COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 17

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 28 janvier 2004
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Xavier de Roux, vice-président.

SOMMAIRE

 

Pages

-  Proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant sur la nomination des élèves administrateurs du cnfpt (concours externe 2001) (n° 1375) (M. Jacques-Alain Bénisti, rapporteur)


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-  Projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics (n° 1378) (M. Pascal Clément, rapporteur)

3

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Jacques-Alain Bénisti, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant sur la nomination des élèves administrateurs du CNFPT (concours externe 2001) (n° 1375).

M. Jacques-Alain Benisti, rapporteur, a indiqué que la proposition de loi tendait à autoriser l'inscription sur la liste d'aptitude des vingt-deux élèves administrateurs territoriaux sélectionnés par un concours, organisé par le Centre national de la fonction publique territoriale et annulé par le Conseil d'État en novembre dernier. Il a précisé que le motif de cette annulation était la subdivision du jury en deux groupes d'examinateurs pour l'une des épreuves orales, procédure pourtant prévue par les textes applicables au cnfpt. Il a développé les raisons tendant à approuver la mesure proposée par le Sénat, qui lui parait traduire un souci d'intérêt général : les élèves subiraient un grave dommage si la possibilité d'être régulièrement inscrits sur la liste d'aptitude leur était définitivement refusée ; ces élèves se verraient empêchés d'exercer les fonctions auxquelles donne accès la formation qui leur a été dispensée et dont le coût serait donc perdu pour la collectivité.

S'agissant de la procédure suivie, le rapporteur a observé que c'était l'urgence de la situation qui avait milité en faveur d'une initiative parlementaire : la liste d'aptitude devrait en effet normalement être établie le 1er mars 2004, à l'issue de la scolarité des élèves administrateurs concernés.

M. Robert Pandraud s'est déclaré hostile à cette proposition de loi de validation, le Parlement n'ayant pas à réparer a posteriori les erreurs de l'administration.

Après avoir rappelé que la mesure proposée n'était pas dépourvue de précédent, M. Bernard Derosier s'est en revanche interrogé sur le choix du support législatif, la procédure de l'amendement du Gouvernement à un projet de loi constituant une pratique plus fréquente.

M. Robert Pandraud a noté que le recours à une proposition de loi permettait surtout d'éviter d'avoir à demander l'avis du Conseil d'État sur un texte venant contredire une décision rendue par les formations contentieuses de celui-ci.

M. René Dosière a souligné que la rapidité de la procédure n'était pas l'apanage des propositions de loi, et que certains projets de loi pouvaient également faire l'objet d'un examen dans des délais très brefs, à l'instar de celui qui était soumis à la Commission dans la suite de son ordre du jour.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a indiqué que le choix de la procédure avait été dicté par le souci de la rapidité et a rappelé l'intérêt qui s'attachait à l'adoption du texte.

À l'issue de ce débat, la Commission a adopté la proposition de loi dans le texte du Sénat.

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* *

La Commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Pascal Clément, le projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, les collèges et les lycées publics (n° 1378).

M. Pascal Clément, rapporteur, a rappelé que ce projet de loi était le résultat de plusieurs mois de réflexion menées dans le cadre de la mission d'information animée par le Président de l'Assemblée nationale et de la commission Stasi, et qu'il répondait aux vœux du Président de la République exprimés lors de son discours du 17 décembre 2003 sur la nécessité de réaffirmer le principe de laïcité à l'école. Il s'est attaché à souligner les limites du régime juridique actuel, montrant qu'il n'existait aucune base légale permettant aux chefs d'établissement d'inscrire dans les règlements intérieurs l'interdiction du port de signes religieux à l'école. Rappelant que le principe de laïcité était consacré par le Préambule de la Constitution de 1946 et par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, il a souligné que, pour autant, aucune loi ne traduisait ce principe en encadrant le port de signes religieux à l'école, si bien que le régime juridique actuel, de caractère jurisprudentiel, ne répond pas à l'exigence formulée par la Convention européenne des droits de l'homme d'une base légale pour restreindre l'exercice d'une liberté publique.

