l’État que doivent donner les comptes, il serait de son devoir de le signaler.

Sur les comptes de l’État, deux constatations s’imposent. Premièrement, il y a bien un big bang comptable, et cette réalité n’a pas lieu d’inquiéter, car si le Parlement a voulu une réforme comptable et la certification, c’est parce qu’il jugeait insatisfaisante la situation antérieure. Dans le compte général de l’administration des finances pour 2005, l’actif était de 346 milliards d’euros et le passif de 1 008 milliards d’euros ; les retraitements effectués pour le bilan d’entrée sont massifs puisqu’ils s’élèvent déjà à 204 milliards supplémentaires pour l’actif et à 64 milliards pour le passif. Quant aux provisions, qui ne figuraient que pour 74 millions d’euros, elles passent à 10,6 milliards, bien que le recensement effectué par l’État demeure très incomplet. Sur certains points, des discussions sont encore en cours entre le producteur des comptes et le certificateur, dans le cadre de la préparation du bilan d’ouverture. À cette période de l’année et s’agissant du premier exercice de certification, cela ne saurait ni surprendre ni passer pour des divergences.

Deuxièmement, la valorisation nouvelle du patrimoine physique va modifier la structure du bilan. Dans le compte général, fin 2005, les immobilisations financières l’emportaient sur les immobilisations corporelles : 139 milliards d’euros contre 109 milliards. Dans l’état actuel du nouveau bilan, les immobilisations corporelles, avec 266 milliards, atteignent près du double des immobilisations financières, avec 155 milliards. L’image que les comptes donneront de la situation financière sera donc nouvelle. Surtout, elle permettra de vérifier si la situation nette négative ressortant du bilan d’ouverture s’améliorera ou au contraire s’aggravera, donnant ainsi un thermomètre de la situation des finances publiques. Il en ira de même de l’évolution des dettes non financières et des charges à payer.

Autre constatation, plus positive : l’élaboration d’un bilan et la mise en place de la réforme comptable ont des conséquences importantes sur la gestion de l’État et sa modernisation. Elles font par exemple apparaître les charges à payer, qui n’étaient jusqu’alors pratiquement pas recensées, et les dettes non financières, dont le recensement n’était que très partiel. Ce sont des éléments importants pour une préparation du budget plus fiable et une gestion plus rigoureuse. De même, pour la gestion du personnel, apparaît désormais le compte épargne temps, ce qui traduit mieux la réalité des charges de personnel. La connaissance d’ores et déjà considérablement améliorée s’agissant des actifs corporels et incorporels, des amortissements, des provisions, pourra constituer un outil essentiel pour une programmation plus rigoureuse des besoins budgétaires. Au plan de la gestion, si la certification ne crée pas l’obligation de formaliser et d’écrire les procédures, elle est un puissant moteur pour la mettre en œuvre sur tous les sujets débouchant sur des paiements. La perspective de la certification contraint aussi les ministères à mettre en place de véritables contrôles internes, tant de leurs procédures que de leurs opérations financières. Tout n’est certes pas opérationnel, mais un mouvement s’est engagé, et il ne semble pas exagéré de dire que la perspective de la certification agit comme un acteur, un accélérateur de la modernisation de la gestion de l’État.

Enfin, les administrations se sont engagées avec retard dans leurs préparatifs en vue de la certification et surtout dans leur préparation du bilan d’ouverture, mais le mouvement est vraiment en marche depuis l’été. L’insuffisante mobilisation des administrations, au printemps dernier, était en partie explicable par le fait, compréhensible, qu’elles s’étaient consacrées en priorité au volet budgétaire de la mise en œuvre de la LOLF et avaient pour la plupart un peu négligé le volet comptable. Dans la mesure même où l’État ne tenait pas de vraie comptabilité, les administrations étaient en général peu familières des questions comptables, en percevaient mal les enjeux et voyaient mal ce qu’elles avaient à faire. La Cour a contribué à tirer la sonnette d’alarme et son rapport sur les comptes de 2005, qui contenait un ensemble complet d’observations d’audit et de recommandations. L’attitude des administrations a profondément changé sur ces sujets. La DGCP a joué et continue de jouer un rôle décisif ; le fait même que chaque ministère ait établi son plan d’action selon un schéma normalisé le montre.

