COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 5

(Application de l'article 46 du Règlement)

Jeudi 24 octobre 2002
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les crédits de son ministère pour 2003


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- Examen des rapports pour avis sur les crédits de ce ministère :

 

· Administration centrale et services judiciaires (M. Jean-Paul Garraud, rapporteur)

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· Services pénitentiaires et protection judiciaire de la jeunesse (Mme Valérie Pecresse, rapporteure)


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- Information relative à la Commission

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La Commission a procédé à l'audition de M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les crédits de son ministère pour 2003.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a souligné que le projet de budget du ministère pour 2003 constituait une pièce maîtresse de la politique du Gouvernement, qui fait de la justice l'une de ses priorités majeures et a ajouté qu'il traduisait, dans les faits, les orientations définies par la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.

Il a fait observer que ce projet de budget se caractérisait, en effet, par un renforcement sans précédent des moyens, marqué par une progression globale de 7,43 %, concernant tant le fonctionnement que l'investissement.

S'agissant des dépenses de fonctionnement, il a précisé qu'elles connaissaient une augmentation de crédits de 5,26 %, qui recouvre une hausse du nombre d'emplois budgétaires de 2 026 postes - dont 2 pour la Commission nationale de l'informatique et des libertés -, emplois budgétaires auxquels il convient d'ajouter 87 emplois en établissements publics et 170 emplois dits « sur crédits » permettant de rémunérer les assistants de justice en juridictions administratives. Il a souligné que ces moyens étaient destinés à l'amélioration de la situation des personnels et des moyens de fonctionnement des administrations et des juridictions.

En matière d'investissement, le garde des sceaux a relevé la nécessité d'engager un certain nombre d'opérations rapidement dans l'administration pénitentiaire, mais également en faveur de la rénovation des palais de justice, ce qui explique le doublement du montant des autorisations de programme en 2003 par rapport à 2002, ainsi que l'augmentation de 58,2 % des crédits de paiement.

Tout en convenant qu'un budget qui augmente n'est pas nécessairement un bon budget, il a tenu à faire remarquer que le projet de budget de son département ministériel pour 2003, qui constitue la première étape de la mise en œuvre de la programmation prévue par la loi d'orientation - laquelle prévoit l'ouverture de 3,65 milliards de crédits de paiement, de 1,75 milliard d'euros d'autorisations de programme et la création de 10 100 emplois - répondait, en outre, aux attentes pressantes de nos concitoyens et était articulé autour de priorités claires : améliorer l'efficacité de la justice, ce qui exige plus de rapidité dans le traitement des dossiers et une gestion plus simple et plus proche des citoyens ; renforcer l'efficacité de la réponse pénale, ce qui implique de mieux exécuter les décisions de justice, notamment en développant les outils et actions favorisant la réinsertion ; prévenir et traiter la délinquance des mineurs ; améliorer l'accès des citoyens à la justice et améliorer le sort des victimes.

Abordant l'examen des efforts budgétaires proposés secteur par secteur, le garde des sceaux s'est d'abord réjoui des moyens supplémentaires accordés aux services judiciaires, confrontés à une charge grandissante, afin de leur permettre de remplir leurs missions de manière plus efficace, par le biais, en particulier, du développement de la justice de proximité - qui fait l'objet d'un projet de loi organique - et de la réduction des délais de traitement des dossiers. Il a indiqué que, pour faire face à ces objectifs, 700 emplois seraient créés, dont 180 postes de magistrats et 520 emplois de greffiers et de fonctionnaires, cette proportion traduisant la volonté du Gouvernement de ne pas créer de postes de magistrats sans leur fournir le nombre de collaborateurs nécessaires à la généralisation du travail en équipe. Au-delà des créations d'emplois, il a appelé l'attention sur l'utilité de s'intéresser au rythme des entrées effectives dans les juridictions, qui devraient s'élever à 290 magistrats et 800 fonctionnaires des greffes en 2003, compte tenu des délais d'organisation des concours et des formations. Il a ajouté que 3 millions d'euros favoriseraient les premiers recrutements de juges de proximité, que les primes des magistrats passeraient, avant la fin de 2003, de 37 à 41 % de leur traitement de base, tandis que les greffiers et greffiers en chef bénéficieraient de réformes statutaires importantes et les fonctionnaires de catégorie C  d'une amélioration de leurs primes.

