COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 9

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 novembre 2005
(Séance de 16 heures 15)

Coprésidence de M. Philippe Houillon, président de la commission
des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale
et de M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission
des Affaires culturelles, familiales et sociales

SOMMAIRE

Audition commune avec la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, de Mme Hanifa Chérifi, Inspectrice générale de l'Éducation nationale, sur l'application de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics (réunion ouverte à la presse).

La Commission a procédé à l'audition conjointe avec la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, de Mme Hanifa Chérifi, Inspectrice générale de l'Éducation nationale, sur l'application de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port des signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics (réunion ouverte à la presse).

Le président Jean-Michel Dubernard : Je suis heureux de souhaiter la bienvenue à Mme Hanifa Chérifi, inspectrice générale de l'Éducation nationale, qui a assuré de 1994 à 2004 le rôle de médiatrice auprès des établissements d'enseignement pour les problèmes liés au port du voile et qui a remis en juillet 2005, au ministre de l'éducation nationale, un rapport sur l'application de la loi du 15 mars 2004 qui interdit le port de signes religieux ostensibles dans les établissements d'enseignement publics.

Cette audition nous permet de revenir sur un sujet qui a ému et passionné le pays tout entier comme notre Assemblée et qui a révélé à quel point le respect du principe de laïcité constitue, notamment à l'école, un élément essentiel de l'identité nationale.

La grave crise qui secoue actuellement les quartiers les plus déshérités montre à quel point, face à des jeunes qui ont perdu tout repère, il est important de rappeler des règles strictes afin que le « vivre-ensemble » puisse être assuré dans une société plurielle. La laïcité, l'égalité des chances à l'école et la lutte contre toutes les formes de discriminations font partie de ces règles impératives.

Faut-il rappeler que les premières affaires de voile remontent à 1989 et qu'elles sont allées en s'amplifiant au fil des années ? Le 27 novembre 1989, la Conseil d'État, saisi par le gouvernement de l'époque, a rendu un avis par lequel il considérait que le port d'un signe religieux par les élèves n'est pas en soi incompatible avec le principe de laïcité. Les gouvernements successifs se sont alors efforcés, par voie de circulaires et de médiation, de trouver les bonnes réponses, tant sur le plan juridique que sur le plan humain.

Mais les difficultés ne s'apaisaient pas. Suite à l'avis du Conseil d'État, les recours devant les tribunaux administratifs contre les décisions d'exclusion des élèves par les conseils de discipline se sont multipliés, les médias amplifiant à l'envi le phénomène.

De leur côté, les enseignants et les chefs d'établissement ont manifesté des signes de découragement de plus en plus nets et, refusant d'avoir à régler le problème au cas par cas, ils ont demandé à l'État de prendre ses responsabilités et d'apporter une indispensable clarification juridique.

C'est dans ces conditions que le Président Jean-Louis Debré a demandé la création d'une mission d'information parlementaire sur la question des signes religieux à l'école, qui a été installée le 4 juin 2003 et qu'il a lui-même présidée. Le rapport adopté le 4 décembre 2003, concluait, comme d'ailleurs la Commission présidée par M. Bernard Stasi à la demande du Président de la République, à la nécessité d'adopter une loi interdisant le port visible de signe d'appartenance religieuse.

Le texte a été très rapidement adopté par le Parlement, à une très forte majorité, et publié le 15 mars 2004.

Cette loi, dont le principal mérite semble être la clarté, s'applique donc depuis deux rentrées scolaires. Vous êtes ici, Madame, pour nous dire quels en ont été les effets. A-t-elle été bien comprise et bien acceptée par l'ensemble de la communauté scolaire et en premier lieu par les jeunes filles directement concernées par le port du voile ? L'obligation d'organiser un dialogue avec l'élève avant l'engagement de toute procédure disciplinaire a-t-elle une réelle portée ? Y a-t-il encore des exclusions et des procédures devant les tribunaux administratifs ? Que deviennent les élèves qui ont préféré quitter le collège ou le lycée ou qui ont été obligés de le faire ?

Après la présentation de votre rapport, les commissaires vous poseront des questions sur l'ensemble des problèmes qui peuvent subsister, tels que la remise en cause de certains enseignements ou le refus de la mixité.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois : C'est au terme d'un travail parlementaire approfondi - une mission d'information présidée par le Président de l'Assemblée nationale, suivie du dépôt et de l'examen d'un projet de loi - que le Parlement a adopté la loi du 15 mars 2004 encadrant en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

La loi prohibe désormais le port de signes ou de tenues manifestant « ostensiblement » une appartenance religieuse - terme qui peut apparaître comme un compromis entre signes visibles et signes ostentatoires. Elle précise aussitôt que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire doit être précédée d'un dialogue avec l'élève.

Entrée en vigueur à la rentrée 2004, la loi a prévu une évaluation de ses dispositions un an après. À cet effet, Madame l'inspectrice générale, le ministre de l'Éducation nationale vous a confié, dès le mois de juillet 2004, la mission de suivre la mise en œuvre de la loi et une année plus tard, vous avez rendu au ministre un rapport d'application de la loi.

