COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 6 mai 2003
(Séance de 16 heures)

Présidence de M. Pascal Clément, président

SOMMAIRE

Audition de M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la justice, et discussion générale du projet de loi portant adaptation des moyens de la justice aux évolutions de la criminalité (n° 784) (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur)

La Commission a procédé à l'audition de M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la justice, et à la discussion générale sur le projet de loi portant adaptation des moyens de la justice aux évolutions de la criminalité (n° 784) (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur).

M. Dominique Perben, garde des Sceaux, ministre de la justice, a indiqué que le projet de loi s'inscrivait dans le mouvement de modernisation et de rééquilibrage engagé en matière pénale par la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, qu'il créait un cadre procédural applicable aux formes nouvelles de criminalité et s'intégrait dans la politique de sécurité du Gouvernement fondée sur l'action combinée de la police, de la gendarmerie et de l'institution judiciaire.

Ayant souligné le développement de réseaux de type mafieux particulièrement violents et dangereux, généralement internationalisés et susceptibles de prendre en défaut l'organisation de la police et l'organisation judiciaire actuelle, il a souligné que le premier objectif du projet de loi était de renforcer la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées, d'une part en établissant une liste des infractions recouvrant les activités les plus graves et, d'autre part, en déterminant un régime procédural adapté pour la poursuite, l'instruction et le jugement de ces affaires.

Il a précisé que cette liste comprenait des atteintes à la personne, telles que l'assassinat en bande organisée, les enlèvements et séquestrations, le proxénétisme, la traite des êtres humains ou encore les actes de terrorisme et le trafic de stupéfiants, ces infractions pouvant être aggravées par la circonstance de bande organisée. Il a indiqué que, pour lutter contre ces infractions, le texte prévoyait l'institution d'un régime procédural adapté comprenant la création de juridictions spécialisées couvrant plusieurs cours d'appel et susceptibles de répondre à des infractions de délinquance et de criminalité organisée d'une grande complexité - les actes de terrorisme continuant de relever de la compétence du tribunal de grande instance de Paris - et de permettre une meilleure affectation des ressources humaines et logistiques, en cohérence avec la réorganisation des services de police judiciaire menée par le ministre de l'intérieur. Il a ajouté que des règles de procédure spécifiques existantes seront étendues aux enquêtes sur les faits de criminalité organisée les plus graves, sous le contrôle systématique du parquet et sur autorisation d'un magistrat du siège, à savoir : l'infiltration, qui permet à un officier de police judiciaire de procéder, dans un cadre strictement réglementé, à des actes limitativement énumérés - tels que l'utilisation d'une identité d'emprunt, la fourniture de moyens, le transport de produits illicites - pour faciliter la révélation et la preuve d'une infraction ; la garde à vue qui sera prolongée jusqu'à quatre jours ; les perquisitions de nuit ; les écoutes téléphoniques, auxquelles il sera possible de recourir pour une période limitée au cours d'une enquête, avec l'autorisation du juge des libertés et de la détention. Il a fait observer qu'un renforcement de la répression était également prévu, puisque la liste des infractions susceptibles d'être commises en bande organisée est élargie, que la peine complémentaire de confiscation générale est étendue et que le fait de diriger une association terroriste est désormais criminalisé.

Le ministre a ensuite fait état de l'extension du système des repentis - actuellement prévu à l'encontre du trafic de stupéfiants et des actes de terrorisme - aux atteintes les plus graves aux personnes : toute personne qui permettra d'éviter la réalisation d'une telle infraction ou de la faire cesser, d'éviter un dommage ou d'identifier leurs auteurs pourra bénéficier soit d'une exemption de peine, soit d'une réduction de peine, tandis qu'il sera possible, en cas de nécessité, d'octroyer au repenti et à sa famille une identité d'emprunt pour assurer leur sécurité, étant précisé que les déclarations du repenti ne pourront à elles seules fonder une condamnation. Il a précisé que, dans un souci d'équilibre, l'application des règles d'investigation renforcées dans le cadre de la lutte contre la délinquance et la criminalité organisée s'accompagnait de certains aménagements, afin que les droits de la défense soient garantis, notamment lorsqu'une personne est déférée devant le procureur pendant l'enquête et lorsque la voie de la comparution immédiate est choisie.

