COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 14

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 11 décembre 2002
(Séance de 10 heures)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

 

pages

- Projet de loi constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt européen (n° 378) (rapport)

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- Projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif aux juges de proximité (n° 242) (rapport)

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- Information relative à la Commission

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Xavier de Roux, le projet de loi constitutionnelle relatif au mandat d'arrêt européen (n° 378)

Après avoir rappelé que l'objet du projet de loi constitutionnelle était d'autoriser la transposition en droit interne de la décision-cadre du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États-membres, le rapporteur a expliqué que cette nouvelle procédure permettrait de remplacer le système actuel de l'extradition par un mécanisme purement judiciaire imposant à chaque autorité judiciaire nationale d'accéder, avec des contrôles minimum, à la demande de remise d'une personne formulée par l'autorité judiciaire d'un autre État-membre. Il a observé que le mandat d'arrêt européen pourrait être utilisé pour exiger la remise par les États-membres de leurs propres ressortissants, ajoutant qu'il permettrait également d'écarter la règle de la double incrimination - selon laquelle les faits à l'origine de la demande doivent constituer une infraction dans les deux États parties - pour une liste de trente-deux infractions graves punies d'au moins trois ans d'emprisonnement. Il a tenu néanmoins à souligner que le dispositif proposé, tout en contribuant à renforcer la lutte contre la criminalité organisée, préserverait les droits individuels de la personne recherchée, citant le considérant n° 12 du préambule de la décision-cadre, qui autorise le refus d'exécution du mandat européen lorsque celui-ci a été émis dans le but de poursuivre une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de ses orientations sexuelles.

Évoquant l'avis rendu par le Conseil d'État le 26 septembre dernier, il a indiqué que celui-ci avait estimé que les dispositions de la décision cadre ne permettaient pas de garantir le principe fondamental reconnu par les lois de la République, selon lequel l'État doit se réserver le droit de refuser l'extradition pour les infractions qu'il considère comme politiques, conduisant ainsi le Gouvernement à déposer le présent projet de loi constitutionnelle. Tout en reconnaissant que l'on pouvait s'interroger sur l'utilité d'une telle révision constitutionnelle, le considérant n° 12 du préambule, adopté à la demande des représentants français, pouvant être interprété comme permettant de refuser la remise pour des infractions politiques, il a estimé préférable de suivre les recommandations du Conseil d'État.

Abordant la rédaction de l'article unique du projet de loi constitutionnelle, il a observé que celle-ci, en faisant référence aux décisions-cadres prises par le Conseil de l'Union européenne, inscrivait dans la Constitution une catégorie d'actes qui risquait d'être remise en cause par les négociations actuelles sur l'avenir institutionnel de l'Union européenne. Il a donc proposé à la Commission une nouvelle rédaction de cet article, qui supprime toute référence à la procédure des décisions-cadres, observant que cette nouvelle rédaction présentait néanmoins l'inconvénient de valider a priori les éventuelles modifications apportées à la procédure du mandat d'arrêt européen.

Tout en exprimant son accord avec l'évolution des normes européennes, qui contribue à rendre plus effective l'exécution des décisions de justice, le président Pascal Clément s'est interrogé sur l'utilité de la révision constitutionnelle proposée. Il a regretté, à cet égard, que le Conseil d'État érige de nouveaux principes constitutionnels, estimant que la juridiction administrative devait se limiter à appliquer les règles constitutionnelles dégagées par le Conseil constitutionnel. Évoquant la rédaction de l'article unique, il a jugé souhaitable, comme le rapporteur, de faire disparaître toute référence à la procédure de décision-cadre, qui risque de devenir bientôt obsolète, et fait valoir que le projet de loi initial, en renvoyant à la pluralité des décisions-cadres, validait également a priori les modifications qui seraient ultérieurement apportées au mandat d'arrêt européen.

