COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 38

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 9 mars 2005
(Séance de 10 heures 30)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

pages

- Examen de la proposition de loi de M. Jean-Claude Sandrier et plusieurs de ses collègues relative au droit à vivre dans la dignité (n° 2145)

 

(M. Jean-Claude SANDRIER, rapporteur)

2

- Examen de la proposition de résolution de M. Daniel Paul et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'ouverture à la concurrence des services publics dans les secteurs de l'énergie, des postes et télécommunications et des transports ferroviaires (n° 2121)

 

(M. Daniel PAUL, rapporteur)

8

La Commission a examiné, sur le rapport de M  Jean-Claude Sandrier, la proposition de loi de M. Jean-Claude Sandrier et plusieurs de ses collègues relative au droit à vivre dans la dignité (n° 2145).

Invité par le Président Patrick Ollier à présenter à la Commission la proposition de loi n° 2145 relative au droit à vivre dans la dignité, M. Jean-Claude Sandrier, rapporteur, a remercié la Commission de l'accueillir en son sein à l'occasion de la discussion de cette proposition.

Il a indiqué d'emblée que cette proposition visait à mettre en œuvre, par un acte d'humanisme dépassant les clivages politiques, le droit à vivre dans la dignité, notion dont il a précisé qu'elle regroupait le droit au logement, le droit à l'eau et le droit à l'énergie.

Il a estimé ensuite que le droit à vivre dans la dignité relevait des droits de l'Homme et qu'il convenait, par conséquent, pour respecter ces principes, d'interdire les expulsions locatives comme les coupures d'eau et d'électricité. Il a indiqué en outre que cette proposition de loi s'inscrivait dans la lignée de plusieurs autres lois reconnaissant progressivement ce droit depuis vingt ans. Il a noté à ce propos que le nombre de ces lois témoignait de la complexité des problèmes en question.

Il a souligné par ailleurs que ces lois n'avaient pas encore permis d'éviter toutes les expulsions ni les coupures de courant et d'eau, et que ce constat constituait la première motivation des auteurs de la proposition. Il a rappelé à ce propos qu'il y avait eu 7534 expulsions en 2002, contre 4359 en 2000, que l'on avait constaté 17 000 coupures d'eau pour impayés graves en 2003, et 215 000 coupures de courant en 2002. Soulignant le caractère important de ce phénomène, il a regretté qu'aucune statistique plus récente ne soit disponible.

Il a ensuite indiqué que les acteurs locaux, sur le terrain, constataient une dégradation récente de cette situation et que ce constat constituait la deuxième motivation des auteurs de la proposition. Il a rappelé que les associations caritatives, tel le Secours catholique ou le Secours populaire, constataient que de plus en plus d'impayés portaient sur des dépenses liées au logement.

Observant que le jour de la discussion de la proposition de loi, le mardi 15 mars, était la date fixée pour la reprise des expulsions locatives après la « trêve hivernale », il a insisté sur l'urgence qu'il y avait à régler ces questions.

Le rapporteur a ensuite expliqué les dispositions prévues par la proposition de loi qui s'ordonnent en deux volets.

S'agissant du premier de ces volets, il a précisé qu'il tendait à mettre fin à la pratique des expulsions et des coupures d'eau et de courant, pratique qu'il a qualifiée de moyenâgeuse. Il a rappelé en effet qu'aux termes des alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946, « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et garantit à tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence. Il a indiqué en outre que la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 était encore plus claire, en disposant que toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires.

Il a donc indiqué que les deux premiers articles de la proposition de loi tendaient simplement à mettre en œuvre les principes constitutionnels. Il a aussi précisé que leurs dispositifs permettaient d'alerter les services sociaux très rapidement, ce qu'il a jugé important pour un traitement efficace de ces situations.

S'agissant du second volet de cette proposition de loi, il a indiqué qu'il visait à instituer les moyens nécessaires à un traitement humain des personnes concernées.

Il a d'abord précisé que l'article 3 tendait à créer une commission départementale de solidarité présidée par le préfet. Il a souligné l'importance de l'implication de l'Etat dans ce dispositif, jugeant qu'il serait extravagant que l'Etat, compte tenu des prérogatives que lui donne le Préambule de la Constitution de 1946 en la matière, se contente de faire exécuter des jugements d'expulsion, alors qu'il reviendrait aux seuls collectivités locales et acteurs associatifs de prendre en charge l'accompagnement social des personnes. Il a donc jugé juste que l'Etat, par l'intermédiaire de cette commission, participe à la mise en œuvre des aides et à l'évaluation de la solvabilité des personnes, qui sont les deux principales missions proposées pour la Commission. Il a indiqué que le travail de cette commission permettrait de distinguer entre les personnes solvables, dont le plan d'apurement des dettes serait mis en œuvre sous le contrôle du juge de l'exécution, et celles qui sont insolvables, pour lesquelles l'aide sociale serait alors de droit.

