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COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 41

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 10 mai 2006
(Séance de 9 h 30)

Présidence de M. Philippe Houillon, président

SOMMAIRE

 

Pages

- Examen de la proposition de loi constitutionnelle de M. Paul Quilès tendant à modifier l'article 34 de la Constitution afin d'élargir les pouvoirs du Parlement (n° 241 rectifié) (M. Paul Quilès, rapporteur)



2

- Examen de la proposition de loi de M. Didier Migaud complétant la loi n° 2001-70 du 29 juillet 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 (n° 3030) (M. Christophe Masse, rapporteur)



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- Information relative à la Commission

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Après avoir désigné M. Paul Quilès, rapporteur de sa proposition de loi constitutionnelle tendant à modifier l'article 34 de la Constitution afin d'élargir les pouvoirs du Parlement (n° 241 rectifié), la Commission a procédé à l'examen de cette proposition.

M. Paul Quilès, rapporteur, a tout d'abord fait observer que la présente proposition de loi ne venait pas de surgir à l'occasion d'une actualité agitée, mais qu'elle avait été déposée dès octobre 2002, après que son auteur eut réfléchi aux institutions françaises dans un livre publié en 2001 et après que le Président de la République eut affirmé, dans son message au Parlement du 2 juillet 2002, que « ceux qui votent la loi doivent pouvoir s'assurer de sa bonne application par le Gouvernement et l'administration », que « la représentation nationale n'épuise pas sa mission au service de la volonté générale quand elle a énoncé le droit » avant de souhaiter que « le Parlement se donne désormais réellement les moyens d'évaluer l'action publique ».

Avant de modifier une loi, le législateur doit se donner les moyens de mesurer l'application et d'évaluer les effets de celle-ci. Il doit pouvoir vérifier que les dispositions qu'il adopte ne sont pas, dans les faits, ignorées, faute de mesures d'application, ou contredites, par excès de mesures d'application. Or, chacun s'accorde pour constater que cette application n'est pas satisfaisante.

Le contrôle de l'application des lois est un impératif. Selon les statistiques fournies par le Sénat, dans son rapport annuel sur le contrôle de l'application des lois, entre un cinquième et un tiers des lois sont d'application directe. Mais, c'est sans compter celles qui, d'application directe, ne seront dans les faits appliquées par les administrations qu'à réception de la circulaire explicative.

De surcroît, nombreuses sont celles qui, pour être effectives, nécessitent des mesures d'application. Plusieurs expériences ministérielles permettent de se convaincre aisément des difficultés qui jalonnent la mise en application de la loi. Les différentes causes qui peuvent être invoquées pour expliquer les retards de publication des mesures d'application sont connues. Certains ministères justifient leur difficulté à élaborer les textes réglementaires nécessaires par une charge de travail liée à la préparation des futurs projets de loi. Des concertations ou négociations laborieuses sont également invoquées. Des désaccords entre ministères peuvent bloquer le processus. Certaines difficultés techniques, que de bonnes études d'impact auraient pu prévenir, peuvent apparaître en aval de la loi et constituer des obstacles sérieux. Enfin, l'absence de mesure d'application peut être liée à l'attente de nouvelles mesures législatives, situation de plus en plus fréquente.

Le taux d'application des lois - qui résulte du rapport entre le nombre de dispositions réglementaires publiées et le nombre des dispositions réglementaires prévues par les lois adoptées durant une session - a atteint, durant la session 2004-2005, 16,4 %, après un taux de 14,4 % en 2003-2004 et un taux particulièrement faible de 9,7 % en 2002-2003. Même le traitement réservé aux textes frappés d'une déclaration d'urgence pour lesquels on pourrait attendre une célérité particulière dans leur application ne paraît pas outrageusement privilégié, puisque leur taux d'application atteint 14 % au lieu de 13 % pour celui des textes adoptés selon le droit commun.

Le Sénat a également relevé que, depuis le mois de juin 1981, 222 lois, sur un total de plus de 1 000, ne sont pas encore appliquées en totalité. Sur le seul exercice 2004-2005, 51,5 % des lois prévoyant des mesures réglementaires n'avaient reçu aucune mesure d'application en septembre 2005. Par ailleurs, depuis le début de la législature, 21 rapports du Gouvernement au Parlement ont été déposés alors que le nombre prescrit était de 134.

