COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 12

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 26 novembre 2002
(Séance de 14 heures)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

 

pages

- Proposition de loi de MM. Jean-Marc Ayrault, Christophe Caresche, Alain Vidalies et les membres du groupe socialiste visant à protéger certaines catégories d'étrangers des mesures d'éloignement du territoire (n° 380) (M. Christophe Caresche, rapporteur) (rapport)



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- Information relative à la Commission

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Christophe Caresche, la proposition de loi de MM. Jean-Marc Ayrault, Christophe Caresche, Alain Vidalies et les membres du groupe socialiste visant à protéger certaines catégories d'étrangers des mesures d'éloignement du territoire (n° 380).

Le rapporteur a justifié le dépôt de cette proposition de loi par le caractère insuffisamment protecteur de la législation sur les mesures d'éloignement du territoire à l'égard des étrangers sociologiquement, humainement et culturellement liés à la France, qu'il a qualifié de « Français de fait ». Il a admis que des expulsions ou des interdictions du territoire pouvaient être nécessaires lorsque sont en cause des étrangers qui ne possèdent pas de tels liens, dès lors qu'ils ont commis des infractions graves, tout en estimant qu'une réflexion pourrait être également engagée à ce sujet. Il a rappelé, en effet, que la commission présidée, en 1998, par Mme Christine Chanet, avait proposé de réserver les interdictions définitives aux crimes passibles de peines perpétuelles et, s'agissant des infractions au séjour, de ne les prononcer qu'en cas de récidive. Il a insisté sur le fait que les mesures d'éloignement étaient toujours disproportionnées lorsqu'elles portent atteinte à une vie privée et familiale inséparable de notre pays, jugeant inadmissible que la France prétende renvoyer dans des pays qu'ils ne connaissent plus des personnes qui ont certes commis des crimes ou des délits, mais dont le conjoint ou les enfants sont Français. Il a ajouté que ces mesures d'éloignement étaient contraires à plusieurs articles de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, du pacte international sur les droits civils et politiques et de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Le rapporteur a ensuite présenté les principales dispositions de la proposition de loi. S'agissant de l'expulsion, il a rappelé que le régime de protection prévu par l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 pour les personnes entrant dans l'une des catégories manifestant l'existence d'un lien particulier avec la France faisait l'objet de plusieurs exceptions. Il a fait référence, notamment, au fait qu'une expulsion était toujours possible lorsque l'étranger a été condamné à une peine d'emprisonnement au moins égale à cinq ans ou lorsque la mesure d'éloignement constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique. Il a jugé que cette législation était insuffisamment protectrice et qu'il convenait de la renforcer en introduisant un régime de protection absolue pour certaines catégories d'étrangers, sous réserve de deux exceptions, qui concernent les actes d'espionnage et de terrorisme. Il a, par ailleurs, précisé que la proposition de loi complétait la liste des personnes protégées en étendant aux étrangers pacsés depuis au moins un an avec un Français les dispositions en vigueur dont bénéficient les couples mariés.

S'agissant de l'interdiction du territoire prévue par l'article 131-30 du code pénal, le rapporteur a rappelé que le tribunal n'était aujourd'hui soumis qu'à une obligation de motivation spéciale pour prononcer une interdiction du territoire à l'encontre d'un étranger ayant des liens particuliers avec la France. Il a constaté que cette exigence n'était pas suffisamment contraignante, malgré les améliorations apportées par la « loi Réséda » du 11 mai 1998 et la circulaire de la garde des Sceaux du 17 novembre 1999. Il a donc jugé nécessaire d'introduire en matière d'interdiction du territoire, comme pour les expulsions, une protection absolue pour les étrangers liés à la France.