M. Gérard Léonard s'est interrogé sur la portée que pouvaient ainsi revêtir les avis du Conseil d'État, estimant que, dans ce cas précis, le législateur n'était pas tenu de suivre les observations de la juridiction administrative, qui ne s'est pas contentée d'appliquer les principes dégagés par le Conseil constitutionnel, mais a examiné un texte au regard de ses propres normes constitutionnelles. Tout en jugeant nécessaire de suivre les évolutions institutionnelles européennes, il a regretté que la loi fondamentale devienne aussi instable, estimant que cette révision constitutionnelle inutile contribuait à cette dérive. Après avoir jugé inadaptée la rédaction initiale de l'article unique, il a approuvé celle proposée par le rapporteur, observant néanmoins qu'elle présentait l'inconvénient de rendre constitutionnelles de futures modifications du dispositif relatif au mandat d'arrêt européen.

Tout en déclarant partager certaines réserves exprimées par M. Gérard Léonard, le rapporteur a jugé plus prudent de s'en tenir à l'avis du Conseil d'État. Après avoir rappelé qu'il avait, dans un premier temps, envisagé de faire référence à la seule décision-cadre du 13 juin 2002, il a observé que cette solution, de portée très limitée, n'était pas adaptée à la solennité de la loi fondamentale.

La Commission a ensuite rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 et la question préalable n° 1 présentées par M. Alain Bocquet et les membres du groupe des député-e-s Communistes et Républicains.

Puis, elle a adopté l'amendement présenté par le rapporteur proposant une nouvelle rédaction de l'article unique.

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Émile Blessig, le projet de loi organique, adopté par le Sénat, relatif aux juges de proximité (n° 242).

Après avoir rappelé que la loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice avait institué des juridictions de proximité, M. Emile Blessig, rapporteur, a indiqué que, dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel avait validé la création de juridictions composées de juges non professionnels tout en précisant qu'elles ne pourraient être mises en place qu'une fois promulguée une loi relative au statut de ses membres comportant des garanties de nature à satisfaire au principe d'indépendance et aux exigences de capacité qui découlent de l'article 6 de la Déclaration de 1789. Après avoir rappelé que le transfert aux juridictions de proximité d'une part limitée du contentieux des tribunaux d'instance allégerait la charge de ces derniers et que ces nouvelles juridictions permettraient de rapprocher la justice des citoyens, il a indiqué que le projet de loi s'inspirait largement des dispositions du statut de la magistrature applicables aux magistrats exerçant à titre temporaire les fonctions de juge d'instance ou d'assesseur de tribunaux de grande instance, en autorisant notamment, sous certaines conditions, l'exercice concomitant de fonctions juridictionnelles et d'une activité professionnelle.

Évoquant tout d'abord les conditions de recrutement des juges de proximité, il a rappelé que le texte initial privilégiait le recrutement de personnes présentant une formation et une expérience juridiques de haut niveau, mais que le Sénat, souhaitant élargir le vivier des candidatures et prenant en compte la spécificité du contentieux des juridictions de proximité, ainsi que les qualités autres que strictement juridiques requises pour l'exercice de ces fonctions, avait porté de trente à trente-cinq ans l'âge minimal requis pour exercer ces fonctions et élargi les conditions de recrutement aux personnes ayant vingt-cinq ans d'expérience de fonctions de direction ou d'encadrement dans les domaines juridique, administratif, économique ou social, aux fonctionnaires de catégorie A et équivalents, aux conciliateurs de justice, ainsi qu'aux assesseurs des tribunaux pour enfants. Tout en se déclarant favorable à l'élargissement des conditions de recrutement, il a indiqué qu'il proposerait des amendements tendant à recentrer le recrutement sur des profils de candidats adaptés aux missions imparties aux juges de proximité. Il a toutefois estimé que les modifications apportées aux critères de recrutement n'étaient pas sans incidence sur la formation dispensée avant l'entrée en fonction des juges de proximité. Rappelant que le texte initial, fondé sur le recrutement de personnes ayant une formation et une expérience juridiques, ne prévoyait pas de formation à caractère probatoire, il a jugé nécessaire, notamment à la lumière de l'échec du recrutement des magistrats exerçant à titre temporaire, souvent imputé à l'absence de formation probatoire, d'autoriser le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) à soumettre les candidats à une telle formation, tout en précisant que l'ensemble des magistrats de proximité suivront une formation théorique et pratique.