Présentant le deuxième objectif du texte, M. Dominique Perben a indiqué qu'il tendait à intensifier la lutte contre les infractions en matière économique et financière, en matière sanitaire et environnementale et en matière de lutte contre les discriminations. Après avoir rappelé que des juridictions en matière économique et financière existaient depuis 1975 dans le ressort de chaque cour d'appel, il a souligné que le projet de loi permettrait d'étendre la liste des infractions relevant de leur compétence, de créer pour les affaires les plus complexes des juridictions dont le ressort inter-régional sera identique à celui des futurs pôles compétents en matière de délinquance et de criminalité organisées, enfin de clarifier le statut des assistants spécialisés, dont le rôle est particulièrement précieux dans les affaires revêtant une grande technicité. Il a précisé que le texte confortait l'efficacité des deux juridictions spécialisées en matière sanitaire - Paris et Marseille - en alignant leur fonctionnement sur celui des juridictions spécialisées en matière économique et financière et renforçait la lutte contre les rejets polluants des navires grâce à une unification de la compétence des trois juridictions existantes - à savoir Le Havre, Brest et Marseille - et à une aggravation des peines encourues en cas de rejet des navires, notamment par la confiscation des biens du responsable de la pollution.

Le ministre a précisé que la lutte contre les discriminations serait accrue par le biais d'une aggravation de la répression des discriminations et des atteintes aux personnes ou aux biens présentant un caractère raciste, dans la logique de la loi du 3 février 2003, mais aussi par la voie d'une augmentation des peines assortissant les délits de discrimination et l'institution d'une circonstance aggravante lorsque l'infraction est commise à l'occasion de l'exploitation d'un lieu accueillant du public. Il a ajouté que le renforcement de la lutte contre les discriminations imposait également de porter de trois mois à un an le délai de prescription de la répression des messages antisémites, racistes ou xénophobes, ce délai étant nécessaire pour lutter efficacement contre des délits qui utilisent de nouveaux médias à fort contenu technologique, tels qu'Internet.

En troisième lieu, le garde des Sceaux a souligné que le projet de loi renforçait la cohérence, l'efficacité et l'effectivité de la justice pénale, d'une part en améliorant la réponse pénale, d'autre part en assurant une meilleure prise en considération des victimes : lorsque les faits seront constitués et l'auteur identifié, toute affaire communiquée au parquet fera l'objet d'une réponse judiciaire, sauf en cas de circonstances particulières liées à la commission des faits et justifiant un classement sans suite, la victime devant être informée de l'avis de classement et de ses motifs.

Il a précisé par ailleurs que la réponse pénale serait diversifiée, non seulement par la procédure de la composition pénale, qui serait étendue, mais aussi par la création d'une procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité, qui permettra au procureur de proposer une peine à la personne qu'il envisage de poursuivre pour un délit puni d'un maximum de cinq ans d'emprisonnement et qui reconnaît en être l'auteur. À ce sujet, il a insisté sur les différences qui caractérisent cette nouvelle procédure par rapport à celle du plea bargaining, utilisée aux États-Unis, la procédure étant engagée à l'initiative du procureur et non des avocats. Il a précisé par ailleurs que la personne concernée bénéficierait d'un délai de réflexion de dix jours avant de faire connaître sa réponse, délai durant lequel elle pourra, si nécessaire, être placée en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire, et que la peine proposée par le procureur serait soumise à l'homologation du président du tribunal de grande instance, qui s'assurera, en présence de l'avocat, de la persistance du consentement.

