COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES, DE L'ENVIRONNEMENT ET DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 60

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mardi 12 juillet 2005
(Séance de 15 heures)

Présidence de M. Patrick Ollier, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Dominique PERBEN, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, sur le service minimum garanti


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La Commission a entendu M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, sur le service minimum garanti.

Le président Patrick Ollier a remercié M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, de venir, comme s'y était engagé son prédécesseur, M. Gilles de Robien, faire le point, devant la Commission des affaires économiques, de l'état d'avancement du dossier du service garanti dans les transports publics.

Il a rappelé qu'à la suite d'une discussion fort animée, la Commission avait demandé, le 9 décembre 2003, que des initiatives soient prises afin de concrétiser un service garanti dans les transports. Il a indiqué que des tables rondes avaient été organisées, et qu'un accord historique avait été conclu, le 28 octobre 2004, entre la direction de la SNCF et sept organisations syndicales sur neuf sur la prévention des conflits et le dialogue social dans l'entreprise. Il a précisé que cet accord avait montré que la concertation pouvait aboutir à de bons résultats, et qu'il n'était peut-être pas nécessaire d'en passer par une initiative parlementaire.

Il a indiqué que le 3 novembre 2004, les Commissions des affaires économiques, des lois et des affaires culturelles, familiales et sociales, lors d'une réunion commune, avaient demandé à M. Gilles de Robien de venir rendre compte, dans les six mois, de l'état d'avancement des discussions, et que durant ce laps de temps, les députés s'engageaient à ne pas entreprendre de démarche législative sur le sujet.

Il a alors rappelé que c'était de ce rendez-vous qu'il s'agissait aujourd'hui, avec un léger retard dû au changement de Gouvernement.

Il a évoqué les deux voies que les députés estimaient nécessaire d'explorer, d'une part la généralisation, au niveau national, de l'accord conclu par le Syndicat des transports d'Ile-de-France avec la RATP et la SNCF, et d'autre part, l'instauration d'un véritable service garanti, avec un maximum de trains circulant aux heures de pointe.

Il a jouté qu'en tout état de cause, il s'agissait de concilier deux principes à valeur constitutionnelle : le droit de grève d'une part, la continuité du service public d'autre part.

M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, s'est dit heureux d'honorer l'engagement pris par son prédécesseur, et a estimé que le service garanti dans les transports publics était l'une des préoccupations majeures des Français. Il a rappelé que, conformément à l'engagement du Président de la République lors des élections présidentielles de 2002, M. Gilles de Robien avait initié dès l'été 2003 un processus de dialogue, visant à assurer la prévention des conflits, la prévisibilité du trafic et la continuité du service public, et que cette démarche, qui avait déjà atteint des résultats tangibles, n'était pas remise en cause par le changement de Gouvernement.

S'agissant de la prévention des conflits, il a indiqué que des dispositifs d'« alarme sociale » et de « concertation immédiate » avaient été respectivement mis en place à la RATP et à la SNCF par les protocoles d'accord des 20 mai 1996 et 28 octobre 2004 qui permettent de prévenir les conflits, en instituant un délai de concertation préalablement au dépôt du préavis de grève : concertation ouverte dans les 5 jours suivant la réception de l'alarme sociale suivie d'une période maximale de négociation de 5 jours à la RATP, concertation ouverte dans les 3 jours suivant la demande de concertation immédiate suivie d'une période maximale de concertation de 10 jours à la SNCF. Il a précisé qu'ils pouvaient être déclenchés aussi bien par la direction de l'entreprise que par les organisations syndicales intéressées, dès lors que l'une des parties a connaissance d'un problème potentiellement conflictuel. Dans l'hypothèse où ces dispositifs sont activés, les partenaires sociaux ont l'obligation de se rencontrer pour négocier. Ces discussions se concluent par des constats d'accord ou de désaccord, mais force est d'observer qu'elles sont rarement suivies du déclenchement d'une grève. Ainsi, malgré une hausse de la conflictualité au premier semestre 2005 à la SNCF, on constate qu'en dehors des préavis nationaux, une faible proportion des alarmes sociales ou des demandes de concertation immédiate - 9 % - a débouché sur des grèves.

