COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 25

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 21 décembre 2004
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-François CIRELLI, président de Gaz de France.

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La Commission a entendu M. Jean-François Cirelli, président de Gaz de France.

Le président Patrick Ollier s'est réjoui d'accueillir M. Jean-François Cirelli, nouveau président de Gaz de France, dont il connaît les grandes qualités. Après avoir indiqué que la Commission des affaires économiques attendait de lui qu'il présente le projet industriel en cours de définition pour la grande entreprise française qu'est GDF, il a souhaité des précisions sur deux sujets.

Le premier est la stratégie envisagée par GDF dans le domaine de l'électricité. Comment l'entreprise entend-t-elle développer ses compétences en la matière ? La presse a fait état d'interrogations sur la prise de participation envisagée dans la SNET ; qu'en est-il exactement ?

Le second sujet est le fonctionnement de la concurrence sur le marché français du gaz naturel. Le régulateur, la Commission de régulation de l'énergie (CRE), a émis de vives critiques sur la manière dont la concurrence s'exerce sur le marché français, allant jusqu'à écrire dans son rapport d'activité de septembre 2004 qu' « il n'existe pas de concurrence dans la moitié sud du pays ». A la demande de la CRE, GDF et Total se sont d'ailleurs engagés à mettre en œuvre un programme de mise à disposition temporaire de gaz. Quel premier bilan peut-on tirer de ce programme et quel jugement le président de GDF porte-t-il sur les conditions d'exercice de la concurrence sur le marché gazier français ?

M. Jean-François Cirelli s'est dit honoré de s'exprimer pour la première fois devant la Commission et de traiter devant elle de GDF, grande et belle entreprise inscrite dans l'histoire française et dont l'activité est appelée à évoluer, puisque le législateur en a décidé ainsi. GDF demeurera un grand industriel et un grand commerçant, et l'entreprise a une vocation européenne.

Il n'y a aucun doute : GDF perdrait son âme si elle n'était plus une entreprise industrielle. C'est pourquoi elle investit beaucoup dans ses activités régulées - le transport et la distribution -, au point d'y consacrer environ 1,5 milliard d'euros pour la maison mère. En 2004, 180 millions auront été investis dans le réseau de transport et 210 millions le seront l'an prochain. Ces investissements sont déterminants pour l'économie française, notamment pour le secteur des travaux publics et pour certains industriels, 80 % des compresseurs de GDF, par exemple, étant fabriqués par Alstom. L'entreprise investit d'autre part dans le stockage. La France compte une douzaine de sites, qui permettent de stocker de trois à quatre mois de consommation. Les Britanniques notamment nous envient ces capacités. Toutefois, ces sites doivent être modernisés ; 80 millions auront été consacrés à cette rénovation en 2004 et 120 millions le seront en 2005. Le troisième secteur d'investissement est celui des terminaux méthaniers, pour lesquels les sommes investies tripleront entre 2003 et 2005, passant de 5 à 15 millions d'euros, indépendamment du projet de réalisation d'un nouveau terminal à Fos.

S'agissant de la distribution, GDF construit 5 500 nouveaux kilomètres de réseau chaque année, ce qui est considérable. Cet effort constamment poursuivi marque la volonté de développement de l'entreprise en France. Le principal problème que rencontre GDF dans la gestion de ce réseau, ce sont les « agressions » involontaires qui se multiplient : il s'agit le plus souvent d'engins de chantiers qui touchent les canalisations lors de travaux, parfois non déclarés. En 2004, GDF aura investi 680 millions dans la distribution, et l'entreprise compte porter ce montant à 800 millions en 2005, signe de l'attachement qu'elle porte à l'économie locale. Ces investissements sont notamment nécessaires pour des raisons de sécurité en particulier afin de remplacer des canalisations anciennes, dites « fontes grises », que GDF entend supprimer totalement d'ici à 2008 ce qui exigera un effort de 468 millions d'euros sur quatre ans.

Outre ces investissements d'équipement et d'entretien, GDF s'est également engagée dans trois grands projets.