Ayant rappelé que, depuis la loi d'orientation et de programmation pour la justice, les victimes ont bénéficié de nouveaux droits et des moyens d'organiser plus efficacement la défense de leurs intérêts, il a souligné que le texte améliorait encore la situation des victimes à tous les stades de la procédure, non seulement par une meilleure information, mais aussi par la faculté donnée au juge de l'application des peines ou à la juridiction régionale de la libération conditionnelle, de subordonner les réductions de peine d'un condamné au respect de certaines obligations tenant compte des intérêts de la victime ou de la partie civile. Il a estimé en conclusion que la réforme permettrait d'adapter la procédure pénale au défi que constitue le développement de la criminalité organisée et des réseaux mafieux.

Après avoir souligné que le principe de la création de pôles spécialisés pour lutter contre la criminalité organisée était salué par les professionnels qu'il avait auditionnés, M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur, a souhaité savoir quels seraient les principes de fonctionnement de ces pôles et comment leurs compétences s'articuleraient avec celles des pôles économiques et financiers, en observant que certaines affaires, comme celles relatives au blanchiment ou à la grande pollution maritime pouvaient relever simultanément de ces deux catégories de juridictions. Il a également interrogé le ministre sur le calendrier prévisionnel de création de ces nouvelles juridictions et sur les moyens dont elles seraient dotées, en regrettant que, dans le passé, la création de pôles spécialisés en matière économique et financière n'ait pas bénéficié des moyens suffisants.

S'agissant des questions de pollution maritime, il a fait observer que le projet de loi représentait un progrès, en prévoyant notamment le durcissement des sanctions pénales et financières à l'encontre des dégazages sauvages ou des pollutions accidentelles, mais que la question de l'application de ces sanctions restait posée. Il a rappelé en effet que la convention des Nations unies de Montego Bay (1982) prévoyait seulement, en cas de pollution en dehors des eaux territoriales, des sanctions pécuniaires, lesquelles étaient très rarement recouvrées en raison de l'impossibilité de recourir à l'exécution forcée. Il a ainsi souligné que, sur les onze peines d'amende prononcées en 2002 par le TGI de Paris, aucune n'avait pu être recouvrée. Il a donc souhaité savoir si des négociations internationales et à l'échelle communautaire étaient en cours pour permettre de sanctionner les coupables de catastrophes écologiques en milieu maritime.

S'agissant enfin de l'entraide internationale avec des agents de police judiciaire étrangers, y compris en matière d'infiltration, il a souhaité savoir quelles étaient les autorités judiciaires étrangères avec lesquelles la France entendait collaborer activement et si des négociations avaient d'ores et déjà été ouvertes en ce sens.

Évoquant l'article 17 du projet de loi, qui consacre le rôle du ministre de la justice en matière de politique pénale en le chargeant de veiller à la cohérence de celle-ci sur l'ensemble du territoire national pour assurer l'égalité de traitement des citoyens devant la loi, il a demandé au ministre de citer des cas dans lesquels il avait eu recours à la faculté qui lui est offerte par l'article 36 du code de procédure pénale d'enjoindre aux procureurs généraux d'engager des poursuites dans certaines affaires, par instructions écrites et versées au dossier.

Observant que le projet de loi créait des régimes spécifiques de garde à vue pour les formes les plus graves de criminalité et de délinquance organisées, qui s'ajouteraient aux trois régimes de garde à vue existants, le président Pascal Clément s'est interrogé sur la possibilité d'unifier ces régimes afin d'éviter des erreurs de procédure qui constitueront autant de causes de nullité. Il a également souhaité avoir des précisions sur les moyens qui seraient consacrés à la mise en œuvre des juridictions spécialisées à compétence interrégionale, en soulignant que ces nouvelles structures ne sauraient résulter du seul redéploiement de moyens existants et devraient bénéficier du soutien d'assistants spécialisés. S'agissant des repentis, il a également insisté sur la nécessité de mettre en œuvre des moyens matériels et humains suffisants pour assurer la protection de ceux qui accepteront d'aider la justice. Enfin, approuvant le principe selon lequel le parquet serait obligé d'apporter une réponse pénale dans les affaires où un auteur a été identifié, il s'est également interrogé sur les moyens supplémentaires dont il disposerait à cet effet, en faisant observer que 759 000 affaires avec auteurs identifiés avaient été classées par les parquets en 2001.

