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COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 22

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 17 janvier 2006
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Philippe Houillon, président

SOMMAIRE

Audition de M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi portant réforme des successions et des libéralités (n° 2427) (M. Sébastien Huyghe, rapporteur).

La Commission a procédé à l'audition de M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi portant réforme des successions et des libéralités (n° 2427) (M. Sébastien Huyghe, rapporteur).

Le président Philippe Houillon a souligné l'importance du projet de loi portant réforme des successions et des libéralités, qui poursuit trois objectifs : donner davantage de liberté aux personnes pour organiser leur succession, avec l'introduction du pacte successoral et l'extension du champ d'application des donations-partages ; faciliter la gestion du patrimoine successoral en sécurisant la période séparant le décès du partage ; accélérer et simplifier le règlement des successions en réformant la procédure de partage. Il s'agit donc d'adapter les règles de la transmission du patrimoine aux évolutions de la société en prenant notamment mieux en compte la configuration actuelle des familles et la volonté de ceux qui souhaitent transmettre leurs biens.

Le président Philippe Houillon a demandé jusqu'où il serait possible d'aller dans la modification des règles relatives à la réserve héréditaire.

Puis il a insisté sur la nécessité que ce texte entre en vigueur dans les meilleurs délais, si possible dès le début 2007, et a prié le garde des Sceaux de rassurer la Commission sur son calendrier d'examen.

M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a déclaré que ce texte paraissait simple de premier abord mais s'avérait finalement compliqué, et a félicité le rapporteur pour son travail d'expert et pour ses amendements très intéressants.

Puis il a décrit les grandes lignes du projet de loi.

Ce projet s'inscrit dans le cadre de la réforme globale du droit de la famille et fait suite à deux réformes importantes : celles du divorce et de la filiation. L'adaptation du droit des successions et des libéralités est un sujet ancien qui a donné lieu par le passé à plusieurs tentatives de réformes. En 1988, 1991, 1995 et plus récemment en 2002, avec la proposition de loi déposée par MM. les sénateurs Jean-Jacques Hyest et Nicolas About, des projets ont été présentés mais aucun n'a pu aboutir. La loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant a certes amorcé une évolution positive du droit des successions, mais de nombreux points souffrent de ne pas avoir été modifiés depuis 1804. Il est indispensable d'adapter le droit aux évolutions du monde contemporain et aux besoins de la société.

Le caractère obsolète et souvent excessivement rigide du droit des successions a non seulement pour conséquence que celui-ci est devenu globalement incompréhensible mais, ce qui est plus grave, son application entraîne des situations inacceptables. Inacceptables pour les familles confrontées à des liquidations de successions longues et inutilement conflictuelles. Inacceptables également pour le patrimoine en question, souvent malmené à l'occasion de la transmission des biens, notamment des entreprises.

La réforme du droit des successions doit relever un triple défi. D'abord, le défi des évolutions démographiques et sociologiques : avec le vieillissement de la population, on hérite de plus en plus tard ; avec les familles recomposées, la configuration des successions devient de plus en plus complexe. Ensuite, les évolutions économiques : chaque année, près de 10 000 entreprises disparaissent en raison des difficultés suscitées par la succession de l'entrepreneur décédé ; dans les dix ans à venir, 450 000 entreprises devront être transmises et le droit n'est pas adapté pour y faire face. Enfin, il est devenu absolument nécessaire de mieux prendre en compte des situations particulières qui appellent une attention spécifique, notamment celle des familles dont un enfant est atteint d'un handicap. Dés lors, le législateur se doit d'intervenir pour adapter les règles du droit des successions et des libéralités, qui répondent très imparfaitement, en raison de leur complexité et de leur rigidité, aux aspirations des Français.

Cette réforme tant attendue est le fruit d'un long travail de préparation. Elle a donné lieu à une consultation approfondie de l'ensemble des acteurs économiques et des professionnels du droit. De ce travail préparatoire, il résulte une réforme qui, dans ses principes et ses lignes directrices, paraît largement consensuelle. À cet égard, le garde des Sceaux s'est réjoui de la qualité des échanges entre la Commission et le ministère de la justice depuis le dépôt du projet sur le bureau de l'Assemblée nationale, et a renouvelé ses remerciements au rapporteur, M. Sébastien Huyghe, pour ses propositions d'améliorations.