Il a toutefois regretté que les résultats de la procédure de concertation immédiate soient plus décevants pour les conflits de portée nationale, soulignant malgré tout que la mise en place de ce dispositif en octobre 2004 constituait un véritable changement culturel. Une appropriation de ce nouveau dispositif par les organisations syndicales et les responsables de tous niveaux dans l'entreprise est nécessaire pour que celui-ci puisse produire pleinement ses effets.

Il a précisé qu'au sein de la branche des transports publics urbains, et malgré les différentes interventions de M. Gilles de Robien auprès des principaux acteurs de ce secteur d'activité, les partenaires sociaux n'étaient pas parvenus à la conclusion d'un accord sur la prévention des conflits. Toutefois, il a jugé indispensable que cette branche d'activité se dote d'un mécanisme de prévention des conflits, et a souligné que le Gouvernement entendait relancer ces discussions dès le début du mois de septembre.

En matière de prévisibilité et d'information aux voyageurs, il s'est félicité des nets progrès qui ont également été réalisés, rappelant qu'ils avaient été salués par les associations d'usagers et par la presse. En effet, dans le cadre de l'avenant au protocole d'accord sur « l'amélioration du dialogue social et la prévention des conflits », en date du 28 octobre 2004, la SNCF s'est engagée à communiquer largement, 24 heures avant le début de chaque conflit, les prévisions de trafic : affichages en gare et publication dans la presse des trains en circulation le jour du mouvement, mise en place d'un numéro vert d'appel. De même, à la RATP, une charte a été signée le 14 mars 2005 entre la direction et 17 associations d'usagers, par laquelle l'entreprise s'engage à communiquer, par tous les modes et sur tout le réseau, les informations sur le trafic envisagé le jour du conflit. De l'avis des usagers, ces dispositifs fonctionnent bien et ont apporté une véritable amélioration dans leur vie quotidienne.

Enfin, s'agissant du niveau du service en cas de conflit, il a précisé que deux avenants aux contrats liant respectivement la RATP et la SNCF au STIF venaient d'être adoptés suite aux conseils d'administration de la RATP - 3 juin 2005 -, de la SNCF - 22 juin 2005 - et du STIF - 17 juin 2005. Il a estimé que ces avenants constituaient une étape fondamentale en vue d'assurer au mieux la continuité du service public dans les transports publics de voyageurs, puisque la RATP et la SNCF se sont respectivement engagées à assurer, en période de pointe, et sous peine de sanctions financières, un « service garanti » sur la base de 50% et de 33% du trafic normal sur le réseau francilien, lequel représente 60% du trafic de voyageurs en France. De même, l'avenant à la convention du service public du transport régional de voyageurs, conclu le 22 juin 2005 entre la région Alsace et la SNCF, prévoit, notamment, une contractualisation de plans de transport de substitution comportant plusieurs niveaux d'offre et maximisant le service offert avec le personnel présent.

Il a souligné que ces différents avenants instituant une garantie de service ne remettaient nullement en cause le droit de grève. En effet, ils impliquent avant tout les directions d'entreprises, qui s'engagent, par un effort d'organisation, à offrir le meilleur niveau de service possible en cas de conflit, en optimisant l'activité du personnel non gréviste. Ils ne comportent aucune disposition relative à l'exercice du droit de grève et ne le pourraient d'ailleurs pas juridiquement.

Il a également indiqué que, dans la continuité de la démarche engagée, et pour maintenir une dynamique de progrès, le Gouvernement se proposait de mettre en place, par décret, une Autorité de conseil pour la continuité du service public, dont la création avait d'ailleurs été recommandée par la commission Mandelkern. Cette instance, qui exercerait une sorte de magistère moral, aurait pour missions de contribuer à la conciliation de l'exercice du droit de grève avec la continuité du service public, de faire connaître les meilleures expériences en la matière, d'évaluer l'efficacité des accords déjà conclus et de conseiller, sur leur demande, les différents acteurs.