M. Gérard Léonard s'est félicité du dépôt du projet de loi, qui permettra d'appréhender de nouvelles formes de criminalité, tout en regrettant que l'étude d'impact ne procède pas à une véritable évaluation. Il s'est déclaré particulièrement satisfait des dispositions relatives à l'infiltration, en rappelant qu'il avait déposé avec M. Christian Estrosi un amendement sur ce point lors de la discussion du projet de loi sur la sécurité intérieure. Il a également approuvé les dispositions de l'article 17 affirmant le rôle du ministre de la justice en matière de politique pénale, en soulignant qu'elles consacraient la pratique suivie par le ministre depuis son entrée en fonction. Observant que l'article 26 du projet de loi prévoyait un délai de quinze jours pour la durée des enquêtes de flagrance concernant la délinquance et la criminalité organisées alors que le délai de droit commun resterait fixé à huit jours, il s'est demandé s'il ne conviendrait pas de prévoir un seul délai pour toutes les enquêtes.

M. Jean-Paul Garraud a fait part de sa satisfaction devant un texte qui, par les structures qu'il institue et les méthodes qu'il prévoit, répond à la fois aux attentes des praticiens du droit et des citoyens. Il a souligné sa totale complémentarité avec les autres lois adoptées depuis le début de la législature en matière de justice et de sécurité, en ajoutant que cet arsenal juridique permettrait de restaurer l'autorité de l'État, mise à mal depuis la loi sur la présomption d'innocence du 15 juin 2000. Évoquant à son tour les deux nouveaux régimes de garde à vue qui seraient institués, il a suggéré une simplification du dispositif. Il a également proposé que les procédures spécifiques prévues pour lutter contre les infractions les plus graves liées à la criminalité organisée soient rendues applicables au blanchiment d'argent, compte tenu de l'importance que revêt cette infraction dans le financement de la criminalité organisée. Il a enfin fait part de ses réserves sur l'accès au dossier, dans le cadre d'une enquête sur la criminalité organisée, des personnes placées en garde à vue six mois auparavant et exprimé ses craintes qu'une telle procédure ne favorise la divulgation d'éléments importants de l'enquête.

Souscrivant à l'analyse de la criminalité organisée faite par le ministre et sur le caractère d'urgence que revêt la lutte contre celle-ci, M. André Vallini a reconnu que le projet de loi comportait des avancées notables en matière de coopération internationale. Il a toutefois jugé fort complexe l'articulation entre les différents pôles judiciaires mis en place et a suggéré que ces pôles soient regroupés en un seul, les enquêtes sur le naufrage du Prestige ou la faillite de Metaleurop relevant à la fois du pôle économique et financier et du pôle environnemental. Il a estimé que le renforcement des pouvoirs des forces de police créait un déséquilibre au détriment du parquet dans le déroulement des enquêtes, avant de regretter que l'architecture des pouvoirs ainsi présentée s'inspire de la procédure accusatoire, en marginalisant le juge d'instruction au profit du parquet et du juge des libertés et de la détention, lequel ne dispose pourtant pas d'une information suffisante pour accomplir sa mission. Déplorant que les droits de la défense ne soient pas renforcés, il a souligné que la logique de la réforme aurait dû conduire à la suppression de l'instruction et à l'indépendance totale du parquet à l'égard du ministre de la justice. Il a par ailleurs fait part de son opposition aux dispositions concernant les repentis, en soulignant les résultats contestables qu'a produits en Italie l'application de règles analogues. S'agissant des classements sans suite, il a rappelé que leur motivation avait été prévue dans le projet de loi sur l'action publique déposé sous la précédente législature et dont la discussion n'avait pu être achevée.