Les principales dispositions du projet s'articulent autour de trois objectifs : donner plus de liberté pour l'organisation des successions ; accélérer et simplifier le règlement des successions ; faciliter et simplifier la gestion du patrimoine successoral.

Le premier objectif est de donner plus de liberté pour l'organisation des successions. Les règles qui protègent les droits des héritiers doivent être conservées. La désignation des héritiers et, parmi eux, de ceux qui sont protégés par la réserve héréditaire ne sera pas modifiée. Néanmoins, mieux vaut respecter la volonté de celui qui décide de la transmission de son patrimoine. Dans la poursuite de cet objectif, le projet de loi apporte plusieurs innovations au droit actuel.

Il affirme le principe d'une réserve héréditaire en valeur. L'abandon de la réserve héréditaire en nature, qui était susceptible de porter atteinte à la sécurité juridique et au respect de la volonté du défunt, entraîne deux conséquences. D'une part, les bénéficiaires de libéralités excessives pourront conserver les biens donnés, à charge de verser une indemnité à la succession. D'autre part, le partage, qui sera désormais gouverné par une égalité en valeur, s'en trouvera facilité.

Le projet assouplit également les règles de la renonciation, dans un souci de transmission efficace des patrimoines, en autorisant certains pactes successoraux ainsi que la représentation de certains héritiers renonçants.

La conclusion d'un pacte successoral, mécanisme inspiré de législations étrangères, notamment allemande, permettra à un héritier réservataire de renoncer par anticipation, avec l'accord de celui dont il a vocation à hériter, à exercer son action en réduction contre une libéralité portant atteinte à sa réserve héréditaire. Ce nouveau mécanisme sera encadré par des règles de forme et de fond qui constituent autant de garanties. Le garde des Sceaux a approuvé les nouvelles garanties supplémentaires que le rapporteur entendait apporter par amendement afin de mieux s'assurer que celui qui renonce agit librement et en toute connaissance de cause. Le pacte successoral permettra ainsi de sécuriser les transmissions de patrimoine sans qu'il soit nécessaire de recourir à une donation-partage, et offrira davantage de liberté dans la répartition de ses biens, notamment lorsqu'un enfant handicapé compte parmi les héritiers.

La représentation des héritiers renonçant constitue également une évolution notable. Le principe veut que l'on ne représente pas les héritiers qui ont renoncé, sauf en cas d'indignité. Cependant, la représentation des descendants renonçant est un corollaire logique à la donation-partage transgénérationnelle. En outre, elle est conforme au souhait de diriger les richesses vers des personnes dont les besoins de consommation sont plus importants. Les dispositions fiscales récentes encourageant la transmission des sommes d'argent aux petits-enfants ont rencontré un franc succès. La réforme met en place les conditions civiles pour que de telles transmissions puissent se perpétuer.

La donation-partage est également profondément modifiée. D'abord, son champ d'application a été élargi afin qu'elle puisse intervenir au profit de tous les héritiers présomptifs et pas uniquement des descendants. C'est un gage de souplesse supplémentaire : ainsi, une personne sans enfant pourra désormais distribuer et partager ses biens entre ses frères et sœurs ou ses neveux et nièces. Ensuite, prenant en compte la réalité démographique, le projet instaure la donation-partage transgénérationnelle, qui permettra de faire concourir à une même donation-partage des descendants de générations différentes. Dans ce mécanisme, la part dévolue aux petits enfants sera imputée sur la réserve du descendant direct, qui devra intervenir dans l'acte pour l'accepter. En outre, la réalité sociologique des familles recomposées nécessitait une adaptation des règles et une clarification de la pratique. En permettant à des enfants issus d'unions différentes de participer à une même donation-partage, le projet répond à une forte attente tant des familles que des professionnels.