Il a estimé que malgré cet état des lieux clairement positif, des progrès restaient à accomplir. S'agissant des transports publics urbains de province, le ministre a indiqué qu'il recevrait l'Union des Transports Publics et les organisations syndicales de la branche afin de les inciter à reprendre la négociation collective en vue de trouver un point d'équilibre sur la prévention des conflits et la prévisibilité du trafic.

Il a jugé que l'institution d'une garantie de service devrait en outre être généralisée à l'ensemble des régions et non pas seulement à l'Ile-de-France et à l'Alsace. Pour cela, il lui a paru indispensable que les autorités organisatrices de transport assument pleinement leurs responsabilités et définissent, notamment, des priorités de service à assurer en période de conflit. Il a fait part de son intention de s'en entretenir rapidement avec le président du Groupement des autorités organisatrices de transport.

Enfin, il a proposé à la représentation nationale de faire à nouveau le point dans six mois, selon une méthode désormais bien établie.

Le président Patrick Ollier a dit mesurer le chemin parcouru, mais aussi celui qui restait à parcourir, et qui n'est pas le moins difficile...

M. Jean-Claude Lemoine a pris bonne note de ce que le dialogue progressait en région parisienne, mais s'est inquiété de la situation des grandes lignes ferroviaires, comme Paris-Bordeaux, Paris-Marseille ou Paris-Cherbourg : il a ainsi estimé que les « provinciaux » aussi avaient besoin de se déplacer librement...

M. François Brottes a convenu que la démarche consistant à préférer la concertation à la coercition n'était pas pour déplaire au groupe socialiste, mais a rappelé que l'Etat avait très fortement réduit sa contribution au financement des transports urbains de province en 2004, et estimé que les conditions dans lesquelles l'Etat s'était débarrassé du service minimum - ou du service garanti, comme le Gouvernement semble préférer l'appeler désormais - pour en charger le Syndicat des transports d'Ile-de-France à quelques jours seulement de son changement de statut étaient pour le moins provocatrices.

Le ministre a souligné que tout ce qui, dans l'accord d'octobre 2004, avait trait à la prévention des conflits et à la prévisibilité du trafic s'appliquait également aux grandes lignes SNCF. Il a indiqué que ce n'est pas le cas, en revanche, des dispositions de l'avenant relatif au service garanti dans les transports d'Ile-de-France et les TER, et qu'il restait donc du chemin à parcourir si l'on ne voulait pas que certaines grandes agglomérations, en proie à des difficultés croissantes, se trouvent dans une situation comparable à celle qu'a connu l'Ile-de-France ces vingt dernières années. Aussi, a-t-il jugé la démarche engagée par la région Alsace intéressante, et digne d'être encouragée dans d'autres régions.

S'agissant du choix des termes entre « service minimum » ou « service garanti », le dernier terme lui a paru plus approprié dans la mesure où l'avenant prévoyait des pénalités financières en cas de non-respect des engagements pris, et où la démarche de contractualisation initiée devait permettre aux 70 ou 80 % de non grévistes de pouvoir travailler.

Le président Patrick Ollier s'est dit satisfait devant l'évolution constatée, qui témoigne d'un changement culturel de la part de certains syndicats et d'un véritable effort pour rapprocher les points de vue.

M. Franck Gilard a demandé quel était le nombre de jours de grève à la RATP et à la SNCF, par rapport aux autres secteurs.

M. Jacques Kossowski a rappelé que la proposition de loi dont il est signataire ainsi que 314 de ses collègues, lesquels ont accepté de surseoir à son inscription à l'ordre du jour, répond à une exigence élémentaire des Français : celle de pouvoir aller travailler le matin et rentrer chez eux le soir ! Il a estimé que les députés devaient être extrêmement attentifs à ce que le dialogue engagé par M. Gilles de Robien, prédécesseur de l'actuel ministre, aboutisse dans un délai rapproché. Il a jugé encourageant, néanmoins, de constater que la culture du dialogue remplace peu à peu la culture du conflit, y compris à la SNCF, où la CGT, contrairement à FO, a signé l'accord sur la prévention des conflits.

