Accueil > Archives de la XIIe législature > Comptes rendus de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale (2006-2007)

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COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION
GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE

Mercredi 20 décembre 2006

Séance de 11 heures 30

Compte rendu n° 18

Présidence de M. Philippe Houillon,
Président

Audition de M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et de M. Philippe Bas, ministre délégué à la Sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, sur le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs (n° 3462) (M. Émile Blessig, rapporteur)

La Commission a procédé à l’audition de M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et de M. Philippe Bas, ministre délégué à la Sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, sur le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs (n° 3462) (M. Émile Blessig, rapporteur)

Le président Philippe Houillon a souhaité la bienvenue à M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la justice, et à M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, et les a remerciés d’être venus débattre du projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs.

Il a rappelé qu’aujourd’hui, plus de 700 000 personnes sont placées sous un régime de protection juridique, auxquelles il convient d’ajouter 67 000 adultes relevant d’une mesure de tutelle aux prestations sociales observant que, selon les projections de l’Institut national d’études démographiques (INED), ces chiffres ne devraient pas cesser d’augmenter au cours des prochaines années.

Constatant que les régimes juridiques établis par les lois de 1968 – sauvegarde de justice, curatelle, tutelle – et de 1966 – sur la tutelle aux prestations sociales – ont été conçus pour des effectifs bien moindres et se révèlent aujourd’hui largement inadaptés, il a précisé que nombre de mesures de protection juridique sont, de surcroît, prononcées à de strictes fins d’accompagnement social.

Il en a déduit qu’une réforme globale s’impose en établissant une ligne de partage claire entre la protection juridique et l’action sociale. Il a notamment estimé que le placement sous un régime de protection juridique devrait être réservé aux seuls cas où l’altération des facultés personnelles de l’intéressé est avérée.

Il s’est félicité que, dans cette perspective, le projet de loi tende à replacer la personne concernée au centre du dispositif de protection, en affirmant et en renforçant ses droits. Il a en outre relevé que la création du mandat de protection future, parallèlement aux mesures de protection judiciaire existantes, constituera un instrument conventionnel répondant aux inquiétudes de nombreuses personnes. Il a enfin souligné que les conditions d’activité des tuteurs et curateurs seront réorganisées et soumises à des exigences accrues, tandis que se substituera à la tutelle aux prestations sociales un nouveau dispositif social.

Concluant son propos, le président Philippe Houillon a estimé que les membres de la commission avaient accueilli favorablement cette réforme.

M. Pascal Clément, garde des Sceaux, ministre de la justice, a précisé que le projet de loi relatif à la protection juridique des majeurs s’inscrit dans le cadre de la réforme globale du droit de la famille et fait suite à trois réformes importantes relatives au divorce, à la filiation et au droit des successions et des libéralités. Il s’est par ailleurs félicité de la qualité des échanges entre la Commission et la Chancellerie, et a vivement remercié le rapporteur, M. Émile Blessig, pour son travail.

Le garde des Sceaux a souligné que la modification des régimes juridiques de protection des majeurs est attendue depuis longtemps par les professionnels, les personnes vulnérables et leurs familles. Elle a été depuis une dizaine d’années l’objet de rapports importants qui ont dénoncé les dysfonctionnements et les dérives du système actuel.

En effet, les lois en vigueur, qui datent de 1966 et 1968, ne permettent plus de protéger correctement les plus fragiles. Conçues pour s’appliquer à quelques milliers d’individus, elles concernent aujourd’hui plus de 700 000 personnes.

Cette croissance s’explique pour partie par l’allongement de l’espérance de vie, mais également par une meilleure prise en compte du handicap par les pouvoirs publics, ainsi qu’en témoigne la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Enfin, l’approche moderne plus ouverte de la maladie mentale a favorisé le développement de thérapeutiques permettant aux malades de vivre dans la cité, tout en bénéficiant d’un suivi psychiatrique et en étant protégés dans leur vie civile.

Cette augmentation du nombre de personnes placées sous protection judiciaire résulte d’une application de la loi progressivement détournée de son objet, sous la pression des phénomènes de précarité et d’exclusion. De nombreuses mesures judiciaires sont en effet aujourd’hui prononcées pour des considérations essentiellement sociales, qui ne justifient en rien la diminution ou la suppression de la capacité juridique des personnes.