L'inflation législative, indéniable, aggrave la situation. En effet, il paraît d'autant plus difficile de suivre l'application des lois que les dispositions législatives sont de plus en plus nombreuses et nécessitent, en conséquence, de plus en plus de mesures réglementaires. Si l'augmentation du nombre de lois n'est pas significative, en revanche, leur allongement ne fait pas de doute. Le nombre de pages du Recueil des lois, publié par l'Assemblée nationale, n'a cessé de croître. Il atteignait 620 en 1970, 1 055 en 1990, 1 663 en 2000 et 2 556 en 2004.

La multiplication des ordonnances constitue un autre indice de ces dérives normatives. En 2004, pour la première fois, le nombre d'ordonnances a dépassé le nombre de lois. En 2005, ce sont encore plus de 85 ordonnances qui ont été adoptées pour 50 lois.

Face à cette situation, le rapporteur a constaté que, malgré des progrès réels, le Parlement ne disposait pas des moyens pour assurer non seulement un contrôle de l'application mais aussi une véritable évaluation des lois.

L'action du Gouvernement pour améliorer la qualité de la préparation des projets de loi, étape indissociable d'une bonne application des lois, est très insuffisante. La procédure des études d'impact qui portait en elle de nombreuses promesses a été suspendue de facto, lorsque M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, a décidé que l'étude d'impact ne serait désormais plus systématique. En outre, de nombreuses circulaires, depuis celle du 31 juillet 1974 de M. Jacques Chirac, alors Premier ministre, ont montré la détermination des Gouvernements successifs à accélérer la parution des décrets d'application des lois votées par le Parlement et leurs efforts pour organiser le travail du Gouvernement à cette fin. L'existence même de ces circulaires depuis trente ans prouve qu'elles n'ont pas permis de résoudre le problème des retards ou des défauts de mise en application des textes votés.

Le Parlement lui-même n'est pas resté inactif. Il a multiplié ses moyens de contrôle, à l'exemple des offices parlementaires d'évaluation, de la multiplication des commissions d'enquête et des missions d'information comme outils d'évaluation et de contrôle ou encore du recours intensif aux différentes procédures de questions. Tous ces moyens interviennent de manière ponctuelle. En outre, de manière régulière depuis 1972, le Sénat dresse un bilan annuel quantitatif des mesures réglementaires. Depuis, chaque commission établit un bilan complet des textes votés qui ne peuvent être mis en application faute de publication des textes réglementaires. Ce bilan détaillé est un moyen d'information utile. Cependant, l'absence de parlementaire désigné pour dialoguer avec le Gouvernement et présenter ce rapport nuit à la portée de ce dispositif, qui n'a pas conduit à une modification significative des pratiques gouvernementales et administratives.

Il faut, enfin, évoquer la réforme du Règlement de l'Assemblée nationale, adoptée à l'unanimité le 12 février 2004 sur la proposition de M. Jean-Luc Warsmann, qui instaure un dispositif de contrôle permanent de l'application des lois afin d'assurer un suivi quantitatif de la parution des textes réglementaires, le recensement des difficultés apparues lors de la mise en application de la loi et un contrôle qualitatif.

Cependant, malgré les progrès enregistrés grâce à cette nouvelle procédure et à son inscription dans le Règlement de l'Assemblée nationale - plus d'un quart des lois promulguées ont pu être contrôlées -, l'objectif d'un contrôle systématique de l'application des lois n'est pas atteint. De plus, par le biais des ordonnances et de leurs décrets d'application, c'est un pan entier de la législation qui échappe au contrôle du Parlement, les projets de loi de ratification d'ordonnances n'étant qu'exceptionnellement inscrits à l'ordre du jour. Enfin, ce mode de contrôle souffre de trois handicaps majeurs : le Parlement reste tributaire des informations que le Gouvernement veut bien lui transmettre, le rapporteur n'ayant pas de pouvoir d'investigations sur pièces et sur place ; le fait majoritaire exerce probablement un effet modérateur sur les critiques des rapporteurs ; un contrôle, y compris qualitatif, ne permet pas une analyse aussi approfondie qu'un authentique exercice d'évaluation.

C'est en matière budgétaire que le contrôle du Parlement se fait le plus approfondi. La mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances constitue à cet égard un modèle qui a été transposé au domaine des finances sociales, avec l'introduction d'un article 47-1 dans la Constitution, calqué sur l'article 47, l'adoption de la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale et la création de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale.