Puis, il a indiqué que l'administration pénitentiaire - qui doit faire face au défi constitué par le décalage entre le nombre de places disponibles qui s'élève à 48 000  et le nombre de détenus qui oscille régulièrement entre 53 000 et 56 000 - se voyait accorder, dans la loi d'orientation et de programmation, les moyens d'obtenir 11 000 places nouvelles, dont 7 000 supplémentaires, un effort particulier étant porté sur la réalisation de bâtiments entièrement dédiés aux mineurs. Il a précisé que l'action de M. Pierre Bédier, secrétaire d'État aux programmes immobiliers de la justice, actuellement en voyage d'études au Canada, permettrait de mettre en œuvre rapidement ces opérations, grâce aux nouvelles dispositions législatives destinées à faciliter une plus grande implication des partenaires privés. Il a ajouté que, pour la mise en œuvre du « programme 4 000 » et la création des quartiers de mineurs en 2003, 870 emplois seraient créés, dont 613 pour les personnels de surveillance. Afin de renforcer l'attractivité des métiers pénitentiaires, le garde des sceaux a annoncé une revalorisation générale des carrières, en particulier pour les personnels de surveillance, tout en soulignant que de nouvelles discussions devraient s'engager sur l'objectif du passage aux trente-trois heures hebdomadaires, normalement prévu pour 2004, en regard notamment des capacités actuelles de recrutement et de formation de l'administration pénitentiaire.

Par ailleurs, il s'est déclaré favorable à une mobilisation forte des services de la protection judiciaire de la jeunesse, qui doit apporter des réponses plus efficaces à la question difficile de la délinquance des mineurs, grâce aux actions diversifiées prévues par la loi d'orientation et de programmation, notamment la création de centres éducatifs fermés, mais aussi le développement des mesures existantes en matière de prévention de la récidive et de prise en charge en milieu ouvert. Il a admis que la réalisation de ces objectifs ambitieux exigeait une remise à niveau des services gestionnaires de la direction de la protection judiciaire, dont la capacité de gestion et d'administration est aujourd'hui insuffisante, ce qui justifie pleinement la création, dans le projet de budget pour 2003, de 314 emplois, qui permettront d'augmenter le nombre d'éducateurs de 25 %, ainsi que l'inscription de 2,2 millions d'euros destinés au secteur associatif et à plusieurs mesures statutaires et indemnitaires.

S'agissant des juridictions administratives, il a relevé qu'elles verraient leurs moyens financiers et humains augmenter de 100 emplois, dont 42 postes de magistrats et 58 de fonctionnaires, auxquels s'ajouteront 170 emplois « sur crédits ».

Evoquant, enfin, l'aide aux victimes qui doit faire l'objet d'un effort de solidarité particulier, conformément aux orientations présentées en Conseil des ministres le 18 septembre dernier, il a précisé qu'il se traduisait par des mesures significatives : information des victimes sur leur droit de demander la désignation d'un avocat dès le dépôt de la plainte ; octroi de l'aide juridictionnelle sans conditions de ressources aux victimes des crimes les plus graves ; aide aux réseaux associatifs ; extension du numéro national d'appel ; amélioration de l'aide juridictionnelle par la hausse des correctifs familiaux.

Par ailleurs, le garde des sceaux a souhaité, au-delà de la présentation du renforcement des moyens de la justice, insister sur la double nécessité d'une mobilisation effective des moyens considérables dégagés dans un contexte budgétaire délicat et de la mise en place de dispositifs d'évaluation et de correction destinés à améliorer la consommation des moyens nouveaux accordés.

Enfin, il a fait observer que si l'efficacité de la justice passait par l'octroi de moyens supplémentaires, elle dépendait également de l'amélioration du droit, qui doit éviter de surcharger les juridictions. À ce propos, il a annoncé le dépôt ou la préparation de plusieurs projets relatifs au droit des personnes - protection des majeurs incapables, droit du divorce, de la filiation, des successions et des libéralités - la poursuite de la modernisation de la procédure civile et la réforme de la protection des données personnelles, avec l'actualisation de la loi « informatique et libertés » ; s'agissant de la rénovation du droit des sociétés, prenant acte de la création par la commission des Lois d'une mission d'information, il a évoqué les questions des procédures collectives, de la sécurité financière, du gouvernement d'entreprises, de la rénovation du système des comptes et de l'organisation de la profession des administrateurs et mandataires judiciaires, rappelant, sur ce dernier point, que le projet de loi actuellement en navette devrait être soumis à une commission mixte paritaire au mois de décembre prochain. Il a précisé que ce programme ambitieux, qui répond à des demandes fortes de notre société, faisait, d'ores et déjà, l'objet d'un intense travail interministériel. S'agissant, enfin, de la procédure et du droit pénal, il a indiqué que les réformes iraient dans le sens d'une réduction de la durée des procédures, d'une meilleure coopération pénale internationale et d'une répression plus forte de certaines formes de délinquance particulièrement préoccupantes, telles que la criminalité organisée, la traite des êtres humains, le racisme ou la violence routière.

