COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES,
DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 34

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 15 février 2005
(Séance de 16 heures 15)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Examen de la proposition de résolution de M. Christian Philip (n° 1887) sur le troisième paquet ferroviaire (documents E 2535, E 2536, E 2537 et E 2696)

 

(M. Dominique Le Mèner, rapporteur)

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La Commission a examiné, sur le rapport de M. Dominique Le Mèner, la proposition de résolution de M. Christian Philip (n° 1887) sur le troisième paquet ferroviaire (documents E 2535, R 2536, E 2537 et E 2696).

Le rapporteur, M. Dominique Le Mèner, a rappelé que le troisième paquet ferroviaire comprenait :

- une proposition de directive ouvrant à la concurrence le transport international de passagers à compter du 1er janvier 2010 et autorisant le cabotage ;

- une proposition de directive fixant les règles communautaires pour la certification des conducteurs de trains ;

- une proposition de règlement sur les droits et obligations des passagers, définissant les responsabilités des entreprises ferroviaires en cas d'accident, de retard, d'annulation, ainsi que les montants de compensation ;

- et une proposition de règlement relative aux compensations dues en cas de non respect des exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaire.

Puis, avant de procéder à l'examen de la proposition de résolution de la Délégation pour l'Union européenne relative au troisième paquet ferroviaire, le rapporteur, M. Dominique Le Mèner a souhaité revenir sur le processus de libéralisation du secteur ferroviaire, entrepris depuis une quinzaine d'années, afin de mettre en perspective la réflexion de la Commission des affaires économiques.

Il a rappelé que le processus de libéralisation du secteur ferroviaire avait été initié en 1991, avec l'adoption par l'Union européenne d'une première directive, relative au développement des chemins de fer communautaires, et que les Etats membres avaient, dans un premier temps, établi une séparation entre opérateurs de services et gestionnaires d'infrastructures. Il a précisé qu'en France, la séparation n'était pas totale puisque le gestionnaire d'infrastructure et l'opérateur historique ont conservé des relations étroites, la SNCF continuant à assurer l'entretien de la voie et la gestion des circulations en tant que maître d'œuvre travaillant pour RFF, maître d'ouvrage.

Il a ajouté qu'outre la séparation entre infrastructures et exploitation, les Etats membres de l'Union européenne avaient opéré une segmentation des différentes activités de services de transport, et que la France avait opté depuis le 1er janvier 2002 pour la régionalisation du transport ferroviaire de voyageurs, même si les régions n'avaient pas pour l'instant la possibilité de choisir un autre opérateur que la SNCF.

Il a indiqué que c'était sur ce fondement que deux paquets ferroviaires avaient été adoptés - le premier, en 2001, prévoyant l'institution du Réseau transeuropéen de fret ferroviaire.

Il a souligné que depuis le 15 mars 2003, dans le cadre de ce premier « paquet », l'Union européenne avait autorisé les entreprises ferroviaires désireuses d'effectuer des services de fret international à accéder aux lignes du réseau ferré national appartenant au réseau trans-européen de fret ferroviaire (RTEFF). Il a indiqué que cette ouverture concernerait, au plus tard le 15 mars 2008, l'ensemble du réseau ferré européen, soit 150 000 km, et que le premier paquet ferroviaire avait été complété par un second volet prévoyant une ouverture totale du réseau pour le fret, ainsi qu'un avancement de cette ouverture de 2008 à 2006.

Il a précisé que le deuxième paquet ferroviaire prévoyait également l'institution du cabotage à compter du 1er janvier 2007, rappelant que le cabotage se définit comme le droit de prendre et de laisser des clients tout au long d'un parcours international, y compris entre deux gares situées dans le même Etat membre.

Avant d'examiner la proposition de résolution proprement dite, il a ajouté quelques remarques sur les textes qui étaient proposés par la Commission européenne. Il a indiqué que lors du Conseil « Transports » du mois de décembre, une orientation générale avait été adoptée s'agissant de la certification des conducteurs de trains et que si la Commission européenne souhaitait que les quatre textes fussent adoptés globalement, le Gouvernement français n'excluait pas, quant à lui, un échelonnement dans le temps de leur adoption, dans la mesure où ils n'avaient pas tous la même portée. Il a ajouté que de surcroît, ils ne posaient pas non plus les mêmes problèmes, en termes de négociation entre les Etats membres et que si l'adoption par l'Union européenne de la directive sur la certification des conducteurs semblait en bonne voie, la proposition de règlement relative aux exigences de qualité dans le domaine du fret s'était vue opposer le refus de 21 des 25 Etats membres de l'Union.