Le rapporteur a souligné que, selon la même démarche, il proposait de modifier la Constitution afin de permettre l'adoption d'une loi organique qui renforcerait les pouvoirs de contrôle du Parlement pour toutes les lois. La question, déjà posée avec clairvoyance par le comité présidé par le doyen Vedel en 1993, est la suivante : comment renforcer le rôle du Parlement « par l'accroissement des compétences et des pouvoirs de contrôle et par l'amélioration de la procédure législative » ?

L'adoption de la proposition de loi constitutionnelle permettrait la mise en œuvre de nombreuses mesures susceptibles d'améliorer la procédure d'examen des projets de loi. L'objectif est d'instaurer des mécanismes plus efficaces de suivi de l'application des lois et d'évaluation de leurs résultats.

La réalisation de cet objectif peut suivre différents canaux qui ne sont pas exclusifs les uns des autres. Ainsi, il pourrait être fait obligation organique au Gouvernement de soumettre à l'Assemblée nationale et au Sénat, dans un délai maximum d'un an suivant la promulgation d'une loi, un état précis des mesures réglementaires prises et restant à prendre pour son application. Le Parlement pourrait être associé à l'élaboration des études d'impact destinées à accompagner obligatoirement les projets de lois. Il pourrait faire établir une étude d'impact sur des propositions de loi susceptibles d'être inscrites à l'ordre du jour.

Pour s'imposer, ces normes doivent trouver leur place dans une loi organique. Mais pour que cette loi organique puisse intervenir, il convient de lui donner une base juridique sûre, ce qui nécessite de modifier la Constitution. Le Conseil d'État n'a pas fait une autre analyse lorsqu'il a repris, dans son dernier rapport, la préconisation de la présente proposition de loi, déposée il y a près de quatre ans. M. Gérard Larcher, alors président de la commission des Affaires économiques du Sénat, en avait salué l'initiative.

Dans cette logique, le rapporteur a proposé d'inscrire dans la Constitution non seulement que « le Parlement vote la loi » - le premier alinéa de l'article 34 dans sa rédaction en vigueur dispose déjà que « la loi est votée par le Parlement » -, mais aussi qu'« il en contrôle l'application et en évalue les résultats ». L'inscription de cette mission dans la Constitution permettrait d'ouvrir un nouveau champ organique, seul à même d'imposer aux différents acteurs institutionnels de nouvelles contraintes de procédure. C'est pourquoi le rapporteur a également proposé de renvoyer à une loi organique la fixation des modalités d'application de cette nouvelle mission constitutionnelle explicite.

Exprimant le soutien du groupe socialiste à la proposition de loi constitutionnelle, M. Bernard Roman a souhaité que son examen puisse intervenir de manière objective, au-delà des divergences politiques. Il a souligné qu'il n'existe pas de démocratie parlementaire sans contrôle du Gouvernement qui aille au-delà des questions d'actualité, lesquelles s'apparentent plus à une « illusion paroxystique » qu'à l'exercice d'un véritable droit de regard du Parlement.

Pour illustrer son propos, M. Bernard Roman a cité deux exemples, vécus par l'ancienne et l'actuelle majorités parlementaires. Il a ainsi rappelé que sous la précédente législature, alors que l'Assemblée nationale avait adopté un amendement instituant le titre d'identité républicaine pour les enfants nés de parents étrangers, contre l'avis du ministre de l'intérieur de l'époque, il avait fallu attendre 18 mois et de multiples pressions sur le Gouvernement pour que les formulaires destinés aux demandes de ce titre parviennent aux préfectures. Il a ensuite observé que l'actuel ministre de l'intérieur présentait en ce moment un nouveau projet de loi relatif à l'immigration, alors même que la circulaire d'application de la précédente loi sur le sujet, votée en 2003, venait tout juste d'être publiée.

Tout ceci démontre qu'il est bien souvent fait peu de cas de la volonté du Parlement et que la proposition de loi constitutionnelle constitue une réponse appropriée, dans l'intérêt mutuel de la majorité et de l'opposition. L'audition régulière des ministres par les commissions pour dresser le bilan de l'application des lois votées à leur initiative, la systématisation des études d'impact sur les propositions de loi, l'association plus étroite des parlementaires à la rédaction des décrets d'application constituent autant de mesures susceptibles de donner tout son sens au contrôle parlementaire, car renforcer ce contrôle contribuerait à resserrer les liens entre les citoyens et ceux qui les représentent au Parlement.

