Accueil > Archives de la XIIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale (2006-2007)

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COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION
GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE

Mercredi 20 décembre 2006

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 17

Présidence de M. Guy Geoffroy,
vice-président

 

Pages

Examen du projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution (n° 1005 rectifié) (M. Philippe Houillon, rapporteur)


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Informations relatives à la Commission

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Philippe Houillon, le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution (n° 1005 rectifié).

M. Philippe Houillon, rapporteur, a tout d’abord fait observer que, pendant longtemps, la question de la responsabilité du chef de l’État est restée une question de doctrine. En 1958, alors que la fonction présidentielle était placée au centre de nos institutions, incarnant l’unité nationale et la continuité de l’État, garante de la stabilité et de l’équilibre du régime, peu de débats ont eu lieu sur cette question de la responsabilité. Ainsi, ce serait en vain qu’on chercherait, dans les travaux préparatoires de notre Constitution, de quoi satisfaire notre curiosité.

Lorsque cette question est venue sur le devant et la scène, chacun a pu se confronter aux textes et constater qu’ils étaient à la fois ambigus et incomplets.

Cette redécouverte s’est faite en trois temps. D’abord, le Conseil constitutionnel a cherché à tirer les conclusions concrètes du dispositif combiné de l’article 68, qui définit la responsabilité du chef de l’État, et de l’article 67 qui, lui, définit la Haute Cour de justice. Il était contraint de le faire dans sa décision du 22 janvier 1999, car, saisi par le Président de la République et le Premier ministre, il devait répondre à la question de savoir si le régime de responsabilité défini par le statut de la Cour pénale internationale était compatible avec celui défini dans notre Constitution. Il ne pouvait donc éluder la question et a déduit des dispositions constitutionnelles que le chef de l’État ne pouvait être jugé, durant son mandat, que par la Haute Cour de justice.

Ensuite, en 2001, l’Assemblée nationale, dans des circonstances très particulières, a adopté une proposition de loi constitutionnelle, déposée à l’initiative du Groupe Socialiste. Si ce texte a permis de préciser les choses, il était loin de redonner toute sa cohérence au système.

Enfin, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 octobre 2001, a donné une réponse cohérente à l’ensemble du problème en préconisant l’inviolabilité temporaire du chef de l’État à raison des actes commis hors de l’exercice de ses fonctions, inviolabilité assortie d’une interruption de toute prescription. Redevenu citoyen comme les autres à l’issue de son mandat, les poursuites peuvent être engagées ou reprises dans les conditions de droit commun.

Si l’aboutissement du processus a pu apparaître comme résolvant nombre de difficultés, demeurent non seulement l’ambiguïté du texte constitutionnel et certaines différences entre les solutions jurisprudentielles, mais également une faiblesse de légitimité de ces solutions. Elles sont juridiquement cohérentes, elles n’ont pas été politiquement « endossées ». Or, en la matière, le constituant ne saurait s’abstenir d’intervenir.

C’est la raison pour laquelle M. Jacques Chirac, lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2002, s’est engagé à réunir une commission de juristes indépendants pour proposer une révision de la Constitution. Une fois réélu, il en a confié la présidence au professeur Pierre Avril qui lui a remis les conclusions de la commission en décembre 2002. C’est le texte de la commission « Avril » qui, sous réserve d’une précision limitée, a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale sous la forme d’un projet de loi constitutionnelle.

Il s’agit à la fois de protéger la fonction et de permettre de juger son titulaire dans les conditions les plus proches du droit commun mais sans, pour autant méconnaître, les devoirs de la charge.

Un principe simple a été retenu. Ce qui relève du politique doit être évalué dans un cadre politique, ce qui engage la responsabilité personnelle du titulaire de la fonction doit être jugé par les voies juridictionnelles ordinaires.

Dès lors, trois types de questions, qui sont classiques en droit, doivent être réglés pour résoudre la difficile équation du régime de responsabilité du chef de l’État.

