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COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION
GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE

Mardi 6 février 2007

Séance de 16 h 15

Compte rendu n° 32

Présidence de M. Philippe Houillon,
Président

Examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant réforme de l’assurance de protection juridique (n° 3608) (M. Étienne Blanc, rapporteur)

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Étienne Blanc, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant réforme de l’assurance de protection juridique (n° 3608).

M. Etienne Blanc, rapporteur, a rappelé que l’assurance de protection juridique garantit aux consommateurs la prise en charge des consultations juridiques et des frais de procédure nécessaires au règlement des litiges auxquels ils s’exposent. Cette protection connaît depuis plusieurs années un développement important et couvre aujourd’hui 45 % des ménages français. C’est un moyen de garantir l’accès au droit, complémentaire à l’aide juridictionnelle. Cette formule est particulièrement adaptée aux classes moyennes dont les revenus sont trop élevés pour donner droit à l’aide juridictionnelle, mais qui, devant les frais d’un procès, sont dissuadées de faire valoir leurs droits en justice. Elle répond également aux besoins des entreprises qui n’ont pas les moyens de disposer de leurs propres services juridiques.

Néanmoins, l’assurance de protection juridique n’offre pas encore au consommateur des garanties suffisantes pour constituer une véritable alternative à l’aide juridictionnelle. Son fonctionnement est en effet critiqué par la Commission des clauses abusives, par les consommateurs et par les acteurs de la vie judiciaire.

Certains contrats créent un déséquilibre significatif au détriment de l’assuré par des clauses qui favorisent la déchéance de la garantie. En particulier, sont critiquées les clauses qui laissent à l’appréciation de l’assureur le délai pendant lequel l’assuré est tenu de faire sa déclaration de sinistre, ou celles qui imposent l’origine du sinistre comme point de départ du délai de déclaration, privant ainsi du bénéfice de la garantie l’assuré qui n’aurait pas eu connaissance du sinistre dès son origine.

En outre, l’avocat ne joue pas le rôle qui lui revient. Il est exclu de la phase amiable du règlement du litige. Les assurés sont ainsi privés d’un conseil juridique de qualité et des garanties de déontologie et d’indépendance prévues par le statut de cette profession. De même, l’avocat est placé dans une situation de dépendance vis-à-vis de l’assureur : celui-ci garde la maîtrise de la phase amiable sans contrôle extérieur, et, face à un assuré démuni, il reste seul juge de l’opportunité d’un recours contentieux. Pour la phase contentieuse, l’avocat est dans la plupart des cas choisi par l’assureur qui dispose de cabinets agréés dont les honoraires sont plafonnés en fonction du barème de remboursement du sinistre. Cette pratique place l’avocat dans un lien de subordination vis-à-vis des sociétés d’assurances, contraire au caractère libéral de la profession.

Cette situation freine le développement de l’assurance de protection juridique. Pour que celle-ci devienne un véritable outil d’accès au droit, l’assuré doit avoir la garantie que la solution amiable qui lui est proposée n’est pas guidée par la défense des intérêts de l’assureur. Cette exigence est d’autant plus forte que l’assurance de protection juridique a vocation à se généraliser, pour concerner un nombre plus grand de ménages et d’entreprises.

Le rapporteur a estimé que la proposition de loi rétablit l’équilibre entre l’assuré et l’assureur par deux séries de mesures.

En premier lieu, elle améliore les garanties offertes aux assurés. Désormais, le sinistre sera considéré constitué dès qu’un refus sera opposé à une réclamation dont l’assuré est l’auteur ou le destinataire. Cette précision met fin à l’imprécision qui pèse sur la date du litige, et prive ainsi l’assureur de la possibilité de mettre en doute cette date pour refuser de faire jouer la garantie. En outre, l’assuré aura la possibilité de demander une consultation juridique ou un acte de procédure avant la déclaration du sinistre, sans que cette demande puisse entraîner la déchéance de la garantie. Par ailleurs, le remboursement par la partie perdante des frais et honoraires reviendra en priorité à l’assuré pour les dépenses qu’il a prises en charge, et subsidiairement à l’assureur dans la limite des sommes qu’il a engagées.

La proposition de loi clarifie également les relations entre l’assureur et l’avocat. Elle fait obligation de recourir à un avocat lorsque la partie adverse est défendue par un membre de cette profession. Cette obligation privera l’assureur de la possibilité de représenter ou d’assister seul l’assuré. Elle permettra ainsi à l’avocat d’intervenir dès la phase amiable afin que l’assuré puisse bénéficier des règles de la déontologie de cette profession, notamment celles qui garantissent la confidentialité des correspondances entre les parties. En outre, l’assureur ne pourra proposer le nom d’un avocat que sur demande écrite de l’assuré. La renonciation au choix de l’avocat résultera ainsi d’un choix délibéré de l’assuré. Enfin, tout accord d’honoraires entre l’assureur et l’avocat est interdit. Les honoraires devront donc être fixés entre l’avocat et son client, indépendamment des intérêts de la société d’assurances. Ces mesures tendent à garantir à l’assuré un contrat plus protecteur, en accroissant l’intervention de l’avocat dans le règlement des litiges, sans remettre en cause le plafonnement de la prise en charge des honoraires par l’assureur.