À sa lecture, une première conclusion s'impose. La situation s'est régulée, voire apaisée, et le journal Le Monde pouvait titrer le 30 septembre dernier : « Les signes religieux ostensibles ont pratiquement disparu des écoles », et souligner que la rentrée scolaire confirmait la décrue enregistrée l'an passé.

Quelques questions demeurent néanmoins, dont certaines intéressent tout particulièrement la commission des lois.

Tout d'abord, en ce qui concerne l'identification des signes ou tenues prohibés : la frontière n'est pas toujours aisée à fixer entre les signes d'appartenance religieuse et ceux portés en dehors de toute signification religieuse. La question s'est posée au sujet du turban sikh, et les tribunaux ont tranché dans le sens d'un signe ostensible d'appartenance religieuse. Elle s'est également posée à propos d'accessoires substitués au voile, comme les bonnets ou les bandanas, ce qui conduit à prendre en compte les circonstances de l'espèce et les intentions du porteur du vêtement concerné, avec des risques évidents de subjectivité. Doit-on distinguer des signes d'appartenance religieuse « par nature » et d'autres « par destination » ?

En second lieu, nous souhaiterions connaître les réponses que vous apportez à ceux qui ont mis en cause les conclusions « optimistes » de votre rapport, estimant qu'aux chiffres officiels il faut ajouter ceux des « exclusions silencieuses » et des « auto-exclusions », et plus généralement à ceux - je pense en particulier au rapporteur de la commission des droits de l'Homme des Nations Unies - qui soutiennent que l'application de la loi, en provoquant un sentiment d'humiliation, est susceptible de radicaliser les croyances religieuses.

Mme Hanifa Chérifi, inspectrice générale de l'éducation nationale : Je vous remercie de m'accueillir et je vous rappelle qu'après avoir suivi ce dossier pendant de longues années, depuis 1994, en tant que médiatrice, je me suis vu confier par le ministre de l'éducation nationale une mission de suivi de l'application de la loi du 15 mars 2004, au sein de la cellule nationale laïcité.

Le chapitre Ier de mon rapport traite de la préparation de la rentrée, qui a débuté immédiatement après le vote de la loi. Outre la rédaction de la circulaire, qui n'a pas été chose aisée car le texte de la loi était particulièrement court, une formation a été dispensée aux personnels, l'ensemble des règlements intérieurs ont été modifié, une cellule de veille et d'accompagnement a été créée.

Le chapitre II porte sur la rentrée, qui a été un test pour tous, institutions et adversaires de la loi. Il faut rappeler qu'elle s'est déroulée sous tension, dans le contexte de la prise d'otages en Irak et alors qu'on se demandait si la loi serait appliquée. Dans ce chapitre, j'évalue l'efficacité du dispositif dans un contexte de crise.

Le chapitre III donne une image de l'application concrète de la loi dans quatre académies sensibles : Strasbourg, Caen, Créteil et Lyon.

Dans le chapitre IV, il m'a semblé utile, forte de mon expérience de médiatrice, de remettre cette loi en perspective historique afin de bien en saisir la portée.

Le chapitre V est consacré au bilan proprement dit, quantitatif et qualitatif, avec quelques éclaircissements donnés par les tribunaux administratifs à l'occasion de recours d'élèves.

Le chapitre VI comporte un certain nombre d'observations d'ordre général ainsi que quelques préconisations.

Le rapport se termine par une annexe présentant des documents, officiels mais aussi non institutionnels.

La préparation du personnel pendant les six mois qui ont précédé la rentrée s'est révélée extrêmement utile dans un contexte de crise : quand on prépare le personnel, quand on explique clairement à ceux qui sont en charge d'appliquer la loi ce que l'on attend d'eux, les choses se passent beaucoup mieux. Dans ce dispositif, la « cellule de veille laïcité » a rempli un rôle très important, dans la gestion aussi bien des crises, par exemple dans l'académie de Strasbourg, que des signes ostensibles non prévus par la loi, comme le problème du turban sikh dans l'académie de Créteil.

À Strasbourg, nous étions en présence d'organisations militantes en faveur du voile, qui encourageaient les élèves à « laisser courir leur imagination » au motif que la loi ne comportait pas de définition précise du signe ostensible. Les médias ont d'ailleurs reproduit le portrait d'une jeune fille qui s'était rasé le crâne, sans doute pour suivre cette consigne. C'est ainsi que nous nous sommes retrouvés avec un chiffre record de 208 voiles dans cette académie. Les chefs d'établissement, en charge de faire appliquer la loi, s'en sont trouvé un peu déstabilisés.