Jugeant que l'augmentation sans précédent des crédits pour la justice entre 2003 et 2007 constituait effectivement un défi pour la Chancellerie, M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis des crédits de l'administration centrale et des services judiciaires, a fait état de certaines interrogations exprimées par des personnes entendues lors de la préparation de son rapport sur les moyens humains et matériels qui doivent accompagner la mise en place des juridictions de proximité, ainsi que sur l'évolution statutaire des fonctionnaires des services judiciaires et la définition de leur rôle dans le fonctionnement des juridictions. Après avoir fait observer que les orientations définies sur ce dernier point dans la loi du 9 septembre 2002 semblaient recueillir l'assentiment des personnels concernés, il a souligné la nécessité de modifier les structures de l'École nationale des greffes afin de lui permettre de faire face à la progression très importante des effectifs en formation, estimant que sa transformation en établissement public, au même titre que l'École nationale de la magistrature (ENM) ou l'École nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP), serait un signal fort adressé aux personnels dont elle assure la formation.

Évoquant ensuite les conditions de fonctionnement des juridictions, il a jugé particulièrement préoccupant l'encombrement des cours administratives d'appel et fait observer que l'augmentation des moyens accordés aux juridictions civiles ou pénales dans les exercices antérieurs n'avait pas eu d'effet notable sur la durée moyenne de traitement des affaires. Stigmatisant les conséquences de l'application de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes sur le fonctionnement des juridictions civiles, le rapporteur a fait observer que ce texte n'avait pas entraîné de réduction durable du nombre de détentions provisoires prononcées en France, alors que c'était précisément l'objectif - qu'il a jugé contestable, particulièrement dans un contexte de progression de la délinquance - recherché par la loi. Il a donc souhaité que soit dressé un bilan de son application. Enfin, soulignant la forte motivation des magistrats judiciaires, il a jugé nécessaire d'harmoniser leur régime indemnitaire avec celui des magistrats des juridictions administratives.

Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis des crédits des services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse, a souligné le caractère exceptionnel et équilibré du budget pour 2003 des secteurs concernés, qui dégage des moyens sans précédent en faveur de la sécurité des établissements pénitentiaires, tout en prévoyant d'importantes créations d'emplois au profit des services en charge de la réinsertion des détenus et de l'action éducative auprès des mineurs délinquants.

Elle a ensuite souhaité connaître les mesures qu'entendait prendre le ministre afin de faciliter les recrutements massifs engagés par le Gouvernement, compte tenu des difficultés rencontrés en ce domaine les années précédentes et de la part croissante de femmes reçues aux concours, qui apparaît susceptible de soulever des problèmes de fonctionnement au sein des établissements pénitentiaires. Puis, elle a demandé des précisions sur le calendrier prévisionnel de la construction des nouveaux établissements pénitentiaires et de la mise en œuvre des centres éducatifs fermés. S'agissant précisément de ces centres, elle a souhaité connaître le contenu du projet pédagogique, éducatif ou professionnel proposé aux mineurs qui y seront placés, ainsi que la nature et le régime de coercition qui leur sera applicable. Après avoir approuvé les propos du ministre sur la nécessaire modernisation de l'administration de la protection judiciaire de la jeunesse, elle a conclu son intervention en s'interrogeant sur les différentes mesures envisagées pour améliorer l'efficacité de ce service public.