Évoquant ensuite les garanties statutaires prévues dans le projet de loi organique, il a précisé que les juges de proximité seraient soumis au statut de la magistrature et, à ce titre, se verraient notamment appliquer ses règles disciplinaires. Il a indiqué que les dérogations à ce statut - la principale d'entre elles étant la possibilité d'exercer parallèlement une activité professionnelle - étaient strictement encadrées, le texte interdisant aux membres d'une profession libérale d'exercer leurs fonctions dans une juridiction du ressort du tribunal de grande instance où ils ont leur domicile professionnel, les obligeant à informer le président du tribunal de grande instance en cas de changement d'activité professionnelle, et prévoyant le renvoi de l'affaire à un autre juge en cas de conflits d'intérêts. Après avoir indiqué que les règles déontologiques avaient été renforcées par le Sénat afin d'assurer une séparation claire entre l'exercice des fonctions juridictionnelles et l'activité professionnelle, les juges de proximité ne pouvant faire état de leur qualité dans l'exercice de celle-ci et l'incompatibilité géographique applicable aux membres des professions libérales ayant été étendue à leurs salariés, il a jugé nécessaire, afin de garantir l'indépendance de ces juges, de ne pas autoriser le renouvellement de leurs fonctions et de revenir sur ce point au texte initial.

Le rapporteur a enfin évoqué les relations entre le tribunal d'instance et les nouvelles juridictions de proximité, dont il a souligné l'importance pour assurer le succès de la réforme. Rappelant que la juridiction de proximité exercera une part limitée des compétences du tribunal d'instance, obéira aux mêmes règles de procédure, partagera les mêmes locaux, ainsi que les services de leur greffe, et soulignant que le juge d'instance palliera l'absence ou l'empêchement du juge de proximité et statuera à la demande de celui-ci sur les affaires présentant une difficulté juridique sérieuse, il a souhaité que soit renforcée la place du juge d'instance, juge professionnel, dans l'organisation et le fonctionnement quotidien de la juridiction de proximité.

Le président Pascal Clément a estimé que la décision du Conseil constitutionnel sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice, concernant en particulier la capacité requise pour exercer les fonctions de juge de proximité, ainsi que les garanties d'indépendance, permettaient d'éclairer l'examen du projet de loi organique, de même que les travaux du Sénat saisi en premier de ce texte.

Rappelant que, lors de la discussion de la loi d'orientation pour la justice, certains députés de la majorité avaient qualifié l'institution du juge de proximité « d'objet juridique non identifié », M. André Vallini a réitéré son opposition à un texte qui relève, à l'origine, d'une proposition démagogique du candidat Jacques Chirac, et, qui, en dépit des tentatives de la Chancellerie, reste profondément incohérent. Citant les propos du Garde des Sceaux, qui avait exprimé sa préférence personnelle pour un renforcement des moyens des tribunaux d'instance, il a considéré qu'il existait effectivement un consensus pour développer une justice de proximité, sans que cela se traduise pour autant par la création d'une nouvelle juridiction. Faisant état de la vive opposition exprimée par l'Association nationale des conciliateurs de justice, il a souligné que ce projet s'inscrivait à rebours des évolutions européennes, caractérisées par un renforcement des procédures de médiation et de conciliation. Après avoir rappelé que les délais de jugement dans les tribunaux d'instance étaient inférieurs à ceux des autres juridictions, il a estimé que ces tribunaux fonctionnaient bien et avaient simplement besoin de moyens renforcés. Il s'est en conséquence opposé à un projet coûteux et qui n'apporterait pas de réponse aux problèmes qu'il est censé résoudre. Rappelant les propos du rapporteur sur les dangers et lacunes que comportait le dispositif initial, il a jugé que le nombre d'amendements déposés était tout à fait révélateur de l'inquiétude des députés de la majorité face à un texte mal préparé et mal rédigé.

M. Gérard Léonard a jugé inutilement polémiques les propos de M. André Vallini, estimant contradictoire de qualifier un projet d'inutile et dangereux. Rappelant que le Sénat avait assoupli le dispositif initial, il a déclaré partager, compte tenu des réactions des syndicats, le point de vue du rapporteur sur la nécessité de revenir, sur plusieurs points, au texte initial. Il a cependant fait part de ses interrogations sur un dispositif, qui, s'il était trop restrictif, aurait pour effet de décourager les candidatures, et de priver, par là même, le texte de toute effectivité.