La protection des personnes vulnérables exige, d’une part, que la mise en œuvre de mesures privatives de droits ne soit envisagée par le juge que comme ultime solution, et d’autre part que la restriction des droits qui en résulte soit strictement limitée à ce qui est nécessaire. Enfin, elle doit être adaptée et respectueuse de la personne, exercée et contrôlée avec les meilleures garanties.

Pour toutes ces raisons, le garde des Sceaux a fait part de sa satisfaction de voir ce texte aujourd’hui examiné par le Parlement.

Il a estimé qu’il s’agit d’une réforme de grande ampleur, qui doit relever un triple défi. Le premier est celui du vieillissement de la société : la protection du grand âge doit être repensée en tenant compte du nombre grandissant des personnes entrées dans le « quatrième âge » et de leur particulière fragilité. Le deuxième tient à l’évolution des besoins sociaux : la société moderne, qui est à la fois une société de consommation et d’exclusion, se doit de protéger les personnes dont la vulnérabilité est sociale, sans les déresponsabiliser. Enfin, le troisième défi est celui de l’implication des familles : la famille change et la prise en charge des majeurs par leurs proches doit être envisagée en les impliquant mieux et davantage tout en tenant compte de l’éclatement et de l’éloignement de beaucoup d’entre eux.

Le ministre de la Justice a fait valoir que cette réforme tant attendue est le fruit d’un long travail de préparation. Elle a donné lieu à une consultation approfondie auprès de l’ensemble des acteurs sociaux et des professionnels du droit. De ce travail préparatoire, il résulte un projet qui, dans ses principes et ses lignes directrices, paraît largement consensuel.

La réforme, à la fois civile, sociale et financière, obéit à quatre idées fortes : réaffirmer les principes fondamentaux de la protection, placer la personne au centre de sa protection, rénover l’activité des tuteurs professionnels, instaurer un dispositif social de protection en amont de l’intervention judiciaire.

Le principe de nécessité des mesures signifie que la mise sous curatelle ou tutelle ne doit être possible que si la personne est atteinte d’une altération de ses facultés personnelles, mentales ou corporelles. Cette altération devra donc être constatée par un certificat médical précis et circonstancié, établi par un médecin expert.

Les cas d’ouverture d’un régime de protection pour prodigalité, intempérance ou oisiveté seront, en conséquence, supprimés. Les personnes dont la vulnérabilité résulte de difficultés sociales ou économiques seront en effet prises en charge par des dispositifs d’accompagnement social adaptés et rénovés, qui font l’objet du volet social de la réforme.

En vertu de ce principe de nécessité, le juge des tutelles ne pourra plus se saisir d’office, sur le simple signalement d’un tiers, intervenant social ou professionnel médical. La saisine d’office, qui représente plus de la moitié des ouvertures de dossiers, est à l’origine de nombreuses dérives. À l’issue de la réforme, seuls pourront saisir le juge les membres de la famille, une personne résidant avec le majeur, ou le procureur, après avoir éventuellement ordonné une évaluation médico-sociale de l’intéressé.

Ce nouveau principe, qui proscrit l’auto-saisine du juge, garantit que les solutions alternatives à la tutelle seront sérieusement examinées. C’est en ce sens que la réforme renforce également le principe de subsidiarité.

Il existe en effet, pour protéger une personne vulnérable, des solutions juridiques moins contraignantes et moins attentatoires aux droits de la personne. Certains de ces moyens sont indépendants de toute intervention judiciaire : la procuration, le mandat de protection future, l’accompagnement social. D’autres outils requièrent l’intervention du juge, qui devra désormais vérifier si ces techniques juridiques moins restrictives peuvent être adaptées à la personne à protéger.

Il en est ainsi de la sauvegarde de justice qui pourra être utilisée pour un besoin ponctuel, ou des règles d’habilitation propres aux régimes matrimoniaux qui permettent la désignation d’un époux pour représenter son conjoint lorsque celui-ci est hors d’état de manifester sa volonté à la suite d’un accident ou d’une maladie.

Enfin, la subsidiarité implique qu’avant de recourir à la collectivité publique, on se tourne vers la famille. Ce sont en effet les familles qui, les premières, sont confrontées à la vulnérabilité d’un de leurs membres et ce sont elles qui, le plus souvent, assument et organisent sa protection. C’est donc à juste titre que bon nombre d’entre elles revendiquent d’être davantage associées aux procédures judiciaires, d’en être informées et d’y être impliquées.