Il a ensuite précisé que la proposition tendait à élargir les critères d'attribution du tarif social de l'électricité.

Il a enfin indiqué que la proposition tendait à élargir la part non saisissable des revenus des personnes surendettées. Rappelant que la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale avait permis d'assouplir la définition du « reste à vivre », il a jugé qu'il convenait de rendre insaisissables les prestations familiales et de prendre en compte dans la définition du « reste à vivre » le montant des factures d'eau et d'énergie, ainsi que le nombre de personnes à charge.

En conclusion de son intervention, il a rappelé que cette proposition de loi était d'inspiration authentiquement humaniste. Il a indiqué que ses auteurs entendaient, en la soumettant à l'Assemblée nationale, que le législateur prenne conscience des difficultés sociales en question et ne puisse les ignorer plus longtemps.

M. Philippe Folliot, ayant été autorisé par le Président à exposer la position du groupe UDF bien que n'étant pas membre de la Commission des affaires économiques, a estimé que la proposition de loi partait d'un bon sentiment et que personne ne pouvait s'opposer au droit de vivre dans la dignité.

Rappelant plusieurs événements tragiques récents, notamment le décès dans l'incendie de son appartement, à Castres, d'une personne qui était contrainte à utiliser un éclairage de fortune, il a déclaré que nul ne pouvait être insensible à de telles situations et a reconnu que la mise en œuvre du droit au logement, l'accès à l'eau et à l'énergie étaient des sujets particulièrement sensibles.

Mais il a estimé qu'un traitement des difficultés au cas par cas serait plus approprié que des dispositions générales créant des droits purement théoriques.

Il a également dénoncé les effets pervers que pourrait induire un tel texte, citant notamment la déresponsabilisation des individus, et a estimé que ce problème ne pouvait être écarté, même au nom du principe de dignité. Il a rappelé qu'il n'était pas possible de traiter de la même manière ceux qui font l'effort de payer leurs factures, ceux qui ne le peuvent vraiment pas (pour lesquels des procédures de soutien existent déjà) et ceux qui y mettent de la mauvaise volonté. Il a assuré qu'en tant qu'ancien responsable d'organisme HLM, il pourrait multiplier les exemples.

Il a rappelé que les motifs d'expulsion n'étaient pas seulement économiques, mais tenaient parfois au comportement des locataires, et qu'il fallait conserver la possibilité de distinguer ces deux situations.

Abordant la question du droit au logement, il a rappelé les textes déjà proposés par le Gouvernement, notamment la création d'une médiation départementale pour les familles qui attendent toujours un logement, au-delà d'un délai raisonnable, estimant que le problème fondamental était celui du manque de logements.

Sur la question de fourniture énergétique, il a suggéré de faire jouer des mécanismes de solidarité, en consacrant une partie du budget de la Caisse centrale d'activités sociales d'Electricité de France aux organismes HLM pour les aider à réduire la facture énergétique de leurs locataires.

Sur le « reste à vivre », il a rappelé les travaux de M. Jean-Pierre Abelin pour conclure qu'il fallait permettre aux bénéficiaires d'allocations logement de les toucher même lorsque leur montant était inférieur à 24 euros, contrairement à ce que prévoit un arrêté des Ministres des Affaires sociales et de l'Économie datant du 30 avril 2004.

Il a conclu en indiquant que le groupe UDF voterait contre la proposition de loi.

M. Daniel Paul, s'exprimant au nom du groupe des Député-e-s Communistes et Républicains a exprimé le soutien total de son groupe à la proposition de loi, dont il a souligné l'inspiration humaniste, et a regretté le manque de clarté de la position exprimée par le groupe UDF.

Il a estimé que la proposition de loi était particulièrement bienvenue, en raison de l'aggravation de la précarité dans le pays.

Il a souligné que tous connaissaient, quelque soit leur horizon politique et leur circonscription, la situation de personnes qui, sans mauvaise volonté, étaient confrontées tous les mois à la nécessité de choisir entre le paiement de leur loyer, de leur facture d'électricité, ou de la cantine de leurs enfants, faute de pouvoir assumer l'ensemble de ces charges.