Un travail très important a été accompli puisque, fin septembre, il n'y avait déjà plus que 82 voiles. Considérant que la situation était bloquée, l'ensemble des chefs d'établissement ont décidé de convoquer, le même jour et à la même heure, 82 conseils de discipline, ce qui aurait pu avoir un effet désastreux, bien au-delà de l'académie, dans un climat déjà tendu. Pour éviter de donner l'impression d'une charrette d'exclusions, la cellule de veille est intervenue afin d'inciter les chefs d'établissement à aller jusqu'au bout du dialogue et de permettre à un plus grand nombre de jeune fille d'enlever le voile. Ainsi, 17 exclusions seulement ont été prononcées.

S'agissant de la nature des signes ostensibles, on a vu avec surprise, dans l'académie de Créteil, que les équipes éducatives n'ont pas été mobilisées sur la question du voile mais sur celles du turban sikh. Fallait-il interpréter le turban, qui n'était mentionné ni dans la loi ni dans la circulaire, comme un signe religieux ostensible ? Fallait-il traiter ce problème différemment en raison du nombre restreint de cas ? En se faisant le porte-parole du ministre, la cellule a rappelé la nécessité d'un traitement égalitaire des élèves, quelle que soit leur confession. Sans doute les médias et les organisations qui nous observaient attendaient-ils de voir si nous avions une laïcité à géométrie variable, comme par le passé.

Les organisations internationales sikhes ont été très offensives ; ce sont les élèves sikhs qui ont introduit les premiers des recours devant les tribunaux et ce sont eux qui sont allés le plus loin dans les contentieux, montrant ainsi que ce n'est pas le nombre qui fait problème mais l'importance des tensions. Alors que certaines organisations militaient pour qu'on tolère un signe discret, par un accord passé entre les élèves et l'institution scolaire, les tribunaux administratifs ont levé l'ambiguïté sur la nature des signes visés par la loi et sur les signes dits de substitution. Ils ont aussi apporté des réponses sur la durée du dialogue et sur ses effets sur la scolarisation des élèves.

Le succès de la loi tient pour l'essentiel à la méthode suivie. La fermeté est porteuse de ce succès : il a été rappelé à plusieurs reprises que le dialogue n'était pas la négociation. Mais, alors qu'on ne savait pas comment appliquer la loi en raison de la prise d'otages, le dialogue a joué un rôle primordial, non seulement parce qu'il permettait de ne pas appliquer directement la loi, de façon trop abrupte, mais aussi parce qu'il prévoyait un suivi individuel et non une grande réunion de tous les parents d'un établissement pour leur expliquer la loi. C'est l'avenir scolaire de leur enfant qui a été placé au cœur des échanges avec les parents. Cela a permis d'écarter tous les intermédiaires qui se sont proposés. Cela n'a pas été facile car les directeurs étaient harcelés de demandes d'organisations et de personnalités qui proposaient leurs bons offices. Mais nous avons tenu bon parce que la loi ne prévoyait pour seuls interlocuteurs que les parents et les élèves.

Un autre aspect positif de la loi est le respect des convictions de chacun, sans stigmatisation ni jugement sur telle ou telle pratique. Parce que l'école publique doit accueillir tous les élèves, elle ne peut se plier à la règle de chacun, voilà le message qui a été délivré par les chefs d'établissement. Certaines élèves ont abandonné définitivement leur signe ostensible, même en dehors de l'école, et ont ainsi profité de la loi pour se libérer des contraintes. D'autres le remettent dès la sortie. La liberté de chaque élève est ainsi respectée. C'est sans doute ce qui a permis l'adhésion spontanée des élèves au respect du principe de laïcité.

Je souhaite également commenter un certain nombre de tableaux et graphiques qui se trouvent à la fin de mon rapport. Le tableau de la page 42 donne le bilan national et académique de l'application de la loi au 20 décembre 2004. Parmi les 639 cas recensés, la plupart concernent le voile islamique, avec douze turbans sikhs et deux grandes croix. On voit qu'il y a eu 48 conseils de discipline pour 47 exclusions prononcées et une réintégration. La colonne de droite montre, pour comparaison, qu'il y avait eu 1 465 signes signalés en 2003-2004. J'observe toutefois qu'il ne s'agissait que d'une estimation et non d'un recensement objectif, car on ne s'intéressait alors qu'aux difficultés rencontrées.

Le graphique 1, page 43, montre que la question des signes ostensibles ne se pose pas de la même manière sur tout le territoire, six académies seulement - Strasbourg, Lille, Créteil, Montpellier, Versailles et Lyon - dépassant les 15 signes et concentrant 82 % des cas.

Le graphique 2, page 44, montre l'évolution du nombre de signes au cours de la première semaine de la rentrée. On s'aperçoit que la quasi-totalité des difficultés était apparue avant le 10 septembre et que, après la rentrée, il n'y a pratiquement pas eu d'autres élèves qui se soient mises à porter le voile.

Le graphique 4, page 45, permet de comparer les 3 000 signes recensés en 1994-1995, au moment de l'application de la circulaire ministérielle sur les signes ostensibles, et les 639 cas de la rentrée 2004-2005, quand la loi est entrée en application.