La réforme redonne donc à la famille sa place légitime, d’abord parce que la famille est concernée au premier chef par la protection d’un proche indépendamment de toute intervention judiciaire – ainsi, les procurations sont généralement données aux enfants -, ensuite, parce que si une mesure judiciaire est nécessaire, on cherchera en priorité à la confier à un membre de la famille.

Enfin, la réforme organise le rôle et la place de la famille dans le processus judiciaire en clarifiant les droits qui sont reconnus à ses membres – en particulier, le droit d’être consulté au moment de la mise en œuvre de la mesure et d’être informé de son déroulement.

Le garde des Sceaux a indiqué que la réforme vise, par ailleurs, à replacer la personne au centre du régime de protection. En effet, le droit actuel est insuffisamment adapté à la spécificité des besoins des personnes vulnérables.

Entre la liberté civile, trop exigeante pour les plus fragiles d’entre nous, et l’incapacité attachée aux mesures judiciaires, il est temps de prévoir un dispositif civil simple, librement choisi et circonscrit, et donc personnalisé. C’est ce que propose la réforme en donnant à chacun le pouvoir d’organiser lui-même sa protection future. Est ainsi introduit dans le code civil le mandat de protection future qui, inspiré du droit allemand et du droit québécois, est entièrement nouveau en France et symbolise l’importance donnée à la volonté de la personne vulnérable.

II permettra à chacun d’anticiper l’organisation de sa propre protection en désignant un tiers de son choix – un membre de sa famille, un ami, ou une personne morale agréée – pour veiller sur sa personne et ses intérêts le jour où il ne sera plus possible de le faire soi-même.

Le mandat fixera la mission du mandataire et définira l’étendue de ses pouvoirs. Cette volonté de la personne s’imposera à tous, y compris au juge éventuellement saisi.

Ce mandat de protection future, établi par acte sous-seing privé ou par acte notarié, sera mis en œuvre lorsque l’altération des facultés aura été médicalement constatée.

La réforme prévoit également que les parents d’un enfant handicapé pourront passer un tel mandat pour organiser la protection de leur enfant pour le jour où ils ne seront plus en état de l’assumer eux-mêmes. Grâce à ce nouvel instrument juridique fondé sur la volonté individuelle des parents, l’ouverture d’une tutelle judiciaire privative de droits n’aura plus lieu d’être. La famille demeurera ainsi le lieu naturel de la protection et de l’accompagnement de la personne malade ou handicapée.

Ce mandat de protection future crée un régime de représentation, mais sans entraîner l’incapacité de la personne représentée. Il fonctionnera comme une procuration générale donnée par une personne à un tiers sans que cette personne soit privée de l’ensemble de ses droits, que ce soit dans les actes de gestion patrimoniale ou dans ceux touchant à la protection de sa personne.

Le ministre de la Justice a également souligné que, pour répondre aux insuffisances du droit dans la prise en compte de la spécificité des besoins des plus fragiles, la réforme affirme également le principe de protection de la personne, et non plus seulement de son patrimoine.

Ce principe se déclinera, en premier lieu, dans le déroulement de la procédure judiciaire, à travers son caractère pleinement contradictoire. La personne sera systématiquement entendue, en particulier sur l’opportunité de l’ouverture d’une mesure et sur le choix de la personne chargée d’en assurer l’exécution. Elle sera assistée d’un avocat si elle le souhaite.

Ces garanties, qui figurent dans le projet de loi, seront complétées dans le code de procédure civile par des règles de procédure qui relèvent du décret.

La protection de la personne trouvera également son sens dans l’exigence de proportionnalité imposée au juge, lequel devra choisir et définir la mesure de protection strictement proportionnée à la vulnérabilité et aux besoins de la personne, et pleinement adaptée à sa situation. Il s’agit de rendre possible une protection individualisée pour chacun, au lieu d’une tutelle judiciaire uniforme pour tous.

Cette protection de la personne s’imposera dans la mission du tuteur, qu’il s’agisse d’un membre de la famille ou d’un professionnel. La personne protégée prendra seule, dans la mesure où son état le permet, les décisions personnelles la concernant, notamment en matière de santé, de logement ou de relations avec ses proches. Le tuteur devra l’informer et la soutenir, lui expliquer les décisions qu’il est amené à prendre. Il cherchera à l’associer, dans la mesure de ses capacités, à la gestion de ses intérêts. Ainsi, une personne protégée ne pourra plus se voir imposer par des tiers un type de prise en charge thérapeutique, le lieu de sa résidence ou le choix de ses fréquentations. En cas de conflit, le juge pourra être saisi et décidera après audition de la personne concernée, et exclusivement en considération de son intérêt.