Le premier est la réalisation du terminal de Fos 2, qui permettra de faire plus que doubler la capacité actuelle du site, lequel reçoit essentiellement aujourd'hui du gaz d'Algérie. C'est, pour la France, un atout fondamental que de disposer de terminaux méthaniers sur son sol notamment au moment où le marché du gaz se mondialise et où la consommation de gaz naturel liquéfié (GNL) s'accroît de 7 à 10 % par an. L'investissement correspondant, soit 430 millions d'euros, est pleinement justifié. Conformément au droit en vigueur, l'utilisation de ce terminal ne sera pas réservée exclusivement à GDF. La construction de tels terminaux est difficile dans tous les pays développés notamment compte tenu des contraintes environnementales.

L'entreprise s'est également lancée dans la construction de navires méthaniers ; elle y consacrera près de 600 millions sur trois ans, pour trois bateaux dont le premier, d'une capacité de 74 000 mètres cubes, déjà livré, est en phase d'essai. La capacité des deux autres sera de 153 000 mètres cubes. Ces navires sont fabriqués par les Chantiers de l'Atlantique et par Alstom, ce qui n'est pas sans incidence favorable sur l'économie française, et en particulier sur celle des régions concernées. Des projets de cette ampleur reposent sur le mécanisme des groupements d'intérêt économique fiscaux.

Enfin, l'entreprise a entrepris la construction d'une installation de production d'électricité innovante à Dunkerque. C'est un grand défi que le fonctionnement de cette nouvelle centrale qui fournira de l'électricité à partir de gaz de fonderie, de gaz de cokerie et de gaz naturel. L'investissement correspondant est de 450 millions.

M. Jean-François Cirelli a précisé qu'à partir du 1er janvier 2005, GDF devrait, conformément à la loi d'août 2004, filialiser son activité de transport, évolution que le personnel de l'entreprise vivait parfois de manière mitigée, craignant notamment que cette évolution préfigure une séparation plus importante. S'il importe de garantir un fonctionnement tout à fait transparent et non discriminatoire de la gestion des réseaux de transport, leur séparation patrimoniale, envisagée par certains, serait très inopportune et aurait de lourdes conséquences pour GDF.

GDF est également une grande entreprise commerciale qui compte onze millions de clients en France et quatre millions de clients à l'étranger. L'ouverture complète du marché des professionnels à la concurrence, intervenue le 1er juillet 2004, a imposé à GDF d'adopter de nouveaux modes de fonctionnement, ce qui n'a pas toujours été facile, ni d'ailleurs toujours bien compris dans l'entreprise, par les clients et par les élus, parfois déroutés par le cloisonnement obligatoire entre les activités régulées et les activités commerciales qui a conduit à multiplier les interlocuteurs. L'objectif de l'entreprise est, bien sûr, que ses clients ne soient pas pénalisés par les ajustements rendus nécessaires par le passage du régime du monopole à celui de la concurrence, qui va devenir de plus en plus visible. GDF vit donc une phase d'adaptation, certaines évolutions étant positives pour l'entreprise, en particulier la fin du principe de spécialité depuis la transformation en société anonyme de GDF ce qui permet à l'entreprise de développer des synergies entre la vente de gaz naturel et la fourniture de services associés, notamment ceux fournis par sa filiale Cofathec.

L'ouverture à la concurrence se traduit également par la substitution de tarifs proposés aux clients éligibles aux tarifs administrés. Il a parfois été difficile d'expliquer cette évolution aux clients en particulier dans un contexte de renchérissement mondial des prix de l'énergie. L'entreprise a deux exigences légitimes : en tant qu'importateur de gaz pour 98,5 % de ses ventes, il lui est nécessaire de répercuter l'augmentation du coût de la matière première dans ses prix ; par ailleurs, l'entreprise a besoin que les tarifs fixés par l'Etat soient prévisibles et stables. L'Etat a considéré en novembre que l'évolution actuelle biennale des tarifs était parfois trop cyclique et pouvait donner lieu à des évolutions en sens contraire peu compréhensibles. GDF est prête à travailler à l'élaboration d'un mécanisme pouvant permettre une révision plus fréquente et moins cyclique, la priorité étant que l'évolution soit prévisible.

