COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 13

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 4 décembre 2002
(Séance de 9 heures 30)

Présidence de M. Xavier de Roux, vice-président

SOMMAIRE

Proposition de loi de MM. Pierre Lellouche et Jacques Barrot visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste et à renforcer l'efficacité de la procédure pénale (n° 350) (M. Pierre Lellouche, rapporteur) (rapport).

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Pierre Lellouche, la proposition de loi de MM. Pierre Lellouche et Jacques Barrot visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste et à renforcer l'efficacité de la procédure pénale (n° 350).

Le rapporteur a observé que, malgré une diminution notable au cours des derniers mois, la France se trouvait confrontée depuis deux ans à une vague d'infractions à caractère raciste, qui rappelle certaines heures sombres de la République et estimé que l'importance et la gravité de ces actes étaient liées à l'actualité française et internationale, relevant notamment l'augmentation très importante des actions antisémites observées depuis octobre 2000, date de la seconde intifada. Soulignant que la plupart des exactions recensées prenaient pour cible des lieux de culte ou de souvenir ainsi que des établissements d'enseignement, il a déploré que l'école soit devenue le théâtre privilégié de la « nouvelle judéophobie », selon les termes de Pierre-André Taguieff , et recommandé la lecture du livre intitulé « Les territoires perdus de la République », qui décrit une enquête menée auprès de professeurs de l'enseignement secondaire d'académies de la région parisienne. Il a indiqué que cette nouvelle judéophobie, d'extension planétaire, se fondait sur un amalgame polémique entre juifs, israéliens et sionistes, et que son élément fédérateur, qui rassemble les milieux extrémistes de droite comme de gauche, était la haine de l'État d'Israël : on peut aujourd'hui, dans certains milieux progressistes, être ouvertement antisémite, avec la bonne conscience de l'antisionisme, devenu synonyme de lutte contre le racisme. Il a estimé qu'au delà des victimes elles-mêmes, ces actes portaient atteinte au fondement même de la République qui, au terme de l'article 1er de la Constitution, doit assurer le respect de toutes les croyances et l'égalité devant la loi sans distinction d'origine, de race ou de religion.

Soulignant que ces agressions ternissaient l'image de notre pays dans le monde en faisant apparaître les Français comme un peuple raciste, antisémite et xénophobe, alors que ces actes ne sont le fait que d'une minorité qui ne se reconnaît pas dans les valeurs de la République, il a insisté sur la nécessité de les combattre, en commençant par la reconquête de l'école républicaine, qui ne doit plus être le champ clos d'un racisme au quotidien.

Tout en soulignant la nécessité d'appliquer les textes en vigueur, notamment en donnant instruction aux procureurs de poursuivre systématiquement les actes de cette nature, il a jugé indispensable de compléter l'arsenal législatif, qui se limite aujourd'hui à la répression des discriminations et des délits commis par voie de presse, pour sanctionner comme telles les infractions à caractère raciste. Il a précisé que le texte proposé aurait vocation à s'appliquer à l'ensemble des comportements racistes, y compris au racisme « anti-français », de plus en plus répandus dans certains quartiers. Il a observé que ce texte constituait, de surcroît, une transposition anticipée d'une proposition de décision-cadre demandant que la motivation raciste constitue une circonstance aggravante pour la détermination des peines applicables et permettrait à la France de rattraper son retard en alignant sa législation sur celle de nombreux pays étrangers, comme le Royaume-Uni, l'Italie, le Portugal ou le Canada, qui prennent déjà en compte les éventuelles motivations racistes de l'auteur de l'infraction. Il a expliqué que le dispositif proposé était volontairement limité et n'abordait pas d'autres sujets importants, comme l'allongement du délai de prescription pour les délits à caractère raciste commis par voie de presse, ainsi que la répression des agressions homophobes, qui devront être traités de manière distincte.

Présentant le dispositif soumis à la Commission, le rapporteur a souligné que celui-ci, outre quelques aménagements purement formels apportés à la proposition de loi initiale, donnait au juge les éléments lui permettant d'apprécier le caractère raciste de l'infraction, en insérant dans la partie générale du code pénal un nouvel article 132-76, qui précise que la circonstance aggravante de racisme est constituée lorsque l'infraction a été précédée, accompagnée ou suivie de propos ou d'actes à caractère raciste. Tout en reconnaissant que cette définition ne permettrait pas de couvrir toutes les infractions racistes, il a estimé préférable de ne pas l'élargir en indiquant que la circonstance aggravante est constituée en l'absence de motifs autres que le racisme pour expliquer la commission de l'infraction, cet ajout soulevant des difficultés constitutionnelles et risquant de conduire à des dérives difficilement contrôlables. Il a enfin souligné que le texte proposé modifiait également les sanctions encourues, afin de les adapter à l'échelle des peines figurant dans le code pénal.

En conclusion, le rapporteur a fait part de sa fierté de présenter un texte législatif dont la portée dépasse largement le simple cadre juridique et qui, accompagné d'une action pédagogique adaptée, contribuera à restaurer la cohésion sociale dans notre pays.