Puis il a rappelé les principaux points de la proposition de résolution :

- sur la proposition de directive relative à la certification des conducteurs de trains, il a précisé que la Délégation proposait que l'Assemblée nationale accepte que le champ d'application de la directive soit limité aux seuls conducteurs de trains transfrontaliers, mais qu'elle demandait que l'Agence ferroviaire européenne soit chargée d'examiner la possibilité d'y inclure ultérieurement d'autres conducteurs ainsi que du personnel de bord ;

- sur la proposition de directive relative au trafic international de voyageurs, il a indiqué que la Délégation estimait « souhaitable d'envisager une ouverture totale des trafics de voyageurs plutôt que de commencer par le seul trafic international » ;

- qu'elle « estim[ait] nécessaire que le Conseil modifie le dispositif de la proposition de règlement sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires internationaux, afin qu'elle soit davantage conforme au principe de proportionnalité ; qu'elle contribue à prévenir les risques de distorsion de concurrence entre le transport ferroviaire et les autres modes de transport » ;

- enfin, s'agissant du règlement relatif aux exigences de qualité contractuelles applicables aux services de fret ferroviaire, il a rappelé que la Délégation « jug[eait] indispensable que l'ouverture du fret ferroviaire à la concurrence s'accompagne de la mise en place d'un encadrement minimal » et « estim[ait] nécessaire que le Conseil examine la possibilité de prévoir un mécanisme fondé sur des contrats-types ».

Puis il a fait part de ses remarques s'agissant de ces propositions, et a présenté les amendements qu'il proposait à la Commission des affaires économiques d'apporter à la proposition de M. Christian Philip.

En ce qui concerne la certification des conducteurs de trains, il a indiqué qu'il proposait simplement la suppression, dans la proposition de résolution, de la référence, désormais dépassée, au Conseil des Ministres des transports de l'Union des 9 et 10 décembre 2004.

Eu égard au transport de passagers, il a estimé que la Délégation pour l'Union européenne semblait souhaiter une libéralisation plus rapide que ne le prévoit le texte de la Commission, qui limite dans un premier temps au trafic international l'ouverture du marché. Il a précisé que l'une des raisons invoquées par la Délégation en faveur d'une ouverture totale du trafic consistait, sur le fondement de l'exemple allemand, à affirmer que « c'est sur les lignes régionales et les TER, et non sur les lignes internationales à grande vitesse, que peut s'instaurer une véritable concurrence », ce qui permettrait, selon elle, à la SNCF « d'être opportunément déchargée de l'obligation d'assurer la gestion des lignes déficitaires ». Il a estimé qu'on pouvait s'interroger sur l'intérêt que présenterait la desserte de lignes déficitaires pour d'éventuels concurrents de la SNCF.

Il a jugé préférable de s'en tenir à la démarche progressive proposée par la Commission européenne, c'est-à-dire commencer par le transport international, en incluant le cabotage, et ce d'autant qu'il n'existait pas à ce jour d'évaluation globale des effets de la libéralisation du marché ferroviaire communautaire pour le fret.

En revanche, il s'est rallié à la position de M. Christian Philip, s'agissant de la nécessité d'examiner et d'adopter conjointement les deux propositions d'actes relatives au trafic de passagers, car il a jugé nécessaire que la libéralisation du transport ferroviaire de passagers s'accompagne de la protection de leurs droits. A cet égard, il a rappelé que la sécurité devait être au centre des préoccupations du Gouvernement dans la négociation.

Il a également approuvé ce que proposait le rapporteur de la Délégation, s'agissant de la nécessité pour le Conseil de modifier le dispositif de la proposition de règlement sur les droits et obligations des voyageurs ferroviaires internationaux afin qu'elle contribue à prévenir les risques de distorsions de concurrence entre le transport ferroviaire et les autres modes de transport. En effet, il a estimé que le but de la libéralisation n'était pas seulement économique et que la redynamisation du secteur ferroviaire était aussi un enjeu environnemental, et qu'il .convenait de favoriser au maximum un mode de transport qui, par rapport à la route et à l'avion, présente de nombreux avantages à cet égard.