Le ministre de la Justice a enfin insisté sur la réorganisation et le renforcement des modalités de contrôle de l’exécution de chaque mesure de protection.

Tout d’abord, les mesures devront être révisées tous les cinq ans. Ainsi la personne protégée ne pourra plus rester des années sous un régime de protection qui n’est plus justifié ou qui est devenu inadapté du fait de l’évolution de son état de santé ou de l’implication plus importante de son entourage.

Les modalités du contrôle annuel, en particulier des comptes de gestion, seront personnalisées et adaptées à la situation de chaque dossier : le juge tiendra compte de la consistance du patrimoine, du montant des revenus, mais aussi de la situation familiale de la personne protégée et de ses projets si elle les exprime.

La réforme instaure également les comptes rendus obligatoires des actes et actions effectués pour le compte de la personne protégée par les tuteurs et curateurs et liés à la protection de la personne même du majeur.

La réforme est tend également à réorganiser en totalité les conditions d’activité des tuteurs et curateurs extérieurs à la famille.

Parce que la famille n’est pas toujours présente ou disponible, parce que les modes de vie des ménages et les configurations familiales évoluent et se diversifient, parce que l’éloignement et l’éclatement des familles est une réalité, notamment en raison de la mobilité du marché du travail et de l’instabilité des couples, le juge peut avoir besoin de recourir à des tiers, notamment associatifs, ou travaillant dans un cadre institutionnel ou seuls, en libéral. Notre société se doit donc d’organiser l’activité de ces personnes qui prennent en charge la protection de nos concitoyens.

Or, aujourd’hui le régime des gérants de tutelle, mandataires spéciaux, tuteurs d’État ou encore préposés à la tutelle, est hétérogène et injuste.

Les nouveaux mandataires judiciaires à la protection des majeurs obéiront désormais à des règles communes, organisant leur formation et leur compétence, leur évaluation et leur contrôle, leur responsabilité et leur rémunération.

Ainsi, la réforme inclut l’ensemble de l’activité tutélaire dans le droit commun de l’action sociale et médico-sociale et soumet ces professionnels à des procédures d’agrément ou d’autorisation, selon qu’ils exercent à titre individuel ou dans un cadre associatif ou institutionnel.

Elle instaure des conditions précises et strictes d’accès à l’activité des mandataires judiciaires à la protection des majeurs : exigences de qualification, de formation, d’expérience professionnelle, de moralité, de garantie de responsabilité. Ces conditions devront être remplies pour permettre l’agrément et l’inscription des personnes sur la liste établie par le préfet après avis conforme du procureur de la République.

La réforme instaure un contrôle de leur activité sous l’autorité du préfet et du procureur de la République. Elle prévoit des sanctions permettant de garantir le respect de ces dispositions.

Le financement de l’activité de ces professionnels sera également unifié et défini selon des critères plus équitables, plus précis et plus clairs. La personne protégée participera aux frais résultant de sa protection dans la mesure de ses moyens. En l’absence de ressources suffisantes, un financement public subsidiaire assurera la rémunération de ces mandataires.

Le ministre de la Justice a souligné que la réforme instaure aussi un nouveau dispositif social, la mise en œuvre de cette réforme du code civil se trouvant conditionnée par l’instauration d’un dispositif social en amont de l’intervention judiciaire.

Il s’agit en effet de protéger de façon adaptée nos concitoyens en situation de difficultés économiques et sociales, en proposant un dispositif administratif, social et subsidiairement judiciaire, dans lequel s’équilibrent l’accompagnement éducatif et la contrainte budgétaire, afin de favoriser le retour à l’autonomie.

Ainsi, l’actuelle tutelle aux prestations sociales, souvent détournée de ses finalités, sera supprimée et remplacée par une mesure d’accompagnement social personnalisé. Cette mesure concernera les personnes en grande difficulté sociale, qui, sans pour autant présenter d’altération de leurs facultés mentales, ne savent pas gérer leurs ressources.