Reconnaissant que les arguments évoqués par le rapporteur ne sont de nature à soulever la contestation d'aucun parlementaire, la commission des Lois se préoccupant d'ailleurs de ces questions depuis plusieurs années, M. Guy Geoffroy a insisté sur la récente modification du Règlement de l'Assemblée nationale instituant un droit de suite sur l'application des lois, exercé par leurs rapporteurs six mois après leur entrée en vigueur. Tout en se déclarant intéressé par le contenu de la proposition de loi constitutionnelle, il s'est néanmoins montré attaché à ne pas minimiser la portée de la réforme du Règlement précitée. Si le droit de suite qu'elle a introduit a jusqu'à présent porté sur l'application de seulement un quart des lois votées, il a permis, sur le plan qualitatif, d'accélérer le processus réglementaire dans bien des cas.

Pour toutes ces raisons, M. Guy Geoffroy s'est prononcé en faveur d'une abstention constructive sur le texte.

M. Xavier de Roux a jugé que le débat porte finalement sur l'insécurité juridique dans laquelle les citoyens français se trouvent, du fait de la complexité et du grand nombre de lois votées, ainsi que, parfois, de leur caractère contradictoire. Cette insécurité se trouve même aggravée par les libertés que prend parfois le pouvoir exécutif vis-à-vis de l'intention du législateur. La proposition de loi constitutionnelle, si elle va dans le bon sens, présente malgré tout le risque de se révéler insuffisamment précise. De nombreuses lois partant d'une bonne intention se sont montrées difficiles d'application, à l'instar, par exemple, des lois instituant les enquêtes d'utilité publique. À la lumière de ce constat, la proposition de loi constitutionnelle mérite certainement d'être discutée pour que sa portée soit précisée.

M. Michel Piron a souligné la qualité des propos du rapporteur et a fait observer que ces derniers conduisent à interroger le rapport entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Il a exprimé le souhait que le contrôle effectué par le Parlement soit plus incitatif. Il a ajouté que l'étude d'impact pose toujours la question de ses limites et qu'il conviendrait que l'on définisse avec précision l'impact de l'impact.

M. Jean Leonetti s'est interrogé sur la nécessité de modifier la Constitution pour que le Parlement voie accrue sa fonction de contrôle. Il a estimé qu'en tout état de cause un débat devrait préalablement avoir lieu sur le contenu de la loi organique que le rapporteur appelle de ses vœux et considéré que la procédure prévue par l'article 86 alinéa 8 du Règlement de l'Assemblée nationale parait dans l'immédiat suffisante pour contrôler l'application des lois. Avant d'envisager de modifier la Constitution, il a jugé préférable d'établir un bilan de cette procédure, préalable nécessaire à son approfondissement.

M. Émile Blessig a évoqué le discrédit dont souffre le Parlement dans un contexte de crise de la démocratie, en récusant les expressions trop souvent utilisées de « majorité soumise » ou de « Parlement croupion ». Il a estimé qu'une réflexion devrait, par exemple, être engagée sur la plus-value que représente le passage d'un texte devant le Parlement, permettant ainsi d'éviter la tentation du recours aux ordonnances. Considérant que l'affirmation du rôle irremplaçable du Parlement est utile et pertinente, il s'est déclaré favorable à la proposition de loi constitutionnelle qui représente, en la matière, un pas supplémentaire.

En réponse aux différents intervenants, le rapporteur a souhaité apporter les éléments de réponse suivants :

-  la proposition de loi constitutionnelle, déposée en 2002, ne pouvait, par définition, tenir compte de la réforme du Règlement de l'Assemblée nationale du 12 février 2004 ;

-  cette réforme, si elle a constitué un progrès indéniable, ne permet pas la systématisation souhaitée et n'autorise qu'un contrôle de l'application à l'exclusion de l'évaluation de la loi elle-même ;

-  au-delà du Parlement, c'est la loi elle-même qui suscite chez nos concitoyens de nombreuses interrogations. L'exemple de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées montre que les défauts d'application portent atteinte à la crédibilité de la norme. Il n'est pas rare que les ministres soient obligés de hausser le ton pour imposer à leurs services de respecter, dans la rédaction des textes d'application, la volonté exprimée par la Représentation nationale. Il appartient au Parlement de réaffirmer que la légitimité populaire doit toujours l'emporter sur une hypothétique légitimité bureaucratique ;

-  les propos précités du Président de la République disent combien la fonction de contrôle du Parlement mérite d'être enfin inscrite dans la Constitution ;

-  dans sa rédaction en vigueur, la Constitution définit les fonctions du Président de la République, celles du Gouvernement, mais rien n'est dit de celles du Parlement ;

-  la présente proposition de loi constitutionnelle permettra de « déverrouiller » la Constitution pour ouvrir le débat sur une future loi organique qui pourra accueillir toutes les précisions appelées de leurs vœux par plusieurs orateurs.