La première question se pose ratione materiae et doit déterminer de quels actes le Président doit répondre, qu’il s’agisse des actes commis pour accomplir ses fonctions et/ou des actes qui sont étrangers à l’exercice de ses fonctions. La question est même plus compliquée, dès lors qu’il convient de se demander si le chef de l’État doit ou non répondre de tous les actes commis durant son mandat et qui pourraient être alors considérés comme tous inhérents à ses fonctions. C’est la question de la responsabilité et de l’irresponsabilité.

La deuxième question se pose ratione temporis. Une fois déterminées les différentes catégories d’actes, il est nécessaire de se demander quand le Président doit répondre de ces actes, pendant son mandat ou seulement à l’expiration de celui-ci. C’est la question de l’inviolabilité.

Enfin, la troisième question concerne la juridiction compétente et y répondre permet de savoir si le Président peut être justiciable de ses actes devant les juridictions ordinaires ou bien devant une juridiction spéciale. C’est la question de l’immunité de juridiction.

Au croisement des réponses à ces différentes questions, la commission « Avril » a défini le régime de responsabilité du chef de l’État. Ce régime, selon les actes considérés, est triple.

En premier lieu, pour les actes effectués, en tant que Président de la République, pour accomplir ses fonctions et donc non détachables de celles-ci, le Président de la République bénéficierait d’une immunité relative qui se traduirait, d’une part, par une irresponsabilité judiciaire, sous réserve de la compétence de la Cour pénale internationale, et, d’autre part, par une irresponsabilité politique, sous réserve de l’engagement d’une procédure de destitution, si les manquements sont incompatibles avec les devoirs de sa fonction. Cette procédure nouvelle est appelée à remplacer la procédure obsolète de la Haute de Cour de justice pour cas de haute trahison, notion elle-même obsolète.

En deuxième lieu, pour les actes commis en tant que personne privée avant le mandat ou pendant le mandat mais détachables de celui-ci, le Président serait soumis là aussi à une immunité relative, qui se traduirait de deux manières, d’un côté, par une inviolabilité temporaire s’accompagnant d’une suspension de tout délai de prescription ou de forclusion, et de l’autre, par une irresponsabilité politique.

En troisième et dernier lieu, pour les actes de nature privée, suffisamment graves pour atteindre la fonction, si graves qu’ils en deviennent non détachables de celle-ci, le statut du Président obéirait non seulement à une inviolabilité temporaire s’accompagnant d’une suspension de tout délai prescription et de forclusion, mais aussi à une responsabilité politique sanctionnée par une procédure de destitution, comme dans le cas d’un acte commis pour l’exercice de ses fonctions manifestement incompatible avec les devoirs de sa charge.

Le dispositif équilibré qui est proposé permet d’assurer au Président de la République, conformément aux missions qui lui sont confiées par la Constitution, la sérénité dans l’exercice de ses fonctions grâce à l’inviolabilité temporaire, tout en préservant les droits des tiers grâce à la suspension des délais de prescription et de forclusion pendant le mandat. Par ailleurs, dans les cas extrêmes, lorsque l’intolérable se produit, comme dans l’affaire de corruption qui a conduit à la destitution du Président du Brésil, M. Fernando Collor de Mello, en 1992, l’Assemblée nationale ou le Sénat pourrait engager une procédure de destitution.

Si les deux assemblées adoptent le même texte, alors la Haute Cour, composée de l’ensemble des parlementaires, pourrait voter la destitution, rendant le Président à la « vie civile » et le mettant ainsi à la disposition de la justice ordinaire.