Félicitant le ministre pour l'extrême pertinence du projet de budget pour la justice en 2003, M. Philippe Houillon a souhaité avoir des précisions sur la démarche nouvelle, simple mais innovante, mise en place par le ministère de la justice, qui consisterait à évaluer l'activité des juridictions et à initier une politique contractuelle, par objectif, avec chacune d'entre elles. Il s'est également enquis des possibilités et des modalités d'association du Parlement à cette démarche. Il a, enfin, souhaité savoir si la démarche de définition d'objectifs par juridiction serait mise à profit pour revenir à une meilleure uniformité de la politique pénale sur le territoire national.

M. Jean-Luc Warsmann s'est également déclaré très satisfait du projet de budget pour 2003, qu'il a jugé en totale conformité avec la loi d'orientation pour la justice votée en août dernier. De même, il s'est félicité de la prudence annoncée par le ministre de la justice dans l'élaboration de la norme législative, en dénonçant le gâchis qui avait caractérisé les années récentes, au cours desquelles les moyens nouveaux ouverts en loi de finances initiale avaient été plus que consommés par les modifications de la procédure pénale. Il a d'ailleurs expliqué que là résidait la cause principale de l'aggravation de la quasi-totalité des délais de jugement. Il a ensuite interrogé le ministre sur les priorités d'affectation des postes de magistrats, de fonctionnaires et de greffiers supplémentaires, ainsi que sur la définition technique des contrats d'objectifs. S'agissant de la consommation des crédits d'équipement, il a voulu savoir par quels moyens le ministère de la justice entendait remédier aux difficultés traditionnelles qu'il rencontrait en la matière. Évoquant enfin la situation, qu'il a qualifiée de désastreuse, des juridictions administratives, dont il a rappelé que le délai moyen de jugement était de cinq ans en appel et de six ans en cassation, il a souhaité savoir si la logique contractuelle d'évaluation leur serait appliquée, de façon à mettre un terme à ce qui s'apparente de facto à un déni de justice.

M. Jean Leonetti a exprimé sa satisfaction devant la croissance des crédits impartis à la justice dans le projet de loi de finances pour 2003 ; il a reconnu que ce bon budget succédait à un bon budget, les crédits ayant progressé de près de 7 % de 2001 à 2002. Il a fait valoir néanmoins que, à la différence du projet de loi de finances pour 2002, pour lequel la croissance des crédits était contrainte par la mise en place d'une nouvelle législation, le projet de loi de finances pour 2003 était la traduction concrète d'une politique volontariste et ambitieuse. Il a ensuite interrogé le ministre sur sa politique de contrôle et d'évaluation ; estimant en effet que l'accroissement des moyens ne suffisait pas s'il ne se traduisait pas concrètement par des résultats, il a souhaité que puisse être menée une évaluation portant notamment sur la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que sur l'action des associations travaillant en partenariat avec le ministère de la justice. Évoquant la prochaine révision constitutionnelle relative à la décentralisation, il a fait état des compétences techniques des conseils généraux en matière d'insertion, et indiqué que le conseil général des Alpes-Maritimes pourrait être candidat pour une expérimentation concernant la protection judiciaire de la jeunesse.

Prolongeant l'intervention de M. Jean Leonetti, M. Jean-Pierre Soisson a considéré qu'il y avait effectivement une obligation de résultats impartie au ministre, la croissance des crédits devant coïncider avec une amélioration du fonctionnement de la justice et de la perception qu'en ont les citoyens. Il a estimé que le problème essentiel résidait dans la longueur des délais d'instruction des affaires ; citant le cas de la cour administrative d'appel de Lyon, il a fait état de délais d'attente de jugement de plus de quatre ans, puis a conclu son propos en insistant sur le caractère tout à fait prioritaire des moyens accordés à la justice, le renforcement de la sécurité prônée par le Gouvernement ne devant pas se faire à son détriment.

Observant que les peines d'emprisonnement de courte durée n'étaient souvent pas effectuées, M. Sébastien Huygue a jugé que cette réalité était très mal perçue par les Français. Il a souhaité savoir si une réforme était envisagée pour renforcer le taux d'exécution desdites sanctions et si le nombre de places disponibles dans les maisons d'arrêt serait dans ce cas suffisant.

En réponse aux différents intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes :

· S'agissant des services judiciaires et des juridictions administratives

-  L'évolution des missions confiées aux greffiers afin de faire de ces derniers des assistants des magistrats suppose une évolution des cultures propres à chaque corps ainsi que du référentiel des métiers de greffe.