GDF ne peut manquer de s'interroger sur ses investissements dans le domaine de l'électricité puisque, à partir de 2007, les factures aujourd'hui communes avec EDF seront présentées séparément. Dans ces conditions, des clients domestiques pourraient vouloir conserver un fournisseur unique. C'est là un risque considérable pour GDF qui doit donc pouvoir proposer à ses clients particuliers une offre intégrée électrique et gazière, ce qui oblige notamment l'entreprise à rechercher ses propres sources d'approvisionnement - ce qu'elle a commencé de faire avec l'usine de Dunkerque dont la puissance sera de 800 mégawatts dont 200 mégawatts seront réservés pour les besoins d'Arcelor. Mais cette production demeure très insuffisante pour satisfaire les besoins potentiels ; GDF doit donc trouver une ressource électrique supplémentaire. Pour cela, elle est ouverte à toute forme de coopération avec les grands électriciens, EDF compris, dans le respect scrupuleux des règles de la concurrence. En revanche, GDF n'a pas vocation à développer une offre d'électricité pour les gros clients.

Entreprise industrielle et commerçante, GDF a une vocation essentiellement européenne car le marché du gaz naturel est un marché de dimension continentale, le marché du gaz naturel liquéfié étant lui de dimension mondiale ce qui explique que GDF n'entend se développer hors d'Europe que dans ce secteur. A ce jour, GDF tire un quart de son chiffre d'affaires et de ses revenus de ses activités hors de France mais il lui faut faire mieux. C'est pourquoi elle poursuit son développement en Roumanie, où elle assure la distribution du gaz à un million de clients ; d'autres projets sont envisagés mais la concurrence, et notamment celle des groupes allemands, est très vive ce qui notamment entravé le développement de l'entreprise en Hongrie. GDF étant vouée à perdre des parts de marché en France, il lui faut trouver des relais de croissance, en France bien sûr, dans le domaine des services, dans l'électricité ou dans le gaz naturel pour véhicules, mais aussi en Europe, d'autant que l'entreprise, qui n'est que le septième ou huitième énergéticien européen, a une taille modeste à l'échelle du continent.

M. Jean-François Cirelli a exposé que son ambition stratégique était donc de poursuivre le développement industriel de GDF dont il entend qu'elle reste l'acteur de référence sur le marché gazier français tout en adaptant l'entreprise au marché européen qui se concentre et s'internationalise. La situation financière de GDF est saine mais elle ne lui donne pas une marge de manœuvre considérable. C'est pourquoi le Gouvernement a demandé à l'entreprise de se mettre en condition de voir son capital ouvert en 2005 et la préparation de cette opération sera la priorité de l'entreprise pour le premier semestre de l'année à venir.

Le climat social est bon dans l'entreprise, au sein de laquelle le passage en société anonyme a été compris sinon souhaité. Cependant, certains agents considèrent l'introduction de la concurrence comme la désintégration d'un modèle qui fonctionnait bien et ils ont du mal à comprendre ce qu'elle pourrait apporter aux Français. Il faut donc faire comprendre que, l'époque du monopole étant révolue, une évolution est nécessaire qui conduit à séparer physiquement les activités de distribution et de vente. Mais cela oblige à déménager des services dans de nouveaux bâtiments, ce qui est difficile à expliquer et ce qui a un coût. Enfin, des négociations sociales importantes, qui se déroulent dans un climat apaisé, sont en cours.

En conclusion, M. Jean-François Cirelli a estimé que GDF était une belle entreprise devant aujourd'hui définir une stratégie adaptée au nouveau contexte concurrentiel européen.