Et pour éviter que ce processus ne soit utilisé à des fins purement politiques et permettre que les deux décisions de réunion de la Haute Cour et de destitution soient adoptées dans des conditions non partisanes, il pourrait être justifié de passer de la majorité absolue des membres composant chaque assemblée, telle que prévue par le présent projet de loi constitutionnelle, à une majorité de trois cinquièmes. Cette majorité est proche de celle utilisée pour une révision constitutionnelle réalisée sur le fondement de l’article 89 de la Constitution qui, cependant, dans ce cas, ne s’entend que de la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Ainsi, la France se rapprocherait de très nombreuses démocraties qui, pour la plupart, à la fois procurent une inviolabilité temporaire au chef de l’exécutif et disposent d’un mécanisme d’« urgence » sous la forme d’une procédure de destitution, à l’exemple de l’impeachment aux États-Unis. Mais contrairement aux États-Unis, la destitution impliquant une élection, c’est au peuple souverain qu’il reviendrait de trancher.

Après avoir remercié le président de lui accorder la parole dans le cadre de l’article 38 du Règlement, M. Édouard Balladur a souhaité faire part de ses interrogations et perplexité sur le projet de loi constitutionnelle portant modification du titre IX de la Constitution.

Il a tout d’abord relevé que l’inscription d’une telle question à l’ordre du jour de l’Assemblée à la fin du mandat du Président de la République traduisait une certaine forme de désintéressement justifiant son examen dans ces conditions.

Il a ensuite observé qu’aux États-Unis, les responsables américains n’avaient pas pour autant déduit de l’affaire « Clinton » qu’il fallait modifier leurs règles antérieures.

Insistant sur les caractéristiques de la tradition française en matière de responsabilité du chef de l’État, marquée à ses yeux par l’irresponsabilité politique sauf en cas de haute trahison et l’application, dans les autres circonstances, des règles de droit commun, il a rappelé que sur ces fondements, le Président Raymond Poincaré avait été appelé à témoigner au sujet de l’assassinat de Gaston Calmette, directeur du Figaro, par l’épouse du ministre des finances, Joseph Caillaux et, plus récemment, six mois après son élection, le Président Valéry Giscard d’Estaing avait été cité devant le tribunal correctionnel de Paris pour une affaire d’affiches de campagne. Il a ajouté que M. Jean Foyer, que l’on ne peut soupçonner de vouloir porter atteinte à la solidité de nos institutions, considérait lui aussi que le droit commun devait s’appliquer, tout comme l’un des rédacteurs de la Constitution de 1958, Raymond Janot.

Citant l’exposé des motifs, aux termes duquel le contenu du projet de loi constitutionnelle se justifierait par « la nécessité de ne pas affaiblir le Président de la République en en faisant un justiciable ordinaire, eu égard au risque d’affaiblissement qu’entraînerait pour la fonction présidentielle une mise en cause de la responsabilité du chef de l’État dans les conditions du droit commun », il a estimé que l’article unique soumis au vote de la Représentation nationale constitue une novation importante, qu’il faut qualifier comme telle.

M. Édouard Balladur a alors souhaité soulever deux questions, appelant à ses yeux des clarifications.

Indiquant que le Président de la République ne pourra, durant son mandat, faire l’objet d’aucun acte d’information, d’instruction ou de poursuite, ce qui signifie qu’aucune plainte à son encontre ne sera recevable pendant l’exercice de ses fonctions, il s’est demandé si, dans l’hypothèse d’un banal accident de la route impliquant le chef de l’État et débouchant sur un dommage corporel, voire un décès, alors que le citoyen conduisant l’autre véhicule ne pourra porter plainte contre lui, il lui serait possible de porter plainte contre ce même citoyen. Il a estimé que, dans l’affirmative, le Président de la République bénéficierait d’un privilège, source d’inégalité difficilement justifiable devant l’opinion publique, et que, dans la négative, le nouveau statut pénal du chef de l’État, loin de le protéger davantage, limiterait les garanties qui lui sont reconnues et consacrerait ainsi une forme d’affaiblissement.