En cas d’échec de cette action, le juge des tutelles pourra ordonner une mesure d’assistance judiciaire permettant une gestion, certes contraignante, des ressources sociales de l’intéressé, mais dont l’objectif est de lui rendre sa capacité à gérer son budget et à organiser sa vie par ses propres moyens.

Le garde des Sceaux a estimé, en conclusion, que le projet de loi portant réforme de la protection juridique des majeurs était très attendu car il instaurera un droit de la protection des majeurs rénové et attentif aux évolutions de la société.

Il s’est déclaré confiant dans les travaux de la commission et a exprimé sa certitude que les débats devant l’Assemblée nationale apporteront au projet du Gouvernement les compléments ou enrichissements nécessaires.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, s’est dit très attentif à l’exposé du garde des Sceaux qui, avec son expérience de législateur et de président de conseil général, s’est personnellement impliqué dans ce dossier pour lui permettre d’aboutir.

Il a rappelé combien le garde des Sceaux et lui-même tenaient à ce qu’il ne soit recouru à la protection judiciaire qu’en dernière nécessité. Après quarante ans d’existence du dispositif issu de la loi de 1968, il était grand temps de tirer les conséquences d’évolutions sociétales, au premier rang desquelles l’éclatement de la famille.

Il a estimé que, si la tutelle et la curatelle ne sont pas réservées aux seules personnes atteintes d’un handicap intellectuel profond ou de la maladie d’Alzheimer, ces personnes, concernées au premier chef par la tutelle et la curatelle, sont beaucoup plus nombreuses qu’hier du fait du vieillissement de la population. Quelque 70 % des personnes entrant en maison de retraite sont atteintes de la maladie d’Alzheimer. Les dispositifs actuels ne permettent plus de faire face à la situation, d’autant plus que de nouvelles causes de mises sous tutelle et curatelle ne cessent d’apparaître. Si l’on ne changeait rien, un million de Français seraient sous tutelle en 2010 !

Le ministre délégué a donc considéré qu’il est temps de mettre fin à cette solution de facilité consistant à placer sous tutelle, faute de mieux, des personnes confrontées à de graves difficultés liées à l’alcool, au chômage, à la solitude. C’est un mauvais système car ces personnes, traitées en « sous-citoyens », risquent de ne jamais sortir de leur état d’incapacité juridique. L’expérience montre qu’on sort rarement d’un régime de tutelle. Mieux vaut donc les aider à faire face à leurs difficultés.

Le ministre délégué a indiqué que la première priorité de la réforme sera de développer de véritables alternatives à la mise sous tutelle, grâce à la création d’une mesure d’action sociale personnalisée, qui prendra la forme d’un contrat passé avec le président du conseil général. Cette mesure comportera une aide à la gestion des prestations sociales et un accompagnement personnalisé pour éviter l’ouverture de mesures judiciaires.

Le ministre délégué a souligné que la réforme a également pour objet d’instaurer une protection adaptée et évolutive, la plus personnalisée possible. Il s’agira de prendre tout un éventail de mesures qui permettront de s’ajuster à l’état de la personne concernée. La mesure d’accompagnement social personnalisée correspondra au premier niveau d’accompagnement. En cas d’échec, la mesure d’assistance judiciaire, plus contraignante, pourra être mise en œuvre : la personne protégée sera aidée par un tiers qui gèrera pour elle ses prestations sociales. Enfin, la curatelle, puis la tutelle, seront réservées aux personnes les plus vulnérables.

Les familles et les personnes concernées seront associées le plus possible à chacune de ces étapes, au cours desquelles le majeur protégé pourra recouvrer son autonomie s’il en a les capacités. Un examen périodique permettra d’ajuster les mesures à l’évolution de sa situation.

Il convient par ailleurs de souligner le caractère très innovant du mandat de protection future, qui permettra à une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, ou aux parents d’un enfant handicapé majeur, de préparer l’avenir.

Le ministre délégué a enfin fait valoir que la réforme permettra de mieux encadrer et former les mandataires judiciaires car, si leur travail sur le terrain est aujourd’hui satisfaisant, des dérives existent.

Il a observé que les départements sont appelés à jouer un rôle majeur car ils représentent l’échelon de proximité qui garantit l’efficacité de notre politique sociale lorsqu’il s’agit de mesures individualisées. Pour cette raison, la réforme conforte leurs missions actuelles, et ceux des présidents de conseils généraux qui redoutent de les voir accrues peuvent être rassurés par la date d’entrée en vigueur de la loi, le 1er janvier 2009, et par le fait que l’État devra, aux termes du texte, prendre en charge les coûts de tutelle et de curatelle des personnes percevant le RMI, l’aide personnalisée à l’autonomie ou la prestation de compensation du handicap, qui auraient été supportées par les départements, à critères de financement inchangés.