Le rapporteur a enfin indiqué que le Sénat a complété la proposition de loi par quatre mesures modifiant les règles d’accès à l’aide juridictionnelle. Ainsi, les personnes qui bénéficient du contrat d’assurance de protection juridique ne pourront plus demander que leurs frais soient couverts par l’aide juridictionnelle. Il s’agit de mieux articuler ces deux dispositifs d’accès au droit et d’éviter que l’État finance des frais qui, du fait de leurs obligations contractuelles, sont à la charge des assurances. Cette disposition qui imposera aux bureaux d’aide juridictionnelle de vérifier l’existence d’un contrat d’assurance de protection juridique permettra d’affecter les crédits de l’aide juridictionnelle aux personnes qui ne disposent pas des moyens de s’assurer. Par ailleurs, les possibilités de contester les décisions du bureau d’aide juridictionnelle sont étendues : le demandeur disposera désormais d’un recours contre un refus fondé sur un motif lié au montant de ses ressources, et non plus seulement contre un refus fondé sur un motif juridique. De même, les personnes faisant l’objet d’un refus de titre de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire pourront accéder à l’aide juridictionnelle, sans condition de résidence en France. Enfin, l’assistance par un avocat des personnes détenues est améliorée : actuellement limitée aux procédures disciplinaires, la prise en charge par l’État de la rétribution de l’avocat est étendue aux mesures d’isolement, qu’elles soient décidées d’office ou la demande du détenu.

Après l’exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus :

M. Emile Blessig a remarqué que l’article 5 de la proposition de loi exclut l’aide juridictionnelle lorsque celle-ci est appelée à couvrir les frais qui doivent être pris en charge en vertu d’un contrat d’assurance de protection juridique. Il a ajouté que cela conduisait, par cohérence, à la suppression de l’article 3-1 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, cette disposition étant consacrée à certaines modalités d’obtention de l’aide juridictionnelle. Il s’est interrogé sur l’articulation entre la mise en œuvre du dispositif assurantiel et l’accès à l’aide juridictionnelle, car les changements proposés suscitent une inquiétude quant au maintien de cette aide.

Le Président Philippe Houillon a estimé que les deux dispositifs n’étaient pas forcément contradictoires. Ainsi, un justiciable auquel l’avocat demande le paiement d’honoraires s’élevant, par exemple, à 1 000 euros et dont l’assurance ne peut prendre en charge plus de 500 euros au titre de la protection juridique, devrait pouvoir solliciter l’aide juridictionnelle s’il ne peut acquitter lui-même les 500 euros restant. Il est donc nécessaire d’établir clairement que les personnes pouvant aujourd’hui bénéficier de l’aide juridictionnelle n’en seront pas, dorénavant, privées au seul motif qu’elles ont signé un contrat d’assurance de protection juridique. L’intention du législateur n’est évidemment pas de réduire la protection financière qui leur est actuellement accordée.

M. Alain Vidalies a regretté que le texte adopté par le Sénat, compte tenu des arguments financiers invoqués en séance publique par le Garde des Sceaux, fasse aujourd’hui craindre que le système de l’aide juridictionnelle soit perverti, voire remis en cause, même si la portée des propos alors tenus par le ministre a ensuite été relativisée par leur auteur. Il convient de s’interroger sur le fonctionnement concret du dispositif proposé : les justiciables devront-ils assortir, par exemple, leur demande d’aide juridictionnelle d’une déclaration sur l’honneur ? Une telle réforme n’entrait pas dans l’objet initial de la proposition de loi et pourrait fortement mécontenter, au cours des prochains mois, les associations de consommateurs et les justiciables concernés.

M. Alain Vidalies a alors suggéré que le Gouvernement « retire » les explications données par le Garde des Sceaux lors de l’adoption de cet article au Sénat, l’enjeu n’étant pas de passer dans ce domaine d’une logique de solidarité nationale à une logique assurantielle. Le dispositif proposé résulte d’une initiative tout à fait intempestive et les modalités pratiques de fonctionnement de ce dispositif complexe devraient, au minimum, être précisées.

Le Président Philippe Houillon a estimé que ces précisions relevaient du domaine réglementaire, et qu’il semble logique de maintenir la possibilité d’une aide juridictionnelle lorsque tous les frais d’avocat ne pourront pas être pris en charge au titre de l’assurance de protection juridique. L’affirmation du principe de cette prise en charge assurantielle, à l’article 5 de la proposition de loi, n’exclut donc pas l’octroi d’une aide juridictionnelle à titre subsidiaire.

M. Guy Geoffroy a estimé que la disposition introduite au Sénat n’était pas contradictoire avec le mécanisme prévu par la proposition de loi, un justiciable persuadé de ne pouvoir obtenir le bénéfice de l’aide juridictionnelle en cas de litige et qui, pour cette raison, a souscrit un contrat d’assurance de protection juridique, ne devant pas être privé pour cette seule raison de toute aide juridictionnelle pour la partie des frais d’avocat non prise en charge par l’assurance. Il a souhaité que le ministre puisse, en séance publique, s’engager devant les députés à apporter par voie réglementaire les précisions requises.