Déclarant par ailleurs ne pas comprendre le raisonnement de la Cour de cassation, dans son arrêt de 2001, prohibant le témoignage du Président de la République au motif qu’il ne saurait être requis par la force et négligeant le fait que le Président de la République pourrait aussi fort bien déférer volontairement à une convocation du juge, il s’est également interrogé sur le sens à donner à la disposition du texte interdisant que le chef de l’État soit requis de témoigner. Il a considéré indispensable de préciser si, en l’espèce, l’interdiction a une portée générale et concerne toute demande de témoignage ou si elle ne vise que les demandes assorties d’un recours à la force, estimant que faute d’une telle clarification, on pourrait croire que le texte cherche à dispenser le Président de la République de témoigner avant la fin de son mandat dans toutes les affaires où son concours peut être urgent pour la justice.

En réponse, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

—  Aux États-Unis, l’affaire « Clinton » a eu de réelles répercussions sur la législation, puisque les dispositions de l’Ethics in Government Act de 1978, qui avaient créé l’institution du procureur indépendant à la suite de l’affaire du Watergate et qui avaient un caractère temporaire, ont été prolongées en 1994 pour cinq ans mais ne l’ont pas été ensuite.

—  Dans le litige de 1974, le Président Valéry Giscard d’Estaing avait proprio motu accepté de témoigner et le tribunal en avait pris acte. De ce fait il n’est pas possible de tirer une règle générale qui imposerait au Président de la République d’être entendu comme témoin.

En revanche, le dispositif proposé par le présent projet de loi constitutionnelle ne lui interdira en aucun cas d’apporter son témoignage de son propre chef. Dès lors que l’article 67, dans la rédaction proposée, interdit qu’il soit requis de témoigner, il n’est pas nécessaire de prévoir explicitement, dans le même mouvement, ce qui est a contrario autorisé, sous peine d’alourdir, sans nécessité, le texte constitutionnel.

—  L’inviolabilité temporaire prévue en faveur du Président de la République emporte sans nul doute une différence de traitement par rapport au citoyen ordinaire. Un tiers pourra porter plainte contre le Président en cas de dommage causé par lui à titre personnel, mais il devra attendre la fin du mandat pour voir celle-ci avoir des suites, étant précisé qu’il bénéficiera, en contrepartie, d’une suspension des délais de prescription et de forclusion. Dans le cas précis d’un accident de la circulation impliquant un véhicule qui serait conduit par le Président lui-même, la victime pourrait, en tout état de cause, demander à bénéficier du fonds de garantie mis en place par la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation. À l’inverse, il convient de relever que le Président, compte tenu de la suspension des délais de prescription, se trouve dans une situation plus défavorable qu’un « citoyen ordinaire ». Par exemple, un fait qui serait prescrit au bout de trois ans pour ce dernier continuerait à pouvoir fonder une action publique ou une plainte avec constitution de partie civile contre le Président de la République dès lors que ce fait serait intervenu avant la troisième année précédant la fin de son mandat.

En pratique, comme ont pu le faire observer les personnes auditionnées, notamment les membres de la commission « Avril », le nombre de cas dans lequel les droits des tiers seraient atteints de manière irréversible serait infinitésimal.

—  Enfin, il convient de relever que si la destitution du chef de l’État apparaît comme une réelle novation dans notre droit, elle existe dans la très grande majorité des démocraties, comme l’a montré la commission « Avril ».

M. Édouard Balladur a estimé que les observations du rapporteur quant à la possibilité pour le Président de la République d’accepter d’être poursuivi ou de témoigner seraient tout à fait recevables si la rédaction du projet de loi était différente. Il serait donc souhaitable que la Constitution précise explicitement qu’il appartient au Président de la République de décider s’il accepte ou non d’être poursuivi ou de témoigner.

M. Claude Goasguen a estimé qu’il fallait faire une lecture impérative du texte proposé pour l’article 67 de la Constitution, y compris concernant la possibilité de témoigner. En effet, laisser au libre choix du Président de la République l’opportunité ou non de témoigner entraînerait d’importantes conséquences politiques selon la décision qu’il prendrait, notamment si au cours de son mandat il était conduit à agir différemment.