Le président Pascal Clément a convenu de la difficulté d'établir un équilibre entre la mise en place de garanties suffisantes et la nécessité de ne pas assécher le vivier de candidatures.

Après avoir déclaré partager les interrogations et les critiques formulées, M. Jérôme Lambert a souhaité avoir des précisions sur le régime des incompatibilités des juges de proximité, notamment au regard des mandats politiques locaux.

M. Jean-Paul Garraud a reconnu que la réforme proposée suscitait des remous dans le corps judiciaire et ajouté que les assemblées générales réunies dans les tribunaux et cours d'appel témoignaient d'une relative incompréhension des magistrats à l'égard de l'action politique menée en la matière. Il a ensuite évoqué la question des garanties de recrutement et de formation, qu'il a estimées fondamentales pour le succès de la réforme. A cet égard, il a jugé nécessaire de prévoir une formation probatoire pour les juges de proximité, mettant en exergue l'échec de la réforme adoptée en 1995 pour instituer des magistrats à titre temporaire : alors que la mise en place de ceux-ci avait débuté sous les meilleurs auspices, un amendement sénatorial adopté en 1998 avait ôté à la formation son caractère probatoire et signé ainsi l'arrêt de mort de cette réforme en privant le CSM de la faculté de juger des candidats, puisqu'il devait les nommer avant la période de formation. C'est pourquoi il a estimé nécessaire de prévoir une formation probatoire pour les juges de proximité, ajoutant que, dans la mesure où les candidats qui ne la réussiraient pas auraient la possibilité de reprendre leurs activités professionnelles antérieures, une telle formation ne tarirait pas le vivier de candidats, d'ailleurs déjà fort nombreux.

Évoquant enfin le problème du positionnement des juges de proximité par rapport aux juges d'instance, source principale des réticences soulevées par le texte, il a proposé qu'à l'instar du rôle d'organisation reconnu au président du tribunal de grande instance au sein de sa juridiction, le juge d'instance se voie reconnaître le pouvoir de fixer l'organisation de l'activité des juges de proximité. Il a estimé que, de la sorte, un lien clair, n'impliquant cependant aucune subordination, serait établi entre les juges de proximité et les juges d'instance, en cohérence avec l'objectif de la réforme qui visait à renforcer les tribunaux d'instance, à leur permettre de se recentrer sur les affaires les plus importantes et à réduire les délais de jugement.

M. Xavier de Roux, jugeant qu'il s'agissait là du cœur du débat, a estimé que la mise en place de la justice de proximité ne relevait pas de la même logique que les réformes relatives aux juges vacataires ou auxiliaires, dans la mesure où son fondement reposait sur le concept du « citoyen juge », à l'encontre du corporatisme judiciaire et dans la lignée de l'esprit initial des institutions républicaines. S'agissant de la réforme avortée des magistrats à titre temporaire, il a rappelé que treize d'entre eux seulement avaient été nommés par le CSM, de telle sorte qu'une loi votée par le Parlement avait ainsi été mise en échec.

Regrettant que l'opposition se réfugie à nouveau dans la dérision pour masquer son embarras à l'égard d'une initiative pourtant évoquée dans les promesses faites par M. Lionel Jospin lors de la campagne pour l'élection présidentielle, M. Guy Geoffroy s'est étonné des critiques formulées par l'opposition, qui dénonçait l'absence d'autonomie de la majorité parlementaire lorsque les projets de loi ne faisaient pas l'objet d'amendements, mais stigmatisait l'absence de cohésion de la majorité lorsque ses représentants amendaient les projets de loi. Il a estimé au contraire que les débats sur l'instauration de la justice de proximité reflétaient le travail approfondi de la représentation nationale.