-  Si la revalorisation du statut des greffiers en chef est d'ores et déjà acquise, il convient de mener à bien la réforme statutaire des greffiers, sans laquelle l'évolution des métiers évoquée plus haut ne sera pas possible.

-  L'idée de faire de l'école nationale des greffes un établissement public, notamment pour en consolider les moyens de fonctionnement, doit être étudiée, en particulier au regard de l'exemple réussi de l'école nationale de l'administration pénitentiaire.

-  La loi du 15 juin 2000 illustre de façon exemplaire la nécessité d'évaluer les charges de travail engendrées par une réforme législative et d'en débattre préalablement avec les professionnels concernés. L'évolution du nombre de détentions provisoires résulte moins des modifications apportées à la procédure pénale que de la durée de l'instruction ; celle-ci est aujourd'hui trop longue et la protection des libertés publiques exige que tout soit fait pour la réduire.

-  Plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord, l'évaluation du fonctionnement des juridictions implique de choisir des critères en concertation avec les chefs de juridiction. Elle suppose également de disposer d'un outil statistique précis et fiable - ce qui est désormais le cas - permettant un traitement homogène des données.

-  Afin de faire face à l'explosion de la délinquance des mineurs, d'assurer une cohérence dans la chaîne pénale, mais aussi un suivi individualisé des mineurs concernés, les affectations des nouveaux postes de magistrats - sur lesquelles travaille actuellement la Chancellerie - se feront de façon à accroître les effectifs des tribunaux pour enfants de 20 % en 2003.

-  L'idée d'un parquet indépendant ne pouvant être défendue sans hypocrisie, il convient de réaffirmer le principe hiérarchique en matière d'action pénale. Ceci suppose cependant que l'ensemble des procureurs généraux, pour exercer leur autorité sur les procureurs de la République, puissent bénéficier d'une expertise juridique de haut niveau au sein de la Chancellerie, dont les services compétents seront renforcés en conséquence.

-  Afin de remédier à l'engorgement problématique des cours administratives d'appel, le projet de loi de finances pour 2003 prévoit la création de 88 emplois dans les juridictions administratives. En outre, la loi d'orientation et de programmation pour la justice a prévu que les cours administratives d'appel pourront désormais accueillir des magistrats administratifs dès leur première affectation. Enfin, la création en 2004 d'une nouvelle cour administrative d'appel est prévue en région parisienne.

· S'agissant des services pénitentiaires

-  L'ampleur des recrutements qui sont envisagés constitue indéniablement un défi pour l'administration et c'est pourquoi un important effort en matière d'information et de communication a été engagé. La campagne actuelle de promotion des métiers de l'administration pénitentiaire semble d'ailleurs porter ses fruits, puisque près de 21 000 dossiers d'information ont d'ores et déjà été retirés, alors que le prochain concours de gardien-surveillant n'offre que 1 000 postes. Les capacités d'accueil de l'ENAP vont être augmentées en conséquence de la hausse du nombre de ses élèves, le budget pour 2003 prévoyant 10 millions d'euros d'autorisations de programme à cet effet.

-  La féminisation croissante des personnes reçues au concours de gardien-surveillant soulève une question délicate car ce phénomène entraîne d'importantes conséquences en matière d'organisation du travail au sein des établissements pénitentiaires. Il paraît donc nécessaire de mener une réflexion approfondie en la matière, sans tabou ni a priori.

-  La diversification du parc pénitentiaire est nécessaire car elle permettra de développer le recours aux mesures alternatives à l'incarcération, comme le placement sous surveillance électronique ou le travail d'intérêt général.

-  La sous-consommation des crédits de l'administration pénitentiaire concerne uniquement ceux consacrés aux dépenses d'équipement. A cet égard, une amélioration semble en cours puisque le montant des crédits faisant l'objet d'un report d'une année sur l'autre en raison de leur non-consommation est passé de 153 millions d'euros en 2001 à 40 millions en 2002. Toutefois, l'analyse de la consommation des crédits d'équipement doit également prendre en considération le fait que ceux-ci sont consommés de façon inégale au long de la période de construction, la majeure partie des dépenses étant soldée au moment de la livraison de l'établissement pénitentiaire. Or, compte tenu du principe de l'annualité budgétaire et des inévitables négociations avec le ministère de l'économie et des finances, l'administration pénitentiaire est amenée à demander des crédits supérieurs au niveau prévisible de sa consommation afin de disposer, le moment venu, des sommes nécessaires au paiement des constructions qu'elle a commandées.