Par ailleurs, le projet consacre les libéralités résiduelles. Avec celles-ci, il est possible de consentir une libéralité à un premier bénéficiaire qui, à son décès, aura l'obligation de remettre le résidu à un second gratifié préalablement désigné. La jurisprudence a accepté un tel dispositif sans en organiser le régime juridique, ce qui limite sa portée. En outre, il est ici étendu aux donations. Le Gouvernement est favorable à la proposition du rapporteur d'aller plus loin en ce domaine en instituant les libéralités graduelles, qui consisteront à léguer ou à donner un bien à une personne, à charge pour elle de conserver ce legs pour le transmettre à un second gratifié. Ce mécanisme constitue un moyen de transmission particulièrement efficace, notamment pour les familles dont un enfant est handicapé. Soucieux de lui garantir des conditions d'existence satisfaisantes après leur disparition, les parents pourront avantager cet enfant pour que le capital transmis lui garantisse une sécurité matérielle. Si les autres enfants y consentent et s'engagent dans un pacte successoral, l'avantage consenti pourra aller au-delà des droits fixés par la réserve héréditaire. Toutefois, avec le legs graduel, les parents pourront garantir aux autres enfants que le patrimoine de l'enfant handicapé, à son décès, leur reviendra comme s'ils l'avaient reçu directement d'eux-mêmes.

Le deuxième objectif du projet est d'accélérer et de simplifier le règlement des successions. De l'ouverture de la succession jusqu'au partage, le chemin du règlement est semé de règles rigides rendant souvent difficiles les démarches des héritiers et des professionnels. La réforme du droit des successions se devait de répondre aux différentes attentes pratiques.

La première attente concerne la détermination des héritiers. Aujourd'hui, seule la consultation du livret de famille permet de connaître les enfants du défunt. Or ce document peut avoir été égaré ou ne pas avoir été mis à jour. En définitive, les rédacteurs d'actes de notoriété s'en remettent souvent aux déclarations des requérants, avec les incertitudes qui en résultent. Afin de sécuriser la détermination des héritiers, le projet de loi prévoit la mention, en marge de l'acte de naissance du défunt, des enfants qu'il a déclarés ou reconnus.

Dans un deuxième temps, le projet de loi propose des solutions permettant d'accélérer la prise de position des héritiers quant à l'acceptation ou non de la succession. Il s'agit d'abord de la généralisation de l'action interrogatoire. Celle-ci permettra aux créanciers, aux cohéritiers, aux héritiers de rang subséquent et à l'État de sommer l'héritier inactif de prendre position. À défaut d'option, celui-ci sera considéré comme ayant accepté la succession purement et simplement. Cette mesure s'accompagne d'une réduction du délai de prescription de trente à dix ans, période au-delà de laquelle l'héritier inactif sera tenu pour renonçant.

En outre, le projet de loi se devait de réviser dans son ensemble l'acceptation sous bénéfice d'inventaire. Cette option est aujourd'hui rarement choisie, en raison de la lourdeur et de l'imprécision de son régime. La modernisation de l'acceptation sous bénéfice d'inventaire, désormais appelée « acceptation à concurrence de l'actif », repose sur trois mesures essentielles. D'abord, la déclaration sera soumise à une publicité permettant une information des créanciers, lesquels disposeront d'un délai fixe pour se faire connaître. Ensuite, le rôle de l'inventaire est augmenté : actuellement utilisé pour déterminer la composition du patrimoine, le projet de loi lui donne un rôle estimatif ; établi par un officier public ou ministériel, il servira de base aux opérations ultérieures. Enfin, l'héritier retrouve un rôle central : il disposera dorénavant d'un véritable pouvoir quant au sort des biens successoraux. Deux possibilités lui seront offertes : soit la vente des biens, soit leur conservation. Dans les deux cas, la décision sera publiée et l'héritier aura la responsabilité de la répartition des fonds entre les créanciers.

Poursuivant l'objectif de diminuer les risques encourus par les héritiers lors de l'acceptation de la succession, la réforme offre la possibilité à l'héritier ayant accepté purement et simplement la succession d'être déchargé d'une dette qu'il avait de justes raisons d'ignorer. Cette protection, dérogation au principe de l'irrévocabilité de l'acceptation pure est simple, évitera certaines conséquences parfois catastrophiques pour les héritiers.

L'étape du partage successoral constitue souvent la principale source de blocage et c'est pourquoi le projet tend à la réformer en profondeur.