En conclusion, le rapporteur a observé que ce débat sur la double peine était d'autant plus légitime que la législation actuelle accréditait l'idée selon laquelle un délinquant étranger serait inévitablement un futur récidiviste qu'il était préférable d'éloigner à l'issue de sa détention. Il s'est félicité que tant le ministre de l'intérieur que des députés de la majorité aient enfin considéré qu'il était aujourd'hui possible d'en débattre de façon dépassionnée, au-delà des clivages politiques. Il a souligné que les auteurs de la proposition de loi jugeaient également ce débat indispensable et avaient jugé urgent de l'inscrire sans plus attendre à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Après avoir rappelé que la gauche était restée inactive sur le sujet pendant les cinq ans où elle était au pouvoir, M. Jean Leonetti a fait part de la surprise des associations de soutien aux étrangers, qui n'avaient obtenu de la part du Gouvernement socialiste que des fins de non recevoir. Il a souligné que c'était à tort que les mesures d'éloignement du territoire étaient appelées « doubles peines » : établissant un parallèle avec les mesures de suspension de permis de conduire prononcées à l'encontre des chauffards ou les peines d'inéligibilité assortissant la sanction d'infractions commises par les élus, il a estimé qu'il s'agissait dans tous les cas de peines complémentaires, l'objectif n'étant nullement, pour les mesures d'éloignement du territoire, de sanctionner plus sévèrement les étrangers que les nationaux. Tout en admettant que ces mesures pouvaient dans certains cas se révéler contre-productives, puisqu'elles incitaient l'étranger à entrer dans la clandestinité pour pouvoir regagner la France, il a observé qu'une telle législation n'était pas pour autant totalement infondée, comme l'a d'ailleurs fort justement rappelé récemment M. Daniel Vaillant, car elle permet à la France d'assurer une protection de son territoire contre les individus particulièrement dangereux. Estimant ainsi qu'il ne convenait pas de légiférer de manière précipitée, il a considéré que les inconvénients de la loi actuelle tenaient davantage à ses conditions d'application qu'au texte lui-même ; rappelant que le ministre de l'Intérieur avait récemment décidé de mettre en place un groupe de travail consacré à ce sujet, il a jugé tout à fait souhaitable qu'une réflexion puisse être menée sur ses modalités d'application, afin de redéfinir notamment la notion de liens familiaux, en se fondant sur leur ancienneté et, corrélativement, la pertinence de la notion de pays d'origine. Il a souhaité également que soient prises en compte, préalablement au prononcé d'une mesure d'éloignement, les circonstances tenant à l'existence ou non d'une récidive, ainsi qu'à la gravité du délit commis. Plutôt que de légiférer en supprimant purement et simplement ces mesures d'éloignement, comme le propose le groupe socialiste, il a jugé qu'il fallait faire preuve, pour chaque cas, de pragmatisme, en conciliant les principes de fermeté et d'humanité. Il a rappelé que le contrat d'intégration proposé par le Président de la République permettrait à chaque étranger de se voir rappeler les droits et devoirs propres à la situation d'étranger sur le sol français. Il a conclu son propos en considérant qu'il existait des situations bien plus dramatiques encore que celles vécues par ces étrangers délinquants, la compassion dont certains font preuve à leur égard paraissant dans bien des cas disproportionnée.

Estimant que les évènements récents survenus à Lyon étaient imputables à des dysfonctionnements administratifs, M. Alain Marsaud a tout d'abord estimé que la proposition de loi avait pour objet de donner à certains étrangers un traitement égal à celui des français alors même que ceux-ci ne sont pas, en droit, placés sur un pied d'égalité avec les nationaux. Il a rappelé, à titre d'exemple, que les étrangers ne bénéficiaient pas du droit de vote, ne pouvaient pas accéder à la fonction publique ou s'engager dans l'armée. Soulignant qu'il aurait été utile de pouvoir disposer d'éléments statistiques sur les mesures d'éloignement prononcées au cours de ces dernières années, il a fait observer que, dans la plupart des cas, les étrangers concernés étaient des récidivistes qui avaient commis de graves délits de proxénétisme ou de trafic de stupéfiants. Il a estimé qu'il était normal que le droit pénal soit plus rigoureux à leur égard et qu'il ne fallait pas mettre certaines affaires en exergue pour condamner le principe de la double peine. Enfin, il a rappelé que, si les procureurs pouvaient requérir l'interdiction du territoire, celle-ci était prononcée par les magistrats du siège, parfois de leur propre initiative, et qu'en conséquence, il était abusif de prétendre que le précédent Gouvernement avait tenté d'empêcher le prononcé de l'ensemble des mesures d'éloignement.