Il a estimé que l'intervention d'huissiers à plusieurs stades de la procédure d'expulsion, loin d'accélérer les remboursements, ne faisait qu'accroître les dettes.

Il a admis la nécessité d'une alerte sociale, mais a regretté que les services sociaux, confrontés à l'explosion du nombre des situations sociales difficiles, aient du mal à les détecter.

Il a souhaité que les fournisseurs d'énergie ou d'eau, ainsi que les bailleurs, soient obligés de signaler ces situations difficiles, et a tenu à rappeler qu'ils n'étaient pas des marchands comme les autres, dans la mesure où leurs marchandises étaient nécessaires à la vie, soulignant que l'exigence de responsabilisation devait aussi s'appliquer aux fournisseurs.

Enfin, il a annoncé que son groupe voterait en faveur de ce texte, dont la date de discussion, le 15 mars, est particulièrement symbolique.

S'exprimant au nom du groupe socialiste, M. Jean Launay a indiqué qu'il partageait tant l'analyse de M. Jean-Claude Sandrier que le constat dressé par l'exposé des motifs de la proposition de loi. Il a estimé que l'augmentation du nombre des loyers impayés, mais aussi la multiplication des sollicitations des associations caritatives (dont les moyens ont par ailleurs été réduits par le Gouvernement actuel) témoignaient de la dégradation des conditions de vie des citoyens aux revenus modestes et de l'aggravation de la précarité de leur situation.

Rappelant que la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948 énonce le principe essentiel du respect de la dignité inhérente à chaque individu dans le domaine du logement et des services sociaux nécessaires, il a indiqué que le groupe socialiste en avait tiré les conséquences en déposant une proposition de loi concernant la couverture énergétique universelle, dont il a jugé que l'esprit était repris par la présente proposition de loi. Il a par ailleurs estimé qu'en prenant également en compte le problème du logement, cette dernière présentait un intérêt supplémentaire.

Il a estimé que certains points de la proposition de loi mériteraient d'être débattus en séance publique, tels que l'obligation faite au bailleur de saisir, à compter du deuxième loyer impayé, une commission départementale de solidarité, le rôle du préfet dans ce domaine, mais aussi les relations entre les fournisseurs d'électricité et leurs clients, compte tenu du fait que la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, en transformant l'opérateur historique en société anonyme, avait également modifié la nature de ces relations, comme le montre l'exemple récent des coupures d'électricité en Corse.

Indiquant que le groupe socialiste était favorable à cette proposition de loi, il a estimé qu'au lieu d'encourager la déresponsabilisation des citoyens aux revenus modestes, elle incitait les hommes politiques à assumer leurs responsabilités dans ce domaine, ce qui n'a été qu'imparfaitement réalisé par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.

Le président Patrick Ollier a indiqué que la transformation du statut d'Electricité de France ne l'exonérait en aucune manière des missions de service public qui lui sont assignées par la loi, rappelant que le groupe UMP était également très attaché au respect de cette spécificité du droit français.

S'exprimant au nom du groupe UMP, M. Jacques Bobe a indiqué qu'il partageait les objectifs poursuivis par la proposition de loi, mais que différentes mesures, tant législatives que réglementaires, prises par les gouvernements successifs avaient été prises pour régler les problèmes évoqués dans son exposé des motifs.

Il a estimé que l'interdiction de toute expulsion d'un locataire n'ayant pas payé son loyer, prévue par l'article 1er, risquait d'être censurée par le Conseil constitutionnel sur le fondement du respect du droit de propriété. En outre, il a estimé que cette disposition risquait fortement d'inciter les propriétaires à ne pas louer leur bien immobilier, ce qui pourrait avoir des conséquences difficilement mesurables sur le marché de l'immobilier locatif.

Il a rappelé que la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, s'ajoutant aux différentes mesures prises sous la législature précédente dans le domaine du logement, prévoyait la construction de 500 000 logements sociaux en 5 ans, ce qui constitue la seule mesure efficace pour lutter contre les problèmes de logement des plus démunis. Il a en outre attiré l'attention de ses collègues sur l'imminence de la discussion de projet de loi relatif à l'habitat pour tous.

Par ailleurs, il a estimé que l'article 2 de la proposition de loi, relatif à l'interdiction de toute coupure d'eau ou d'électricité, était redondant avec diverses mesures déjà existantes dans ce domaine depuis une dizaine d'années, même si celles-ci pourraient être mieux mises en œuvre. En particulier, les opérateurs historiques dans le domaine de l'électricité et du gaz ont, depuis 1998, la possibilité de s'appuyer sur le fonds de solidarité énergie afin d'éviter toute coupure de la fourniture en énergie dans le cas d'une facture impayée.