-  La non-exécution de près de 30 % des peines d'emprisonnement prononcées par les juridictions n'est pas acceptable car elle menace la crédibilité même de l'institution judiciaire. Cette situation ne résulte pas du manque de places disponibles en prison mais, notamment, de la complexité de la procédure d'exécution des jugements qui, en raison de la multiplication des intervenants et des délais accordés à chacun, facilite la tâche des condamnés désireux d'échapper à la justice.

· S'agissant des services de la protection judiciaire de la jeunesse

-  La mise en œuvre des premiers centres éducatifs fermés devrait intervenir rapidement, d'ici à la fin de l'année, grâce à la mise à disposition de locaux existants appartenant à des collectivités locales.

-  Le contenu éducatif des centres éducatifs fermés figurera dans un cahier des charges qui est en cours d'élaboration et fera l'objet d'une concertation avec l'ensemble des intervenants de la protection judiciaire de la jeunesse, y compris les responsables des associations du secteur habilité. Trois principaux objectifs semblent toutefois pouvoir d'ores et déjà être assignés à ces centres : il s'agira, en premier lieu, de favoriser le réapprentissage des savoirs fondamentaux comme la lecture, l'écriture et le calcul ; en deuxième lieu, une qualification professionnelle devra être offerte aux mineurs ; enfin, une prise en charge sanitaire sera organisée compte tenu de l'accroissement du nombre de jeunes souffrant de pathologies diverses. Ce faisant, les centres éducatifs fermés offriront aux jeunes des activités adaptées à leur profil pendant toute la journée.

-  La nature de la contrainte exercée à l'encontre d'un mineur placé en centre éducatif fermé est juridique puisque le non-respect des obligations du contrôle judiciaire pourra entraîner son incarcération. Il importe donc également de construire rapidement les centres de détention pour mineurs afin de pouvoir, le cas échéant, incarcérer dans des conditions satisfaisantes ceux d'entre eux placés dans les centres éducatifs fermés qui n'auraient pas respecté les obligations du contrôle judiciaire.

-  La modernisation des services de la protection judiciaire de la jeunesse est une priorité. Sa mise en œuvre peut emprunter plusieurs voies : il pourrait notamment être envisagé, dans le cadre de l'application des dispositions qui devraient être adoptées dans le projet de loi constitutionnel relatif à l'organisation décentralisée de la République, de transférer, à titre expérimental, certains services de la protection judiciaire de la jeunesse aux conseils généraux, d'ores et déjà compétents en matière d'aide sociale à l'enfance ; par ailleurs, les capacités de gestion et de direction de l'administration centrale de la protection judiciaire de la jeunesse sur ses services déconcentrés devraient être renforcées, tandis que les pouvoirs de ceux-ci devraient être accrus en matière de gestion des personnels.

-  L'évaluation de l'activité de l'ensemble des services de la protection judiciaire de la jeunesse est nécessaire, mais délicate à concevoir. Un rapport de la Cour des comptes concernant cette administration est en cours d'élaboration et ses conclusions pourront, le cas échéant, servir à la mise en œuvre de certaines réformes ainsi qu'à la construction d'indicateurs d'activité.

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Après le départ du ministre, la Commission a procédé à l'examen pour avis des crédits du ministère de la justice pour 2003.

A titre liminaire, M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis des crédits de l'administration centrale et des services judiciaires, a fait observer que, si les délais d'instruction devaient être raccourcis, les délais de jugement des affaires soulevaient encore plus de difficultés. Il a estimé, à ce propos, que la procédure de comparution immédiate, qui permet de juger rapidement des affaires dans de bonnes conditions, devrait être utilisée plus souvent. S'agissant de l'exécution des peines, il a souligné qu'il existait un problème pour les personnes non domiciliées. Sans remettre en cause le principe de l'appel des arrêts des cours d'assises, il a, cependant, regretté que les appels ne soient examinés qu'au bout d'un an, soulignant que les personnes concernées restaient souvent en détention pendant toute cette durée.