L'objectif consiste d'abord à favoriser le partage amiable afin de limiter le recours au partage judiciaire aux seuls cas où il existe un véritable litige. Ainsi, pour les héritiers taisants mais non opposés au partage, le projet prévoit de mettre en place une procédure de représentation nécessitant une intervention judiciaire simplifiée et limitée.

Les nouvelles mesures concernant le partage en présence d'un présumé absent ou d'une personne protégée suivent la même logique. Alors que l'intervention du juge est aujourd'hui systématique, il est envisagé de mettre en place un partage amiable sur autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles, ce qui évitera le recours à une procédure lourde et souvent inutile aboutissant principalement à retarder les opérations de partage.

Enfin, la promotion du partage amiable passe également par une limitation de sa remise en cause. Ainsi, en matière de partage lésionnaire, là où le droit actuel fait de la nullité un principe, la réforme choisit de lui substituer le versement d'un complément. En outre, le délai pour agir en cas de lésion est ramené de cinq à deux ans.

Dans la mesure où le partage judiciaire ne peut être évité à chaque fois, le projet de loi a voulu le rendre plus efficace et voir cesser ces procédures qui s'étendent sur plusieurs années et usent la patience de nombreuses familles. Dans cette optique, il est indispensable que le notaire joue un rôle important. Il doit agir comme un véritable liquidateur en passant outre l'inertie d'un copartageant. Le projet de loi lui en donne les moyens, notamment en habilitant le juge à représenter le copartageant défaillant.

Ces dispositions vont non seulement dans le sens de la simplification mais aideront également les familles confrontées au deuil d'un proche à aborder les opérations successorales avec davantage de sérénité.

Le troisième objectif du texte est de faciliter et de simplifier la gestion du patrimoine successoral au lendemain du décès. Trop d'entreprises disparaissent du fait de règles rigides qui empêchent les héritiers de continuer, même de façon provisoire, l'action du défunt ; la réforme du droit des successions ne pouvait éluder cette question.

Le projet protège d'abord les héritiers contre les risques d'acceptation tacite de la succession. Un héritier préfère souvent se désintéresser de la succession plutôt que de prendre le risque, en assurant la gestion courante d'une entreprise, d'être tenu pour un héritier acceptant pur et simple, ce qui l'exposera à l'intégralité du passif. Les héritiers pourront désormais effectuer l'ensemble des actes nécessaire à la conservation et à l'administration provisoire de la succession sans risque d'être considérés comme acceptant tacitement la succession. Ils pourront également, sur autorisation du juge, prendre toute mesure dans l'intérêt de la succession. Bref, ils pourront éviter la détérioration des biens dont la conservation nécessite un certain entretien et assurer sans risque la continuation immédiate de l'entreprise.

Afin de faciliter la gestion du patrimoine transmis, le projet de loi développe le recours au mandat. À coté du mandat conventionnel, application classique du droit commun, le texte met en place deux mécanismes nouveaux.

En premier lieu, le mandat posthume permettra au défunt de désigner de son vivant un mandataire avec la mission d'administrer tout ou partie du patrimoine transmis si les héritiers, en raison de leur jeune âge ou de leur handicap, sont inaptes à le faire eux-mêmes. La validité de ce mandat, qui pourra être particulièrement utile dans le cadre de la gestion d'une entreprise, sera subordonnée à l'existence d'un intérêt sérieux et légitime au regard soit du patrimoine transmis, soit de la personne de l'héritier. L'exécution du mandat sera limitée dans le temps, sauf dans le cas où l'inaptitude de l'héritier appellera une durée indéterminée. Là encore, le projet s'attache à protéger la gestion du patrimoine transmis dans l'intérêt des enfants handicapés.

En second lieu, le projet de loi permet la désignation d'un mandataire en justice, qui interviendra dans des hypothèses de mésentente entre les héritiers, de carence ou de faute de l'un d'entre eux dans l'administration de la succession, sur demande de tout intéressé. Les pouvoirs de ce mandataire seront déterminés par le juge, auquel il devra rendre compte de sa mission.