Sur le fond, s'il a convenu de la nécessité pour le législateur d'être attentif aux préoccupations exprimées, il a néanmoins souligné l'obligation, pour les représentants de la nation, d'écouter le peuple qui les avait désignés. A cet égard, il a fait valoir que nos concitoyens avaient exprimé une attente très forte en faveur d'une justice plus proche et plus rapide. Il s'est élevé contre les amalgames réducteurs dénonçant tantôt la confusion entre les missions du juge d'instance et celles du juge de proximité, tantôt la disparition programmée des conciliateurs de justice. A ce sujet, il a rappelé qu'au cours des auditions menées par M. Jean-Luc Warsmann dans le cadre de l'examen de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, les conciliateurs ne s'étaient nullement prononcés contre l'instauration de juges de proximité, mais avaient seulement demandé des garanties concernant leur propre existence. Il a estimé que tel était précisément l'objet de la réforme, qui tendait, en cas d'échec de la conciliation, à permettre au justiciable de s'adresser à un juge accessible. Il a rappelé que l'instauration de la justice de proximité ne remettait nullement en cause l'existence et le rôle de la justice des mineurs, les juges de proximité n'ayant compétence que pour les quatre premières classes de contraventions commises par ceux-ci.

M. Jacques-Alain Bénisti a rappelé que l'instauration des juges de proximité, annoncée par le président de la République, répondait au souhait d'une justice plus rapide et plus efficace, la longueur des délais de jugement ayant pour effet de dissuader les citoyens d'intenter des actions pour défendre leurs droits, et les conciliateurs ne parvenant à dénouer le contentieux que dans un cas sur deux.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a précisé que les dispositions du statut de la magistrature rendant incompatible l'exercice simultané de fonctions juridictionnelles et électives s'appliqueraient également aux juges de proximité. Après avoir contesté l'interprétation faite par M. André Vallini de ses propos, il a souligné l'importance des garanties statutaires pour les juges de proximité, faisant valoir que tout litige, même d'un montant modeste, revêtait toujours une grande portée aux yeux du justiciable. Estimant que, face aux attentes exprimées par les citoyens en matière de justice, le législateur avait le choix entre l'augmentation des moyens et des effectifs sans modification des structures - option qu'il a jugée conservatrice - et la mise en œuvre d'une réponse innovante, il a jugé que la création des juridictions de proximité constituait la solution la plus adaptée à l'objectif poursuivi.

Après avoir rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 et la question préalable n° 1 présentées par M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste, la Commission est passée à l'examen des articles du projet de loi organique.

Article premier (chapitre V de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958) : Statut des juges de proximité :

-  Article 41-17 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 : Conditions de recrutement des juges de proximité :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur tendant à indiquer clairement que les compétences attribuées à des personnes n'exerçant que temporairement des fonctions juridictionnelles ne représentent qu'une part limitée de celles qui sont dévolues aux magistrats de carrière, afin de tenir compte des exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision 29 août 2002 relative à la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

La Commission a examiné deux amendements présentés respectivement par le rapporteur et par M. Jean-Paul Garraud, relatifs à la limite d'âge minimale requise pour l'exercice des fonctions de juge de proximité. M. Jean-Paul Garraud a expliqué que son amendement tendait à revenir à l'âge minimal de trente ans prévu par le texte initial, limite qui a été portée à trente-cinq ans par le Sénat pour les personnes susceptibles d'exercer les fonctions de juge de proximité en raison de leur compétence et de leur expérience en matière juridique. Il a en effet estimé que la modification introduite par le Sénat était illogique, car les élèves sortant de l'École nationale de la magistrature deviennent des magistrats de plein exercice alors qu'ils ont en moyenne moins de trente ans. Il a fait valoir que les juges de proximité, qui seraient chargés de litiges quotidiens plus simples à résoudre, devraient être titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation juridique d'une durée au moins égale à quatre années d'études supérieures et justifier de quatre années au moins d'exercice professionnel dans le domaine juridique. Il a ajouté que fixer un âge minimal de trente-cinq ans reviendrait à empêcher certaines personnes répondant précisément aux exigences requises en termes de diplôme et d'expérience professionnelle d'accéder aux fonctions de juges de proximité, lesquelles risquaient de ce fait d'être réservées aux retraités. Il a cité en particulier le cas des assistants de justice, qui sont recrutés en moyenne à l'âge de vingt-cinq ans et ont la possibilité, depuis la loi d'orientation et de programmation du 9 septembre 2002, d'exercer leurs fonctions durant six années au plus.