Rappelant qu'une importante progression des effectifs des services judiciaires était programmée afin d'améliorer le fonctionnement de la justice, il a indiqué qu'il avait souhaité examiner en particulier dans son rapport les modalités de recrutement et de formation de ces personnels. Après avoir souligné que les modes de recrutement des magistrats s'étaient multipliés, entraînant ainsi une diversification de leurs profils, il a fait observer que l'enm était obligée de mettre en place des formations « à la carte » adaptées aux besoins de chacun, ce qui est particulièrement difficile. Il a ensuite mis l'accent sur le fait que des personnes aux parcours professionnels identiques ayant le choix entre plusieurs voies de recrutement pour entrer dans la magistrature, pouvaient ainsi ne pas recevoir la même formation. A titre d'exemple, il a expliqué qu'une personne ayant dix ans d'expérience professionnelle pouvait passer trois types de concours - les deuxième et troisième concours de la magistrature ainsi que le concours complémentaire de recrutement mis en place en 2001 - ou bénéficier d'une intégration directe, ajoutant qu'elle recevrait, selon les cas, une formation probatoire de trente et un mois, une formation de six mois ou aucune formation. Il a, par ailleurs, indiqué que les épreuves au concours de recrutement des magistrats étaient parfois obsolètes et a jugé souhaitable qu'elles soient entièrement revues. En conclusion, il a jugé indispensable de procéder à une véritable réflexion sur le sujet du recrutement et de la formation des magistrats et ajouté qu'il serait utile d'analyser les raisons de l'échec du dispositif mis en place pour recruter des magistrats à titre temporaire, avant de mettre en place les juges de proximité, puisque ces deux dispositifs répondent à un objectif comparable.

Le président Pascal Clément a estimé qu'il n'était pas souhaitable que des jeunes magistrats sortant de l'ENM deviennent directement juges d'instruction, soulignant qu'il était préférable qu'ils soient affectés au parquet, service plus hiérarchisé dans lequel ils seraient moins susceptibles de commettre des erreurs. Il a estimé que la mission de juge d'instruction nécessitait une certaine maturité qu'il était impossible d'avoir en sortant de l'ENM et indiqué qu'il avait pu constater que les juges jeunes étaient beaucoup plus sévères.

En réponse à ces propos, M. Jean-Paul Garraud, rapporteur pour avis des crédits de l'administration centrale et des services judiciaires, a estimé que la solution consistait peut-être à affecter les jeunes magistrats dans des formations collégiales. Il a indiqué que les juges d'instruction s'occupaient désormais plus de forme que de fond, passant un temps considérable à vérifier le respect des différentes étapes de la procédure. Il a ajouté qu'ils avaient beaucoup moins de dossiers que par le passé, le parquet traitant différemment les affaires et le contentieux de la détention provisoire leur ayant été retiré.

M. Jérôme Lambert a estimé qu'il serait difficile à des magistrats ayant dix ans d'ancienneté d'accepter de devenir juges d'instruction et jugé qu'il serait nécessaire de revoir les profils de carrière.

M. Jean Tiberi a considéré qu'il suffirait d'ajuster les grades des différentes fonctions, tandis que le président Pascal Clément réaffirmait que la fonction de juge d'instruction demeurait essentielle.

La Commission a ensuite été saisie d'un amendement à l'article 36 du projet de loi de finances, présenté par le président Pascal Clément, tendant à accroître les crédits afin d'attribuer aux magistrats de l'ordre judiciaire le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire (nbi). L'auteur de l'amendement a précisé que seuls les membres des juridictions administratives bénéficiaient aujourd'hui de cet avantage salarial. Se déclarant conscient que son amendement risquait d'être jugé irrecevable au regard de l'article 40 de la Constitution, il a indiqué qu'il envisageait, à titre de solution de repli, de déposer en séance publique un amendement réduisant les crédits prévus dans le projet de loi de finances pour financer la NBI des magistrats des juridictions administratives afin d'appeler l'attention du Gouvernement sur l'injustice de la distorsion existant entre les membres des deux ordres de juridictions. La Commission a adopté cet amendement.

Elle a ensuite émis un avis favorable à l'adoption des crédits du ministère de la justice pour 2003 consacrés à l'administration centrale et aux services judiciaires.