Saluant la sagesse et la détermination du rapporteur et considérant que ce texte tenait compte de l'évolution préoccupante de notre société en matière d'actes racistes, M. Guy Geoffroy a souhaité son adoption unanime par les deux assemblées, afin qu'en soit renforcée la valeur symbolique. Insistant sur la nécessité d'assortir toute politique de répression d'un volet préventif, particulièrement important face aux dérives comportementales, notamment des jeunes, en ce domaine, il a jugé indispensable d'organiser une importante campagne de sensibilisation à leur intention, menée non seulement par le ministère de l'éducation nationale mais également par les autres institutions qui sont en rapport avec eux. Rappelant que les juridictions pour enfants ne se réunissaient pas aussi facilement que les tribunaux correctionnels, il a exprimé des réserves sur le dernier article du texte, qui prévoit la comparution immédiate des mineurs ayant commis ces délits. Relevant que la procédure de jugement à délai rapproché prévue par la loi du 9 septembre 2002 était adaptée à la répression des actes de caractère raciste, il a redouté que la disposition prévue par le rapporteur encoure la censure du Conseil constitutionnel sur le fondement des principes qu'il a dégagés dans sa décision du 29 août dernier. Souhaitant néanmoins que de tels actes soient sanctionnés avec la plus grande diligence, il a suggéré que des instructions soient données aux chefs d'établissement pour qu'ils ordonnent l'éviction des mineurs qui s'en seraient rendus coupables.

Se déclarant favorable à l'adoption de la proposition de loi, M. Claude Goasguen a regretté l'application peu satisfaisante des dispositions en vigueur sanctionnant les actes racistes. Tout en saluant la portée du texte, qui concerne toutes les communautés, il a considéré qu'il soulevait cependant certaines difficultés juridiques. Pour lui, même si la notion de circonstances aggravantes est définie à l'aide de critères objectifs, l'appréciation subjective du juge est susceptible d'en affaiblir la portée. Tout en jugeant inévitable de faire référence à la notion de race, il a souligné les difficultés auxquelles elle peut se heurter. Relevant l'application extensive qui pourrait être faite des dispositions de cette loi, notamment par les sectes, il a insisté sur la vigilance dont devront faire preuve les tribunaux dans son application. Opposé à la disposition prévoyant la comparution immédiate des mineurs ayant commis de tels actes, il a demandé au rapporteur de la retirer, afin de permettre une adoption unanime du texte. Enfin, insistant sur le travail de nature pédagogique qui devrait accompagner le vote de cette loi, il a estimé que l'éducation constituait le meilleur rempart contre la commission d'actes racistes.

Après avoir rappelé qu'il avait été à la fois cosignataire et rapporteur de la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, dont l'objet portait principalement sur le droit du travail, M. Philippe Vuilque a déclaré partager les préoccupations exprimées par le rapporteur sur la nécessité de renforcer la législation en matière d'infractions à caractère raciste ; il a exprimé sa satisfaction à l'égard de la rédaction retenue, qui reprend en partie les termes de la loi de 2001. Évoquant ensuite la proposition de décision-cadre de la Commission européenne en date du 28 novembre 2001, il a souligné que le texte du rapporteur s'inscrivait dans le cadre des recommandations européennes en matière de renforcement de la lutte contre le racisme et la xénophobie. Il a rappelé que le groupe socialiste avait déposé un amendement au projet de loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République afin de supprimer, à l'article premier de la Constitution, la référence au mot « race », cette notion étant fréquemment invoquée par les extrémistes pour contrer les arguments scientifiques et juridiques prouvant l'inexistence des races. Tout en déclarant avoir pris note des précisions apportées par le rapporteur sur un futur texte destiné à réprimer les injures homophobes, il a plaidé pour l'inscription dans la proposition de loi des infractions à caractère homophobe, tant la lutte contre cette nouvelle forme de discrimination apparaît urgente et indispensable. Opposé à la disposition relative à la comparution immédiate des mineurs de plus de quinze ans ayant commis une infraction à caractère raciste, il a estimé qu'une telle disposition irait à l'encontre de l'objectif de la proposition de loi, en créant une discrimination pour les seules infractions de cette nature, la procédure de comparution immédiate étant rendue inapplicable aux mineurs par l'article 397-6 du code de procédure pénale.

Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud a déclaré partager les propos du rapporteur et ceux de M. Guy Geoffroy sur l'indispensable communication en matière de racisme. Elle a exprimé le souhait que les termes d'antisémitisme et de xénophobie figurent dans le titre de la proposition de loi et s'est déclarée favorable à la suppression de la comparution immédiate pour les mineurs.