Le ministère de la Défense était resté longtemps en retrait, ce qui posait problème, ne serait-ce que du fait de son poids. Il s’est cependant engagé dans un travail considérable, qui ne pourra porter tous ses fruits que progressivement.

Les lacunes apparaissant dans le premier examen des maquettes du bilan d’ouverture ne sont pas anormales, compte tenu des délais finalement brefs dans lesquels sont intervenus les changements provoqués par la LOLF, mais elles mériteront un traitement des plus attentifs dans les mois, voire les années à venir.

Le périmètre du bilan d’ouverture, pour certains postes significatifs, apparaît encore restreint. C’est le cas des autres immobilisations corporelles et des stocks, notamment pour les opérations de la défense, qui constituent l’essentiel de ces postes. S’agissant des provisions pour risque, le recensement et l’évaluation se limitent pour l’heure aux provisions pour litiges des ministères, avec des modes d’évaluation sensiblement différents. Les recensements restent aussi partiels pour les charges et produits à rattacher à l’exercice. Ce dernier poste nécessite au demeurant de résoudre des problèmes d’interprétation.

Les dispositifs de contrôle interne élaborés par la DGCP pour fiabiliser le bilan d’ouverture sont globalement bien conçus dans leur principe. Leur mise en œuvre n’est toutefois pas encore complète et efficace et, à ce jour, la qualité comptable des enregistrements reste insuffisante dans d’assez nombreux domaines. D’ici à l’arrêt des comptes, la Cour attend encore des progrès significatifs. Reste que les travaux de fiabilisation doivent être poursuivis.

En ce qui concerne l’actif du bilan, il importe de lancer les travaux sur le domaine public, sur les concessions de service public et de compléter le recensement et l’évaluation des actifs incorporels.

Du côté du passif, trois domaines peuvent être cités. Premièrement, les comptes de certains opérateurs, et non des moindres, comme le Centre national pour l’aménagement des structures et exploitations agricoles (CNASEA), ne sont pas en droits constatés, ce qui rend pour le moins difficile leur réconciliation avec les comptes de l’État. Deuxièmement, se pose par exemple la question du provisionnement des déficits cumulés des établissements publics, qu’ils soient ou non contrôlés par l’État, notamment le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et le Fonds de financement des prestations sociales agricoles (FFIPSA). Troisièmement, l’exacte connaissance des dettes non financières, parmi lesquelles les charges à payer, est indispensable à l’appréhension de l’endettement total de l’État, mais les solutions ne sont pas toujours aisées à trouver ; la dette du service annexe d’amortissement de la dette de la SNCF (SAAD), qui excède 8 milliards d’euros, est prise en charge presque totalement par l’État, mais n’entre ni dans les comptes de celui-ci ni dans ceux de la SNCF.

En résumé, la préparation de l’État est en marche, la DGCP et les autres administrations ont accompli un effort énorme, mais un travail intense demeure nécessaire pour les quelques mois restants. La commission des Finances a constamment soutenu le projet. Il convient de continuer à encourager le mouvement enclenché et même de l’accélérer là où c’est le plus urgent, car les mois qui viennent peuvent encore permettre d’enregistrer des progrès déterminants en matière de tenue des comptes de l’État. La Cour est elle-même mobilisée sur ces objectifs, mais n’ignore pas la difficulté de la tâche ; le délai de cinq ans prévu, entre 2001 et 2006, pour que tout le monde soit prêt à la mise en œuvre de la LOLF, est bien court, alors qu’il s’agit d’effectuer une véritable révolution comptable, mais aussi culturelle.

Le ministre délégué au Budget et à la réforme de l’État a émis le souhait que la Cour des comptes dissocie mieux ses fonctions et lui a demandé de « quitter les habits de juge pour endosser ceux du commissaire aux comptes ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 juillet 2001, garantit l’indépendance de la Cour en arguant du fait que ses diverses activités sont étroitement liées. De fait, elle n’exerce pas trois métiers ou plus, mais bien un seul : contrôler l’argent public et, partant, la gestion publique. Sa méthode de base est toujours la même : partir du compte et de la pièce justificative, qui constitue la preuve, pour aboutir, selon les cas, à l’un ou à l’autre de ses trois modes d’intervention : juger de la régularité des comptes ; produire des communications administratives reprenant les conclusions de ses travaux d’audit et d’évaluation ou certifier des états financiers.