Le graphique 5, page 45, qui compare la situation nationale des exclusions et des recours au fond devant les tribunaux administratifs en 1994-1995 et en 2004-2005 montre que le nombre des exclusions est tombé de 139 à 47 et celui des recours de 99 à 28. L'effet de la loi a été indéniable.

Le graphique 6, page 46, décrit la situation, en juin 2005, des 639 élèves qui, lors de la rentrée scolaire, arboraient un signe religieux ostensible. On constate que 496 élèves ont enlevé ce signe, que 71 élèves ont choisi l'enseignement par le CNED et que 72 élèves ont fait d'autres choix, dont celui de suivre un enseignement privé.

Enfin, le graphique 7, page 47, indique, par académie, le nombre de cas réglé par le dialogue et celui des exclusions par les conseils de discipline. On relève que les exclusions ne sont pas proportionnelles au nombre des signes apparus : si on les rapporte au nombre de signes portés, il y a eu très peu d'exclusions dans l'académie de Strasbourg, à la différence de ce qui s'est passé dans l'académie de Lyon. La gestion du problème n'a donc pas été la même sur l'ensemble du territoire.

Le rapport établit aussi un rapport qualitatif sur l'effet de la loi. Certains ont considéré qu'à la rentrée 2004, l'« effet otages » avait joué davantage que l'application de la loi. Selon moi, les deux ont joué et, au regard des chiffres enregistrés lors de la présente rentrée, l'effet de la loi, indéniable, déborde la seule question du port de signes religieux ostensibles. On constate, plus largement, la fin des désordres récurrents qui, jusque-là, ont été interprétés comme le refus de la laïcité par certains élèves musulmans. L'effet positif de la loi s'exprime encore davantage cette année et le texte a eu des retombées positives sur d'autres aspects comportementaux.

Toutefois, certains points controversés demeurent. Le premier porte sur la situation des parents accompagnateurs. En effet, si certains chefs d'établissement acceptent que des mères voilées accompagnent les sorties scolaires, d'autres ne l'acceptent pas ; le flou persiste. Pour ce qui est de la question des signes ostensibles dans les salles d'examen, on sait que la direction des affaires juridiques du ministère de l'éducation nationale a dû rappeler la règle par voie de circulaire.

En conclusion, la transmission des valeurs à l'école ne peut se faire par la seule voie autoritaire. La persuasion doit primer. C'est dire la nécessité d'un travail pédagogique permanent et d'une réflexion constante sur la laïcité, même hors les périodes de crise. Ce serait en effet une erreur de penser que le problème est derrière nous, car si la loi est nécessaire, elle ne suffit pas à faire vivre la laïcité. Ce que l'on sait des chiffres concernant la rentrée scolaire 2005 confirme le succès de la loi, une loi qui, parce qu'elle place toutes les religions sur un pied d'égalité, n'est ni discriminante ni raciste. Comme la loi de 1905, elle vaut pour tous les cultes, et les arguments selon lesquels elle serait discriminatoire sont peu recevables. Quant au rapport, j'ai tenu à le rendre aussi complet que possible, en rassemblant des documents épars généralement peu accessibles, et j'ai souhaité en faire un outil pour les chefs d'établissement, pour cette rentrée et pour les rentrées suivantes.

Le président Jean-Michel Dubernard : Je vous remercie, Madame, et j'invite M. Jean-Christophe Lagarde à poser la première question.

M. Jean-Christophe Lagarde : Je n'étais pas particulièrement partisan de cette loi mais, puisqu'elle est devenue une loi de la République, elle doit s'appliquer et il est bon de savoir qu'elle s'applique. Il n'empêche qu'elle traduit certaines des contradictions qui traversent la société française. Il aurait été intéressant de rappeler le nombre de signalements enregistrés en 2003-2004 et le nombre de cas ayant posé problème. Le rapport ne le fait pas, mais je crois me souvenir que l'on a eu à connaître, cette année-là, d'une vingtaine de cas concernant des jeunes filles voilées. C'est dire que si la comparaison avait été faite avec l'année scolaire 2004-2005, on aurait constaté que le nombre d'exclusions et de problèmes constatés n'a pas tellement varié depuis l'application de la loi, ce qui n'est pas inintéressant.

Je me rappelle avoir fait observer à M. Luc Ferry, alors ministre de l'éducation nationale, qu'à aucun moment la Commission Stasi n'a auditionné les Sikhs. Deux des trois élèves sikhs exclus l'ont été dans ma circonscription. À ce sujet, même si les tribunaux se sont forgés une doctrine, ils peuvent en changer demain car on a pris, en ce qui les concerne, le risque d'interprétations variables. Je rappelle en effet que pour les Sikhs, ce n'est pas le turban qui est un signe religieux, mais le cheveu ; autrement dit, si un juge est objectif, il constatera que la coiffure a pour objet de cacher le signe religieux. Alerté sur ce point, M. Luc Ferry avait répondu que les jeunes gens concernés n'avaient qu'à porter un filet... réponse qui m'avait parue fort peu convaincante. Si de jeunes Sikhs se trouvent des avocats plus incisifs, ils démontreront sans mal qu'il y a là une contradiction réelle et sérieuse. En attendant, la conséquence de ces décisions de justice a été la création dans mon département d'une école privée dans laquelle 250 élèves sikhs se sont inscrits, qui ne sont donc plus dans l'école de la République. D'autres solutions auraient pu être trouvées ; il y a là quelque chose d'illogique et d'assez dangereux.