M. Pierre Ducout, s'exprimant au nom du groupe socialiste, a souligné que GDF demeure une grande entreprise publique et que la fourniture de gaz était un service public, pour laquelle la sécurité de l'approvisionnement est une question vitale. Le groupe socialiste, a-t-il ajouté, n'a pas la même position que la majorité actuelle sur l'ouverture à la concurrence du marché des PME et des particuliers. L'orateur a souhaité que le projet industriel de l'entreprise soit précisé par son président. En particulier, comment atteindra-t-elle une taille critique ? Comment parviendra-t-elle à maîtriser 15 % de ses approvisionnements gaziers, comme elle a dit vouloir le faire ? Faudra-t-il en passer par une ouverture ou par une augmentation du capital ? Quels partenariats l'entreprise envisage-t-elle ? EDF et GDF devront se séparer, alors qu'en Allemagne, l'ensemble EON-Ruhrgas s'est constitué.

En France, l'augmentation des tarifs n'a pas suivi celle des charges cependant qu'en Allemagne une commission de régulation va être installée, chargée de dire pourquoi les prix ont trop augmenté. D'autre part, les appels d'offres pour les collectivités locales pourront-ils être évités jusqu'en 2007 ? Chacun aura compris, en entendant le président de GDF, que l'ouverture à la concurrence coûte relativement cher ; dans ces conditions, peut-on imaginer faire marche arrière avant son élargissement prévu en 2007 ?

S'agissant du réseau de distribution, la desserte de nouvelles communes se poursuit-elle ? GDF entend-elle maintenir la fourniture d'énergie pour les familles en difficulté ? Quelles seront les relations entre GDF et la SNET ? Qu'adviendra-t-il d'EDF-GDF Services si les deux entreprises sont désormais concurrentes ? GDF demandera-t-elle, comme EDF, l'autorisation de construire des centrales pour produire de l'électricité ? Envisage-t-elle d'alimenter en gaz naturel le sud de la France à partir de l'Espagne ? Qu'en est-il de l'ouverture du stockage à la concurrence ?

Les évolutions politiques à venir en Turquie et en Ukraine peuvent-elles modifier les équilibres européens en matière de fourniture de gaz ? Enfin, il se dit que le départ d'une partie de l'état-major de GDF, qui a suivi M. Pierre Gadonneix à EDF, crée des complications ; qu'en est-il ? Pour sa part, le groupe socialiste espère que l'entreprise GDF continuera de bien fonctionner.

M. François-Michel Gonnot, s'exprimant au nom du groupe UMP, a remercié M. Jean-François Cirelli pour la franchise de ses propos. Ses interrogations sur l'étape de 2007 rejoignent celles de la Commission des affaires économiques. Il en est de même sur ce que devrait être la taille critique de GDF. Certes, l'entreprise est riche de ses réseaux de transport et de distribution, mais ni la France ni l'Europe n'ont de réserves de gaz, sauf en mer du Nord, ce qui les affaiblit. On comprend que le président de GDF s'interroge sur la place de l'entreprise en Europe et sur ses futurs partenaires. En comparant EDF et GDF, on aurait eu, il y a six mois, que GDF, avec une situation financière saine, un marché peut-être plus captif et une stratégie, était en avance sur EDF, dont la réflexion était trop opaque. Aujourd'hui, EDF donne le sentiment d'avoir une stratégie offensive alors que GDF n'a pas trouvé de partenaire électricien et que l'entreprise n'est pas assez bien placée sur le marché du gaz européen. Or, il n'y a guère de groupes électriciens en Europe, et ceux qui existent sont parfois déjà associés à des gaziers. Dans ces conditions, quel partenariat vise le président de l'entreprise ?

L'autre problème est celui de la réorganisation énergétique en cours en Russie. Manifestement, ce pays souhaite constituer une sorte de cinquième « major » pétrogazière mondiale, et l'Europe, s'agissant de l'énergie, regarde de plus en plus vers l'Est. Beaucoup, à l'avenir, dépendra donc du marché russe. On sait que GDF a une longue tradition de collaboration avec Gazprom ; comment évoluera-t-elle ? Recherchera-t-on des partenariats ou se limitera-t-on à renouveler les grands contrats d'approvisionnement ? Ne peut-on craindre qu'un jour Gazprom n'apparaisse aussi comme un opérateur supplémentaire sur le marché européen du gaz ?

Par ailleurs, quel est le coût d'entrée sur le marché de l'électricité ? Quelles parts de marché GDF vise-t-elle ? L'objectif précédent de 10 à 15 % est-il confirmé ?