M. Émile Blessig a indiqué que son amendement visait à imposer à toutes les catégories de candidats aux fonctions de juge de proximité une limite d'âge de trente-cinq ans. Il a souligné qu'un certain degré de maturité devait être exigé puisque, même si les juges de proximité étaient compétents pour un nombre limité de contentieux et exerçaient leurs fonctions à temps partiel, ils auraient tous les attributs des magistrats. Il a fait observer à ce propos qu'il était nécessaire d'avoir trente-cinq ans révolus pour l'accès aux concours complémentaires de magistrats du second grade. Il a par ailleurs estimé qu'il fallait déterminer l'âge minimal requis pour l'exercice des fonctions de juges de proximité en prenant en considération la nature de leurs fonctions et non pas en pensant à telle ou telle catégorie de personnes susceptibles de les exercer. Il a enfin insisté sur la nécessité de ne pas organiser une filière de recrutement parallèle à la magistrature et de ne pas professionnaliser les fonctions des juges de proximité si l'on voulait se rapprocher du concept de « juge citoyen », le sort des assistants de justice devant être réglé dans un autre cadre.

M. Jean-Paul Garraud a fait valoir qu'il avait pris l'exemple des assistants de justice, mais que bien d'autres catégories de personnes seraient privées de la possibilité d'accéder aux fonctions de juge de proximité si l'on fixait une limite d'âge à trente-cinq ans.

M. Georges Fennec a fait observer que l'âge requis pour les jurés d'assises était de dix-huit ans.

A l'issue de ce débat, la Commission a adopté l'amendement de M. Jean-Paul Garraud, le rapporteur décidant de retirer le sien.

La Commission a également adopté un amendement du rapporteur tendant à aligner, dans un souci de simplification, les conditions de diplôme requises pour une catégorie de candidats aux fonctions de juges de proximité sur celles que doivent remplir les candidats aux concours d'entrée à l'École nationale de la magistrature. Le rapporteur a fait observer que cette harmonisation permettrait notamment d'élargir les conditions de recrutement, puisque les diplômes requis ne devront plus nécessairement être de nature juridique, et qu'il éviterait de renvoyer à un décret le soin de fixer la liste des diplômes reconnus comme équivalents.

La Commission a adopté un amendement rédactionnel du rapporteur, tendant à harmoniser la formulation retenue pour désigner les professions libérales juridiques concernées avec celle employée dans le statut de la magistrature pour les magistrats exerçant à titre temporaire ou dans d'autres textes législatifs.

La Commission a ensuite examiné un amendement du rapporteur donnant une nouvelle rédaction au 4° de cet article, introduit par le Sénat, pour ouvrir l'accès des fonctions de juge de proximité à différentes catégories d'agents publics de catégorie A ou équivalents. Le rapporteur a expliqué que son amendement supprimait la référence à ces catégories d'agents publics, puisque les dispositions permettant de nommer juges de proximité des personnes ayant exercé des fonctions de direction et d'encadrement durant vingt-cinq ans, prévues au 3° , permettraient de recruter cette catégorie d'agents. Il a ajouté que son amendement tendait en revanche à rendre possible le recrutement des personnels des greffes, qui appartiennent le plus souvent à la catégorie B, à condition que leur expérience les qualifie pour l'exercice de ces fonctions, cette appréciation relevant de la compétence du CSM.

M. Georges Fennec a souligné que la rédaction proposée était imprécise, puisque le terme d'anciens fonctionnaires des services judiciaires pouvait englober tout une série de personnes, comme les secrétaires.

La Commission a finalement adopté l'amendement du rapporteur, après que ce dernier eut précisé qu'il existait une certaine confusion entre les grades et les fonctions des personnels des services judiciaires et qu'il était nécessaire de laisser le CSM apprécier au cas par cas leur aptitude à exercer les fonctions de juge de proximité.

Elle a également adopté un amendement du rapporteur supprimant la possibilité, introduite par le Sénat, de nommer comme juges de proximité les assesseurs des tribunaux pour enfants ayant exercé leurs fonctions pendant une durée de cinq ans.