En outre, il a indiqué qu'un décret devrait être publié à la fin du mois de mars afin de prévenir les coupures d'électricité, en contraignant le fournisseur à informer le client de l'existence du fonds de solidarité pour le logement.

S'agissant de l'article 5 de la proposition de loi, il a indiqué que loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale avait déjà élargi les modalités de calcul du « reste à vivre », en augmentant par ailleurs les moyens des commissions de surendettement.

Il a donc appelé à ne pas passer à l'examen des articles de la présente proposition de loi, jugeant préférable d'améliorer l'application des dispositions déjà existantes, notamment dans le cadre des commissions départementales de surendettement regroupant des représentants des conseils généraux, des maires et des associations d'usagers.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a observé que la proposition de loi de M. Jean-Claude Sandrier allait dans le bon sens, et s'inscrivait dans le droit fil de celle qu'avait déposée le groupe socialiste sur la couverture énergétique. Rebondissant sur la remarque de M. Jacques Bobe selon laquelle il convenait de faire mieux fonctionner les dispositifs de solidarité existants avant d'en créer de nouveaux, elle a attiré l'attention de ses collègues sur le transfert des fonds partenariaux aux conseils généraux, source d'inquiétude sur l'avenir de ces fonds. Elle a rappelé qu'ils étaient jusque-là gérés, soit directement par l'Etat, soit dans le cadre d'un partenariat entre l'Etat et les départements, parfois élargi aux caisses d'allocations familiales et aux centres communaux d'action sociale. Elle s'est inquiétée du montant des crédits qui seraient transférés par l'Etat en même temps que les compétences, et de la poursuite de l'effort contributif des caisses d'allocations familiales et des centres communaux d'action sociale après le transfert. Elle a signalé en outre que certains fonds, comme le fonds de solidarité logement, le fonds de solidarité énergie ou le fonds pour les impayés de téléphone, étaient gérés par des associations employant du personnel, dont l'avenir restait également problématique et que les fonctionnaires jusque-là mis à disposition n'avaient pas été transférés. Elle a conclu en regrettant que cette restriction des moyens intervînt alors que les besoins de soutien aux personnes en difficultés s'étaient considérablement accrus au cours des derniers mois.

M. François Brottes s'est interrogé sur la signification qu'il fallait tirer de l'évocation, lors d'une récente séance de questions au Gouvernement, sans que le ministre concerné ne fût conduit à effectuer une rectification, d'EDF en tant qu'« établissement public », alors que la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières avait transformé l'entreprise en société anonyme. Il a souhaité également savoir quand seraient publiés les décrets d'application de cette loi, destinés à définir l'organisation du service public dans le secteur de l'électricité.

M. Patrick Ollier, président, a indiqué que ces dernières questions avaient plutôt vocation à être posées au ministre chargé de l'industrie lors du débat en séance publique, que, s'agissant de ce qui s'était passé lors des questions au Gouvernement, il ne fallait pas mal interpréter ce qui n'était probablement qu'une indulgence du ministre vis-à-vis de l'erreur d'un orateur ; qu'en l'occurrence la loi citée était parfaitement claire sur le statut juridique d'EDF, et qu'elle n'avait pas été modifiée depuis août 2004 ; qu'en outre il n'y avait aucune raison que les engagements pris par le Gouvernement concernant la publication des décrets d'application ne fussent pas respectés, la majorité se montrant elle-même soucieuse que les lois votées fussent appliquées. Il a remercié les différents intervenants pour la qualité de leur contribution au débat, observant qu'ils partageaient tous le sentiment de générosité qui inspirait la proposition de loi de M. Jean-Claude Sandrier. Il a souligné la pertinence de l'argument d'inconstitutionnalité soutenu par M. Jacques Bobe, et a rappelé que, sur le fond, il fallait tenir compte de l'action conduite par le Gouvernement, la question des coupures de services de base faisant l'objet d'un décret en cours de préparation au ministère de l'industrie.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Claude Sandrier a apporté les réponses suivantes :

- le dépôt de cette proposition de loi a précisément été motivé par le fait que les dispositions existantes sont insuffisantes, en dépit de certaines améliorations ponctuelles, pour apporter une solution concrète aux problèmes de logements, de coupures d'eau et d'électricité de nos concitoyens ;

- la commission départementale de solidarité a précisément pour objet de traiter au cas par cas les problèmes abordés par la proposition de loi, sans pour autant que cette procédure ne place dans le registre de la charité le traitement de difficultés sociales nées de la mauvaise application de droits fondamentaux. La disposition de l'article 2 de la proposition de loi prévoyant la saisine de cette commission dans un délai rapide lui permet par ailleurs d'avoir une action efficace ;