Après avoir fait observer que l'examen de la proposition de loi avait lieu le même jour que la discussion en séance publique d'un texte relatif au vote des étrangers en France, M. Guy Geoffroy a insisté sur le risque de faire croire à l'opinion, au prix de quelques raccourcis, qu'il valait mieux, au regard de l'application des règles de droit, être résident étranger que d'obtenir la nationalité française. Il a affirmé avec force la nécessité de maintenir un lien clair entre nationalité et citoyenneté, sous peine de décourager ceux qui souhaitaient obtenir la nationalité française pour exercer tous les droits qui sont attachés à cette qualité.

M. Alain Vidalies s'est dit surpris des propos tenus par les membres de la majorité et a estimé nécessaire de rendre absolue une règle de droit qui était devenue, dans cette matière, relative. A ce titre, il a regretté que la loi en vigueur, par les ambiguïtés qu'elle contenait, puisse être appliquée de manière différenciée, comme c'était le cas autrefois avec la notion de trouble à l'ordre public, et conduise à des situations humainement intolérables. En outre, il s'est étonné que le ministre de l'Intérieur, qui jugeait lui-même nécessaire de modifier la loi, puisse se contenter de prendre, pour régler ces situations, des arrêtés d'assignation à résidence avec autorisation de travailler.

Le président Pascal Clément a estimé que la proposition de loi, tout comme celle tendant à accorder aux étrangers le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales, reposait sur le principe, éminemment contestable, selon lequel il existerait des « Français de fait », faisant valoir que ces textes conduiraient à établir un statut de l'étranger se rapprochant fortement du statut du citoyen français. Tout en reconnaissant que l'actualité récente justifiait un réexamen du dispositif actuel, il a tenu à rappeler que l'interdiction du territoire français ne présentait aucun caractère automatique, étant laissée à la libre appréciation des magistrats du siège. Il a observé qu'il s'agissait avant tout d'une mesure de sûreté publique, même si elle a pu être utilisée dans certains cas pour aggraver la sanction applicable. Après avoir également évoqué le groupe de travail constitué par le ministre de l'Intérieur, il a considéré que les travaux de ce dernier devraient être inspirés par la volonté de conserver à l'interdiction du territoire français son caractère de mesure de sûreté publique, tout en prenant en compte la situation des étrangers vivant depuis de nombreuses années sur le sol national.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  Le rapport réalisé par Mme Christine Chanet en 1998 à la demande de Mme Elisabeth Guigou, alors garde des sceaux, sur les peines d'interdiction du territoire, a révélé une mauvaise application des dispositions législatives en vigueur et suggéré la modification de certaines pratiques, l'évolution du cadre législatif ne devant être envisagée que dans un second temps. Cette réforme législative est aujourd'hui nécessaire. En effet, si la loi du 11 mai 1998 et la circulaire du 17 novembre 1999 édictée par la ministre de la Justice ont illustré la volonté du précédent gouvernement de limiter les mesures d'éloignement aux seuls cas de dangerosité extrême, la pratique demeure encore éloignée des intentions du législateur : alors que celui-ci avait souhaité protéger l'étranger condamné dès lors qu'il relevait de certaines catégories qui manifestent l'existence d'un lien particulier avec la France, force est de constater le défaut de motivation des décisions intervenant en la matière et les inconvénients de l'absence de contenu précis de la notion de « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'État ou la sécurité publique », qui permet de déroger au régime de protection. Au demeurant, les récentes prises de position du ministre de l'Intérieur confirment la nécessité de légiférer sur cette question, les mesures individuelles qu'il a prises ne demeurant qu'un palliatif contestable, puisqu'elles ne concernent pas tous les individus ayant fait l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire revêtant un caractère disproportionné.

-  L'expression « double peine » se justifie par le fait qu'il s'agit de la seule peine complémentaire qui n'est applicable qu'aux étrangers.

-  Loin d'exprimer une quelconque compassion à l'égard des étrangers qui se seraient rendus coupables d'actes de délinquance, la proposition qui est faite à l'Assemblée nationale de revoir le régime des mesures d'éloignement du territoire remet en cause la légitimité même des décisions renvoyant dans leur pays d'origine des personnes qui n'y ont plus d'attaches.

A l'issue de la discussion générale, la Commission a décidé de ne pas procéder à l'examen des articles et, en conséquence, de ne pas formuler de conclusions.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Pierre Lellouche, rapporteur pour la proposition de loi de MM. Pierre Lellouche et Jacques Barrot visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste et à renforcer l'efficacité de la procédure pénale (n° 350).

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