Le rapporteur a ensuite rappelé que le Conseil d'État, lorsqu'il s'est prononcé sur le port de signes religieux à l'école, dans un avis de 1989, avait dû concilier les deux principes contradictoires de liberté de conscience et de laïcité et qu'il avait considéré que le port, par les élèves, de signes religieux était autorisé, les comportements de prosélytisme, de pression ou de provocation, qui troublent le bon fonctionnement de l'établissement scolaire étant au contraire interdits. Il a souligné que ce régime juridique ne permettait plus de faire face aux revendications identitaires qui se multiplient dans les établissements scolaires, avant de montrer que le projet de loi, qui interdit le port, par les élèves, de signes par lesquels ils manifestent ostensiblement leur appartenance religieuse, constituait un changement réel en interdisant le port de signes religieux « ostensibles », quel que soit le comportement de l'élève. Le rapporteur a fait valoir que ce terme était plus satisfaisant que celui de « visible », car il permettait d'autoriser le port de signes religieux discrets et garantissait la liberté de religion. Il a constaté qu'il existait un consensus parmi les juristes pour considérer que l'interdiction du port de signes « visibles » à l'école porterait atteinte à la liberté de chacun de manifester sa religion, consacrée notamment par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il a insisté sur le fait qu'une telle interdiction serait très difficile à mettre en œuvre, notamment à l'égard des médailles de baptême, et fausserait l'objectif de la loi, qui est d'affirmer une laïcité ouverte.

Il a souligné que l'école était un lieu essentiel, et parfois le seul, de transmission des valeurs républicaines et que la laïcité n'était pas une « religion », ni un objectif en soi mais un instrument de cohésion sociale et un formidable outil d'intégration. Il a fait observer que la loi s'appliquerait sur l'ensemble du territoire français, y compris l'outre-mer, l'application de la loi à Wallis-et-Futuna, Mayotte et en Nouvelle-Calédonie, faisant l'objet, conformément à l'article 74 de la Constitution, d'une mention spécifique.

Il a indiqué que, désormais, les règlements intérieurs des établissements scolaires pourraient interdire le port de signes religieux dans les écoles, et qu'il n'y aurait plus de compromis locaux. S'agissant des polémiques apparues sur le bandana ou la barbe, il a rappelé que la loi ne pouvait pas entrer dans tous les détails et ne devait pas dresser de catalogue, les chefs d'établissement disposant de la base légale nécessaire pour faire face aux revendications identitaires et interdire le port de certains signes religieux tout en maintenant le dialogue.

En conclusion, le rapporteur a affirmé que cette loi n'était pas une loi dirigée contre quiconque, mais une loi positive, car la laïcité permet de forger une communauté nationale et permettra aussi de ne plus entendre ce qu'a déclaré Kaïna Benziane, sœur de la jeune Sohane, brûlée vive en octobre 2003 : « c'est à la République et non à Dieu de protéger ces jeunes filles qui (se protègent) en portant le voile. Je suis désolée, mais la République n'a pas protégé ma sœur ».

M. René Dosière a tout d'abord tenu à rendre hommage au travail réalisé par la mission d'information sur la laïcité, présidée avec une grande force de conviction par le Président de l'Assemblée nationale, M. Jean-Louis Debré. Il a en effet rappelé, que grâce à un travail approfondi ayant permis à toutes les sensibilités politiques de s'exprimer et de prendre le temps de la réflexion sur un sujet aussi complexe, la mission s'était prononcée, à la quasi-unanimité de ses membres, à la notable exception des députés du groupe udf, en faveur d'une loi prohibant le port « visible » des signes religieux au sein des établissements scolaires.

Il a souligné que, du fait du caractère approfondi des travaux conduits dans le cadre de cette mission d'information, les conditions de délai dans lesquelles la Commission était appelée à statuer sur le projet de loi n'appelaient pas de reproche de sa part. Observant que le texte prévoyait l'interdiction du port des signes manifestant « ostensiblement » une appartenance religieuse, il a regretté que la rédaction suggérée par la mission d'information n'ait pas été prise en considération, alors qu'elle est plus objective et juridiquement plus sûre. Il a exprimé la crainte que les termes utilisés par le projet ne conduisent à stigmatiser la religion musulmane, à la différence de ceux proposés par la mission d'information. Il a souligné par ailleurs que, l'école étant un lieu d'intégration, toute sanction devait être précédée d'un dialogue, et que ce préalable devait figurer dans la loi.

Il a conclu son propos en indiquant que, si le groupe socialiste était convaincu de la nécessité d'adopter une loi sur la laïcité, le texte proposé par le Gouvernement n'était pas exempt de toute critique et que son adoption par les députés socialistes dépendrait de la prise en considération de certaines des modifications qu'il proposait.