M. Christian Estrosi a salué le travail gouvernemental qui a permis en moins d'un an de doter la France d'un arsenal juridique pertinent pour moderniser l'institution judiciaire face à des phénomènes de délinquance qui ne connaissent pas de frontières et tendant à s'adapter aux méthodes nouvelles de répression. Il a rappelé le dispositif qu'il avait proposé avec M. Gérard Léonard dans le cadre de la loi sur la sécurité intérieure sur les procédures d'infiltration et qui est fort heureusement repris dans le projet de loi. Il a également cité un autre amendement adopté dans le cadre de la loi de sécurité intérieure permettant de faire des perquisitions en ligne, complété de façon très cohérente par les dispositions du projet de loi qui répriment la cybercriminalité. Il a considéré que l'ensemble de ces mesures permettraient de lutter efficacement contre les formes modernes de la criminalité organisée. En écho aux propos du président, il a plaidé pour un allègement des procédures, notamment des procédures de garde à vue, estimant indispensable de simplifier et rationaliser les tâches des policiers. Dans le cadre de cette simplification, il a suggéré que soient repensées les missions des policiers, en faisant éventuellement appel à des sociétés privées pour des missions annexes telles que le transfèrement des détenus ou les gardes statiques. Il a enfin insisté sur la prise en compte de l'avis des victimes, notamment dans le cadre des procédures de composition pénale.

M. François d'Aubert, rapporteur pour avis de la Commission des finances, saisie de l'article 11 du projet, a salué le contenu du texte, considérant que le renforcement des pouvoirs des enquêteurs était indispensable pour que la police et la gendarmerie puissent faire face à une criminalité de plus en plus complexe, tant sur le plan de ses activités que de ses modes de financement. Il a jugé très utiles les dispositions relatives aux repentis et aux infiltrations, qui ont déjà permis d'obtenir des résultats probants à l'étranger. Il s'est interrogé sur l'articulation entre le cadre juridique prévu pour la délinquance et la criminalité organisées et les dispositions en vigueur en matière de blanchiment, notamment depuis la loi du 13 mai 1996. Il s'est demandé s'il ne serait pas opportun de considérer le blanchiment comme une forme de criminalité organisée et donc de l'inclure dans la liste prévue à l'article 706-73 du code de procédure pénale. Puis il a suggéré que le gel des avoirs figure au nombre des sanctions applicables en cas de participation à des activités de criminalité organisées et que le principe du renversement de la charge de la preuve soit étendu à ce type de délinquance. Il a proposé que la liste des personnes soumises à l'obligation de déclaration de soupçon auprès des services compétents en matière de lutte contre « l'argent sale » (TRACFIN) soit actualisée et étendue, notamment dans le domaine du jeu.

M. Christian Decoq a salué l'élaboration d'une « loi républicaine », qui permettra de lutter avec efficacité contre la délinquance et la criminalité organisées. Il s'est également félicité que, répondant à certaines accusations ou interrogations, le ministre ait déclaré sans ambiguïté qu'il ne souhaitait pas substituer à l'actuelle procédure inquisitoire un système accusatoire. Il a indiqué que les représentants du barreau qu'il avait consultés étaient au demeurant moins inquiets de cette perspective que de celle d'une éventuelle transposition de la directive du 4 décembre 2001 relative à la lutte contre le blanchiment, qui élargit les obligations de signalement aux professionnels du chiffre et du droit et notamment aux avocats. Il a par ailleurs jugé insuffisantes les peines prévues par le projet à l'encontre des personnes responsables de la mort d'un agent infiltré.

M. Alain Marsaud a jugé très positives la clarification et l'extension des dispositions relatives aux repentis, qui existent déjà en droit français mais qui ne sont pas suffisamment utilisées. Il a indiqué que le démantèlement de certains réseaux terroristes en 1986 n'aurait pas été possible si des informations n'avaient pas été obtenues auprès de criminels repentis.