À l'issue de ce débat, la Commission est passée à l'examen de l'article unique.

Article unique (art. 34 de la Constitution) : Élargissement des pouvoirs du Parlement :

Le rapporteur a présenté une proposition de modification rédactionnelle afin de mieux respecter la logique de présentation de la Constitution en inscrivant les nouvelles dispositions dans un article 24 A placé au début du titre IV consacré au Parlement. Il a précisé que ses fonctions seraient ainsi définies avant sa composition, qui figure aujourd'hui dans l'article 24, de la même façon que l'article 20 détermine en tête du titre III relatif au Gouvernement les missions de ce dernier. En conséquence, par coordination, il a proposé de supprimer le premier alinéa de l'article 34.

Après que le Président Philippe Houillon eut estimé qu'il ne paraissait pas souhaitable de créer un nouvel article dans la Constitution, la Commission a rejeté cette proposition de modification.

Puis, la Commission a adopté sans modification l'article unique de la proposition de loi institutionnelle.

*

* *

La Commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Christophe Masse, la proposition de loi de M. Didier Migaud complétant la loi n° 2001-70 du 29 juillet 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 (n° 3030).

M. Christophe Masse, rapporteur, a d'abord souligné que l'inscription à l'ordre du jour de la proposition de loi intervient après l'inauguration du mémorial du génocide arménien de Lyon, le 24 avril dernier, qui a donné lieu à des manifestations de nature négationniste : le mémorial a été profané par des inscriptions telles que « il n'y a pas eu de génocide », et des pancartes portant les mêmes inscriptions ont été brandies lors d'une manifestation.

Il s'agit donc d'empêcher que le négationnisme à l'égard du génocide arménien puisse s'exprimer en toute impunité. À cette fin, la proposition de loi, dont le titre ne reflète que partiellement le contenu, vise à compléter la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 par un nouvel article créant un délit de contestation du génocide arménien.

Elle vient s'ajouter aux six précédentes propositions de loi tendant à sanctionner la négation des crimes contre l'humanité, déposées par des députés de tous les groupes politiques. Deux autres propositions de loi relatives au génocide arménien de M. Raoult et de MM. Mallié et Richard ont été enregistrées depuis. Cette profusion d'initiatives parlementaires démontre que cette préoccupation transcende les clivages partisans et confirme le relatif consensus qui avait présidé à l'adoption de la loi de 2001.

En inscrivant la présente proposition de loi à son ordre du jour, l'Assemblée nationale réaffirme son attachement à la justice et à la démocratie. Par ce geste fort, elle contribue à atténuer une concurrence malsaine entre les victimes de génocide qu'entretient leur inégalité au regard de la loi.

En préambule, le rapporteur a souhaité rappeler les circonstances de l'adoption de la loi de 2001 dont l'article unique dispose que « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Près de trois années, marquées par des tensions et des soubresauts, auront été nécessaires pour parvenir au terme du processus législatif. Le 18 janvier 2001, jour de l'adoption définitive par l'Assemblée nationale, deux sentiments animaient députés et Gouvernement : contribuer à la réconciliation entre la Turquie et l'Arménie et rendre justice aux victimes du génocide.

En reconnaissant le génocide arménien, la France ne réalise pas un acte isolé mais s'inscrit dans la logique des institutions internationales et européennes et rejoint plusieurs États déjà engagés dans cette voie.

Si la loi de 2001 représente une victoire, acquise de haute lutte, elle n'en demeure pas moins une victoire symbolique. Le caractère déclaratif de la loi la prive de toute effectivité. Elle ne peut connaître aucune application en l'absence d'un complément de valeur normative.

La présente proposition de loi est donc justifiée par la nécessité de rendre applicable la loi de 2001 en la dotant d'un contenu normatif et de combler ainsi une lacune de la législation.