Évoquant sa propre expérience professionnelle, M. Guy Geoffroy a souligné le désarroi et l'incertitude juridique dans lesquels se trouvaient les responsables d'établissements scolaires, dont la hiérarchie leur donnait pour toute instruction celle de ne pas prendre de mesures impopulaires à l'encontre des élèves. Il a considéré que, si l'intervention de la loi était éminemment nécessaire et très attendue, les textes d'application et les circulaires devraient veiller à éviter tout risque de détournement. De ce point de vue, il a jugé souhaitable de préciser que la notion d'établissement scolaire comprenait non seulement les bâtiments mais aussi l'enceinte des établissements. Réagissant aux propos tenus par M. René Dosière, il a souligné que la mention dans la loi de l'obligation préalable de dialogue était juridiquement inutile et de surcroît fort injuste à l'égard des chefs d'établissements, qui pratiquent en permanence le dialogue avec les élèves et les familles et préfèrent ne pas avoir à prononcer d'exclusion.

M. Michel Piron s'est interrogé sur l'apport, au regard du droit en vigueur, de l'adverbe « ostensiblement » retenu par le projet de loi et a craint que la jurisprudence en cette matière ne soit aussi variable et incertaine qu'elle l'était auparavant lorsqu'il s'agissait d'interpréter la notion de port « ostentatoire » de signes religieux.

M. Jean-Pierre Dufau a jugé utile de rappeler, par un texte clair et ferme, sans être provocateur, que la France est un État laïque et républicain, protecteur de la liberté de croyance, et qui n'a pas à recevoir de leçons de la part d'États théocratiques où cette liberté fait cruellement défaut. Après avoir rappelé les grandes étapes de la laïcité, comme la loi de 1882 sur la scolarisation obligatoire, ou celle de 1905 relative à la séparation de l'Église et de l'État, il a rappelé que l'école républicaine, en devenant gratuite, avait vocation à s'adresser à tous, que, de ce fait, elle devait être laïque et que, dans ces conditions, elle avait pu devenir obligatoire. Observant que la nécessité d'adopter une loi ne faisait plus guère débat, il a, à son tour, rendu hommage au travail de la mission d'information animée par le Président de l'Assemblée nationale et qui s'était prononcée, à la quasi-unanimité de ses membres, en faveur de l'interdiction du port de signes « visibles » d'appartenance à une religion. Évoquant la jurisprudence du Conseil d'État et l'exégèse, fort complexe, du terme « ostentatoire », il a exprimé la crainte que l'adverbe « ostensiblement » ne conduise de nouveau à des incertitudes et à des divergences d'interprétation résultant de la distinction entre les signes ou tenues et la façon dont ils sont portés. Après avoir de nouveau plaidé avec vigueur en faveur de l'interdiction du port des signes « visibles », il a souligné que le texte ne s'adressait pas seulement aux chefs d'établissement, mais constituait aussi un message fort en direction de l'ensemble de la société.

M. Gérard Léonard, a tenu à saluer le rappel par le rapporteur du rôle de la laïcité, judicieusement définie comme un outil d'intégration. Il a considéré que, si dans l'immédiat, une loi était nécessaire, il reviendrait plus tard au Parlement d'adopter une définition du contenu de la laïcité, afin de dissiper l'incompréhension révélée par le débat public. Après avoir rendu hommage aux travaux de la mission présidée par le Président de l'Assemblée nationale, ainsi qu'à ceux de la commission présidée par M. Bernard Stasi, il a considéré que ces réflexions préalables, quoique d'une qualité digne celle de la « commission Marceau Long » sur l'intégration, ne permettaient naturellement pas de faire l'économie du débat parlementaire. Quant au fond, il a estimé, comme le rapporteur, que l'expertise juridique du Conseil d'État, probablement proche des vues du Conseil constitutionnel, devait être prise en compte à sa juste valeur. Il a relevé que M. René Dosière, tout en défendant l'usage du mot « visible », avait insisté sur l'importance des signes religieux « montrés » par les élèves, justifiant ainsi sa préférence pour le terme « ostensible », mot neutre et moins porteur d'exclusion que celui de « visible ». Il a conclu en souhaitant que le législateur sache élaborer un texte épargnant aux chefs d'établissement l'obligation de mener une négociation sur l'application pratique de la loi.