Le ministre délégué s’est engagé à ce que la charge pesant sur les départements soit compensée par la baisse du coût des mesures qui leur incomberont, et il s’est dit prêt à accepter des amendements qui intègreraient des « clauses de révision de financement », notamment pour prévoir la compensation de toute charge supplémentaire.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, s’est réjoui de l’inscription du projet de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et a salué l’action de M. Jean-Paul Delevoye, Médiateur de la République, qui a pesé de tout son poids pour que la réforme soit menée à bien.

Il a ensuite souhaité savoir comment les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), qui ont l’habitude de ne travailler qu’avec des établissements d’hébergement ou des associations tutélaires pourront prendre en compte la diversité des gestionnaires de tutelle et notamment les gérants de tutelle privés.

Il a également demandé comment seront gérées les fluctuations d’activité des mandataires, sachant que le régime des autorisations impose de demander une nouvelle autorisation en cas d’extension du service et il a estimé qu’il conviendrait de prévoir des mécanismes de gestion des fluctuations d’activité.

Il a appelé l’attention des ministres sur la nécessité d’assister les aidants familiaux pour la gestion de patrimoine ou la prise de décisions juridiques difficiles, cette nécessité étant d’autant plus importante que les greffes des tribunaux et les juges des tutelles sont surchargés de travail et que les DDASS ne disposent plus de travailleurs sociaux.

Il a également interrogé les ministres sur les modalités de l’exécution, année après année, des dotations globales, et sur les conséquences en termes de charge administrative de cette procédure, qui mobilise beaucoup du temps des agents des DDASS.

S’agissant enfin des recours en récupération sur les successions, source d’inquiétude pour les associations de majeurs protégés et leurs familles, il a souhaité savoir s’il y aura des seuils, des plafonds, des limites dans le temps.

M. Émile Blessig, rapporteur, a tout d’abord interrogé les ministres sur la mise en œuvre du mandat de protection future. Il a ainsi souhaité savoir comment le juge des tutelles pourra en connaître l’existence, comment le mandat sera opposable aux tiers, comment il s’articulera avec une éventuelle mesure judiciaire et comment les comptes du mandataire seront contrôlés.

Concernant le financement des mesures de protection des majeurs, après avoir rappelé que le projet de loi prévoit de passer d’un système de financement à la mesure, par essence inflationniste, à un système forfaitisé et globalisé, il s’est enquis auprès des ministres de l’existence d’un premier bilan de l’expérimentation de ce mode de financement, bilan du reste exigé par une loi de 2004.

Le projet de loi instaurant une contribution de la personne protégée selon ses moyens, il s’est également demandé si cette disposition, logique dès lors que la personne protégée dispose de ressources confortables, n’entrait pas en contradiction, pour les seules personnes handicapées, avec le principe du droit à la compensation du handicap, prévu à l’article L. 114-1-1 du code de l’action sociale.

S’agissant des moyens nécessaires à la mise en œuvre de la réforme, il s’est interrogé sur les effectifs de juges des tutelles, ainsi que sur l’inégalité des charges de travail entre magistrats, citant à l’appui de sa question, l’exemple d’un ancien magistrat d’instance des Sables-d’Olonne gérant 4 000 dossiers de tutelle alors que son homologue du 1er arrondissement de Paris en suit environ 150. Il a donc souhaité connaître les moyens, et notamment le nombre d’emplois de magistrats et de greffiers, que le Gouvernement prévoit de consacrer à la mise en œuvre la réforme.

S’agissant enfin du contrôle des comptes des tutelles, il a rappelé qu’une collaboration entre les tribunaux d’instance et le Trésor est menée dans plusieurs cours d’appel, et souhaité connaître les suites que le Gouvernement entend lui donner.

M. Laurent Wauquiez, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, s’est inquiété de la lourdeur de la procédure prévue pour la mesure d’accompagnement social personnalisé, d’autant que le président du conseil général pourrait effectuer directement les versements au bailleur. Il a souhaité savoir si un assouplissement du dispositif pouvait être envisagé.