S'agissant du fret, il a partagé le souci, exprimé par M. Christian Philip, de chercher un équilibre entre, d'une part, la nécessité de définir des normes communautaires de compensation, en cas de non respect des exigences de qualité contractuelles applicables au service de fret ferroviaire, et, d'autre part, celle de prendre en compte l'hostilité existant à l'encontre du projet de règlement en cause. Il a indiqué qu'ainsi que le constatait M. Christian Philip, il était reproché par la quasi-unanimité des industriels à la proposition de règlement sur la qualité des relations contractuelles dans le fret « d'empiéter sur les relations entre les entreprises et leurs clients ».Il a donc proposé de mentionner, ainsi que le suggérait la Délégation, dans la résolution, la nécessité pour le Conseil d'examiner « la possibilité de prévoir un mécanisme fondé sur des contrats-types, auxquels les parties pourraient déroger à certaines conditions ».

Le président Patrick Ollier a rappelé que c'était en application de l'article 88-4 de la Constitution que le Gouvernement avait transmis à l'Assemblée nationale les quatre propositions d'actes constituant le troisième paquet ferroviaire. Il a précisé que la principale innovation juridique introduite par ce dispositif résidait dans le fait que les textes ne concernent pas seulement le fret, mais également le transport international de passagers, cabotage inclus.

S'exprimant au nom du groupe socialiste, Mme Odile Saugues a indiqué d'emblée que le groupe socialiste rejetait le troisième paquet ferroviaire comme il avait déjà rejeté le deuxième. Elle a regretté la vision libérale inspirant ce troisième paquet ferroviaire. Elle a en effet estimé que les expériences européennes de libéralisation du trafic ferroviaire, en Grande-Bretagne notamment, n'étaient pas concluantes, notamment en termes de renouvellement du matériel et de conditions de sécurité, pour les passagers comme pour les salariés. Elle a regretté en outre que la Délégation à l'Union européenne ait proposé d'étendre le processus de libéralisation par rapport aux propositions de la Commission européenne.

Puis elle a estimé que, contrairement à l'avis du rapporteur, il n'y avait pas lieu d'affirmer que l'ouverture du trafic ferroviaire à la concurrence aurait des incidences positives en matière d'environnement.

Elle a enfin jugé que les textes en discussion méritaient des examens séparés, indiquant que le groupe socialiste avait proposé deux amendements allant dans ce sens.

M. Daniel Paul, s'exprimant au nom du groupe communiste et républicain, a indiqué que si certaines des dispositions de ce troisième paquet ferroviaire pouvaient être considérées comme des avancées, notamment la certification des qualifications des conducteurs, le système de compensation des dommages causés aux voyageurs, les exigences de qualité du service de fret, le processus de libéralisation du rail, déjà engagé par les deux premiers paquets, ne pouvait que susciter l'hostilité de son groupe, car il s'inscrivait en contradiction avec l'idée même de droits sociaux.

Il a observé que la dimension sociale était exclue des analyses proposées par la Commission européenne, comme l'avait déjà illustré sa conduite de la libéralisation dans d'autres secteurs, se traduisant par l'encouragement des pratiques de dumping social, une dégradation des conditions de travail et une réduction de l'emploi, toutes choses qui dans le secteur ferroviaire seraient préjudiciables à la sécurité des transports.

Il a ajouté qu'il n'était aucunement avéré que la libéralisation du rail conduisît à améliorer sa compétitivité par rapport aux autres modes de transport, et qu'il était en conséquence urgent de mener une étude d'impact sur l'ouverture à la concurrence en termes d'efficacité économique, de dynamique de l'emploi, et de sécurité du système ferroviaire.

Il a estimé que le troisième paquet ferroviaire, en assurant la poursuite de la mise en concurrence du rail, s'inscrivait pleinement dans la logique du traité constitutionnel en cours d'examen, qui érigeait la libéralisation quasi absolue du marché européen en principe fondamental de la construction européenne.