Enfin, l'organisation de la concurrence semble susciter quelques difficultés. Le nouveau terminal méthanier de Fos apportera un début de réponse mais peut-on envisager que GDF aille « chatouiller » Total à Bordeaux ? En d'autres termes, peut-on imaginer qu'un jour la concurrence sera effective sur l'ensemble du territoire ?

M. Christian Bataille a souligné que si GDF est encore une entreprise publique, qui rend un service concurrentiel, elle n'est pas un service public. Contrairement à EDF, elle n'a pas d'obligation de desserte du territoire, malgré ses 11 millions de clients en France. Comme elle opère déjà dans un contexte concurrentiel, l'ouverture à la concurrence n'a pas posé les mêmes problèmes que pour l'électricité. GDF est une entreprise publique qui a des concurrents en France et en Europe ; la loi en a fait une société anonyme, et l'on aurait pu en rester là.

M. Christian Bataille s'est déclaré pas davantage convaincu par les arguments de M. Jean-François Cirelli sur la nécessité de l'ouverture du capital qu'il ne l'avait été, précédemment, par les ministres : pourquoi faudrait-il faire de GDF une entreprise dominée, à terme, par des capitaux privés alors qu'elle pouvait parfaitement rester une entreprise publique insérée dans un marché concurrentiel ? Il a cependant remercié son président d'avoir eu l'honnêteté de souligner que cette évolution n'est pas imputable à l'Union européenne, laquelle n'impose en aucune manière que GDF devienne une entreprise privée, contrairement à ce que l'on veut souvent faire accroire.

Il reste à espérer que l'entreprise continuera de rendre un service de même qualité... dont on sait déjà qu'il sera plus cher...

S'agissant des garanties d'approvisionnement, comment parer au risque de pénurie ? Par ailleurs, quelle politique mène GDF pour prévenir les accidents ? Le gaz est accidentogène, comme le très grave incident survenu récemment en Belgique l'a malheureusement rappelé ; GDF a-t-elle tiré les enseignements de ce drame ? Enfin, l'entreprise a-t-elle mis au point une politique de prévention des fuites de méthane, qui aggravent l'effet de serre ? Son réseau est-il meilleur, sur ce point, que celui de ses concurrents ?

M. Jean-Pierre Nicolas a souligné que GDF doit affronter des concurrents dont les moyens sont hors de proportion avec les siens, qu'il s'agisse de Total ou d'autres grands pétroliers, qui interviennent de plus en plus directement sur le marché du gaz naturel, des grands électriciens ou encore des entreprises nationales de pays producteurs. Dans ce contexte de concurrence exacerbée, comment GDF peut-elle tirer son épingle du jeu et, en particulier, passer du négoce à la production ? Et comment accédera-t-elle directement à la ressource ? S'agissant du gaz naturel, est-il logique de continuer à en lier le prix à celui du pétrole ? Pour ce qui est enfin de l'acceptabilité sociale du projet, il reste à espérer que le calme dont il a été fait état n'est pas de ceux qui précèdent les tempêtes...

M. Jean-Marie Binetruy a souhaité connaître la durée de vie des méthaniers et demandé si les trois bateaux en cours de construction sont destinés à remplacer des navires anciens ou à agrandir la flotte.

Puis, ayant entendu successivement les présidents d'EDF et de GDF, il s'est déclaré frappé par le dynamisme du projet industriel d'EDF malgré les difficultés de l'entreprise et, par contraste, par le fait que GDF, malgré une situation saine, semble subir l'évolution du secteur.