Concernant la mesure d’assistance judiciaire, il s’est enquis des délais de sa mise en œuvre et a demandé comment s’articuleront l’intervention des services des conseils généraux et celles des tuteurs.

Il s’est enfin interrogé sur les moyens de conforter la place des tuteurs privés, le régime juridique des mandataires judiciaires à la protection des majeurs prévu par le projet de loi étant, pour l’essentiel, centré sur les associations et les représentants institutionnels.

Le garde des Sceaux a apporté les éléments de réponse suivants :

- la France compte 473 tribunaux d’instance et les juges d’instance, qui ne s’occupent pas des seules tutelles, sont en général surchargés de travail. Il sera donc créé 29 équivalents temps plein de magistrats et 56 équivalents temps plein de fonctionnaires pour mettre en œuvre la loi. Le nombre de magistrats est aujourd’hui suffisant en France et il en ira de même pour les greffiers dans un an ;

- concernant la récupération sur succession, il n’apparaît pas illégitime que l’État obtienne lors de l’ouverture de la succession d’une personne sous tutelle le remboursement des frais qu’il a lui-même supportés ;

- le mandat de protection future n’a pas pour but d’organiser un régime d’incapacité et n’entraîne pas la perte de la capacité juridique de la personne concernée. En revanche, si le mandat prévoit de réserver les actes de disposition au mandataire, la personne protégée ne pourra plus, par exemple, vendre son logement. Dans la mesure où il s’agit d’un contrat personnel, les tiers n’ont pas à en être informés et ne le seront qu’au fur et à mesure des actes. Il en va de même pour le juge, qui n’en prendra connaissance qu’en cas de problème. Si tout se passe bien, le juge n’aura pas à intervenir ;

- le projet de loi ne prévoit pas de contrôle systématique de l’exécution du mandat de protection future sous seing privé, mais il est possible de prévoir dans le mandat des possibilités spécifiques de contrôle des comptes, comme le suivi par un expert comptable ou un notaire. En revanche, dans le cadre d’un mandat de protection future notarié, le mandataire devra rendre des comptes au notaire, qui devra signaler au juge les mouvements ou actes suspects. Le juge pourra exiger que les comptes du mandataire soient vérifiés selon les mêmes modalités que celles prévues pour les comptes de tutelle, à savoir par le greffier en chef ;

- les gérants de tutelle privés, futurs mandataires judiciaires à la protection des majeurs, seront soumis aux nouvelles obligations d’agrément et de garantie de responsabilité, ainsi qu’au contrôle du procureur ou du préfet. Ils seront exposés, le cas échéant, aux mêmes sanctions que les autres mandataires associatifs ou institutionnels. Ce sont des centaines d’emplois, correctement rétribués, qui seront ainsi créés. Les gérants de tutelle privés, qui sont des collaborateurs occasionnels du service public de la justice, dépendent aujourd’hui d’un régime d’assurance privée avec un statut de travailleurs indépendants. Certains souhaitent disposer d’un statut complet, ce qui pose une question délicate aux implications budgétaires importantes et le Gouvernement s’y montrera attentif ;

- quant à la mise à disposition d’agents du Trésor dont pourraient bénéficier les greffes, une expérimentation est en cours dans les ressorts des cours d’appel de Bourges et d’Angers, mais compte tenu du coût, il n’est pas possible de la généraliser pour le moment.

Le ministre délégué a apporté les précisions complémentaires suivantes :

- la réforme a pour ambition de mettre de l’ordre dans les financements de l’État. Depuis le 31 décembre 2005, le retard de financement des associations tutélaires a été rattrapé et les crédits pour 2006 sont suffisants pour faire face à leurs besoins. La situation des associations tutélaires s’est d’ailleurs largement améliorée cette année et les crédits ont été reconduits au même niveau en 2007 ;

- par ailleurs, le mode de calcul de la rémunération des associations tutélaires a été simplifié et a fait l’objet d’une expérimentation qui a donné de bons résultats. Selon le dispositif antérieur, lorsqu’une personne protégée percevait trois sources de revenus, chacun des organismes qui lui versaient une partie du revenu devait payer la tutelle au prorata de la partie du revenu versé. Le projet de loi tend à ce que l’organisme qui verse la part principale du revenu de la personne paie tous les frais de tutelle, sachant que l’État prendra en charge la part qui devrait revenir au conseil général ;