Il a exprimé la crainte que la libéralisation du trafic ferroviaire international de passagers et l'autorisation du cabotage à l'horizon 2006 ne fragilisent fortement l'opérateur historique français en particulier et les services publics de transport en général.

Il a conclu en indiquant que son groupe rejetterait cette proposition de résolution.

S'exprimant au nom du groupe UMP, M. François-Michel Gonnot a rappelé que le troisième paquet ferroviaire s'inscrivait dans un processus de libéralisation du transport ferroviaire entamé en 2001 et soutenu, à l'époque, par M. Jean-Claude Gayssot, ministre des transports, sous l'égide de M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Il a ensuite salué le travail du rapporteur, soulignant le caractère équilibré de sa démarche. Il a en effet estimé que l'ouverture du trafic ferroviaire à la concurrence était souhaitable s'il est progressif, encadré et équilibré. Il a en effet souligné l'importance de deux impératifs qui doivent encadrer la libéralisation du trafic ferroviaire : un impératif de sécurité et un impératif de service public.

Il s'est donc félicité du fait que l'ouverture du trafic ferroviaire à la concurrence s'échelonne jusqu'en 2006. Il a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'accélérer ce processus, comme le propose la Délégation à l'Union européenne. Il s'est rallié sur ce point à la position du rapporteur et a salué les amendements de ce dernier allant dans ce sens.

La Commission a ensuite procédé à l'examen des amendements à l'article unique de la proposition de résolution.

Elle a examiné un amendement présenté par Mme Odile Saugues, ayant pour but de demander un examen séparé des quatre textes constituant le troisième paquet ferroviaire.

Le rapporteur a indiqué que les quatre textes constituant le troisième paquet ferroviaire ne seraient probablement pas adoptés conjointement, en dépit de ce que souhaite la Commission européenne. Il a en effet rappelé que, d'une part, la proposition de règlement relative aux exigences de qualité dans le domaine du fret avait rencontré l'opposition de vingt-et-un des vingt-cinq Etats membres, mais que, d'autre part, à la suite du Conseil des ministres des transports des 9 et 10 décembre 2004, l'adoption de la directive sur la certification des conducteurs de trains se ferait sans doute rapidement.

Pour autant, il a estimé qu'il n'était pas opportun de demander un examen distinct des quatre textes, dans la mesure où, ainsi que le prévoit la résolution, il était souhaitable que les deux textes relatifs aux passagers soient adoptés conjointement.

Enfin, revenant sur l'intervention de Mme Odile Saugues, il a indiqué que la libéralisation du secteur ferroviaire n'avait certes pas d'incidences directes sur l'environnement, mais qu'elle pouvait constituer un facteur de croissance de ce mode de transport, au détriment des modes de transport moins écologiques comme le transport routier.

Suivant l'avis défavorable de son rapporteur, la Commission a par conséquent rejeté cet amendement.

Ensuite, la Commission a, suivant l'avis de son rapporteur, adopté un amendement visant à supprimer la référence, devenue sans objet, au Conseil des ministres des transports de l'Union européenne des 9 et 10 décembre 2004.

Puis la Commission a examiné deux amendements en discussion commune :

- un amendement présenté par Mme Odile Saugues, ayant pour but de s'opposer à l'ouverture à la concurrence du trafic international de passagers, en supprimant de la résolution la mention à la proposition de directive relative à l'ouverture à la concurrence du trafic international de passagers ;

- un amendement du rapporteur supprimant l'extension souhaitée par la Délégation de l'ouverture à la concurrence à tous les transports de voyageurs.

S'agissant de l'amendement de Mme Odile Saugues, le rapporteur a émis un avis défavorable, estimant, d'une part, que l'ouverture à la concurrence du trafic de passagers, pour peu qu'elle soit encadrée, serait bénéfique pour redynamiser un moyen de transport écologique, mais que, d'autre part, la libéralisation devait s'effectuer par étapes et que c'était la raison pour laquelle il avait déposé un amendement prévoyant de restreindre l'ouverture à la concurrence au trafic international dans un premier temps.

Suivant l'avis de son rapporteur, la Commission a par conséquent rejeté l'amendement déposé par Mme Odile Saugues.

Suivant l'avis de son rapporteur, la Commission a adopté son amendement puis la proposition de résolution (n° 1887) ainsi modifiée.

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