- on ne saurait affirmer que la présente proposition de loi encourage la déresponsabilisation des locataires et des usagers de l'eau et de l'électricité, dans la mesure où son article 3 prévoit des moyens garantissant le paiement du débiteur, notamment par le biais d'un plan d'apurement de ses dettes proposé par la commission départementale de solidarité et de suivi, plans placés sous le contrôle du juge de l'exécution ;

- compte tenu du fait que la pauvreté n'est jamais choisie mais subie, l'expulsion du logement ou la saisine des meubles est toujours vécue comme une humiliation ; il faut donc responsabiliser les décideurs politiques afin que ce problème soit pris en compte par d'autres moyens que l'expulsion, qui constitue sur le plan politique une solution de facilité ;

- s'agissant du respect du droit de propriété, la jurisprudence du Conseil constitutionnel accorde une égale valeur constitutionnelle au principe du droit de propriété et à celui de la dignité de la personne humaine. Aussi le Conseil a-t-il toujours cherché à concilier ces deux principes à valeur constitutionnelle, sans que l'un ait à primer l'autre. Cette jurisprudence a été appliquée dès 1995 par les juges de première instance, à l'instar du tribunal de grande instance de Paris. En conséquence, le respect du droit de propriété ne saurait être systématiquement mis en avant pour empêcher toute mesure visant à protéger les locataires ayant des difficultés financières ;

- contrairement à ce qui a été dit, la proposition de loi renforce les garanties du bailleur dans la mesure où elle solvabilise son locataire, alors qu'aujourd'hui, le bailleur ne peut couvrir le risque d'impayé du loyer qu'en souscrivant une assurance. Les bailleurs seront en outre représentés dans la commission départementale de solidarité et de suivi ;

- il serait effectivement souhaitable, dans le rapport sur cette proposition de loi, de faire un inventaire des dispositions législatives existantes dans ce domaine, afin que la représentation nationale soit correctement informée sur les mesures complémentaires à prendre.

La Commission a alors décidé de ne pas passer à la discussion des articles de la proposition de loi n° 2145.

--____--

La Commission a ensuite examiné, sur le rapport de M. Daniel Paul, la proposition de résolution de M. Daniel Paul et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'ouverture à la concurrence des services publics dans les secteurs de l'énergie, des postes et télécommunications et des transports ferroviaires (n° 2121).

A titre préliminaire, M. Daniel Paul a rappelé que le groupe des député-e-s communistes et républicains a régulièrement demandé que soit réalisé un bilan précis et exhaustif des conséquences, dans les domaines industriel, social, scientifique, financier et territorial, de l'ouverture à la concurrence des entreprises de réseau exerçant leur activité dans les secteurs énergétiques, postaux et ferroviaires, depuis que la libéralisation de ces secteurs s'est accélérée au niveau national et communautaire.

Il a en effet rappelé que ces secteurs ont une influence spécifique dans la vie quotidienne des Français, qui sont attachés à leur prise en charge par des entreprises publiques, comme par exemple la SNCF dont chacun doit reconnaître l'excellence au plan mondial, et dont le TGV incarne l'exemplaire réussite, malgré les difficultés que peut connaître par ailleurs cette entreprise.

De même, il a estimé qu'Electricité de France était l'une des meilleures entreprises électrique du monde, dont la réussite est attestée par le formidable développement de la filière nucléaire. Cette réussite est également vérifiée, a-t-il indiqué, dans le secteur des postes et télécommunications.

Il a jugé que tous les Français étaient attachés à cette spécificité française, ce que démontraient les différentes interventions, issues de toutes les sensibilités politiques, tendant au maintien de la présence de ces entreprises publiques de réseau au niveau des différentes collectivités territoriales, que ce soit sous la forme d'un bureau de poste ou d'une gare. Plus récemment, la manifestation de Guéret en faveur de la présence des services au public en milieu rural constituait selon lui une expression claire de cet attachement, mais aussi de l'inquiétude grandissante de nos concitoyens sur l'avenir de ces entreprises publiques de réseau, en milieu rural comme en milieu urbain connaissant des difficultés sociales.

Rappelant que le Conseil d'Etat avait défini la notion de service public autour des trois principes de continuité, d'égalité et d'adaptabilité, il a estimé que, sous l'impulsion de l'Union européenne, la prise en charge de ces missions de service public par des entreprises publiques avait été progressivement remise en cause par l'introduction systématique de la concurrence via diverses directives ; la reconnaissance formelle des services d'intérêt économique général par l'article 16 du traité instituant la Communauté européenne ne serait, a-t-il estimé, qu'une prise en compte très partielle de la spécificité française.