Concernant l’article 68, il est important de tenir compte du nouveau contexte induit par le quinquennat et la concordance des calendriers électoraux présidentiel et législatif. Ainsi, il ne faut pas exclure une utilisation contraire à l’esprit des institutions de la nouvelle procédure, par exemple en cas de conflit interne à la majorité, notamment pour mettre en cause un Président changeant de politique en cours de mandat ou pour se prémunir d’un risque de dissolution par le Président de la République.

Compte tenu du risque de crise institutionnelle majeure induit par cette procédure, la question de la nature de l’organe qui sera chargé de l’instruction d’une demande de destitution est capitale. Certes, la loi organique devra le préciser, mais il serait souhaitable de disposer d’informations sur ce sujet pour que la procédure choisie offre toutes les garanties possibles. Afin d’éviter une utilisation politique de la procédure de destitution, il serait d’ailleurs préférable de confier l’instruction de l’affaire à un organe autonome, soit judiciaire, soit créé ad hoc. À l’inverse, confier ce pouvoir aux assemblées parlementaires chargées de déclencher la procédure pourrait favoriser des abus de droit. Compte tenu de l’importance de cette question, une inscription dans la Constitution serait préférable à un simple renvoi à la loi organique.

M. André Vallini a souhaité rappeler, à titre liminaire, que la réforme du statut pénal du chef de l’État avait constitué une des promesses électorales du Président réélu en 2002 qui s’était alors engagé à ce qu’un texte soit déposé très rapidement. Tout en notant un certain retard au regard de ces engagements, il s’est félicité que ce texte vienne maintenant en discussion. Il a aussi indiqué que le Groupe Socialiste est très attaché à ce que la réforme aboutisse avant la fin de l’actuelle législature, même si cela doit impliquer la convocation d’un Congrès après l’interruption des travaux qui devrait intervenir à la fin du mois de février prochain.

Abordant les questions de fond posées par le projet de loi constitutionnelle, M. André Vallini a indiqué que la réponse donnée par le projet à la question du statut pénal du chef de l’État ne va pas de soi et que certains parlementaires socialistes – dont il ne fait cependant pas partie – de même que d’éminents spécialistes de droit constitutionnel préconisent à l’inverse une réforme tendant à supprimer le privilège de juridiction et l’immunité du Président de la République durant son mandat, le Président devant, à leurs yeux, être considéré comme un citoyen ordinaire.

S’agissant de l’amendement du rapporteur tendant à élever le seuil requis pour enclencher une procédure de destitution du Président et adopter celle-ci, en le faisant passer à la majorité qualifiée des trois cinquièmes des membres de chaque assemblée ou de la Haute Cour, M. André Vallini a indiqué que, consulté par le rapporteur la semaine précédente avec M. Jean-Marc Ayrault, président du Groupe Socialiste, ils avaient alors émis un avis favorable. Il a toutefois tenu à souligner que, compte tenu du mode d’élection actuel du Sénat, il serait plus facile de destituer un Président de gauche qu’un Président de droite. Tout en se déclarant très attaché au bicamérisme, il a estimé souhaitable que soit engagée parallèlement une réforme profonde des modalités d’élection des sénateurs.

S’agissant de la question de l’instruction des affaires soumises à la Haute Cour, M. André Vallini a souhaité qu’elle soit abordée dès les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle et a suggéré qu’elle soit confiée à la Cour de cassation.

M. Guy Geoffroy, président, soulignant la dimension politique contenue par ce projet, a souhaité rappeler que la réforme du quinquennat avait rendu plus improbables, quoique encore possibles, les cas de cohabitation en cours de mandat présidentiel.

M. Claude Goasguen a émis la crainte que la mise en place d’un tel système, dans lequel le Président de la République dispose du droit de dissoudre l’Assemblée tandis que le Parlement peut engager une procédure de destitution du Président de la République, n’aboutisse, en cas de conflit ouvert, à une sorte de course de vitesse entre ces institutions.

Il a également estimé nécessaire que soit d’ores et déjà précisé qu’il reviendra à un organe extérieur au Parlement, en l’occurrence la Cour de cassation, d’instruire les affaires dont sera chargée la Haute Cour, dans le but d’éviter la mise en œuvre d’une procédure purement politique et de contrôler l’exactitude des « manquements manifestement incompatibles avec l’exercice du mandat ».