M. Xavier de Roux a approuvé les dispositions réservant aux infractions les plus graves les procédures spécifiques instituées par le projet de loi. Il a toutefois exprimé des réserves sur la possibilité de les rendre applicables au délit d'association de malfaiteurs, compte tenu du caractère très large de cette incrimination.

Après s'être félicité que le projet de loi traduise les souhaits exprimés par le chef de l'État d'un renforcement de la lutte contre la délinquance maritime et avoir rappelé que certaines dispositions aujourd'hui envisagées reprenaient des propositions formulées dans ses travaux menés au sein de la Délégation pour l'Union européenne, M. Didier Quentin a souligné que le texte visait les pollutions commises dans la zone économique exclusive, alors que celle-ci n'avait pas été délimitée en Méditerranée. Par ailleurs, s'interrogeant sur l'articulation entre le projet de loi et le projet de directive communautaire en cours de discussion sur ce sujet, il a rappelé que celui-ci laissait à l'appréciation des États membres le soin d'instituer certaines peines complémentaires et a souhaité savoir si celles-ci étaient envisagées par le Gouvernement.

Évoquant les dispositions du projet de loi relatives à Eurojust, M. Guy Geoffroy a estimé qu'elles mettaient en relief le rôle joué par la coopération judiciaire européenne dans la lutte contre la criminalité organisée. Il s'est ainsi félicité que le texte reconnaisse l'existence d'Eurojust et définisse son fonctionnement, ainsi que le rôle de coordination joué par les magistrats qui le composent, avant de rappeler qu'il serait, à terme, appelé à devenir un parquet européen.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec a exprimé la crainte que le texte n'accorde des pouvoirs excessifs aux officiers de police judiciaire, sans possibilité de contrôle effectif par les magistrats. Après avoir estimé que l'interprétation des dispositions relatives au secret professionnel devrait sans doute être précisée, il s'est interrogé sur les conditions concrètes de mise en œuvre de celles relatives au « plaider coupable ». Tout en soulignant que le système proposé n'était pas assimilable au dispositif applicable aux Etats-unis, il a fait observer la place prépondérante qu'y occupait le parquet, l'avocat n'étant pas présent avant que cette procédure ne soit engagée, contrairement au système en vigueur aux États-Unis dans lequel la reconnaissance de la culpabilité préalable à l'engagement de la procédure donne lieu à un véritable débat. De même, il s'est interrogé sur le sort des actes de procédure établissant la culpabilité de l'intéressé si le président du tribunal de grande instance n'homologuait pas la proposition du procureur.

En réponse aux intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes.

-  En prévoyant la création de pôles spécialisés en matière de criminalité organisée, le projet de loi a précisément pour objet de conforter et de clarifier les compétences des pôles économiques et financiers existants ; en effet, le renforcement de la lutte contre la criminalité organisée oblige les différentes institutions judiciaires et policières à améliorer leur coordination. Dans ces conditions, des éventuels recoupement de compétence entre différents pôles spécialisés sont certes possibles, mais ils ne constituent pas un obstacle dirimant au bon fonctionnement de la justice dès lors que les moyens mis à leur disposition sont accrus. A cet égard, la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a dégagé les moyens financiers garantissant la bonne exécution du présent projet. S'agissant de l'entrée en fonctions de ces nouveaux pôles, elle devrait intervenir au cours de l'année 2004, sous réserve de l'achèvement de l'examen de ce projet par le Parlement.

-  La création de juridictions spécialisées dont le ressort s'étend à plusieurs cours d'appel ne doit pas avoir pour effet de remettre en cause le principe selon lequel le procureur de la République assure la direction de l'enquête et, partant, de distendre les liens entre ce magistrat et les officiers ou les agents de police judiciaire ; à cet effet, des discussions sont en cours avec les services du ministère de l'intérieur pour veiller à la bonne articulation entre la nouvelle organisation territoriale des services de police et celle des services judicaires ; dès lors, il est inexact de prétendre que ce projet aura pour effet d'accroître considérablement la marge de manœuvre de la police au détriment des pouvoirs de contrôle des magistrats.