Enfin, il était nécessaire d'apporter un assouplissement aux règles de gestion de l'indivision. L'accord unanime des indivisaires pour l'ensemble des actes d'administration est en effet souvent difficile à obtenir, ce qui entraîne une mauvaise gestion des biens indivis ou un recours fréquent au juge. Sans bouleverser les règles de l'indivision, le projet de loi, pour les actes d'administration, substitue à la règle de l'unanimité, source de nombreux blocages, une majorité des deux tiers. Avec cette majorité qualifiée, les indivisaires pourront effectuer l'ensemble des actes nécessaires au bon fonctionnement de l'indivision. Le respect du droit de propriété impose toutefois la conservation de la règle de l'unanimité pour les actes de disposition.

Tels sont les grands axes d'un projet essentiel pour un droit des successions rénové, attentif aux évolutions de la société et respectueux de ses valeurs. Le garde des Sceaux a manifesté sa pleine confiance dans les travaux de la Commission et les débats à venir devant l'Assemblée pour apporter au texte du Gouvernement les compléments ou enrichissements qui pourraient s'avérer utiles.

Le président Philippe Houillon a remercié le garde des Sceaux pour son exposé clair et complet et a considéré que les mesures contenues dans ce projet étaient de nature à répondre aux difficultés mises en lumière depuis longtemps par les praticiens. Puis il a salué le travail fructueux du rapporteur, nombre de ses amendements ayant d'ores et déjà reçu l'accord du Gouvernement.

M. Sébastien Huyghe, rapporteur, a remercié à son tour le garde des Sceaux pour ses mots aimables ainsi que pour sa disponibilité et celle de ses collaborateurs au cours de la préparation de ce texte technique mais passionnant. Au terme d'une cinquantaine d'auditions, il a jugé que le projet de loi était consensuel : ce texte de facilitation, d'assouplissement et de simplification renforcera la liberté, avec le souci de déjudiciariser au maximum tout en conservant un certain nombre de garde-fous pour éviter les excès. C'est un texte très attendu, à la fois par les professionnels et les associations familiales, notamment pour les indivisions, qui se traduisent parfois par des blocages inextricables à la suite de décès, moments déjà difficiles pour les familles.

S'agissant des libéralités, le projet de loi prévoit de conforter le régime des libéralités résiduelles. Le Gouvernement se déclarant également favorable aux libéralités graduelles, il convient de continuer à travailler afin de parvenir à une formulation équilibrée.

La question de l'assurance-vie fait, en ce qui concerne les successions, l'objet de débats récurrents. Le régime juridique de l'assurance-vie a été réglé de manière très solennelle par la Cour de cassation, avec plusieurs arrêts de principe, en 2004. Pour autant, il semble indispensable de prévoir que toutes les assurances-vie contractées soient effectivement honorées au moment du décès. À cet effet, ne serait-il pas possible de créer un fichier centralisé des assurances-vie, sur le modèle du fichier central des dernières volontés, afin d'éviter que les attributaires d'une assurance ne se voient privés de son bénéfice, simplement parce qu'ils ne connaissaient même pas son existence ? Ne serait bien évidemment consignée dans ce fichier que l'existence d'une assurance-vie, afin de contacter l'assureur détenteur du contrat et s'assurer que celui-ci sera respecté.

La nouvelle procédure de renonciation anticipée à l'action en réduction est très intéressante car les familles pourront conclure une forme de pacte successoral sans remettre en cause le principe égalitaire de la réserve. Pour utile qu'il soit, cet outil ne doit pas être détourné de sa finalité : parvenir à des règlements de succession anticipés et consensuels au sein des familles. L'objectif de ce nouveau dispositif ne soulève d'ailleurs guère en lui-même de critiques : chacun peut partager les deux principaux motifs avancés par l'exposé des motifs du projet de loi, c'est-à-dire mieux transmettre l'entreprise familiale et donner aux familles un outil juridique pour protéger les enfants handicapés. Il convient toutefois manifestement d'y ajouter des conditions à la fois de forme et de fond pour éviter des effets pervers potentiellement regrettables. Puis le rapporteur a interrogé le garde des Sceaux sur certaines de ses suggestions : l'exclusion des mineurs émancipés du champ de cette dérogation ; l'instauration de formalités particulières ; la précision du caractère libre et éclairé du consentement ; en cas de révocation pour état de besoin, la limitation de l'exercice de l'action en réduction à hauteur des besoins de celui qui avait renoncé.