Certains objecteront qu’audit et certification, dans le secteur privé, sont séparés. Cette séparation y revêt deux formes : l’interdiction d’immixtion du commissaire aux comptes dans la gestion de l’organisme et l’interdiction pour un commissaire aux comptes d’assumer des fonctions d’audit ou de conseil et des fonctions de certifications.

La première de ces interdictions vise à ne pas empiéter sur l’appréciation de la responsabilité des gestionnaires par l’assemblée délibérante de l’organisme concerné. Mais le Parlement n’est pas une assemblée d’actionnaires, et les parlementaires n’ont pas d’intérêt financier dans le fonctionnement de l’État. Les gestionnaires administratifs ne sont pas responsables devant le Parlement ; seul le Gouvernement et les ministres le sont, en fonction d’une appréciation politique qui met en jeu bien d’autres critères que des considérations administratives. Quant à la Cour, elle ne se place pas sur le terrain de la responsabilité politique ; ses procédures internes garantissent même sa neutralité.

Quant à la seconde interdiction, qui a fait l’objet de dispositifs législatifs récents, tant à l’étranger qu’en France, elle a pour objet d’éviter que les devoirs des commissaires aux comptes soient méconnus pour des raisons d’intérêt. Or, nul ne peut ignorer que la Cour n’est pas rémunérée par les administrations qu’elle contrôle.

Il doit être bien clair que la Cour des comptes n’a aucunement l’intention de cesser d’être ce qu’elle est, c’est-à-dire une institution composée de magistrats. C’est en cette qualité qu’elle aborde la certification, tout comme elle exerce, depuis des décennies, la responsabilité de commissaire aux comptes de plusieurs grandes organisations internationales – à la satisfaction générale, vu l’ampleur de son « portefeuille ». La magistrature offre en effet trois garanties : l’indépendance, la collégialité et la contradiction. Si le législateur n’avait pas été lui-même attaché à ces trois principes, pourquoi aurait-il confié la certification à la Cour ?

La Cour des comptes est prête à assumer au quotidien la fonction de conseil de l’administration, mais un malentendu doit être levé : son opinion ne saurait être formulée sans une longue contradiction avec le teneur des comptes, après quoi il arrive un moment où le certificateur doit se prononcer, sans que son avis puisse être négocié. Les craintes quant à la portée politique des réserves que la Cour pourrait formuler sont excessives et appellent un véritable travail de pédagogie : la certification, d’abord, n’est pas un jugement politique ; ses réserves sont prévisibles, explicables et même normales ; il ne faudra pas tirer de conséquences erronées, par exemple, du déséquilibre entre actifs et passifs du bilan, qui s’élèvent respectivement à 550 milliards et 1 100 milliards d’euros. Mais il n’est pas certains que toutes les dispositions aient été prises pour éviter ce genre de désagréments. L’effort de pédagogie est une nécessité absolue ; la Cour y a pris sa part et est prête à le poursuivre, mais elle ne pourra s’en charger seule.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général, a observé que, sur un tel sujet, le partenariat entre la Cour des comptes et les services de l’État doit être interactif et équilibré, ce qui entre en contradiction avec les notions de jugement et d’investigations. Dans leur rapport, MM. Didier Migaud et Alain Lambert écrivent : « Le certificateur ne doit pas avoir une conception formelle de son indépendance : elle est naturellement un élément de la confiance que le Parlement pourra accorder à la démarche de certification, mais l’efficacité de cette démarche en termes de progrès comptable résultera plus sûrement de la proximité avec le teneur des comptes ». S’il est évident que le certificateur doit agir en toute indépendance, un problème de méthodologie se pose : un travail en commun est nécessaire pour interpréter et mettre en place des règles comptables à partir du référentiel. Les collectivités territoriales et les opérateurs sociaux ou autres ont toujours l’idée que l’État paiera ; retenir une conception extensive des provisions, sur la base des règles actuelles, paraît extrêmement dangereux, car cela accrédite cette perception. Un travail considérable a déjà été effectué mais il faut le poursuivre, de façon à ce que les comptes puissent ensuite être certifiés de façon indépendante.

Par ailleurs, comment s’y prendre pour expliquer ce big-bang ? Ces novations sont indispensables, mais appellent des précautions et beaucoup de pédagogie.