M. Jean-Pierre Soisson a également souhaité le retrait de la disposition relative à la comparution immédiate des mineurs, qui affaiblirait la portée du texte tout en présentant de sérieux risques constitutionnels. S'agissant de la lutte contre l'homophobie, il a jugé peu souhaitable d'inclure les infractions correspondantes dans la proposition de loi, dont l'objet est différent. Réagissant aux propos de M. Philippe Vuilque, il a admis que le terme « race » figurant dans la Constitution était inadéquat ; il a cependant relevé qu'il faudrait revoir tout l'édifice juridique, tâche qui excède le cadre de la proposition de loi.

Citant l'article premier de la Constitution, qui prohibe toute discrimination fondée sur la race, M. Xavier de Roux a souligné qu'une éventuelle suppression de cette notion, au demeurant déjà rejetée dans le cadre de la révision constitutionnelle en cours, ne constituerait pas un moyen satisfaisant pour lutter contre les infractions racistes.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  Il est satisfaisant de constater que la proposition de loi transcende les clivages politiques et réunit tous ceux qui sont animés d'un même esprit républicain.

-  Comme l'a souligné M. Guy Geoffroy, un effort de pédagogie au sein des établissements scolaires est particulièrement nécessaire et devra être relayé par tous les moyens de communication disponibles. La proposition de loi n'a pas seulement un objet répressif, mais poursuit surtout un but préventif, tant il est nécessaire de détruire les ferments de la guerre ethnique et religieuse qui se développent à l'intérieur de nos frontières.

-  La proposition de loi ne saurait s'analyser comme un texte visant à protéger une communauté contre une autre, mais plutôt à sanctionner l'ensemble des agressions intentées contre des nationaux ou des résidents pour des motifs xénophobes, racistes et antisémites. La société française s'est montrée trop complaisante à l'égard de telles agressions : les médias n'en parlent que très rarement, les autorités policières refusent fréquemment d'enregistrer les plaintes et le parquet n'engage pas les poursuites nécessaires. Alors que plusieurs centaines d'agressions se sont produites après la seconde Intifada, moins d'une dizaine de plaintes ont été enregistrées. Il conviendrait que le garde des Sceaux donne les instructions nécessaires à la poursuite de ces infractions.

-  Même si le mot race figure dans l'article premier de la Constitution, il serait souhaitable de faire usage d'une autre terminologie, qu'il reste à élaborer, et de revoir le droit en vigueur sur ce point.

-  Comme la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, la proposition de loi permettra de satisfaire les exigences du droit communautaire.

-  La question de l'inclusion des infractions à caractère homophobe dans la proposition de loi s'est posée, du fait de leur recrudescence en Province comme à Paris. Toutefois, elle aurait été de nature à affaiblir le dispositif ; de surcroît, le Gouvernement devrait proposer des dispositions concernant les agressions à caractère homophobe.

-  La disposition consistant à étendre la procédure de comparution immédiate pour les délits commis par les mineurs ayant atteint l'âge de quinze ans avait un objectif pédagogique : il s'agissait de juger rapidement les jeunes qui commettent des infractions sous l'emprise des images qu'ils voient à la télévision, afin de leur faire comprendre la gravité de leurs actes avant qu'ils ne les aient oubliés. Pour tenir compte des objections auxquelles elle se heurte, cette disposition sera retirée du texte de la proposition de loi.

-  Comme l'a souligné Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud, il serait opportun de modifier le titre de la proposition de loi pour que celui-ci ne vise pas uniquement les infractions à caractère raciste, mais aussi celles à caractère xénophobe et antisémite.

La Commission est ensuite passée à l'examen du texte proposé par le rapporteur.

Elle a rejeté sept amendements présentés par M. Patrick Braouzec tendant à supprimer le mot « race » du dispositif proposé, le rapporteur ayant rappelé que cette expression, aussi contestable soit-elle, figurait déjà dans de nombreux textes. Elle a également rejeté cinq amendements de M. Philippe Vuilque étendant l'aggravation des peines aux infractions commises en raison de l'orientation sexuelle de la victime.

La Commission a ensuite été saisie d'un amendement de Mme Joëlle Ceccaldi-Raynaud modifiant le titre de la proposition de loi afin de mentionner également les infractions à caractère antisémite et xénophobe. M. Xavier de Roux a estimé cette proposition redondante, l'intitulé actuel, qui vise les infractions racistes, couvrant également ce type d'infractions, et souligné que le code pénal ne mentionnait que les infractions commises à raison de l'appartenance vraie ou supposée des victimes à une ethnie ou à une race. Après que le rapporteur eut souligné qu'il ne s'agissait pas de modifier le contenu de la proposition de loi, mais seulement son titre, et rappelé que l'intitulé de la loi du 13 juillet 1990 visait spécifiquement les infractions à caractère antisémite et xénophobe, la Commission a adopté l'amendement. Elle a également adopté, par coordination avec le retrait des dispositions sur la comparution immédiate des mineurs, un amendement du rapporteur supprimant, dans l'intitulé de la proposition de loi, la référence au renforcement de l'efficacité de la procédure pénale.

La Commission a ensuite adopté à l'unanimité l'ensemble de la proposition de loi ainsi modifiée.

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