Pour ce qui est des sorties scolaires, le ministère, interrogé, n'a pas répondu à la question de savoir si un parent d'élève portant un signe religieux distinctif était susceptible de se voir refuser le droit d'accompagner les élèves. Cette absence de réponse est éminemment regrettable. En ma qualité de parent et de député, je conçois mal que mes enfants soient amenés à participer à des sorties scolaires ainsi accompagnés, puisque je n'accepterais pas qu'ils soient accompagnés par des enseignants ainsi vêtus. Il est hautement souhaitable que le ministre tranche, quitte à ce que l'on plaide si l'on doit plaider. Il y a quelques jours encore, dans l'école de ma fille, une maman voilée a elle-même demandé si elle pouvait accompagner une classe, et l'instituteur n'a su que lui répondre. Il serait utile que le ministre donne des directives précises.

M. Michel Piron : Vous avez salué la méthode choisie, ce dont je vous donne acte, Madame. Mais vous avez dit, aussi, que la loi a permis le dialogue. Voilà qui surprend : le dialogue aurait-il été impossible sans la loi ? Lors de l'élaboration du texte, les questions sémantiques m'ont laissé perplexe. Et si je puis comprendre que l'on gagne en symbolique au prix d'une déperdition sémantique, je ne suis pas convaincu que la symbolique du débat ait facilité la maïeutique par une réponse plus claire et mieux admise.

Enfin, il aurait été utile qu'un rapport tel que celui-ci rapporte les cas évoqués au nombre total d'élèves. Le pourcentage ainsi révélé aurait permis de remettre les choses en perspective et de prendre la mesure du problème posé.

M. Pierre-André Périssol : Vous avez évoqué, Madame, les chiffres relatifs à la rentrée 2004, première rentrée après le vote de la loi, et dont vous avez rappelé qu'elle s'est faite au moment de l'affaire des otages. Mais qu'en est-il pour la rentrée 2005 ? Les effets bénéfiques constatés se maintiennent-ils, régressent-ils, progressent-ils ? Par ailleurs, la loi ne s'applique pas à l'Université. Que s'y passe-t-il ? Le port du voile y a-t-il explosé ou la loi a-t-elle eu un effet bénéfique à l'Université aussi ?

J'étais membre de la mission d'information dont les conclusions ont conduit à l'élaboration de la loi. À l'époque, les partisans de la liberté totale, opposés à ce que l'on légifère, expliquaient que la question devait être traitée comme un tout, sans que l'on se focalise sur les signes religieux, et qu'il fallait donc aussi se préoccuper de l'absentéisme aux cours de biologie ou d'éducation physique ainsi que des absences pour motifs religieux le vendredi et le samedi. Sait-on si l'affirmation de la laïcité a eu un impact sur ce plan ? Les responsables d'établissement nous avaient expliqué être démunis pour lutter contre ces formes d'absentéisme : un mot signé d'un parent suffit à excuser les absences, l'Éducation nationale n'a pas les moyens juridiques de faire procéder à une contre-expertise des certificats médicaux proscrivant la pratique sportive, et la procédure de passage en conseil de discipline est si lourde que les chefs d'établissement rechignent à l'utiliser pour ces motifs. Toutes ces raisons expliquent que, s'ils sont face à des familles déterminées, ils se trouvent relativement impuissants. Qu'en est-il, maintenant, de l'assiduité aux cours ? Je citerai une nouvelle fois l'école de ma fille, dans laquelle une institutrice accepte l'absence d'une élève juive le samedi, toute l'année, sans que cela suscite aucune réaction. Des moyens ont-ils été donnés aux chefs d'établissement à ce sujet, comme le ministre s'y était engagé ? Des progrès ont-ils été constatés ?

M. Jean-Pierre Blazy : J'appartenais également à la mission d'information et j'étais partisan de la loi, que j'ai votée sans états d'âme et avec conviction. Je me réjouis de cette première évaluation, que je considère comme positive, puisque les chiffres montrent l'effet dissuasif qu'a eu le texte. De plus, contrairement à ce qu'avancent ceux qui parlaient d'une loi d'exclusion, c'est bien le dialogue qui a eu un effet positif, comme en témoigne le nombre très limité de conseils de discipline qu'il a fallu réunir à ce sujet.