M. Jean-Pierre Brard a tenu à souligner l'évolution de l'opinion des membres de la mission présidée par M. Jean-Louis Debré, lesquels sont progressivement passés d'une position majoritairement défavorable, à une unanimité moins deux abstentions en faveur de l'intervention d'une loi. Il a considéré que l'objectif n'était pas de résoudre le problème du port du voile, mais de replacer le débat sur la laïcité sur son véritable terrain, qui est celui de la loi de 1905, destinée à garantir la liberté de chacun de pratiquer le culte de son choix. Il a regretté que cette loi de tolérance et d'apaisement ait été historiquement perçue comme anticléricale, du fait de l'attitude de l'Église catholique et souhaité en conséquence que soit amélioré l'enseignement de l'histoire du fait religieux, qui fait partie du patrimoine symbolique commun de la Nation. Il a jugé peu satisfaisante la situation actuelle, le Conseil d'État s'étant arrogé le pouvoir de redéfinir le contenu de la notion de laïcité, avant de rappeler le raisonnement élaboré en ce domaine par la Cour européenne des droits de l'homme, lequel constitue une invitation à légiférer. Il a donc souhaité que le Parlement exerce pleinement sa compétence, sans se laisser dicter sa décision par l'exécutif.

M. Claude Goasguen a fait part de ses interrogations, liées au fait qu'un projet de loi applicable aux établissements scolaires prenne, dans le débat politique, le caractère d'un texte d'intégration, ce que confirme la décision prise par le Premier ministre de venir lui-même le présenter devant le Parlement. S'il a jugé raisonnable de légiférer pour répondre à l'attente de chefs d'établissement confrontés à des désordres dont le problème du voile n'est qu'un épiphénomène et convaincu que la République se devait de rappeler ce qu'était la laïcité, il s'est demandé pourquoi le projet de loi ne portait que sur les manifestations du fait religieux, et a souhaité que l'interdiction soit étendue à l'ensemble des signes attentatoires à la paix dans les établissements scolaires. Il s'est estimé, en cela, fidèle à la politique de Jules Ferry, selon laquelle la laïcité est avant tout le respect de l'autre et exige une attitude de mesure au sein des établissements scolaires. Il a rappelé que les travaux de la « mission Debré » étaient destinés à l'information de ses membres et plus largement de l'Assemblée nationale, et ne pouvaient préjuger du choix du Parlement en faveur des termes de « signes visibles » qu'il a, pour sa part, récusés. En conclusion, il a fait valoir que les parlementaires devraient pouvoir se retrouver sur une position équilibrée tendant à la fois à ne pas fustiger quelque religion que ce soit et à assurer la défense des valeurs de la République.

M. Émile Zuccarelli, tout en reconnaissant que certains pourraient ressentir ce texte comme une provocation, a jugé nécessaire de légiférer en ce domaine. Indiquant que certaines pratiques alimentaires liées à des croyances religieuses étaient d'ores et déjà prises en compte par l'école publique, il s'est toutefois interrogé sur la limitation de l'interdiction au seul domaine vestimentaire et sur le risque de voir ces croyances se manifester d'une autre manière, notamment par le refus de suivre certains enseignements.

Mme Valérie Pécresse a souligné qu'elle s'était finalement ralliée à l'idée de légiférer après avoir eu connaissance du cas d'un élève traduit devant un conseil de discipline et qui s'était fait accompagner d'un avocat. Elle a estimé que seule la loi pouvait donner une base juridique incontestable aux chefs d'établissement et dépasser une jurisprudence tolérante qui ne permettait de sanctionner que les comportements de nature à troubler l'ordre dans les établissements. Elle a souhaité que le législateur, sous peine d'attiser les extrémismes, adopte des dispositions claires et applicables sans ambiguïté.

En réponse, le rapporteur a apporté les éléments suivants :

-  alors que beaucoup considéraient naguère l'intervention du législateur comme inutile, le principe de l'intervention de la loi fait aujourd'hui l'objet d'un large consensus ; il serait hautement souhaitable que le même consensus puisse se retrouver sur le contenu même de la loi ;

-  si le Conseil d'État a défini un régime juridique qui n'apparaît pas aujourd'hui pleinement satisfaisant, il convient de rappeler qu'en 1989 le Conseil d'État avait dû concilier les principes en vigueur pour en dégager le droit applicable au port de signes religieux à l'école ;

-  bien que la mission d'information de l'Assemblée nationale ait préconisé l'interdiction du port de signes « visibles », le projet de loi a retenu l'adverbe « ostensiblement » : en effet, interdire les signes « visibles » aurait constitué une atteinte disproportionnée à la liberté de manifester sa religion, consacrée par l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, et exposé la France au risque d'une condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme.