En effet, les instruments juridiques actuels ne permettent pas de sanctionner les propos niant l'existence du génocide arménien :

En premier lieu, l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, issu de la loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite « loi Gayssot », punit exclusivement la contestation des crimes contre l'humanité commis pendant la seconde guerre mondiale, comme la Cour de cassation l'a rappelé à plusieurs reprises.

En deuxième lieu, l'apologie de crimes contre l'humanité, dont la sanction est prévue par l'article 24 de la loi de 1881, ne recouvre pas les propos mettant en doute l'existence même d'un crime contre l'humanité.

En dernier lieu, l'action civile sur le fondement de l'article 1382 du code civil, qui a notamment permis la condamnation d'un historien américain pour manquement au devoir d'objectivité et de prudence, ne revêt pas le caractère exemplaire et préventif de la sanction pénale. En outre, cette voie de recours est fragile du fait d'une controverse jurisprudentielle sur sa recevabilité en matière d'abus de la liberté d'expression.

La proposition de loi consiste donc à compléter par un nouvel article la loi de 2001. Ce dernier punit des peines prévues par la « loi Gayssot », soit un an et 45 000 euros d'amende, la contestation de l'existence du génocide arménien par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication. Il renvoie à la loi sur la liberté de la presse, en premier lieu, à son article 24 bis pour déterminer la peine encourue et, en second lieu, à son article 23, pour définir les moyens de l'infraction.

Le rapporteur a souhaité répondre par avance aux objections qui ne manqueront pas d'être soulevées sur ce texte :

Les mises en garde sur les conséquences de l'adoption de cette proposition de loi du point de vue de la Turquie ne doivent pas empêcher d'encourager cette dernière à faire la lumière sur son passé.

Alors que la polémique sur les lois mémorielles n'est pas éteinte, cette initiative parlementaire peut paraître audacieuse. Deux éléments de réponse peuvent être avancés : d'une part, si la légitimité du Parlement à écrire l'histoire peut être contestée, elle ne peut l'être lorsqu'il entend défendre les valeurs de la République, au premier rang desquels figure la dignité humaine ; d'autre part, le vote de la loi de 2001 a d'ores et déjà tranché le débat sur l'histoire et la mémoire concernant le génocide arménien.

De même que la « loi Gayssot » a suscité l'ire de certains historiens et défenseurs des droits de l'homme au nom de son caractère attentatoire à la liberté d'expression, cette proposition risque de provoquer des réactions semblables. La Cour de cassation a depuis réfuté l'atteinte à la liberté d'expression au motif que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme prévoit des dérogations lorsqu'il s'agit de sanctionner des comportements attentatoires à l'ordre public et aux droits des individus.

Certaines propositions de loi visent à étendre le dispositif de la « loi Gayssot » à tous les crimes contre l'humanité. Si une telle évolution peut être regardée avec faveur, elle semble cependant prématurée au regard du débat précité sur histoire et mémoire. En outre, le génocide arménien est le seul à avoir fait l'objet d'une reconnaissance législative.

En conclusion, le rapporteur a souligné que la sanction du négationnisme doit également être un instrument pour combattre la tentation du communautarisme. Cette affirmation, pour paradoxale qu'elle puisse paraître, trouve sa légitimité dans les derniers évènements qui marquent un durcissement de la confrontation entre les communautés turque et arménienne. La lutte contre le communautarisme impose de garantir à chacun le respect auquel il a droit en tant qu'être humain. Le négationnisme, en ce qu'il porte atteinte à l'identité arménienne, interdit la reconnaissance de l'autre et favorise le repli sur soi.

M. Alain Marsaud s'est déclaré défavorable à cette proposition de loi inspirée de la loi dite Gayssot, laquelle fait déjà l'objet d'interprétations divergentes de la part des différents tribunaux. Il a considéré que l'application de ces dispositions serait d'autant plus difficile que la loi du 29 janvier 2001 est incomplète puisqu'elle ne mentionne pas l'auteur du génocide arménien. Il a également estimé que le rôle du Parlement ne consiste pas à écrire l'histoire, au détriment d'autres réformes plus urgentes. Il s'est enfin interrogé sur la légitimité de reconnaître par voie législative certains évènements historiques plutôt que d'autres, tels le génocide vendéen dénoncé par M. Philippe de Villiers ou le génocide algérien dont le président Abdelaziz Bouteflika accuse la France. Dans ce dernier cas, il a estimé qu'il sera d'autant plus difficile de récuser une telle qualification que le Parlement français en aura fait une utilisation inconsidérée.