La modernisation du droit des successions et des libéralités implique de revenir sur certaines règles, héritées d'un passé lointain, en désaccord avec la société actuelle voire économiquement contre-productives. Dans cette perspective, le moment n'est-il pas venu de revoir l'opportunité de la réserve des ascendants ? Sans priver ces derniers de leur dévolution légale, en l'absence de testament, limiter la volonté du défunt en raison de la réserve de ses parents ne semble plus parfaitement justifié. Il devrait être possible de trouver une évolution tenant compte des intérêts familiaux tout en respectant la volonté de celui qui, dépourvu d'enfants et de conjoint, veut léguer tout ou partie de son patrimoine à un tiers.

En ce qui concerne les successions, un autre dispositif très novateur du projet de loi appelle quelques commentaires : le mandat à effet posthume. Celui-ci ne soulève guère de critiques dans la mesure où il a pour principal objet de permettre la poursuite la gestion de l'entreprise familiale tant que les héritiers n'ont pas la faculté, en raison de leur âge ou de leur manque de compétences professionnelles, d'y faire face eux-mêmes. Cependant, il appelle sans doute un certain nombre d'améliorations ponctuelles dont l'ensemble améliorera substantiellement le dispositif : éclairer la notion d'« intérêt sérieux et légitime » qui autorise le mandat posthume en précisant que celui-ci existe en considération de la personne de l'héritier ou de la nature du patrimoine, conformément à l'exposé des motifs du projet ; assouplir le régime de durée du mandat posthume, trop binaire - deux ans ou à durée indéterminée -, en autorisant une prorogation par le juge ; confier le mandat posthume à une personne morale, comme une association ou une fondation, et en tirer les conséquences en cas de dissolution de cette dernière ; imposer un compte rendu annuel du mandataire posthume aux héritiers intéressés.

L'acceptation sous bénéfice d'inventaire constitue dans le droit actuel une procédure largement délaissée en raison de sa lourdeur, de son aspect procédural et des délais incontrôlables auxquels elle donne lieu pour le règlement de la succession. La nouvelle acceptation à concurrence de l'actif a vocation à la remplacer, avec des règles simplifiées, et devrait donc être beaucoup plus utilisée à l'avenir. Néanmoins, le dispositif prévu présente encore au moins un inconvénient significatif, qui doit pouvoir être corrigé : celui du délai prévu pour la déclaration des créances, manifestement excessif puisqu'il atteint deux ans. Ne peut-il pas être réduit significativement ?

Le règlement au fil de la présentation des créances par les créanciers ne constituait pas nécessairement la solution la plus équitable, d'autant que l'inventaire prévu pour la procédure doit normalement refléter à la fois l'ensemble de l'actif et du passif. Quelles motivations ont prévalu pour retenir ce principe ?

De manière transversale, nombre de dispositifs civils prévus par le projet de loi nécessiteront un véritable accompagnement fiscal pour leur donner toute leur portée et non, au contraire, les vider de leur intérêt en les rendant totalement inintéressants du point de vue fiscal. Pour ne prendre que deux exemples, il conviendrait que, d'une manière ou d'une autre, les règles fiscales d'accompagnement des donations transgénérationnelles comme des libéralités résiduelles et bientôt graduelles soient précisées dès l'examen de ce texte, sans attendre une prochaine loi de finances. Le projet de loi ne peut-il être complété sur ce point ?

En conclusion, le rapporteur a affirmé que la loi était très attendue et que la question de son entrée en vigueur rapide se posait avec acuité. Il a souhaité qu'elle soit applicable dès le 1er janvier 2007, ce qui suppose que la navette parlementaire s'achève à la fin de la présente session pour permettre au Gouvernement de prendre les textes d'application.

En réponse à ces questions, le garde des Sceaux a apporté les précisions suivantes :

-  Le texte devrait être examiné dans la semaine du 6 février, et il semble possible de le faire entrer en application pour le 1er janvier 2007. Le Gouvernement est par ailleurs favorable, à titre transitoire, à l'instauration d'une majorité qualifiée pour les mesures de conservation dans l'indivision.