A l'heure où émerge un débat sur les conditions, en Corse, de la prestation du service public de l'électricité par l'opérateur historique, dont la situation a été précarisée récemment par la modification de son statut, il est apparu nécessaire au rapporteur d'engager une réflexion de fonds avant de poursuivre toute ouverture à la concurrence des secteurs ferroviaire, postal et énergétique.

Il a par ailleurs estimé que le principe d'égalité devant les services publics était désormais remis en cause, notamment par l'augmentation des tarifs pratiqués par Electricité de France, augmentation destinée à rétablir les fonds propres de l'entreprise, alors que l'instauration de la concurrence aurait dû en théorie permettre d'abaisser les tarifs au public. Il a jugé que, corrélativement, la qualité des réseaux était en train de se dégrader, certaines entreprises publiques décidant progressivement de ne plus assumer la gestion des sections les moins rentables, à l'instar de la SNCF qui ferme certaines lignes de fret ferroviaire parce que toute péréquation avec le transport de passagers lui est désormais interdite.

Il a donc estimé qu'il y avait une réflexion à mener quant à la poursuite de l'ouverture à la concurrence des secteurs publics, rendant nécessaire une réponse préalable claire à la question de savoir si cette libéralisation était profitable à tous les territoires, usagers et salariés.

Il a, pour sa part, estimé que les populations locales et leurs élus étaient aujourd'hui inquiets face à l'évolution à la hausse des tarifs pour des prestations progressivement revues à la baisse, et que les personnels des entreprises concernées avaient l'impression de ne plus pouvoir assurer la fourniture de leurs services dans des conditions satisfaisantes. A cet égard, il a estimé regrettable que la dernière rétribution des actionnaires de France Télécom corresponde au montant de l'économie de la masse salariale obtenue par la réduction de l'emploi.

Il a donc estimé que ces inquiétudes justifiaient la création d'une commission d'enquête, qui a toujours été désirée par le groupe des député-e-s communistes et républicains, mais aussi par des élus d'autres sensibilités, à en juger par les freins qu'ils mettent à la disparition des services publics au niveau local. Il a ajouté que cette commission d'enquête permettrait de faire le point sur les évolutions de l'entreprise France Télécom, sur les implications du changement récent de statut d'EDF, au moment où la Poste et le secteur ferroviaire, notamment celui du fret, sont également contraints de faire évoluer leur activité sur le chemin de la libéralisation. Cette commission d'enquête permettrait également, selon lui, de tirer un bilan national et communautaire de l'évolution de ces secteurs, dans l'intérêt de nos territoires, des usagers et des salariés.

S'exprimant au nom du groupe socialiste, M. Pierre Ducout a d'abord constaté que, depuis soixante ans, la mise en place de services publics à l'échelle nationale avait permis de mettre en place de grands services publics de réseau, par exemple dans le domaine de l'énergie, dans le respect de la qualité du service fourni ainsi que des grands principes du service public : continuité, égalité, adaptabilité.

Il a ensuite rappelé que l'ouverture de ces services à la concurrence, décidée au niveau communautaire, avait été justifiée par l'idée que les prix de ces services baisseraient. Il a constaté qu'au contraire, les prix avaient tendance à augmenter, que les préoccupations d'aménagement du territoire étaient moins prégnantes, que l'investissement en recherche et en nouvelles technologies baissait et que l'investissement dans les réseaux était devenu insuffisant, comme la récente pénurie d'électricité en Corse pouvait en témoigner. Il a donc estimé que l'ouverture à la concurrence avait été la cause d'une détérioration de la qualité du service, d'une hausse des prix et d'un risque non négligeable de constitution, à terme, de monopoles privés.

Il a rappelé que la précédente majorité avait veillé à ce que, dans le cadre de l'ouverture à la concurrence des grands monopoles publics, les missions de service public des opérateurs soient garanties. Il a cité en exemple la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation du service public de l'électricité.

Il a ensuite reconnu qu'il n'était pas encore envisageable aujourd'hui de définir des services publics européens, soulignant que l'organisation de ces services diffère selon les Etats et que certains d'entre eux les organisent d'une façon qu'il a jugée ultralibérale. Regrettant qu'il ne soit donc pas possible d'adopter une directive-cadre sur les services d'intérêt économique général au niveau européen, il a estimé qu'il appartenait à l'Etat de veiller à la garantie du service public au niveau national.