En réponse aux différents intervenants, M. Jean-François Cirelli a apporté les précisions suivantes :

- la sécurité de l'approvisionnement est un sujet vital pour l'Europe, qui importe la moitié de son énergie et en importera bientôt les trois quarts. S'il est une entreprise dont l'approvisionnement est diversifié, c'est bien GDF, qui a six ou sept fournisseurs, soit plus qu'aucun de ses concurrents européens - à la fin de 2005, 10 % de son gaz viendra d'Égypte. La Commission européenne n'a guère servi la cause des gaziers européens en plaidant contre les contrats d'approvisionnement à long terme, position qui a, heureusement, été modifiée depuis ;

- la recherche de partenaires se fera dans le respect de la loi qui dispose que l'Etat doit conserver 70 % du capital de GDF. Ce cadre limite les possibilités. C'est également un élément qui peut entraver des acquisitions à l'étranger, certains Etats n'envisageant pas favorablement l'idée que leurs entreprises anciennement publiques passent sous le contrôle d'une entreprise propriété d'un Etat étranger. Compte tenu de ces contraintes quant aux partenariats capitalistiques, GDF doit éviter de s'engager dans des partenariats industriels excessivement onéreux et doit aussi prendre garde au fait que certains partenariats en excluent d'autres ;

- s'agissant de l'évolution des prix et des coûts, c'est au régulateur français qu'il appartient de s'assurer que les seconds sont bien répercutés sur les premiers. En l'occurrence, le régulateur a estimé que l'évolution du coût de la matière première n'était pas pleinement prise en compte dans les tarifs. L'indexation des prix du gaz sur ceux du pétrole, qui n'a pas de justification théorique solide, est le fait de la volonté des producteurs ;

- il est très peu probable que le rapport de 2006 sur l'ouverture du marché remette en cause le principe de son achèvement en 2007 ;

- la prise de participation dans la SNET est examinée, comme tous les projets d'investissements, à l'aune de trois critères, qui sont l'intérêt industriel, le coût et le niveau de la participation. La décision définitive sera prise dans quelques semaines ;

- l'approvisionnement concurrentiel du Midi de la France a besoin, c'est vrai, d'être amélioré. Le projet de Fos 2 et le programme de mise à disposition temporaire de gaz devraient y contribuer. Il en est de même des travaux de désengorgement de l'artère de la vallée du Rhône. GDF est également disposée à étudier avec les Algériens, qui souhaitent construire un gazoduc sous-marin leur permettant d'approvisionner l'Europe, et avec les Espagnols, qui redoutent un marché surabondant, un approvisionnement à travers les Pyrénées ;

- le prix du stockage sera, une fois achevées les discussions en cours sur les tarifs d'accès des tiers aux stockages, l'un des plus compétitifs d'Europe. Il existe actuellement douze sites en France, et la création d'un nouveau site prend une vingtaine d'années, compte tenu des aléas géologiques et des problèmes croissants d'acceptabilité ;

- la situation en Ukraine a été une source importante de préoccupations, dans la mesure où 80 % du gaz russe passe par ce pays. Cela explique d'ailleurs que la Russie veuille construire un nouveau gazoduc sous la mer Baltique pour desservir l'Europe du Nord et la Grande-Bretagne - pays devenant importateur -, et l'intérêt de GDF est d'être partie prenante à ces évolutions ; le fait même que M. Alexeï Miller, président de Gazprom, vienne demain à Paris est le signe de l'étroitesse des relations entre les deux entreprises ;

- le départ de M. Pierre Gadonneix, qui y a travaillé dix-sept ans, pour EDF est un atout pour la bonne compréhension entre deux sociétés qui ont, il ne faut pas l'oublier, une filiale commune employant quelque 58 000 personnes ;

- GDF s'est fixé pour objectif de disposer de ressources propres à hauteur de 15 % du gaz qu'elle vend. Le fait d'accéder à la ressource est, en effet, essentiel. Il en est de même pour l'électricité même si des contrats de fourniture peuvent compléter la production propre. GDF a deux ans pour se développer dans le secteur électrique et trouver le ou les bons partenaires ;

- la réorganisation en cours du secteur de l'énergie en Russie donne à penser que Gazprom va devenir sous peu un grand groupe pétrolier, qui aura pour ambition d'être l'un des grands fournisseurs des Etats-Unis. Les trois grandes zones mondiales de consommation, à savoir l'Europe, l'Asie et l'Amérique du Nord deviennent des zones d'importation. C'est un changement considérable qui laisse présager une tendance haussière des prix du gaz en longue période ;