-  Le rapporteur a convaincu le Gouvernement de mieux encadrer le pacte successoral, en particulier les conditions de renonciation anticipée à l'action en réduction. D'une part, la renonciation par les mineurs émancipés sera interdite. D'autre part, trois formalités particulières seront précisées : l'obligation de renoncer seul devant le notaire lui-même ; l'établissement d'un acte distinct par le notaire ; l'obligation pour le notaire de délivrer au renonçant une information précise sur les conséquences de son acte.

-  La création d'un fichier est toujours délicate et il n'appartient pas au notaire d'être le garant des obligations de l'assureur. Pour l'assurance-vie, d'autres solutions existent et le ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie a été saisi à ce propos.

-  Il arrive parfois, en effet, que la réserve des ascendants soit critiquée comme entravant la liberté de disposer de son patrimoine. Elle conserve pourtant une dimension utile puisqu'elle peut éviter que certains biens ne quittent le patrimoine familial. Si l'Assemblée nationale souhaite supprimer la réserve des ascendants, le Gouvernement ne s'y opposera pas, à condition que soit créé un droit de retour légal à leur profit des biens donnés en avancement de part successorale : il s'agit de conférer aux parents un droit équivalent à celui dont bénéficient les frères et sœurs à l'égard du conjoint survivant après le décès d'un de leurs parents.

-  L'intérêt sérieux et légitime justifiant la conclusion d'un mandat à effet posthume doit s'apprécier en considération de la personne de l'héritier ou du patrimoine transmis. Par ailleurs, les personnes morales peuvent être désignées comme mandataires. Ces deux précisions sont tout à fait conformes à l'objectif recherché et le Gouvernement est prêt à accepter les amendements allant dans ce sens. Il en est de même de la possibilité donnée au juge de proroger le mandat conclu pour une durée déterminée, de la continuation du mandat en cas de mise sous tutelle de l'héritier concerné et de l'obligation pour le mandataire de rendre compte annuellement aux héritiers car ces mesures améliorent l'efficacité et la sécurité du nouveau mécanisme.

-  La procédure nouvelle d'acceptation sous bénéfice d'inventaire évite la judiciarisation systématique. Il est par ailleurs souhaitable de raccourcir le délai de déclaration des créances autant que faire se peut, et envisageable de le ramener à quinze mois afin de couvrir au moins un exercice social et de laisser aux créanciers un délai raisonnable pour être informés du décès et procéder à la déclaration de leurs créances.

-  L'accompagnement fiscal est unanimement attendu et ce texte y pousse. Des mesures ont déjà été prises dans la loi de finances pour 2005, notamment en faveur des donations aux petits-enfants. Le ministère des finances a de nouveau été saisi sur ce point.

M. Jean-Christophe Lagarde a regretté de se voir contraint de briser le consensus. Certes, le texte et les amendements proposés améliorent singulièrement la situation sur bien des points : la capacité de conclure des pactes successoraux, les libéralités transgénérationnelles, les libéralités graduelles, le mandat posthume, la protection contre les dettes ignorées, l'amélioration de la gestion de l'indivision, l'identification des héritiers. Deux réserves essentielles doivent cependant être formulées.

Tout d'abord, il est incompréhensible que l'on ne puisse disposer librement de son bien. La tentative du rapporteur de mettre fin à la réserve des ascendants est louable, mais il conviendrait d'en faire de même pour les descendants. En effet, ceux qui ne s'occupent plus de leurs anciens conservent malgré tout un droit garanti par la loi à en hériter alors que ceux qui en ont pris soin, mais ne sont pas réservataires, peuvent être privés de tout droit sur la succession, en raison du mécanisme de la réserve héréditaire.

En second lieu, la liberté supposerait également la suppression des droits de succession : il est incompréhensible que soit à nouveau taxé ce qui a déjà été soumis à l'impôt. La suppression des droits de succession, au moins jusqu'à un certain niveau, ferait gagner le système en équité.

Puis M. Jean-Christophe Lagarde a estimé que le projet de loi offrait également l'occasion d'améliorer l'encadrement de l'exercice de la profession de généalogiste, en rappelant qu'il avait déposé une proposition de loi en ce sens. Si certains pratiquent leur profession convenablement, d'autres commettent manifestement des abus. Il a enfin demandé comment s'appliquerait la majorité des deux tiers dans le cas des successions concernant deux copartageants.