Il a rappelé qu'un bilan général devrait être dressé avant la deuxième phase de l'ouverture du marché électrique et gazier à la concurrence, le 1er juillet 2007. Il a donc souhaité que soit dressé un premier bilan, à l'échelle nationale, dont il a estimé qu'il pourrait nourrir utilement le débat européen. Il a rappelé en outre que le groupe socialiste avait souhaité qu'un moratoire soit établi avant l'ouverture à la concurrence de la fourniture d'énergie aux collectivités et aux petites et moyennes entreprises ; il a indiqué que tel était toujours le souhait de son groupe.

Il a ensuite constaté que les forces socialistes à l'échelle européenne avaient réussi à faire adopter certaines dispositions favorables aux services publics dans le traité constitutionnel européen, mais il a estimé que l'ultralibéralisme qui anime la Commission européenne ne donnait pas aux défenseurs des services publics des perspectives très encourageantes.

Pour toutes ces raisons, il a jugé opportune la création d'une commission d'enquête sur les services publics.

Intervenant au nom du groupe UMP, M. Alfred Trassy-Paillogues a d'abord rappelé l'attachement de son groupe aux principes de continuité, d'égalité et d'adaptabilité du service public, ainsi qu'à la prise en compte d'impératifs d'aménagement du territoire et à la qualité du service rendu au public.

S'agissant de la création d'une commission d'enquête sur les services publics, il a estimé que celle-ci n'était pas nécessaire, dans la mesure où divers dispositifs législatifs garantissent déjà l'information du Parlement sur l'activité des services publics.

S'agissant des télécommunications, il a ainsi relevé que l'article L. 35-7 du code des postes et des communications électroniques disposait que le Gouvernement devait remettre au Parlement, tous les trois ans, un rapport analysant, pour chaque catégorie d'usagers, le coût de l'ensemble des services de communications électroniques, y compris la téléphonie mobile et l'accès à Internet.

Il a noté en outre que l'ouverture des marchés des télécommunications à la concurrence avait permis une évolution considérable du service rendu au public au cours de dix dernières années, notant en revanche que le monopole du téléphone fixe avait mis près de soixante ans pour couvrir l'ensemble du territoire.

S'agissant du secteur postal, il a rappelé que l'article 7 du projet de loi relatif à la régulation des activités postales confiait au Gouvernement le soin de faire un rapport au Parlement analysant le besoin d'un fonds de compensation du service universel postal, notamment au regard de la capacité du prestataire du service universel à assurer ce service, alors que la surface de son « secteur réservé » se restreint.

S'agissant de l'électricité, il a rappelé que la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation du service public de l'électricité prévoyait en son article 5 que la Commission de régulation de l'électricité évalue chaque année le fonctionnement du service public de production d'électricité. Il a noté en outre que l'article 6 de la même loi disposait que le Ministre chargé de l'électricité arrête et publie la programmation pluriannuelle des investissements de production.

S'agissant du secteur du gaz, il a rappelé que le Ministre chargé de l'énergie devait présenter chaque année au Parlement un rapport prenant en compte la programmation pluriannuelle des investissements, en regard de l'évolution prévisible de la demande nationale d'approvisionnement en gaz naturel et sa répartition géographique.

S'agissant du secteur ferroviaire, il a relevé que, cinq ans après les transferts de compétences de l'Etat aux régions, soit le 1er janvier 2007, un bilan qualitatif et quantitatif du service ainsi transféré devait être dressé par le Gouvernement et présenté au Parlement.

Il a rappelé en outre que la Commission européenne publiait régulièrement des études d'impact de ses directives, établissant un parallèle entre le degré de libéralisation des services en question et la qualité du service rendu.

Il a conclu en constatant qu'il existait déjà des dispositifs permettant d'évaluer la portée de l'ouverture à la concurrence au regard du service rendu au public, et qu'il n'y avait donc pas lieu de créer la commission d'enquête proposée.

M. Jean-Claude Sandrier a estimé qu'à une période du « tout Etat » avait succédé une période du « tout concurrence », qui permettait certes à un petit nombre de personnes de jouir de certaines libertés, mais imposait des coûts importants au plus grand nombre.

Il a regretté qu'aucun bilan des coûts et des avantages de cette orientation n'ait été établi, alors que son impact sur l'évolution des prix, la sécurité, la stratégie et le résultat de grandes entreprises comme EDF ou France Télécom, l'aménagement du territoire, ne faisait aucun doute.