- le risque de pénurie mondiale, évoqué par M. Christian Bataille, n'est guère probable mais la concurrence entre acheteurs sera rude. Cela dit, GDF dispose, avec ses 11 millions de clients, d'un atout maître car peu de ses concurrents peuvent se dire certains de pouvoir, du jour au lendemain, acheter et distribuer 3 milliards de mètres cubes ;

- le nombre d'accidents liés au gaz est faible, bien plus faible que dans les autres pays européens, et on le doit notamment aux employés de GDF eux-mêmes, qui savent que l'image de l'entreprise est très liée à la sécurité qu'elle offre. Les fuites sont également très rares : il ressort d'une étude réalisée à la demande de la CRE que le taux de fuites n'est que de 2 % pour le CH4. A la suite de l'accident survenu en Belgique - le plus meurtrier en Europe depuis un siècle -, GDF a pris la décision de faire examiner toutes ses canalisations, la crainte majeure étant celle, déjà mentionnée tout à l'heure, d'« agressions » involontaires lors de travaux publics réalisés à proximité ;

- la durée de vie des méthaniers est estimée à une quarantaine d'années, et GDF, en même temps qu'elle renouvelle sa flotte, en accroît la capacité ;

- la France a su se doter de trois grands énergéticiens : si Total et EDF sont, chacun dans leur secteur, des géants, GDF est d'une taille plus modeste. La position que GDF occupe en France ne pourra, en outre, que se réduire compte tenu de l'ouverture à la concurrence. Sans précipitation, il convient que GDF soit en mesure, le jour où se présentera la possibilité de conclure un partenariat stratégique fort, de le faire. Pour cela, il importe d'utiliser au mieux les ressources de l'entreprise et un axe de développement qui doit être examiné est celui des énergies renouvelables tandis que les opportunités de développement hors de nos frontières doivent également être saisies. Il importe toutefois de noter qu'hors de France, la concurrence est très vive. Les perspectives immédiates d'acquisition sont limitées, car peu d'opérateurs sont à la fois à vendre et d'un prix abordable, mais GDF peut se flatter d'une situation financière saine, et d'un état d'esprit conquérant qu'elle a d'ailleurs manifesté de longue date sur le marché français : elle y a gagné 250 000 clients en 2004, et entend poursuivre sur cette lancée, tout en élargissant sa clientèle en Europe. Il faut savoir, cela dit, qu'investir dans un gisement revient, en moyenne, à 1 milliard d'euros, et dans une chaîne GNL complète à 4,5 milliards, et que la valeur des actifs des sociétés électriques et gazières européennes connaît une très forte progression. Il importe donc de ne pas se tromper dans ses investissements, et les résultats de GDF indiquent que l'entreprise a fait des choix judicieux dans le passé d'autant que toutes les synergies n'ont pas encore été dégagées.

M. Jean-Claude Lenoir a fait état des difficultés d'approvisionnement des véhicules fonctionnant au gaz naturel et demandé si la perspective, qu'avait évoquée le prédécesseur de M. Jean-François Cirelli, de transformation du gaz domestique au moyen d'équipements ad hoc était désormais réaliste, compte notamment tenu des impératifs de sécurité.

M. Jean-François Cirelli a répondu que le gaz, d'une façon générale, n'était pas plus « accidentogène » que le pétrole, bien au contraire. Un tiers des nouveaux autobus mis en circulation roulent d'ailleurs au gaz naturel, de même qu'un grand nombre de camions-bennes à ordures. L'exemple de l'Italie et celui du Brésil montrent que les véhicules de tourisme constituent un marché potentiel non négligeable, dont le développement est cependant inhibé, en France, par la fiscalité et par l'absence de stations-service du fait de la réglementation. GDF, s'agissant du gaz naturel pour véhicules, vise les 4 millions de foyers vivant en pavillon et possédant une deuxième voiture ; un compresseur, à installer dans le garage, a été mis au point, mais il reste à le faire homologuer, ce qui devrait être chose faite dans le courant de l'année 2005.

Le président Patrick Ollier a remercié M. Jean-François Cirelli d'avoir répondu de façon claire, intéressante et détaillée à toutes les questions.

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