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Présentant les crédits consacrés à l'administration pénitentiaire, Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis des crédits des services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse, a indiqué qu'ils prenaient en compte les conclusions du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la situation des prisons ainsi que celles présentées à la suite de la mission confiée à M. Jean-Marc Chauvet sur la sécurité des établissements pénitentiaires. Elle s'est réjouie de l'importance du programme de construction envisagé, rappelant que 109 des 187 établissements pénitentiaires ont été construits avant 1920. Elle a ensuite noté que la Chancellerie avait mis en place des moyens juridiques innovants pour consommer effectivement les crédits prévus et éviter ainsi les dérives observées lors du programme 4000. Elle a, enfin, souligné la nécessité d'améliorer la diversification de la réponse pénale, en recourant notamment au système du bracelet électronique ou en créant des établissements spécialisés dans les courtes peines, afin d'éviter la surpopulation carcérale.

Evoquant les crédits consacrés à la protection judiciaire de la jeunesse, la rapporteure a insisté sur le fait que l'augmentation des dotations prévues devait s'accompagner d'un véritable effort de modernisation de ces services. Elle a souligné la nécessité de réfléchir au contenu pédagogique des mesures destinées aux mineurs délinquants, notamment dans les centres de placement immédiat. Elle a également insisté sur la nécessité d'accroître la diversité des réponses apportées à la délinquance des mineurs, donnant l'exemple des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires spécialisés pour mineurs.

En conclusion, la rapporteure a considéré qu'il s'agissait d'un très bon budget, tout en jugeant qu'il convenait de l'accompagner par des mesures permettant une consommation efficace des crédits prévus.

Le président Pascal Clément a souhaité savoir combien d'établissements prévus par le programme 4000 étaient effectivement en fonction et dans quels délais les nouveaux établissements annoncés par le secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice pourraient être ouverts. Il s'est ensuite inquiété des conséquences de l'adoption de nouvelles sanctions prévues dans le cadre du projet de loi sur la sécurité, s'interrogeant sur les mesures prises pour limiter la surpopulation carcérale qu'elles risquent d'engendrer. S'agissant des travaux d'intérêt général, il a observé que les maires étaient favorables à de telles mesures, les réticences provenant principalement de l'encadrement administratif chargé de les mettre en œuvre. Il a, enfin, fait valoir que les centres éducatifs fermés, à fort contenu pédagogique, permettraient d'apporter une réponse adaptée à la délinquance des mineurs, en évitant une incarcération parfois dommageable.

Après avoir observé que l'augmentation du nombre de peines d'emprisonnement prononcées résultait de l'accroissement de la délinquance, M. Jean-Luc Warsmann a estimé qu'il restait un travail important à faire en matière de courtes peines, faisant valoir que le caractère pédagogique de ces dernières dépendait de la rapidité de leur exécution. Il a considéré, à cet égard, qu'une peine de semi-liberté exécutée était préférable à une peine d'emprisonnement ferme non appliquée. Il a estimé que le succès mitigé des travaux d'intérêt général était dû au faible nombre de mesures de ce type prononcées par les juridictions, ainsi qu'à l'absence d'un suivi adapté.

Après avoir indiqué qu'il partageait les préoccupations exprimées par les précédents intervenants, M. Jérôme Lambert a insisté sur l'importance du caractère pédagogique de la peine, regrettant que les centres éducatifs fermés ne répondent qu'à une partie des problèmes posés par la délinquance des mineurs.

En réponse aux différents intervenants, la rapporteure a apporté les précisions suivantes :

-  Les deux premiers établissements du programme 4000 devraient voir le jour à Avignon et Toulouse en 2003, ces établissements remplaçant, en partie, des maisons d'arrêt vétustes existantes. Un établissement devrait également ouvrir ses portes en 2004, l'achèvement du reste du programme étant prévu pour 2005. S'agissant du nouveau programme de construction, les 11 000 places annoncées devraient être réalisées pour 2007.

-  Le décret de grâce présidentiel a permis de faire passer le nombre de personnes incarcérées de 56 000 à 53 680 au 1er octobre, pour une capacité maximale d'environ 60 000 places. Il est cependant indéniable que les efforts annoncés sur l'exécution des peines et le durcissement de la législation pénale risquent de conduire à une augmentation de la population carcérale, qui pourrait être évitée par le recours accru au bracelet électronique et le développement des travaux d'intérêt général.

La Commission a ensuite émis un avis favorable à l'adoption des crédits du ministère de la justice pour 2003 concernant les services pénitentiaires et de la protection judiciaire de la jeunesse.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Emile Blessig, rapporteur pour le projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif aux juges de proximité (n° 242).

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