-  La possibilité offerte aux officiers ou aux agents de police judiciaire de procéder à des opérations d'infiltration conjointes avec des policiers étrangers constitue un progrès indéniable en matière de lutte contre la criminalité organisée qui, pour sa part, étend ses activités à l'échelle internationale. Des contacts ont été pris avec certains pays, dont l'Espagne et la Belgique, avec lesquels la coopération policière est judiciaire est particulièrement satisfaisante. La personne ayant indirectement révélé l'identité de l'agent infiltré ultérieurement assassiné n'encourt une peine de 10 ans d'emprisonnement que si elle n'est pas complice de cet assassinat ; dans le cas contraire, la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité.

-  Il est vrai que le projet de loi conduit à l'existence de cinq régimes différents en matière de garde à vue, ce qui peut sembler trop complexe ; toutefois, ce projet a été élaboré en étroite concertation avec l'ensemble des professions concernées et toute tentative de simplification en cette matière particulièrement sensible au regard des atteintes portées aux libertés individuelles doit être conduite avec une grande prudence.

-  Le projet de loi innove en prévoyant qu'une personne gardée à vue dans le cadre d'une enquête portant sur des infractions relevant de la criminalité organisée peut, six mois après les faits, interroger le procureur de la République sur les suites de l'enquête et, dans l'hypothèse où les investigations se poursuivent, obtenir communication du dossier de la procédure par l'intermédiaire de son avocat ; il s'agit de conforter les droits de la défense face aux pouvoirs d'investigations renforcés qui sont prévus par le projet. Dès lors, dans l'hypothèse où la communication du dossier est susceptible de mettre en danger l'enquête en cours, le procureur de la République peut toujours décider d'ouvrir une information judiciaire dans le cadre de laquelle l'accès au dossier est réservé aux personnes mises en examen et à la partie civile.

-  L'extension de la durée de l'enquête de flagrance en matière de criminalité organisée se justifie pleinement au regard de la complexité de ces affaires, qui nécessitent des investigations nombreuses et difficiles. En effet, les caractéristiques majeures de la criminalité organisée actuelle sont le professionnalisme et la sophistication dont font preuve ses auteurs, ainsi que le degré de violence inouï auquel ils n'hésitent pas à recourir. Dans ces conditions, s'il importe de doter les forces de l'ordre des moyens leur permettant de lutter efficacement contre ces nouvelles formes de criminalité, l'extension du champ d'application des procédures d'investigation exceptionnelles prévues par le projet de loi à d'autres infractions, comme le blanchiment par exemple, pourrait rompre l'équilibre auquel est parvenu le texte. C'est pourquoi il importe de délimiter avec précision les infractions relevant de la criminalité organisée, comme le propose le projet, et d'envisager avec prudence toute extension en la matière.

-  Les dispositions relatives aux repentis n'ont nullement pour objet d'instaurer une incitation générale à la délation, mais tendent simplement à renforcer l'efficacité des enquêtes en favorisant la divulgation d'informations ; de surcroît, le projet de loi prévoit qu'aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations du repenti. En ce qui concerne l'accompagnement et la protection des repentis, ces opérations vont indéniablement nécessiter la mobilisation de moyens financiers importants, qui relèvent de la compétence du ministère de l'intérieur.

-  Aucune disposition du projet de loi ne menace de quelque façon que ce soit le secret professionnel des avocats et si un malentendu a pu exister en ce domaine, il semble désormais levé. En revanche, les représentants de la profession d'avocat continuent d'exprimer des craintes à l'égard des exigences induites par la transposition en droit interne de la directive européenne du 4 décembre 2001 relative à la lutte contre le blanchiment, qui tend à astreindre certaines professions du chiffre et du droit à l'obligation de la déclaration de soupçon. À cet égard, la solution qui semble se dessiner, et qui donnerait satisfaction à l'ensemble des professionnels concernés tout en étant conforme à nos engagements européens, consisterait à n'intégrer les avocats dans le champ d'application de l'obligation de procéder à la déclaration de soupçon que lorsqu'ils interviennent dans la rédaction d'un acte juridique et non lorsqu'ils exercent leur mission de défenseur d'une personne mise en cause.