-  Article 41-17-1 (nouveau) de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 : Répartition des juges de proximité au sein de leurs juridictions :

La Commission a été saisie d'un amendement du rapporteur ayant pour objet de confier au magistrat du siège du tribunal de grande instance chargé de l'administration du tribunal d'instance le soin d'organiser l'activité et les services de la juridiction de proximité. Rappelant que l'instauration d'un juge de proximité avait souvent été mal perçue par les magistrats des tribunaux d'instance, M. Jean-Paul Garraud a jugé tout à fait indispensable d'introduire un lien entre le tribunal d'instance et la juridiction de proximité ; il a précisé que le dispositif ainsi présenté s'inspirait des dispositions régissant l'organisation du travail au sein des tribunaux de grande instance. Le président Pascal Clément a ajouté qu'une telle disposition permettrait en outre de mieux répartir le travail, s'agissant de juges peu expérimentés et peu habitués au travail de juridiction. La Commission a en conséquence adopté cet amendement.

-  Article 41-18 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 : Nomination et formation des juges de proximité :

La Commission a examiné un amendement du rapporteur ayant pour objet de revenir sur la rédaction adoptée par le Sénat, afin de conférer aux fonctions de juges de proximité un caractère non renouvelable ; le rapporteur a précisé qu'une durée excessive de fonctions risquait d'entraîner de facto une professionnalisation des fonctions de juge de proximité, ce qui irait à l'encontre de l'objectif poursuivi dans le projet d'instauration d'un juge-citoyen. Soulignant que la rédaction du Sénat introduisait un élément d'appréciation pouvant être interprété comme une atteinte à l'indépendance du juge de proximité, le président Pascal Clément a exprimé des doutes quant à sa constitutionnalité. La Commission a en conséquence adopté l'amendement du rapporteur, puis adopté deux amendements identiques, l'un de Mme Brigitte Barèges, l'autre du rapporteur, ayant pour objet de supprimer la limite d'âge supérieure pour l'exercice des fonctions de juge de proximité, le rapporteur ayant jugé préférable d'insérer cette disposition sur la limite d'âge à l'article 41-23, qui traite des conditions de cessation des fonctions du juge de proximité.

La Commission a ensuite examiné deux amendements en discussion commune, le premier, de M. Jean-Paul Garraud, visant à préciser la procédure de recrutement des juges de proximité, en reproduisant les règles fixées en 1995 pour la nomination des magistrats à titre temporaire, le second, présenté par le rapporteur, tendant à ouvrir au CSM la possibilité de subordonner la nomination des juges de proximité à l'accomplissement d'une période probatoire.

M. Jean-Paul Garraud a rappelé que le texte qui a institué les magistrats à titre temporaire avait défini une procédure claire, qui, dans un premier temps, confiait aux assemblées générales des magistrats du siège des cours d'appel la responsabilité de désigner des candidats, qui accomplissaient alors une formation probatoire, et qui conférait, dans un deuxième temps, un pouvoir d'avis à la commission prévue à l'article 34 du statut, le CSM ne se prononçant que dans une troisième et dernière étape. Il a jugé nécessaire de détailler de manière aussi précise les conditions de nomination des juges de proximité, en attirant l'attention de la Commission sur les dangers inhérents à une procédure qui conduirait le CSM à nommer des candidats n'ayant pas encore fait leurs preuves, le risque étant de voir se reproduire l'échec de l'institution des magistrats à titre temporaire.

M. Émile Blessig, rapporteur, a estimé qu'il convenait de laisser au CSM une marge d'appréciation sur les cas dans lesquels les candidats devraient suivre une formation probatoire. Citant l'exemple de candidats issus de la magistrature, il s'est interrogé sur le bien-fondé, pour ce type de candidature, d'une procédure uniforme qui inclurait une formation probatoire.

Le président Pascal Clément s'est demandé s'il ne conviendrait pas de prévoir, même dans cette dernière hypothèse, une formation probatoire, le métier de juge de proximité étant très spécifique. Il a néanmoins estimé que la procédure choisie ne devait pas conduire à une attitude trop sélective des instances chargées de nommer les juges de proximité. M. Jean-Paul Garraud a estimé complexe la mise en œuvre d'une procédure différente selon le profil des candidats et a fait observer que, dans le cas des magistrats à titre temporaire, l'apprentissage était à la fois utile en vue d'une remise à niveau et relativement léger, puisqu'il consistait en cinq jours de formation théorique à l'École nationale de la magistrature et cinquante-cinq jours de stage pratique. Il a plaidé en outre pour l'introduction, dans la procédure, de la commission prévue à l'article 34 du statut, qui éviterait tout à la fois l'engorgement du CSM et l'émergence de problèmes pratiques.