M. Philippe Séguin, Président de la Cour des comptes, a rappelé la décision du législateur d’instaurer une certification et a supposé que ce mot, qui implique extériorité et indépendance, n’a pas été employé par hasard. Le délai de cinq ans est bien court mais, dès lors que la Cour des comptes a reçu mission de certifier dans ce délai, elle certifiera, conformément aux règles édictées. Par les rapports qu’elle remet et ses suggestions, la Cour des comptes participe à la réflexion, mais il arrive un moment où l’un devient le donneur de comptes et l’autre le certificateur. Des réserves seront formulées ; autant le prévoir et en amortir les inconvénients politiques. Quoi qu’il en soit, il sera difficile d’expliquer aux citoyens que le bilan de l’État présente 550 milliards d’euros d’un côté, 1 100 milliards de l’autre et que cela ne pose aucun problème…

M. Jean-François Copé, ministre délégué au Budget et à la réforme de l’État, a proposé une sorte de « motion de synthèse » : il ne s’agit en aucun cas de contester l’indépendance du certificateur – ce serait même ridicule – mais la demande porte sur la définition commune des règles du jeu pour la première année, concernant le périmètre des provisions ou des charges.

Lorsque le rapport Pébereau est sorti, il a été très délicat d’informer l’opinion publique que l’État avait 1 100 milliards d’euros de dette. Du point de vue de la pédagogie, lui annoncer que ce passif est adossé à 550 milliards d’actifs constitue déjà un progrès.

M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes, a observé que les règles du jeu existent, qu’elles sont fixées par l’État lui-même, après avis du comité des normes, et que la Cour des comptes ne fait que les appliquer.

M. Didier Migaud a jugé que l’indépendance ne signifie pas absence de dialogue. Le délai de cinq ans est une contrainte mais il aurait été inopportun de reporter la date de certification, même si la période est extrêmement sensible. Dès lors que la certification sera assortie de réserves, un travail en amont est nécessaire pour éviter que l’exercice soit politisé, au mauvais sens du terme, et tourne au procès de l’État. Les règles du jeu sont fixées avec une marge d’interprétation. Par ailleurs, même si le Conseil constitutionnel s’exprime sur la base de la Constitution en vigueur, celle-ci peut être amenée à évoluer. Personne n’a cependant à l’idée de remettre en cause l’indépendance, la collégialité et le contradictoire. Le partenariat doit se concrétiser, sans pour autant que quiconque s’approprie une fonction qui n’est pas la sienne. Il n’en demeure pas moins que les fonctions de certificateur diffèrent de celles d’auditeur et que tout le monde aurait peut-être intérêt à ce qu’elles en soient séparées. Pour éviter des malentendus et des incompréhensions inutiles, il importe de prolonger le débat en y associant étroitement le Parlement, qui a été à l’origine de la réforme. Au demeurant, il se peut qu’il soit saisi, à un moment ou un autre, pour préciser la loi organique.

Après avoir noté que la Cour des comptes a toujours informé la Commission, puisque celle-ci l’auditionnait pour la troisième fois depuis le 6 avril, M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes a confié qu’il avait découvert l’existence d’un problème en lisant le journal, la Cour des comptes n’ayant jamais eu le sentiment que ses rapports avec la comptabilité publique fussent problématiques. Le dialogue a déjà permis d’aplanir la plupart des divergences d’approches et il reste trois ou quatre mois pour venir à bout des autres.

L’ensemble des compétences confiées à la Cour des comptes est un facteur d’enrichissement pour chacune de ses activités, y compris la certification. La tronçonner serait la pire des solutions, car elle s’en trouverait affaiblie. Pourquoi toujours rechercher des exemples à l’extérieur alors que les institutions françaises ont fait leurs preuves et montrent une capacité d’adaptation assez remarquable ?

M. Charles de Courson a estimé que la représentation nationale craint que la Cour, organe indépendant, la mette face aux réalités : comment a-t-elle pu laisser s’établir un bilan composé de 1.100 milliards d’euros de dettes et de 550 milliards d’actifs ?

Quelle est la portée de la certification ? Les parlementaires auront-ils le droit de redresser les comptes, par amendement par exemple, en suivant les recommandations de la Cour sur tel ou tel point ? Les régimes spéciaux, y compris celui des fonctionnaires de l’État, doivent être provisionnés au bilan et non hors bilan. Sur cette délicate affaire, quelle est la position de la Cour des comptes ? Les règles d’amortissement doivent-elles prendre en compte l’obsolescence technologique ? Comment la Cour des comptes conçoit-elle la distinction entre investissement et fonctionnement, dont le principe a été voté ?