Partageant les réserves émises par M. Claude Goasguen, M. André Vallini a estimé que les députés, conscients du risque que le Président de la République décide de dissoudre l’Assemblée nationale en cas d’adoption par l’une des chambres d’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour – la seconde chambre disposant d’un délai de quinze jours pour se prononcer sur cette proposition –, pourraient être découragés de voter une telle proposition, rendant peu opérante la procédure mise en place par le projet.

M. Édouard Balladur a estimé nécessaire de bien distinguer, d’un côté, l’acte politique que constitue la procédure de destitution et, de l’autre, la procédure judiciaire qui, elle, devra reprendre son cours après la fin du mandat présidentiel. Rappelant avoir préparé en 1986 les ordonnances que le Président Mitterrand avait refusé de signer, il a considéré que ce refus allait assurément à l’encontre de l’esprit de la Constitution de 1958, mais que la Cour de cassation n’avait aucune légitimité pour connaître d’un tel acte politique qui ne constitue nullement un fait délictueux. Lui confier l’instruction de la destitution reviendrait à donner un tour judiciaire à une affaire qui doit garder une seule dimension politique.

Le rapporteur, en réponse aux différents intervenants, a présenté les observations suivantes :

—  Le cas de la destitution du Président Fernando Collor au Brésil en 1992 est intéressant, car il constitue un bon exemple de procédure de destitution utilisée par la majorité présidentielle pour mettre fin aux fonctions d’un titulaire de la fonction suprême pour des manquements, en l’espèce des faits de corruption aggravés, manifestement incompatibles avec son maintien en place.

—  Avant que la décision de réunir la Haute Cour ne soit prise, c’est-à-dire avant le vote de la seconde assemblée saisie de la demande de réunion adoptée par la première assemblée quinze jours auparavant, le Président de la République, s’il estime que la procédure engagée est manifestement infondée, pourra toujours décider de dissoudre l’Assemblée nationale sur le fondement de l’article 12 de la Constitution, ce qui aurait pour effet immédiat d’annuler toute la procédure en destitution. La décision finale reviendra au peuple souverain.

En revanche, lorsque la décision de réunir la Haute Cour est acquise, la dissolution devient impossible, puisque, d’une part, le Président est juridiquement empêché et, d’autre part, le Président par intérim, en application du quatrième alinéa de l’article 7 de la Constitution, ne pourra utiliser ni l’article 12 ni, d’ailleurs, l’article 11 relatif au référendum.

En outre, dans l’hypothèse d’école où le Président de la République serait effectivement destitué, mais pour des raisons qui apparaîtraient manifestement comme infondées, rien ne lui interdirait de se présenter de nouveau à l’élection présidentielle et au peuple souverain, par son vote, de lui renouveler sa confiance.

—  La procédure de destitution est un processus politique et ne doit être qu’un processus politique. Si les manquements, par ailleurs pénalement qualifiables, sont manifestement incompatibles avec le maintien en place du titulaire de la fonction présidentielle, la Haute Cour n’aura pas à rechercher leur qualification pénale mais devra, d’abord et avant tout, déterminer leur caractère incompatible avec un maintien en fonctions. Destitué, le Président redeviendra un citoyen comme les autres et, si les faits qui ont conduit à sa destitution sont susceptibles d’être qualifiés pénalement, ils pourront être poursuivis devant les juridictions ordinaires.

C’est pourquoi confier entièrement à une juridiction l’instruction du dossier de destitution conduirait à trahir la nature politique du processus. Aux États-Unis, la mise en accusation, c’est-à-dire l’impeachment au sens strict du terme, est définie et adoptée par la Chambre des Représentants, puis transmise au Sénat, qui l’examine par le truchement de sa commission des Affaires judiciaires et qui vote ou non, sur ce fondement, la destitution du Président.