En réponse, le rapporteur a apporté des précisions sur la procédure d'instruction des candidatures, le candidat devant, tout d'abord, faire parvenir une demande motivée au parquet général de son lieu de résidence, celui-ci menant ensuite une enquête de moralité sur le candidat et le convoquant pour entretien. Il a ajouté qu'un rapport détaillé conclurait à l'aptitude du candidat et serait ensuite envoyé au ministère de la justice pour transmission au CSM, le candidat étant enfin nommé par décret du Président de la République sur avis conforme du conseil. Il a jugé que l'insertion de la commission d'avancement dans ce schéma alourdirait une procédure destinée à nommer des magistrats à temps partiel et pour une durée limitée. Il a précisé enfin que la formation, probatoire ou non, serait organisée par l'École nationale de la magistrature.

A la lumière de ces débats, la Commission a adopté l'amendement de M. Émile Blessig, M. Jean-Paul Garraud ayant retiré le sien.

Puis elle a adopté un amendement de coordination présenté par le rapporteur tendant à préciser par voie réglementaire les conditions dans lesquelles sera assurée la protection sociale des candidats admis en stage probatoire.

-  Article 41-21 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 : Conditions d'exercice d'une activité professionnelle concomitante :

La Commission a adopté un amendement rédactionnel présenté par le rapporteur.

Elle a adopté un amendement du rapporteur précisant qu'il revient aux premiers présidents de cour d'appel d'informer les juges de proximité des incompatibilités qui pourraient apparaître lorsque ces derniers changent d'activité professionnelle. Elle a adopté un autre amendement du rapporteur tendant à supprimer les trois dernières phrases du troisième alinéa de cet article, qui créent une procédure en cas de désaccord persistant entre le président du tribunal de grande instance et le juge de proximité sur la compatibilité de sa nouvelle activité professionnelle avec l'exercice de ses fonctions juridictionnelles, procédure qu'il a jugée inutile compte tenu de l'application aux juges de proximité de la procédure disciplinaire de droit commun.

-  Article 41-22 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 : Régime disciplinaire des juges de proximité :

La Commission a adopté un amendement rédactionnel présenté par le rapporteur.

-  Article 41-23 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 : Conditions de cessation des fonctions de juge de proximité :

La Commission a adopté un amendement de coordination tendant, d'une part, à faire figurer dans cet article du statut, l'âge limite d'exercice de ces fonctions, et, d'autre part, à effacer toute référence à la procédure particulière introduite par le Sénat dans l'article 41-21 et supprimée par la Commission.

La Commission a adopté l'article premier ainsi modifié.

Article additionnel après l'article premier (art. 12-1 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958) : Procédure d'évaluation des juges de proximité :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur créant un article additionnel après l'article premier, modifiant l'article 12-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 et tendant à préciser que l'entretien préalable à l'évaluation des juges de proximité sera confié au magistrat du siège du tribunal de grande instance chargé de l'administration du tribunal d'instance territorialement compétent.

Article 2 [nouveau] (art. 28-3 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958) : Limitation de la durée d'exercice des fonctions de juge des affaires familiales :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 3 [nouveau] (art. 1 et 2 de la loi organique n° 88-23 du 7 janvier 1988 portant maintien en activité des magistrats des cours d'appel et des tribunaux de grande instance) : Maintien en activité des magistrats des cours d'appel et des tribunaux de grande instance :

La Commission a adopté cet article sans modification.

Article 4 [nouveau] : Rapport au Parlement :

La Commission a adopté un amendement de suppression de cet article présenté par le rapporteur, qui a estimé inutile que soit présenté un nouveau rapport d'évaluation, l'article 74 du projet de loi de finances pour 2003 ayant d'ores et déjà prévu un rapport d'évaluation de la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble du projet de loi ainsi modifié.

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Guy Geoffroy, rapporteur pour la proposition de résolution de MM. René André et Jacques Floch sur la création d'un procureur européen [COM (2001) 715 final / E 1912 et COM (2001) 272 final / E 1758] (n° 446).

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