M. Jean-Pierre Gorges s’est dit surpris que la certification de l’État n’existe pas encore et a douté de la crédibilité d’une certification portant sur un budget en constant déséquilibre. Ne conviendrait-il pas de commencer par ramener le budget de l’État à l’équilibre, bien qu’il soit au bout de la chaîne des dépenses ?

M. Michel Bouvard a assuré que personne n’a en tête de remettre en cause l’indépendance de la Cour des comptes, pas plus que son activité traditionnelle de certification. La vraie difficulté consiste à définir le périmètre du bilan d’ouverture, la comptabilisation de la dette des opérateurs recelant deux risques : un affaiblissement du pilotage et un alourdissement de la charge de l’État ; les conséquences que Bruxelles pourrait en tirer, avec notamment le SAAD, soigneusement caché depuis de nombreuses années.

La mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF (MILOLF) doit continuer de faire œuvre de pédagogie, en interface avec la Cour des comptes et le Gouvernement, de façon à dégager un point de vue partagé qui ne puisse donner lieu à une exploitation politique, si ce n’est de la part des extrêmes.

M. Jérôme Chartier s’est interrogé sur l’utilité de la certification des comptes de l’État, en précisant qu’il laisserait au premier Président de la Cour des comptes le soin d’apprécier si le devoir de réserve l’autorisait à lui répondre. Le parallèle entre la comptabilité d’entreprise et la comptabilité publique est sujet à caution puisque le citoyen, contrairement à l’actionnaire d’une entreprise, loin de toucher des dividendes de l’État, abonde son capital chaque année en acquittant des impôts. Lors des assemblées générales des entreprises, des groupes d’actionnaires se mobilisent pour faire baisser les rémunérations des dirigeants ou modifier la structure des comptes en alimentant un sentiment général de défiance à l’encontre des dirigeants. La démarche vertueuse qui a été engagée va se heurter au même type de limites : la certification des comptes de l’État se retournera contre ses initiateurs, avec un préjudice difficile à évaluer parmi les prêteurs de l’entreprise France, qui compenseront le risque par une augmentation à due concurrence du taux d’intérêt. Qu’en pense la Cour des comptes ?

M. Philippe Séguin, Premier Président de la Cour des comptes, a apporté les éléments de réponse suivants :

– le droit d’amendement devrait logiquement s’exercer sur les trois résultats que le Parlement aura à approuver dans la loi de règlement,

– l’exercice de certification est incontestablement prometteur du point de vue de la réforme de l’État, d’autant que nombre d’administrations sont encore davantage impressionnées par les complications engendrées par la LOLF que par ses effets positifs,

– il existe deux catégories d’actifs : ceux qui sont amortissables et ceux qui se déprécient,

– la question des pensions des fonctionnaires est en cours d’examen au sein des organes internationaux. En France, le traitement des engagements des régimes spéciaux fait encore débat,

– préconiser le désendettement préalable de l’État aurait été une contribution intéressante au débat de 2001 sur la LOLF,

– le passif du SAAD est déjà intégré dans la dette au sens de Bruxelles, mais l’enjeu du périmètre du bilan d’ouverture n’en est pas moins crucial. Ce qui figure en dehors est-il significatif ? Ce qui figure à l’intérieur est-il conforme au référentiel comptable et homogène d’un ministère à l’autre ?

– Pourquoi certifier les comptes de l’État ? D’abord parce que la LOLF le prévoit, ensuite parce que de nombreux pays développés font de même, enfin parce que l’État, étant emprunteur, entre en concurrence avec d’autres émetteurs ; or les marchés financiers exigent une transparence croissante des comptes. Dans ces conditions, l’exercice de la certification ne saurait être considéré comme inutile.

Le Président Pierre Méhaignerie a déduit de ces échanges que la certification des comptes de l’État doit être le point de départ d’une pédagogie plutôt que d’un combat idéologique. Elle doit faire l’objet d’une annexe à la loi de règlement déposée impérativement avant le 1er juin 2007, annexe qu’il juge non amendable.

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Puis la commission des Finances a examiné le rapport d’enquête de la Cour des comptes sur les relations entre le ministère chargé de la jeunesse, l’INJEP et les associations intervenant en direction de la jeunesse (M. Denis Merville, Rapporteur spécial).