La Commission a ensuite examiné les articles du projet de loi.

Article premier (article L. 141-5 du code de l'éducation) : Interdiction dans les établissements scolaires publics, du port de signes et de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.

La Commission a examiné un amendement présenté par M. René Dosière interdisant le port visible de tout signe d'appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. L'auteur de l'amendement a fait valoir que l'emploi du qualificatif « visible », déjà proposé par la mission d'information sur les signes religieux à l'école, assurait une neutralité de la loi à l'égard de toutes les religions, alors que l'adverbe « ostensiblement » peut être interprété comme visant surtout le port du voile islamique.

M. Xavier de Roux a déclaré ne pas partager cette opinion, relevant que l'emploi du terme « visible » était trop large, alors que l'emploi de l'adverbe « ostensiblement » permettait de concentrer l'action des autorités sur les seules attitudes qui troublaient réellement l'ordre dans les établissements scolaires.

M. Alain Vidalies, soutenant l'amendement, a contesté l'appréciation selon laquelle la Cour européenne des droits de l'homme pourrait considérer que l'interdiction des signes religieux visibles ne respecterait pas l'exigence de proportionnalité. Il a estimé que le Conseil d'État avait fourni un élément objectif du débat en jugeant que le port du voile n'avait pas en lui-même un caractère ostentatoire, alors que le projet de loi, dans les marges d'interprétation qu'il comportait, se révèlerait difficile à appliquer et alimenterait les contentieux. Il a regretté que la rédaction du texte substitue une définition subjective du port du signe religieux à la définition objective proposée par la mission d'information et a ajouté que la première manifestait une nouvelle conception de la laïcité qui insistait sur le respect de toutes les religions et qui s'affranchissait de sa conception originelle, héritée des drames de l'histoire commune et fondée sur la neutralité à l'égard de toutes les croyances religieuses.

Le rapporteur a confirmé qu'il n'existait aucune certitude quant à la position de la Cour européenne des droits de l'homme sur le texte proposé par la mission d'information, avant de citer à l'appui de son propos l'intervention devant cette mission de M. Ronny Abraham, directeur des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères, qui estimait qu'une législation qui interdirait le port visible de signes religieux dans l'enceinte scolaire (...) « répondrait à la première des trois exigences de la Convention européenne des droits de l'homme : l'exigence que toute mesure restrictive soit prévue par la loi, car on aurait là une règle législative parfaitement claire, précise, impérative. On ne pourrait certainement pas nous reprocher de rester dans le flou juridique et nous opposer que les élèves ne savent pas à quoi s'en tenir. En revanche, la question qui se poserait alors serait de savoir si une telle législation répondrait à la troisième des conditions : l'exigence de proportionnalité. (...) J'entends bien qu'il ne s'agit pas d'interdire partout et en toutes circonstances ; il s'agit de protéger la neutralité de l'enseignement public. Même avec cette restriction de localisation, il est très difficile de prévoir (...) ce que la Cour de Strasbourg jugerait en pareil cas. » Le rapporteur a ajouté qu'un jurisconsulte auditionné par ladite mission avait estimé que l'interdiction envisagée pourrait être compatible avec la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, laquelle s'est appuyée à plusieurs reprises sur le principe de laïcité.

Il a estimé que l'amendement conduirait à interdire tous les signes visibles, y compris ceux qui n'avaient pas à proprement parler un caractère religieux, y compris les signes immatériels. Il s'est déclaré favorable à une laïcité « ouverte » plutôt qu'à une sorte de « laïcisme fermé » - termes que M. Bernard Derosier a récusés - et s'est inquiété du risque de caricature qu'entraînerait l'utilisation du terme proposé par l'amendement, alors même que l'expression plus nuancée retenue dans le projet de loi avait été présentée à tort par certains médias comme répressive.