La loi est donc ferme, elle rappelle les valeurs essentielles de la laïcité à l'école et elle a trouvé à s'appliquer en respectant la nécessité essentielle du dialogue. Ainsi, dans l'académie de Versailles, un seul conseil de discipline a dû se réunir, ce dont je me félicite d'autant plus que je m'attendais à de sérieuses difficultés. J'observe cependant, s'agissant des recours, que seize jugements sont en attente ; ces délais me semblent bien longs.

Se pose aussi, vous l'avez souligné, la question de la tenue des parents. S'agissant des sorties scolaires, je crois savoir qu'un texte assimile les parents, dans l'exercice de leur mission d'accompagnement, à des agents du service public. Dans ce cadre, les dispositions de la loi s'appliquent également à eux et, si mon interprétation est la bonne, elles doivent être rappelées aux chefs d'établissements. Mais dans ma ville, Gonesse, des parents siègent à un ou deux conseils d'école en arborant des signes religieux et, dans ce cas, la loi ne s'applique pas à eux. Aurait-il fallu légiférer à ce propos? La question reste ouverte, puisque nous avons voulu rappeler les principes de la laïcité aux enfants et aux jeunes gens, lesquels voient ensuite que des parents entrent à l'école, en leur qualité de parents d'élève, en arborant des signes religieux. Une réflexion s'impose.

Enfin, j'ai entendu le Premier ministre turc exposer que les événements actuels en France s'expliquent par le vote de cette loi. Quelles réflexions vous inspire cette déclaration ?

M. Guy Geoffroy : En ma qualité d'ancien chef d'établissement du second degré dans l'académie de Créteil, j'ai été très intéressé par votre rapport. J'observe que si la loi donne des résultats satisfaisants, c'est parce qu'elle a été parfaitement accompagnée par des textes réglementaires mais aussi parce que, pour la première fois, les chefs d'établissements se sont sentis en situation de pouvoir faire face. Jusqu'alors, ils étaient réticents à agir, tant parce qu'ils ne savaient pas s'ils pourraient régler les problèmes qui se posaient à eux que parce qu'ils ignoraient s'ils seraient soutenus. La loi étant votée, les choses sont claires. Mais si le texte a pu être appliqué dès la rentrée 2004, la situation est encore fragile. D'ailleurs, le rapport aurait plutôt dû être intitulé : « Rapport sur le port ostensible de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les établissements d'enseignement public », puisque c'est précisément de cela qu'il s'agit.

Dans cette optique, peut-on avoir des chiffres précis sur la répartition des cas enregistrés selon les catégories d'établissements ? Des évolutions sont-elles perceptibles et peut-on les mesurer ? S'agissant des conseils de disciplines et des suites qui leur sont données, toutes leurs décisions ont-elles été soumises à appel devant les recteurs ou les recours ont-ils eu lieu directement devant le tribunal administratif et, si oui, pourquoi ? Quels arguments ont été utilisés pour tenter de faire annuler les décisions ? Quelle amorce de jurisprudence se dessine ? Les réponses à ces questions sont d'une importance particulière car elles permettraient de mesurer si nous sommes dans le calme plat qui précède les tempêtes ou si, le texte ayant été bien ciblé dès l'origine, on peut considérer l'apaisement comme acquis et la question définitivement réglée.

M. Émile Zuccarelli : J'ai moi aussi voté cette loi sans état d'âme et je suis heureux que votre rapport montre que les choses épouvantables que nous prédisaient les Cassandre ne se sont pas produites. Je souhaite toutefois, comme mon collègue Pierre-André Périssol, que vous nous indiquiez si les chiffres de 2005 confirment la tendance.

Par ailleurs, ce qu'a dit Jean-Christophe Lagarde des sikhs montre que le débat qui avait pu sembler byzantin sur le mot « ostensible » n'était pas dénué de sens. Car, entre un signe visible est un signe ostensible, la différence tient à l'intention et nous savons très bien que faire des procès d'intention est en matière de justice une chose bien difficile. Fort heureusement, quand les magistrats ont été saisis, ils ont considéré qu'il n'y avait pas d'ambiguïté.

Pour notre part, nous devons refuser de nous laisser enfermer dans cette affaire : la laïcité n'est pas le refus de la religion mais la lutte contre le communautarisme et contre l'affichage d'une appartenance à une communauté non pas religieuse mais ethnique. Sans doute n'y a-t-il pas urgence à modifier la loi sur ce point, mais je crois que le législateur devrait y réfléchir.

M. Christophe Caresche : J'ai également voté la loi sans état d'âme mais pas sans interrogations sur le risque d'une incompréhension qui aurait pu attiser les tensions au lieu de les apaiser. De ce point de vue le rapport est donc très satisfaisant, notamment parce qu'il analyse ce qui a bien fonctionné jusqu'ici. Vous l'avez montré, c'est la réaffirmation du cadre et de la règle qui ont permis le dialogue et rassuré des enseignants quelque peu perdus.