La loi organique mentionnée dans le dernier alinéa de l’article 68 devra déterminer les modalités d’examen par la Haute Cour des résolutions adoptées par chaque assemblée dans des termes identiques.

—  C’est précisément parce que la procédure a un caractère politique qu’il convient de corréler la détermination de l’incompatibilité des manquements présidentiels aux devoirs de sa charge et le principe d’une majorité qualifiée des trois cinquièmes des membres composant l’assemblée concernée et ce, à chaque stade de la procédure.

—  La promotion d’un « Président-citoyen », si elle peut apparaître séduisante dans une première impression, ne correspond ni à la réalité ni à un objectif raisonnable. L’État de droit s’est construit grâce à la séparation entre gouvernés et gouvernants, les seconds étant délégués par les premiers pour exercer des fonctions de gouvernement à leur place, dans l’intérêt général. Faire croire que cette construction est compatible avec une assimilation complète du Président de la République au « citoyen ordinaire » est une aberration intellectuelle, qui pourrait confiner à la démagogie.

Puis la Commission est passée à l’examen de l’article unique du projet de loi constitutionnelle.

Article unique (titre IX de la Constitution) : Haute Cour :

—  art. 67 de la Constitution : régime de responsabilité du chef de l’État :

Après avoir adopté un amendement de précision du rapporteur sur le champ d’application du nouvel article 67 de la Constitution, la Commission a adopté un amendement du même auteur prévoyant explicitement la suspension de tout délai de prescription ou de forclusion applicable aux faits pour lesquels la procédure est suspendue jusqu’à la cessation des fonctions du Président de la République, en contrepartie nécessaire de son inviolabilité temporaire.

—  art. 68 de la Constitution : procédure de destitution :

La Commission a ensuite été saisie d’un amendement du rapporteur portant aux trois cinquièmes des membres composant chaque assemblée ou composant la Haute Cour, la majorité nécessaire respectivement pour réunir la Haute Cour et pour décider la destitution du Président de la République. Le rapporteur ayant souligné que de telles décisions doivent transcender les clivages partisans, la Commission a adopté cet amendement.

M. Claude Goasguen, après s’être déclaré en faveur du projet de loi, a souligné les risques de détournement dont pourrait faire l’objet la nouvelle procédure de destitution, introduite à l’article 68 de la Constitution. Une telle procédure ne répond pas, en effet, à l’esprit de nos institutions et pourrait devenir un moyen de contrôle du Président de la République par le Parlement, alors même que c’est le Gouvernement et non le Président de la République qui est responsable politiquement devant l’Assemblée nationale. C’est pourquoi il est souhaitable que ce soit un organe extérieur au Parlement, sans doute la Cour de cassation, qui soit chargée de l’instruction. Elle pourrait jouer un rôle stabilisateur dans cette procédure, contrebalançant ainsi les risques de dérives politiques qu’elle contient. Enfin, l’appellation même de Haute Cour paraît tout à fait inadaptée.

M. André Vallini, soulignant l’attachement du Groupe Socialiste à un rééquilibrage des institutions au profit du Parlement, a souhaité appeler l’attention de ses collègues sur les évolutions institutionnelles qui pourraient être induites par ce texte de grande importance sous des allures anodines, et qui ne seraient sans doute pas du goût des plus fervents défenseurs de la Constitution de 1958. Il a ensuite indiqué que, son groupe politique n’ayant pas encore adopté de position commune sur le projet de loi constitutionnelle, il s’abstiendrait lors du vote de l’article unique.

La Commission a ensuite adopté l’article unique du projet de loi constitutionnelle ainsi modifié.

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Informations relatives à la Commission

La Commission a désigné M. Sébastien Huyghe, rapporteur sur le projet de loi adopté par le Sénat tendant à promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives (n° 3525).

La Commission a désigné M. Xavier de Roux, rapporteur pour avis sur le projet de loi en faveur des consommateurs (articles 1er à 5, 12 et 14) (n° 3430).

——fpfp——