M. Hervé Mariton, favorable au texte du projet et à l'adverbe « ostensiblement », a fait observer que le terme « visible », retenu par la mission présidée par M. Jean-Louis Debré et auquel il s'était rallié dans un premier temps, pouvait conduire à interdire des signes même discrets, alors que la rédaction du projet répond à des situations concrètes, telles que celle d'un élève portant une croix et dont le changement de tenue - à la piscine par exemple - laisserait apparaître le signe sans pour autant constituer une manifestation ostensible. Il a estimé que le projet de loi faisait preuve de tolérance et offrait une réponse pratique aux questions posées.

M. Guy Geoffroy a insisté sur la nécessité de répondre à des cas de figure précis par des mesures concrètes qui ne prêtent ni à interprétation ni à contestation, ce que ne permettrait pas l'emploi du terme « visible ».

M. Sébastien Huyghe a exprimé son attachement au fondement laïque de la République, qui faisait de l'école non seulement un lieu d'apprentissage mais aussi le terreau de l'esprit critique et qui, en conséquence, ne devait pas être le cadre d'un quelconque prosélytisme. Il a estimé que, pour autant, la sanction de tout signe visible, y compris celui qui était porté sans aucune intention prosélyte, serait excessive.

M. René Dosière a partagé l'appréciation du rapporteur sur l'incertitude juridique, liée à la diversité des conceptions que l'on pouvait avoir de la laïcité. Dès lors que le problème revêt un caractère davantage politique que juridique, il lui est apparu souhaitable de lui apporter une solution politique, à laquelle correspond l'amendement qu'il propose.

M. Jacques-Alain Bénisti a rappelé que, selon le Petit Robert, était « ostensible » toute attitude qui exprimait l'intention d'être remarquée, définition qui permettait de clore le débat en faveur du texte du projet.

À l'issue de cette discussion, la Commission a rejeté l'amendement de M. René Dosière.

La Commission a ensuite rejeté l'amendement n° 5 déposé par M. Daniel Garrigue, étendant aux enseignants et aux personnels des établissements scolaires l'interdiction prévue par l'article premier.

Elle a ensuite examiné l'amendement n° 2, présenté par M. Claude Goasguen, étendant le domaine des signes dont le port est interdit à l'ensemble de ceux manifestant une conviction susceptible d'entraîner des manifestations publiques d'hostilité. Son auteur a indiqué qu'il ne lui paraissait pas souhaitable de limiter la portée du texte aux seules manifestations d'appartenance à une religion, en laissant aux circulaires le soin de traiter le cas des insignes de caractère politique. Il a précisé que l'amendement prenait mieux en compte la formulation retenue par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Il a enfin insisté sur le fait que la laïcité devait être fondamentalement comprise comme une acceptation de l'autre, et pas uniquement comme une garantie de la liberté religieuse.

Le rapporteur ayant considéré que le projet de loi était déjà critiqué en raison du risque supposé d'interprétations jurisprudentielles diverses, et estimé que ce risque serait encore accru par l'usage du terme de « conviction », la commission a rejeté cet amendement.

Elle a été saisie de l'amendement n° 3 rectifié de M. Hervé Mariton, étendant l'interdiction aux signes dont le port manifeste un engagement politique. Son auteur a souligné, d'une part, que le fait de limiter l'interdiction aux seuls signes religieux risquait de rendre la loi inapplicable et, d'autre part, que la neutralité de l'espace scolaire constituait un tout insécable qui ne lui semblait pas pouvoir faire l'objet d'une différenciation entre domaines religieux et politique. S'agissant de ce dernier, il a rappelé que les circulaires Jean Zay ne se situent pas à un niveau suffisant dans la hiérarchie des normes pour donner lieu à une application efficace et durable, comme en attestent les circulaires et décrets postérieurs. Il a jugé inopérante l'objection selon laquelle cet amendement serait inutile au motif qu'aucun contentieux n'est pendant en la matière, puisqu'aucune disposition du texte ne permet d'en écarter l'éventualité.

Le rapporteur a répondu que, si l'amendement traduit une proposition soutenue par des personnalités politiques éminentes, pour autant, aucune demande en ce sens n'avait été formulée par les chefs d'établissement eux-mêmes, y compris par M. Guy Geoffroy. Il s'est également inquiété d'éventuelles différences de traitement entre les signes religieux et politiques, eu égard notamment à leur taille respective.

M. Hervé Mariton a précisé que son amendement ne prévoyait aucune différence entre ceux-ci, et que les petits insignes de nature politique échapperaient à l'interdiction, de la même manière que les insignes religieux.