M. Alain Vidalies a souligné qu’en pratique, le fonctionnement du système proposé risquait toutefois d’être très difficile à mettre en oeuvre. Ainsi, une personne ayant souscrit un contrat d’assurance de protection juridique devrait, en cas de litige, faire d’abord intervenir son assurance puis, après avoir constaté qu’elle doit malgré tout s’acquitter elle-même d’une partie des frais d’avocat, demander à bénéficier de l’aide juridictionnelle pour cette partie des frais seulement, tout en respectant les impératifs de délai et de procédure…

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

—  Beaucoup de justiciables ignorent qu’ils bénéficient d’une assurance de protection juridique, notamment à travers leurs contrats d’assurance pour leur habitation ou leur automobile, voire leurs cartes bancaires. L’affirmation du caractère subsidiaire de l’aide juridictionnelle répond précisément au souci de faire davantage jouer ces contrats, en demandant aux justiciables et aux bureaux d’aide juridictionnelle de vérifier leur absence avant de demander l’aide de l’État. L’article 5 a été introduit par la commission des Lois du Sénat, et non par amendement du Gouvernement. Cet article pose un principe de subsidiarité de l’aide juridictionnelle, et non d’exclusivité. En conséquence, si l’assurance de protection juridique ne couvre pas l’ensemble des frais du justiciable et si les revenus de celui-ci ouvrent droit à l’aide juridictionnelle, l’État prendra en charge la différence selon les barèmes applicables en la matière.

—  Il est normal que les assureurs financent à la place de l’État des frais qui, du fait de leurs obligations contractuelles, sont à leur charge. Pour vérifier l’absence d’un contrat d’assurance de protection juridique, les bureaux d’aide juridictionnelle demanderont aux justiciables d’attester qu’ils n’ont pas souscrit un tel contrat. Ce dispositif déclaratif ne bouleverse pas l’économie actuelle de l’aide juridictionnelle, puisque la vérification des revenus, notamment patrimoniaux, des justiciables s’effectue d’ores et déjà à partir de déclarations.

—  Pour éviter que la demande d’aide juridictionnelle n’interrompe la procédure, le dossier pourrait être ouvert dès l’ouverture de celle-ci, au moment où le justiciable déclare ses contrats d’assurance de protection juridique.

Le Président Philippe Houillon a rappelé que la disposition adoptée par les sénateurs n’était pas d’initiative gouvernementale. Il a ajouté qu’elle témoignait d’un souci de bonne gestion des deniers publics, mais que sa mise en œuvre nécessiterait un examen attentif de chaque situation par les bureaux d’aide juridictionnelle.

La Commission est ensuite passée à l’examen des articles.

Article premier (art. L. 127-2-1 à L. 127-2-3 [nouveaux] du code des assurances) : Point de départ de la déclaration du sinistre. Obligations réciproques de l’assureur et de l’assuré avant la déclaration du sinistre. Obligation de recourir à un avocat :

La Commission a adopté l’article 1er sans modification.

Article 2 (art. L. 127-3 du code des assurances) : Clarification des modalités de choix de l’avocat :

La Commission a adopté l’article 2 sans modification.

Article 3 (art. L. 127-5-1 [nouveau] du code des assurances) : Libre détermination des honoraires entre l’avocat et son client :

La Commission a adopté l’article 3 sans modification.

Article 4 (art. L. 127-8 [nouveau] du code des assurances) : Remboursement des frais et honoraires exposés pour le règlement du litige :

La Commission a adopté l’article 4 sans modification.

Article 5 (art. 2 et 3-1 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) : Subsidiarité de l’aide juridictionnelle pour les frais couverts par une protection juridique :

La Commission a adopté l’article 5 sans modification.

Article 6 (art. L. 224-2-1 à L. 224-2-3 [nouveaux], L. 224-3, L. 224-5-1 [nouveau] et L. 224-7-1 [nouveau] du code de la mutualité) : Coordination au sein du code de la mutualité :

La Commission a adopté l’article 6 sans modification.

Article 7 (art. 3 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, art. L. 512-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Accès des étrangers à l’aide juridictionnelle :

La Commission a adopté l’article 7 sans modification.

Article 8 (art. 23 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) : Recours contre les décisions de refus d’aide juridictionnelle :

La Commission a adopté l’article 8 sans modification.

Article 9 (art. 64-3 de la loi du 10 juillet 1991) : Assistance des personnes en détention par un avocat :

La Commission a adopté l’article 9 sans modification.

Article 10 : Ratification de l’ordonnance du 8 décembre 2005 modifiant la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique :

La Commission a adopté l’article 10 sans modification.

Après l’article 10 :

La Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Paul Garraud visant à permettre l’établissement d’un testament devant le juge d’instance ou un officier municipal, en présence de deux témoins, dans une île de toute collectivité d’outre-mer où il n’existe pas d’office notarial et avec laquelle les communications sont impossibles.

Puis, elle a adopté l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

——fpfp——