Il est assez fréquent d'assimiler la communauté musulmane à la religiosité et à l'islam alors qu'un certain nombre de ses membres veulent la laïcité et une sécurité juridique. Vous avez d'ailleurs eu raison de rappeler que la loi s'est appliquée dans le contexte de la prise d'otages car on a bien vu que la communauté musulmane se montrait extrêmement responsable et qu'elle préférait l'intégration dans la république aux appels religieux de l'étranger. Cette loi vient donc aussi conforter ceux qui veulent participer à l'universalisme qui fonde notre république. Au moment où certains s'interrogent sur la validité de notre modèle républicain, il est assez rassurant de constater qu'il n'exclut pas mais qu'il inclut.

Enfin, des pays comme l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, dont le modèle n'est pas analogue au nôtre, se sont intéressés à cette loi et souhaitaient pour partie s'en inspirer. Pouvez-vous nous apporter quelques précisions à ce propos ?

Mme Michèle Tabarot : J'ai aussi voté la loi, avec plaisir, après avoir fait partie de la mission présidée par Jean-Louis Debré.

S'agissant des situations qui ont été améliorées grâce au dialogue, M. Jean-Christophe Lagarde a dit que les comparaisons n'étaient pas significatives. On observe aussi qu'un certain nombre de chefs d'établissement ne signalaient pas les difficultés, soit pour éviter les conflits, soit parce qu'ils estimaient que les jeunes filles voilées ne posaient pas de problème particulier. Il serait intéressant de savoir comment, aujourd'hui, les chefs d'établissement et les enseignants perçoivent la situation.

Lors des auditions de notre mission, nous avions évoqué les pressions que peuvent subir les jeunes filles, moins d'ailleurs désormais de la part de leurs parents que de leurs frères ou des autres jeunes de leur cité. Vous avez dit que certaines remettaient le voile à la sortie de l'école et M. Pierre-André Périssol a parlé des universités. Est-il possible de déterminer si ces pratiques relèvent d'une démarche religieuse volontaire ou de la pression de l'environnement ?

Le président Jean-Michel Dubernard : Je souhaite pour ma part ajouter deux questions à celle de mes collègues.

Tout d'abord, même si la loi ne s'applique pas dans les établissements privés, avez-vous des informations à leur propos ?

Je rappelle par ailleurs qu'aux termes de la circulaire du 18 mai 2004 : « Parce que l'intolérance et les préjugés se nourrissent de l'ignorance, la laïcité suppose également une meilleure connaissance réciproque y compris en matière de religion ». Pensez-vous dans ces conditions qu'il soit nécessaire de renforcer l'enseignement du fait religieux ? Quelles mesures en ce sens vous paraîtraient souhaitables ?

Mme Arlette Grosskost : Je suis élue de Strasbourg, qui connaît en effet beaucoup de problèmes en la matière, parce que nous avons une forte communauté turque, mais aussi parce que nous sommes encore concordataires. Comment envisagez-vous l'évolution de cette situation ? Il est vrai, comme vient de dire le Président Jean-Michel Dubernard, que pour éviter des problèmes plus graves encore à l'avenir, il va bien falloir prévoir l'enseignement du fait religieux au regard des textes en vigueur en Alsace-Moselle.

Mme Hanifa Chérifi : J'observe, s'agissant des Sikhs, que ce n'est pas la question du tissu qui se pose mais bien celle du choix religieux, tout comme pour le voile islamique. En effet, selon une interprétation plutôt fondamentaliste, les femmes musulmanes ne doivent pas porter le voile mais cacher leur chevelure, et le mot « hijab » signifie d'ailleurs voiler, cacher, obscurcir. Face au refus du voile, on a d'ailleurs vu des jeunes filles opter pour la perruque, comme dans la religion juive.

Il me paraissait par ailleurs éminemment nécessaire de traiter les Sikhs comme tous les autres porteurs ostensibles de signes religieux : on aurait risqué à défaut d'assister de nouveau à des manifestations dénonçant une discrimination. Car la situation reste extrêmement sensible et le risque d'une crispation est toujours présent. J'ajoute que les organisations musulmanes ont été extrêmement vigilantes sur la question des Sikhs.

Il faut rappeler qu'avant que je mette en place les outils statistiques nécessaires, nous ne disposions pas de chiffres précis. C'est en fait grâce à la loi que les inspecteurs d'académie ont pu identifier les cas concrets.

Mon rapport montre que les interprétations divergent sur les sorties scolaires. J'y ai annexé deux communiqués de presse : l'un, de la Fédération des conseils de parents d'élèves, accepte le principe de l'accompagnement par des femmes voilées, l'autre, du syndicat des inspecteurs UNSA-Éducation, le rejette en s'appuyant sur les textes. Pour ma part, je me suis contentée de rendre compte objectivement du débat, sans chercher à interférer sur la décision.

M. Michel Piron a semblé considérer qu'il y aurait eu dialogue même sans la loi. En effet, mais de façon hétérogène, tant pour la durée que pour les interlocuteurs choisis. Grâce à la circulaire, on sait désormais clairement quels sont ces derniers : les parents et les élèves. Auparavant, ce pouvait être un imam, un prêtre ou un représentant de SOS-Racisme. L'intérêt de la loi est donc de s'imposer à tous sur tout le territoire, y compris, à la différence de la loi de 1905, en Alsace-Moselle.