La Commission a rejeté l'amendement n°3 rectifié, de même que l'amendement n°4 déposé MM. Daniel Garrigue et Marc Le Fur, visant à étendre l'interdiction aux signes manifestant une appartenance maçonnique.

La Commission a été saisie de l'amendement n° 1 corrigé présenté par M. Édouard Balladur, tendant à limiter l'interdiction aux cas où le port des signes serait de nature à troubler le bon ordre de l'établissement. Son auteur a précisé que l'amendement avait pour objet de compléter, sans en modifier substantiellement la portée, le dispositif du Gouvernement, par l'ajout d'un membre de phrase assurant la compatibilité du texte avec les principes qui s'imposent à la loi. Il a souligné que, contrairement à certaines assertions, la question que le projet de loi entend traiter n'est pas affectée par un vide juridique, mais est en réalité encadrée par des principes, posés par l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que par l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde de droits de l'homme, qui s'imposeront donc à toute loi future, la Convention posant notamment le principe de proportionnalité, qui doit donc être pris en compte. Il a par ailleurs appelé l'attention sur les difficultés pouvant résulter de l'application du texte en Alsace-Moselle, où la présence de croix catholiques dans les établissements publics n'est pas rare, ainsi qu'à Mayotte, dont 90 % de la population est musulmane. Il a jugé souhaitable que le texte qui serait adopté soit pleinement applicable, plutôt que de donner lieu à des méconnaissances volontaires.

Il a ajouté que le texte, quelle que soit sa rédaction, ferait l'objet d'une interprétation par le juge, lequel se fondera notamment sur l'appréciation du trouble apporté, dans les cas d'espèce qui lui seront soumis, au bon ordre de l'établissement. Il a estimé dès lors préférable d'inscrire ce principe dans la loi elle-même, de façon à ne justifier l'interdiction que lorsqu'elle est manifestement nécessaire, ce que propose l'amendement n° 1.

Après avoir salué la qualité de cette argumentation, le rapporteur a indiqué que, même si la jurisprudence évoluait pour tenir compte de la loi nouvelle, l'introduction du concept de « bon ordre » ne ferait qu'en étendre la marge de manœuvre, d'autant plus que, déjà utilisée par le Conseil d'État, cette notion ne fait pas toujours l'objet d'une appréciation identique par le juge et les chefs d'établissement. S'agissant de Mayotte, le rapporteur a souligné que, selon les explications fournies par M. Mansour Kamardine, député de Mayotte, les jeunes filles de l'archipel ne portaient pas le foulard islamique, mais une sorte de coiffe africaine de caractère traditionnel, sans signification religieuse, et que, dans ces conditions, l'application du texte ne susciterait pas de difficulté. S'agissant de l'Alsace-Moselle, il a rappelé que les élus de ces départements étaient également favorables au texte, aucune disposition du Concordat ne s'opposant à son adoption et le port des signes religieux ne devant être accepté dans l'enceinte des établissements publics que pendant les horaires de d'instruction religieuse, au demeurant facultative, et dans les locaux utilisés à cet effet.

M. Claude Goasguen a estimé que l'application du texte à Mayotte ne lui paraissait pas de nature à s'effectuer sans difficultés et que la réponse du rapporteur, dans le cas de l'Alsace-Moselle, plaidait également, a contrario, dans le sens de l'amendement de M. Édouard Balladur, dans la mesure où il n'était pas souhaitable de multiplier les atteintes ponctuelles à la loi.

M. Philippe Houillon, bien que séduit par l'idée contenue dans l'amendement, a souligné le risque de laisser aux chefs d'établissement une marge d'appréciation génératrice d'incertitudes.

M. Philippe Vuilque a estimé que l'amendement proposé rendrait le dispositif plus fragile, puisque le voile, signe d'appartenance religieuse, est aussi celui de la soumission de la femme, qui n'est pas considérée en elle-même comme un trouble à l'ordre de l'établissement.

Après avoir remercié le président de la commission des affaires étrangères pour sa participation au débat de la commission, M. René Dosière a indiqué que l'amendement risquait de perpétuer la situation actuelle, particulièrement critiquable, dans laquelle les chefs d'établissement ont développé, sous la pression des événements et en raison de l'insuffisance des textes normatifs, des formes de « droit local », différent d'un établissement à l'autre. Il a en revanche partagé l'avis de M. Édouard Balladur au sujet de l'Alsace-Moselle, le « caractère propre » de ces territoires étant susceptible de justifier des dispositions particulières, tout comme le caractère propre des établissements privés confessionnels sous contrat, qui a d'ailleurs entraîné leur exemption du champ d'application du projet.