Le garde des Sceaux s'est déclaré surpris de l'hostilité manifestée par M. Jean-Christophe Lagarde à l'encontre du projet de loi alors qu'il se dit favorable à toutes les dispositions proposées, à ceci près qu'il souhaiterait pouvoir déshériter ses enfants... Cette dernière mesure ouvrirait pourtant la porte à des abus évidents. À cet égard, le texte fait cependant preuve de souplesse puisque les pactes successoraux permettront de réduire la portée de la réserve. Aller au-delà inciterait certains à tenter de circonvenir leurs parents au détriment de leurs frères et sœurs.

Plus spécialement, le garde des Sceaux a fait remarquer qu'il serait difficile de désapprouver la fin de l'unanimité dans les indivisions, le pacte successoral, l'institution du mandataire pour l'entreprise ou la défense des droits des personnes handicapées.

Il a ensuite indiqué que les généalogistes exerçaient librement leur activité et qu'aucun motif d'intérêt général ne justifiait la création d'une profession réglementée. Il a enfin précisé que la substitution de la majorité des deux tiers à la règle de l'unanimité ne vaudrait que lorsque le nombre de copartageants serait supérieur à deux.

M. Jean-Christophe Lagarde ayant précisé qu'il ne proposait pas de créer un ordre des généalogistes mais de réglementer les contrats, le garde des Sceaux a souligné que cela conduirait à en faire des professionnels habilités, dotés d'un monopole de facto, ce que la chancellerie ne souhaitait pas.

M. Jérôme Lambert a dit n'être pas en mesure, après un simple examen du texte, d'exprimer une opposition de fond, mais qu'un des objectifs évoqués dans l'exposé des motifs ne semblait pas atteint : une certaine complexité, source de lourdeur, est en effet ajoutée aux opérations de liquidation des successions - comme en témoigne, par exemple, l'institution du pacte successoral - qui va à l'encontre de la simplification souvent réclamée par les Français, et il est à craindre que les problèmes qui se posent lors des décès ne soient pas pour autant réglés par les nouvelles dispositions.

M. Étienne Blanc s'est interrogé sur les modifications prévues à l'article 841-1 du code civil. L'un des problèmes constatés actuellement est la longueur des procédures judiciaires. Demander au juge la désignation d'un administrateur se substituant à un héritier récalcitrant, défaillant, de mauvaise foi ou particulièrement négligent ne revient-il pas à retarder inutilement la procédure alors que l'intervention rapide du juge lui-même permettrait de prendre les dispositions nécessaires dans les meilleurs délais ?

Le garde des Sceaux a souligné la nécessité de simplifier la législation. Ainsi, les nouvelles procédures de l'acceptation sous bénéfice d'inventaire donneront à l'héritier tous les éléments d'information nécessaires. Il convient également de réduire les délais de succession, généralement très longs.

Les successions les plus dramatiques sont celles dans lesquelles un héritier, par son immobilisme, bloque la situation. Le décret imposera au notaire un délai pour accomplir sa mission et lui confiera le soin de constituer des lots et de procéder à la vente de gré à gré des biens impartageables en nature lorsqu'un héritier en fera la demande. Pour accélérer le partage judiciaire et représenter l'héritier défaillant, le juge pourra aussi s'appuyer sur le notaire chargé de l'accomplissement de l'état liquidatif ou sur un professionnel.

Le rapporteur a ajouté que le texte comportait deux volets, relatifs respectivement à l'organisation de la succession et à son règlement. L'organisation de la succession suppose des règles assez complexes, mais les situations familiales sont elles-mêmes compliquées et les Français sont conseillés par des professionnels, avocats ou notaires ; le texte est donc nécessairement complexe, mais il offre ainsi davantage de possibilités et par conséquent de liberté. En revanche, à travers son second volet, il rendra le règlement des successions plus facile et plus rapide car, si certains professionnels font aujourd'hui apparemment preuve de lenteur, c'est à cause des héritiers récalcitrants, qui seront dorénavant incités à s'exprimer, sous peine de voir les autres héritiers passer outre.

M. Mansour Kamardine s'étant étonné que l'article 26 exclue les articles 831-1, 832-1 et 832-2 de l'application de plein droit à Mayotte, le garde des Sceaux a répondu que le code rural n'était pas applicable à Mayotte.

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