M. Denis Merville, Rapporteur spécial, a rappelé qu’en application de l’article 58 alinéa 2 de la LOLF, la commission des Finances a demandé le 15 novembre 2005 à la Cour des comptes d’examiner ce sujet.

En réponse à cette demande, la Cour vient d’adresser, le 3 novembre dernier, son rapport. Elle s’est appuyée sur divers contrôles qu’elle a menés entre 2002 et 2006 sur les fonctions de pilotage du ministère et la gestion de quatre associations : la Fédération française des maisons des jeunes et de la culture, la Fédération nationale Léo Lagrange, l’Union française des centres de vacances et de loisirs et l’Association des guides de France. Ont également été pris en compte les contrôles effectués sur la gestion de l’INJEP entre 2000 et 2004. L’ensemble de ces contrôles couvre un périmètre budgétaire de l’ordre de 52 millions d’euros.

Le champ d’examen retenu par la Cour exclut toute appréciation sur le contenu des politiques conduites, de même que le fonctionnement de l’ensemble des associations de jeunesse et d’éducation populaire. L’étude comporte cinq volets principaux : la politique générale du ministère chargé de la jeunesse et de la vie associative, les relations entre le ministère et les associations intervenant en faveur des jeunes, la gestion interne des associations intervenant en direction de la jeunesse, les relations entre le ministère et l’INJEP, et l’évaluation de l’action du ministère.

Quatre conclusions principales s’en dégagent. En premier lieu, la Cour déplore une imprécision des objectifs poursuivis par le ministère. Le secteur de la jeunesse fait l’objet de politiques très diverses de la part de nombreux autres ministères, de sorte qu’il est difficile d’appréhender l’action spécifique du ministère en faveur des jeunes. Cette imprécision est d’autant plus grande qu’on observe une accumulation de mesures et de dispositifs dans ce domaine, qui ne sont que rarement remis en cause, et dont le degré de priorité varie en fonction des gouvernements. Parallèlement, l’INJEP multiplie des missions encore mal délimitées. Il convient donc de clarifier les objectifs de la politique du ministère en la matière. Cela suppose un examen critique des dispositifs existants et la définition d’actions prioritaires durables permettant d’en mesurer l’impact.

La Cour regrette en outre que si le ministère assure, dans l’ensemble, un suivi administratif et financier « convenable » des dispositifs qu’il gère directement, il n’a qu’une vision partielle des actions mises en œuvre par ses échelons déconcentrés. Ainsi est-il aujourd’hui dans l’incapacité de déterminer, pour un réseau associatif donné, les subventions consolidées qu’il attribue à la structure nationale et, via les services déconcentrés, aux associations affiliées. La Cour estime donc indispensable de mettre en œuvre des procédures mieux adaptées, permettant de connaître précisément le montant et l’usage des divers soutiens accordés aux grandes associations nationales – qu’il s’agisse des subventions d’aide au fonctionnement ou sur projets, de la participation au financement des postes du Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire (FONJEP), du soutien aux projets de formation, d’expérimentation ou d’études.

De façon corollaire, la Cour estime que l’efficacité des dispositifs mis en œuvre par le ministère reste insuffisamment évaluée. Elle recommande, en conséquence, de renforcer les capacités d’évaluation du ministère, afin qu’il soit en mesure d’évaluer clairement l’impact de son action dans ce domaine.

Les politiques en faveur de la jeunesse gagneraient sans doute à être redéfinies. Trois facteurs invitent à agir dans ce sens. D’abord, les modalités d’intervention du réseau associatif sur lequel le ministère s’appuie peuvent ne plus correspondre à la demande actuelle. Deuxièmement, de nombreux dispositifs apparaissent au fil du temps sans qu’une stratégie globale cohérente ait été préalablement arrêtée au niveau interministériel. Troisièmement, les collectivités territoriales jouent un rôle croissant auprès des associations locales affiliées aux mouvements nationaux de jeunesse, qu’il convient de prendre en compte dans la conduite de la politique de l’État.