M. Gérard Léonard a tenu à corriger l'affirmation selon laquelle les salles de classe des établissements d'enseignement public d'Alsace-Moselle comporteraient des croix, cette situation étant révolue.

À l'issue de ce débat, la Commission a rejeté l'amendement n° 1.

La Commission a été saisie de trois amendements présentés par MM. Gérard Léonard, René Dosière et le rapporteur, tendant à prévoir une procédure de dialogue et de médiation préalablement à la sanction et renvoyant au règlement intérieur les conditions de sa mise en œuvre. M. Gérard Léonard a souligné qu'il ne s'agissait pas de faire peser une suspicion sur les proviseurs, qui sont d'ores et déjà habitués à ces procédures de médiation ; il a considéré cependant qu'une telle précision s'imposait car elle permettrait, en privilégiant le dialogue, de rassurer les Français sur la mise en œuvre de la loi. M. René Dosière s'est déclaré également désireux de faire comprendre aux élèves qu'il ne s'agissait pas de pratiquer l'exclusion. Évoquant les débats qui avaient eu lieu au sein de son groupe sur le projet de loi, il a indiqué que les parlementaires qui y étaient hostiles s'y étaient finalement ralliés du fait de la perspective de l'introduction d'une procédure de médiation préalablement à la sanction. Le rapporteur a exprimé sa satisfaction devant la convergence de vues ainsi exprimée et souhaité que la rédaction qui serait retenue soit cosignée par les trois auteurs d'amendements. M. Guy Geoffroy s'est élevé contre une rédaction qui laisserait entendre que les chefs d'établissement ne remplissaient pas une mission qu'ils accomplissent en réalité de manière permanente, à savoir la mise en œuvre du dialogue au sein de la communauté scolaire, et qui traduirait donc un sentiment de suspicion à l'égard des proviseurs de lycées et collèges. Rappelant les propos de M. Luc Ferry, M. Philippe Vuilque a indiqué que cette procédure contradictoire serait prévue par le décret ou la circulaire ; il a jugé dès lors souhaitable que le législateur en inscrive d'ores et déjà le principe dans la loi, afin de montrer à l'opinion publique qu'il s'agit davantage de persuader l'élève plutôt que de le sanctionner. Sur proposition de M. René Dosière, et avec l'accord du rapporteur, le terme de « dialogue » a été préféré à celui de « médiation ».

Un débat a alors eu lieu sur le point de savoir si le règlement intérieur devait préciser l'ensemble des dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation, ou seulement la procédure de dialogue. M. Francis Delattre, approuvé par M. Philippe Houillon, a exprimé la crainte que le règlement intérieur ne permette de circonvenir la loi et s'est déclaré en conséquence favorable à une rédaction qui limiterait son intervention à la mise en place du principe du dialogue. M. Guy Geoffroy, rappelant que les règlements intérieurs, identiques pour chaque catégorie d'établissements, comprenaient toujours des dispositions obligatoires et des dispositions facultatives, a jugé qu'il n'y avait pas d'inconvénient à prévoir que le règlement mette en œuvre l'ensemble de la loi. La Commission a finalement adopté l'amendement du rapporteur dans une rédaction qui renvoie au règlement intérieur le soin d'arrêter les modalités de la procédure de dialogue, les amendements de M. René Dosière et Gérard Léonard étant satisfaits.

La Commission a ensuite adopté l'article 1er ainsi modifié.

Article 2 : Application de la loi à Wallis-et-Futuna, à Mayotte et aux établissements du second degré de Nouvelle Calédonie ; article 3 (article L. 141-5 du code de l'éducation) : entrée en vigueur :

La Commission a adopté ces articles sans modification.

Titre 

La Commission a rejeté un amendement présenté par M. René Dosière modifiant le titre du projet pour faire référence au port des signes religieux dans les établissements publics d'enseignement. Tout en convenant que le projet de loi n'embrassait pas l'ensemble de la question de la laïcité, le rapporteur a jugé plus clair et plus pédagogique le titre initial.

La Commission a ensuite adopté le projet de loi ainsi modifié.


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