Il a précisé que le Traité constitutionnel européen, qui doit être prochainement soumis au référendum, stipule que les services d'intérêt économique général seront soumis à une concurrence libre et non faussée ; citant les précédents américain ou britannique, il a estimé que cette situation recelait de nombreux dangers pour les services publics, et a observé que dans ces pays, la renationalisation de certaines entreprises était d'ailleurs de nouveau à l'étude.

Il a ensuite regretté que la piste d'une coopération des services publics à l'échelle européenne n'ait pas été explorée, et a fait part de son incompréhension devant le refus de la majorité de soutenir la proposition de résolution soumise à son examen, quand elle avait par ailleurs demandé et obtenu la création d'une commission d'enquête sur la gouvernance des entreprises publiques.

M. François Brottes a estimé que la création d'une commission d'enquête sur ce sujet ne lui paraissait pas déraisonnable au regard des précédents en la matière, et que son intérêt résidait dans la démarche globale qu'elle se proposait d'adopter. Il a en effet indiqué que les évaluations auxquelles procédait la Commission européenne ne permettaient pas de tenir compte des spécificités économiques, sociales, géographiques de chacun des Etats et relevaient au surplus d'une démarche sectorielle. Il a également souligné que les résultats de la commission d'enquête demandée nourriraient utilement la réflexion sur une directive-cadre sur les services d'intérêt économique général.

Enfin, il a réitéré sa demande d'audition du Président de la Commission de régulation de l'énergie, demande pour laquelle le Président Patrick Ollier lui a donné toutes assurances quant à sa volonté de la voir aboutir.

M. Dominique Le Mèner a précisé que la très grande diversité des sources d'information sur cette question nuisait à la clarté de l'appréciation globale que l'on pouvait en faire. Il s'est dit partisan d'une approche globale propre à rendre compte du devenir des grands services publics mis en place à la Libération. Il a néanmoins estimé que l'absence d'efficacité que l'on pouvait parfois leur prêter tenait, dans certains cas, à leur résistance aux adaptations qu'impliquent les conditions actuelles de la concurrence.

M. Patrick Ollier a pour sa part jugé qu'une commission d'enquête était inadaptée au sujet traité, et a fait observer qu'il en avait bien volontiers convenu s'agissant de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les 35 heures. En outre, il a indiqué que le précédent gouvernement avait exercé sa tutelle sur les entreprises publiques dans des conditions qui pouvaient expliquer le mauvais état financier d'EDF, en ne lui permettant pas de faire face à la concurrence européenne. Il a estimé que l'actuelle majorité avait pour sa part veillé à ce que, tout en préservant le statut des personnels, la péréquation tarifaire et la fixation de tarifs raisonnables pour les clients non éligibles, le statut de l'entreprise lui permette d'affronter ses concurrents à armes égales.

Il a par ailleurs ajouté que l'adoption du Traité constitutionnel européen lui paraissait une garantie de la protection des services publics, citant son article III-122, ainsi que l'article 96 de la Charte européenne des droits fondamentaux.

M. Daniel Paul, rapporteur, a rappelé qu'il était inutile de créer une commission d'enquête sur la gestion des grandes entreprises publiques, et qu'il aurait suffi de laisser la tutelle s'exercer ; pour autant, il a rappelé que l'Assemblée nationale avait néanmoins choisi cette solution afin d'envisager cette question d'un point de vue non pas technique, mais plutôt politique, et que cette attitude n'était pas moins légitime s'agissant de l'objet de la présente proposition de résolution.

Il a en outre estimé que la délégitimation des services publics avait constitué le préalable des tentatives de démantèlement constatées aujourd'hui, et que ce démantèlement suscitait des inquiétudes traversant l'ensemble du champ politique et du corps social. Il a jugé ces inquiétudes justifiées au regard du fait que 90 milliards d'euros avaient été consacrés au rachat des parts du capital des grandes entreprises de l'électricité, sans que cela ne se traduise par une augmentation des volumes produits.

Citant le troisième alinéa de l'article 86 du traité instituant la Communauté européenne, il a estimé que cette disposition était au cœur du mécanisme de production des directives portant atteinte aux services publics, et que c'était sans doute la raison pour laquelle la France en avait en vain demandé la suppression en 1996, au cours des négociations d'Amsterdam, la même demande ayant été formulée dans le cadre d'un rapport d'information rédigé en 1995 par M. Franck Borotra.

La Commission a ensuite rejeté la proposition de résolution n° 2121 tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'ouverture à la concurrence des services publics de l'énergie, des postes et télécommunications et des transports ferroviaires.

--____--


© Assemblée nationale