S’agissant plus spécifiquement de l’INJEP, établissement public national placé sous la tutelle du ministère, une clarification de ses missions s’impose. L’article 1er du décret du 2 juillet 1990 portant statut de l’INJEP dispose que celui-ci a pour mission « de promouvoir l’éducation populaire sous toutes ses formes, de favoriser le développement de la vie associative et de participer à la mise en œuvre des actions en faveur de la jeunesse », tout en concourant « au développement de la coopération internationale dans le domaine de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative ». La spécificité de l’action de l’INJEP apparaît dès lors confuse, et en tout cas ne se distingue pas suffisamment de celle du ministère. Ce décret devrait être modifié afin de mieux préciser le type d’action ou d’intervention relevant de cet établissement. Concernant la tutelle exercée par le ministère sur l’INJEP, force est de constater, selon la Cour, que cet établissement « rencontre des limites pour assumer pleinement son autonomie ». Enfin, la Cour déplore l’absence de comptabilité analytique qui caractérisait, jusqu’à très récemment, l’ensemble des activités de l’INJEP.

Il convient néanmoins de souligner aussi les efforts entrepris par le ministère pour se réformer, notamment dans le cadre de la mise en œuvre de la LOLF. Il faut également prendre en compte l’évolution rapide des demandes et besoins exprimés par les jeunes et la richesse que représente la vie associative dans ce domaine. De même, est-il souhaitable de respecter ce tissu, indispensable au lien social, et d’accepter l’existence d’innovations et d’expériences aptes à répondre aux besoins des jeunes. Des réformes s’avèrent cependant nécessaires concernant certaines grandes associations, notamment au niveau central.

Compte tenu de l’intérêt des observations formulées par la Cour et de l’opportunité de recueillir les réactions du ministère ainsi que les mesures qu’il entend prendre pour y répondre, le Rapporteur spécial s’est déclaré favorable à la publication de cette enquête.

M. Jean-Pierre Gorges s’est déclaré surpris que ce type de mission reste administré au niveau de l’État. Cette organisation n’est plus adaptée, car la situation et les besoins sont très différents d’une région à l’autre. La gestion centralisée aboutit au plan local à de nombreuses structures, éparpillées, alors que par souci d’économies et d’efficacité, il faudrait regrouper les postes. Cette organisation serait donc à revoir.

M. Denis Merville, Rapporteur spécial, a confirmé qu’en effet, il n’appartient pas à l’État de donner des directives aux associations oeuvrant au plan local. Le tissu local présente, en effet, de grandes différences ; son expérience personnelle l’a conduit à constater que les goûts et les aspirations des jeunes diffèrent selon les régions et les milieux sociaux, aussi il appartient plutôt aux élus d’orienter les fonds en fonction des besoins. La décentralisation ou la déconcentration s’impose, car les permanents des grandes associations installées à Paris n’ont pas toujours une bonne connaissance des besoins des jeunes au niveau local. Toutefois, il faut être prudent pour ne pas désorganiser la vie associative, qui revêt une grande importance au plan local.

Le Président Pierre Méhaignerie a approuvé les constatations du Rapporteur spécial. Il a jugé utile que celui-ci s’attache, dans les mois qui viennent, à comparer la gestion française de ces associations avec les modes de gestion existant en Europe. Il a également souhaité que le Rapporteur spécial effectue des contrôles sur pièces et sur place dans plusieurs grandes structures. Il a souligné que la vie associative représente un nombre d’emplois important, environ 3.700. Cependant, l’épaisseur du « jaune » budgétaire recensant l’ensemble des associations recevant une subvention montre que cette activité nécessaire génère aussi une importante bureaucratie. Un dernier approfondissement souhaitable serait de déterminer le bon niveau d’administration pour ces activités.

M. Charles de Courson a souligné que si les emplois ont baissé dans la fonction publique, ils ont en revanche considérablement progressé chez les opérateurs de l’État, où 10.000 à 15.000 emplois ont été créés au cours des cinq dernières années.

M. Denis Merville, Rapporteur spécial, a précisé que l’étude était concentrée sur l’action de quatre fédérations. Il a constaté que leurs gestionnaires se remettent en cause progressivement, pour s’adapter à l’évolution des jeunes, de leurs goûts et de leurs besoins. Il convient de veiller à ce que le coût du fonctionnement des associations n’ampute pas de façon trop importante leurs moyens d’action, comme cela a été le cas de l’office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) dont 80 % du budget étaient affectés au fonctionnement du centre. Cette situation a heureusement évolué, notamment à la suite d’un rapport de la Cour des comptes.

La Commission a autorisé, en application de l’article 58-2° de la LOLF, la publication de l’enquête de la Cour des comptes.

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