Tout en considérant que le massacre des Arméniens en 1915 est un fait incontestable qui suscite une émotion compréhensible, M. Xavier de Roux a contesté l'emploi du terme « génocide » qui n'a été consacré par le droit international qu'en 1948. Juridiquement, un génocide est un crime dont l'auteur a été condamné par une juridiction. Or, la présente proposition de loi n'entre pas dans ce cadre mais vise à conclure le débat historique sur le sujet. M. Xavier de Roux a estimé qu'il ne convient pas de légiférer sur l'histoire, notamment au regard du récent débat sur la reconnaissance du rôle positif de la colonisation. Il a enfin craint qu'une loi sur le génocide arménien appelle à l'avenir de nombreuses autres demandes de reconnaissance législative d'évènements historiques.

M. Michel Piron a jugé inappropriée la réponse proposée à ce sujet sensible qu'est le génocide arménien. D'une part, il est déjà possible de condamner les incitations à la haine ou au racisme. D'autre part, légiférer sur l'histoire peut engendrer des dérives graves. Écrire une histoire officielle n'est en effet pas conforme aux principes républicains.

Après avoir rappelé que le génocide arménien est une question sensible qui suscite des interventions vigoureuses de la part de la Turquie, M. Frédéric Dutoit a considéré que le rôle de la France dans la promotion des droits de l'homme et des libertés confère à celle-ci une influence significative au plan international. Il a indiqué que le travail historique et juridique international sur les génocides a abouti à l'adoption de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui reconnaît que le génocide a infligé de grandes pertes à l'humanité tout au long de l'histoire. Certes, le génocide arménien, à la différence de la Shoah, n'a pas fait l'objet d'une reconnaissance par un tribunal international, mais c'est également le cas de l'esclavage, dont personne ne nie l'existence et qui a été reconnu par la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, dite « loi Taubira ».

Tout en admettant qu'il n'appartient pas au Parlement d'écrire l'histoire, M. Frédéric Dutoit a estimé que la reconnaissance des crimes contre l'humanité au niveau international, puis par les différentes nations, permet de progresser vers l'humanisation des relations internationales. Il a indiqué que l'article 9 de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide prévoit que les différends entre États relatifs à l'interprétation, l'application ou l'exécution de la convention ou à la responsabilité d'un État en matière de génocide peuvent être soumis à la Cour internationale de Justice. Il s'est déclaré favorable à la condamnation de la négation de tous les génocides et a rappelé qu'il avait déposé une proposition de loi en ce sens en décembre 2005. En effet, la négation des génocides est un acte politique qui soulève de graves difficultés au sein des États comme dans les relations interétatiques.

M. Xavier de Roux a rappelé que l'Arménie est un État souverain qui a la possibilité de saisir la Cour internationale de justice pour faire reconnaître le génocide.

M. Jean-Pierre Blazy a estimé que le vote de la loi reconnaissant le génocide arménien a constitué un premier acte juridique, et qu'il est aujourd'hui nécessaire d'en tirer toutes les conséquences. La République française reconnaissant le génocide, il est logique de prévoir des dispositions permettant d'agir de manière préventive contre ceux qui le nient. Il n'est en aucune façon question de réécrire l'histoire. Les historiens font d'ores et déjà état de massacres commis à l'encontre des Arméniens, de la même manière qu'ils reconnaissent la guerre et non pas les évènements d'Algérie. Alors qu'en Turquie même les historiens évoluent sur la question du génocide arménien, il est essentiel que la France aille jusqu'au bout de sa démarche en sanctionnant les personnes qui le nient.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a souhaité que le débat sur la place de l'histoire dans la loi ne vienne pas interférer sur la question du génocide arménien. Ce débat a été tranché par le législateur en 2001, et il s'agit aujourd'hui de rendre effective une loi de la République. Par cohérence avec le texte voté à l'unanimité en 2001 et par respect pour la communauté arménienne, il est indispensable de sanctionner la négation du génocide dont cette communauté a fait l'objet.

À l'issue de ce débat, la Commission a décidé de ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi complétant la loi n° 2001-70 du 29 juillet 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915 (n° 3030).

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Information relative à la Commission

La Commission a désigné M. Paul Quilès, rapporteur sur la proposition de loi constitutionnelle tendant à modifier l'article 34 de la Constitution afin d'élargir les pouvoirs du Parlement (n° 241 rectifié).

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