-  Afin d'éviter une mobilisation inutile de moyens de police lors des transfèrements de détenus, il est nécessaire de développer l'utilisation de la vidéoconférence, notamment au sein des établissements pénitentiaires, même si ce développement suppose des moyens financiers importants. S'agissant de la responsabilité de ce transfèrement, le ministère de la justice n'est pas hostile, par principe, à ce qu'une telle responsabilité lui incombe, à condition toutefois que les crédits correspondants soient prévus ; cette nouvelle compétence constituerait un élément de diversification des missions confiées aux agents de l'administration pénitentiaire. En raison du maillage territorial des forces de police, plus étendu que celui des personnels de l'administration pénitentiaire, il serait possible de retenir un système mixte, dans lequel le transfèrement dans les grandes agglomérations relèverait de la compétence du ministère de la justice et celui dans les zones rurales du ministère de l'intérieur.

-  Les dispositions en vigueur réprimant la pollution maritime permettent déjà d'infliger une peine d'amende aux navires étrangers commettant dans les eaux territoriales et dans la zone économique exclusive les infractions visées par le titre Ier du livre II du code de l'environnement. En outre, dans les eaux territoriales, la confiscation du navire est possible. Pour que des sanctions pénales plus lourdes puissent être appliquées lorsque l'infraction a lieu dans la zone économique exclusive, de nouvelles négociations internationales sont nécessaires. Le regroupement actuel des affaires autour de trois juridictions spécialisées donne satisfaction. Il convient néanmoins de corriger le texte afin d'intégrer la notion de « zone protégée écologique » dans la définition de la compétence géographique de ces juridictions, pour tenir compte de l'absence de zone économique exclusive en Méditerranée.

-  Au cours des derniers mois, plusieurs instructions ont été données par le ministre de la justice, notamment pour ouvrir une enquête dans une affaire mettant en cause une secte, pour faire appel d'un jugement en matière de haine raciale dans le Nord, ou encore pour regrouper à Brest l'ensemble des affaires relatives au naufrage du Prestige. Ces instructions ont été rendues publiques. L'article 18 relatif au procureur général permet de clarifier le rôle de celui-ci, mais ne constitue pas une réelle innovation.

-  Le projet de loi, tout en posant le principe d'une réponse pénale systématique si l'auteur est identifié, ne supprime pas les classements sans suite, qui peuvent intervenir lorsque des circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient. Quant à l'obligation de motivation, elle existe déjà dans certains cas. La simplification de la procédure pénale liée au développement de la composition pénale et à la création d'une procédure de « plaider coupable » à la française permettra de dégager des moyens pour mettre en œuvre ces nouveaux principes.

-  L'exemple du bagagiste de Roissy est une bonne illustration des inconvénients qu'aurait entraînés une procédure purement accusatoire. La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ne constitue pas un premier pas vers ce système, mais constitue un élément de diversification et de simplification des procédures, l'organisation d'un débat contradictoire et public n'étant pas toujours indispensable. Cette nouvelle procédure permettra en outre de diminuer la durée et le nombre des détentions provisoires en diminuant le nombre de comparutions immédiates. Il convient de noter que le président du tribunal pourra poser des questions au prévenu lors de l'audience d'homologation. En cas de refus d'homologation, le procureur retrouvera la plénitude de ses pouvoirs pour apprécier la suite à donner à la procédure. Les peines proposées par le procureur ne figureront pas, dans ce cas, au dossier de la procédure, mais il n'en est pas de même du procès-verbal de la reconnaissance des faits devant l'officier de police judiciaire, lequel pourra naturellement être porté à la connaissance de la juridiction de jugement.

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