J'ai arrêté de suivre le dossier quand j'ai remis mon rapport, en juillet 2005. Je ne connais donc ni les chiffres actuels ni l'atmosphère qui règne dans les académies. Je sais simplement que les douze cas constatés en début d'année concernaient des élèves sikhs qui sont allés jusqu'au conseil de discipline. Il me semble donc que les effets positifs de la loi s'expriment plus encore cette année et que, même si on ne peut bien sûr affirmer que ces progrès sont définitivement acquis, la laïcité est désormais admise par tous. Bien évidemment, il reste un travail énorme à faire sur la laïcité, mais surtout d'un point de vue pédagogique, en dehors de l'enseignement du fait religieux. Il faut donc, notamment dans les IUFM et dans la formation continue, maintenir la réflexion sur la laïcité, partie intégrante du socle des valeurs républicaines.

Il est vrai qu'un certain nombre de problèmes se posent à l'Université, mais cela ne relevait pas du champ de mon étude. S'agissant des écoles privées, on n'a pas eu ce mouvement annoncé des jeunes filles qui auraient quitté en masse les écoles publiques pour rejoindre le privé. Même les établissements scolaires musulmans, notamment celui de Lille, n'ont pas eu un afflux d'élèves, et les établissements catholiques disent qu'ils n'ont pas plus de demandes qu'auparavant. J'ajoute que certains établissements privés ont appliqué d'eux-mêmes la loi, bien qu'elle ne s'imposât à pas à eux.

La loi a d'ailleurs eu aussi des retombées positives sur les autres manifestations d'appartenance religieuse : alors que nous recevions auparavant des informations sur les certificats médicaux de complaisance pour éviter d'aller à la piscine, sur le refus de participer à certains cours, sur le rejet de la mixité, ces faits ont été en recul pour l'année scolaire 2004-2005 et les incidents sont plus rares, y compris pendant le ramadan. Les effets de la loi débordent donc largement la question des signes religieux, peut-être parce qu'elle a été appliquée alors qu'on ne s'attendait pas à ce qu'elle le soit réellement, parce que les gens ont été formés, parce que le dialogue a été mené. Je suis pour ma part persuadée que s'il n'y avait pas eu la loi, les élèves n'auraient pas accepté la laïcité avec la même bonne volonté.

Le graphique 3, page 44, donne la répartition des cas par cycles. On s'aperçoit que même le primaire est concerné alors qu'on peut se demander quel est le degré de liberté d'un enfant qui porte un signe ostensible à onze ans. Entre le collège et le lycée, la différence est faible, ce qui montre que dès lors qu'un élève adopte un signe, il ne le quitte plus pendant toute sa scolarité. On voit qu'on se trompait quand on considérait auparavant que l'école ferait en sorte qu'il l'abandonne : s'il n'y avait pas eu la loi, l'école aurait eu beau faire des efforts pour promouvoir les valeurs républicaines, la force du signe religieux aurait été supérieure.

Les Pays-Bas, la Belgique, l'Allemagne ont regardé avec beaucoup d'intérêt l'application de la loi en France. Rappelons que, il n'y a pas si longtemps, les sociologues jugeaient désuète la conception française de la laïcité et prônaient son abandon en faveur de modèles étrangers, notamment anglo-saxons. En fait, le débat au sein de la mission Debré et de la commission Stasi et l'application de la loi ont remis la laïcité au centre des valeurs. Quant à nos voisins, confrontés aux mêmes problèmes avec les signes religieux, ils attendaient en fait de voir comment nous nous en sortirions...

Ayant eu des contacts avec des journalistes et différents responsables aux Pays-Bas et en Allemagne, j'ai constaté que même s'ils n'en sont pas au même degré que nous, une évolution se fait jour. Ainsi, en Allemagne, les enseignantes n'ont plus le droit de porter le voile islamique alors que, jusqu'à une période récente, on avait tendance à les laisser faire. Pour les élèves, la situation n'est pas aussi tranchée mais, d'une manière générale, tous se sont montrés très intéressés par la façon dont nous avons mené les choses. Ils sont à présent dans l'expectative.

Le président Jean-Michel Dubernard : Autrement dit, nous sommes pionniers mais encore seuls.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois : Ils attendent de voir si la greffe prend...

Mme Hanifa Chérifi : Il est intéressant de savoir qu'en Turquie, une étudiante qui s'était vu interdire l'entrée de l'Université et même de passer ses examens parce qu'elle portait le voile et qui avait saisi la Cour européenne des droits de l'Homme a été déboutée. C'est une première, dont tous les pays européens ont pris connaissance avec un intérêt soutenu.

Le président Jean-Michel Dubernard : Madame, le Président Philippe Houillon et moi-même vous remercions vivement.

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