- un guide des aidants familiaux est quasiment prêt et sera diffusé dans les prochaines semaines. Il est par ailleurs prévu, dans le cadre du congé de soutien familial pour une personne salariée qui voudrait aider une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer ou lourdement dépendante, de développer des actions de formation, notamment par l’intermédiaire de l’association France-Alzheimer ;

- les mesures de tutelle n’entrent pas dans la définition du droit à compensation du handicap, telle que donnée par l’article L. 114-1-1 du code de l’action sociale et des familles. La protection juridique des majeurs a été intégrée au champ de la loi du 11 février 2005 mais la participation financière des personnes handicapées n’en a pas été pour autant supprimée car cette loi s’est limitée à rappeler le droit dont dispose toute personne handicapée à bénéficier d’une protection juridique si son état le nécessite ;

- il est nécessaire d’approfondir, comme l’a demandé M. Laurent Wauquiez, la réflexion sur l’assouplissement de la mesure d’accompagnement social personnalisée mais aussi de clarifier le circuit à suivre et le rôle de chacun, pour éviter que le département ne se décharge de certaines de ses obligations sur le ministère de la justice ou vice et versa. Il conviendra d’appliquer rigoureusement la loi ;

- enfin, s’il faut être attentif aux difficultés que peuvent avoir les départements à assumer l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et le revenu minimum d’insertion (RMI), la prise en charge de la prestation de compensation du handicap (PCH) pose moins de problème, l’État ayant versé en début d’année 500 millions d’euros aux départements, lesquels n’en ont encore dépensé que 50. Les départements devront se mobiliser rapidement pour répondre aux besoins des personnes handicapées. Les problèmes rencontrés par les départements sont ainsi davantage des problèmes d’organisation que d’argent, d’où le report de l’entrée en vigueur de la réforme à 2009. Mieux vaut accepter un tel délai plutôt que de reporter le vote d’une loi qui pourrait ne plus être la priorité du prochain gouvernement. En tout état de cause, le ministère et ses services déconcentrés accompagneront l’évolution du dispositif.

M. Alain Vidalies a souhaité s’assurer que le Gouvernement avait réellement la volonté de faire adopter définitivement le projet de loi avant la fin de la législature. Il s’est par ailleurs interrogé sur l’opportunité d’appliquer aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer des mesures d’accompagnement social plutôt que la tutelle ou la curatelle.

M. Patrick Delnatte a interrogé les ministres sur la possibilité de mettre à disposition des tuteurs familiaux des comptes standardisés. Il s’est par ailleurs demandé si, compte tenu de la complexité du mandat de protection future, l’acte authentique, plus simple et plus sûr, ne serait pas préférable à l’acte sous seing privé, quelle que soit sa souplesse.

Le garde des Sceaux a apporté les éléments de réponse suivants :

- le texte sera définitivement voté avant la fin du mois de février, le Gouvernement ayant la ferme volonté d’aboutir ;

- s’agissant du compte des tutelles, la direction des services judiciaires a rédigé un guide très complet pour aider les greffiers dans le cadre du contrôle de comptabilité ;

- concernant le mandat sur protection future, un acte sous seing privé ne donne de droits que sur l’administration des biens, un acte notarié étant nécessaire pour les actes de disposition. Quel que soit le choix des intéressés, le mandat devra être déposé au greffe du tribunal du ressort.

Le ministre délégué a apporté les indications complémentaires suivantes :

- l’objectif du texte n’est pas d’exclure les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer des mesures de protection juridique prises en leur faveur mais de trouver un équilibre entre la nécessaire protection des incapables majeurs et la possibilité de ne pas enfermer dans un régime de protection juridique ceux qui peuvent recouvrer leurs facultés ;

- plus de la moitié des tutelles sont internes à la famille et il est heureux que la famille ne se défausse pas sur la collectivité, tant le lien de personne à personne tel qu’il se construit au sein de la famille permet de nouer un dialogue et de créer les conditions d’une solidarité difficilement possibles en dehors. Il y a donc lieu de consentir un effort particulier pour la formation des gestionnaires familiaux de tutelle ;

- il serait d’ailleurs opportun de standardiser la comptabilité des tutelles familiales et d’apporter des garanties sur la tenue des comptes, la loi n’exigeant de garanties que des gestionnaires institutionnels.

Le Président Philippe Houillon a remercié les ministres de leurs réponses et annoncé que le projet de loi sera examiné par la commission le 10 janvier 2007.

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