Il a précisé que le service minimum existe déjà, dans la mesure où, même les jours de grève, quelques trains circulent généralement, mais en nombre très insuffisant. Il a indiqué qu'il fallait donc aller plus loin, vers un service garanti, ainsi que le souhaitent 80 % des Français et que le président de la République s'y était engagé au printemps 2002.

M. Jacques Bobe a jugé souhaitable de poursuivre la démarche de négociation, de concertation et de contractualisation. Il a jugé que la diversité des interlocuteurs posait toutefois problème, car les gestionnaires des réseaux de transport de province ne sont pas partie prenante aux accords conclus avec la SNCF ou la RATP. Il faudrait donc que la négociation débouche sur un accord assez large pour être étendu, afin que tous les Français soient égaux devant le service public.

M. Jean-Marie Binetruy s'est demandé si les progrès du dialogue, dont on ne peut que se féliciter, n'ont pas été encouragés par la pression qu'ont exercée les députés de la majorité en cosignant une proposition de loi, et a craint que la stimulation ne disparaisse avec la menace.

Le ministre a indiqué que le nombre de jours de grève par agent avait été, en 2003, de 1,32 à la RATP, de 2,26 à la SNCF et de 0,30 dans les transports urbains de voyageurs. L'année 2004 a été meilleure, mais le début de 2005 a connu de nouveau une augmentation de ce chiffre, du fait des deux conflits nationaux de mars et de mai, au demeurant liés à des revendications non spécifiques au secteur : le ratio a été, sur les cinq premiers mois de l'année, de 0,87 à la SNCF et de 0,28 à la RATP, au lieu de 0,55 et 0,14 respectivement.

Il a rappelé que la difficulté était de concilier deux droits contradictoires : le droit de grève des uns et le droit des autres à vivre normalement. Il a dit ne rien voir de choquant à ce que la représentation nationale soit porteuse d'une demande d'équilibre entre ces deux droits, dans la mesure où les travailleurs du secteur sont des gens qui aiment leur métier, qui veulent le faire bien et qui sont forcément sensibles aux effets des mouvements sociaux sur leurs concitoyens. Il a donc estimé que des solutions pratiques pouvaient être trouvées, dans le cadre d'une bonne organisation des entreprises de transport.

Dans le cas des réseaux urbains de province, il a estimé que la meilleure solution consisterait, ainsi que M. Jacques Bobe l'avait indiqué, à parvenir à un accord de branche susceptible d'être étendu, ce qui éviterait que, dans certaines villes où la situation est de plus en plus conflictuelle, ne s'aggrave encore.

Le président Patrick Ollier a remercié le ministre de sa franchise et de sa clarté et s'est dit favorable à un nouveau rendez-vous en fin d'année, pour faire le point des avancées qui auront eu lieu ; d'ici là, il a demandé aux signataires de la proposition de loi de s'abstenir de la faire inscrire à l'ordre du jour. Il a jugé que le problème comportait deux aspects délicats : celui du niveau de service à garantir et celui de l'égalité de traitement entre l'Ile-de-France et les autres régions, où une expérimentation pourrait être menée sur la base de l'accord conclu par le STIF avec la SNCF et la RATP.

M. Jacques Kossowski a insisté sur le coût élevé des grèves dans les transports, estimé à plus de 200 millions d'euros en 2003, et a regretté que cet argent ne soit pas consacré, par la SNCF, à ses achats de matériel roulant. Il a estimé que les négociations étaient certes plus faciles à conduire en période calme, mais qu'une date butoir devait être fixée.

Le ministre a estimé judicieuse l'idée d'un nouveau rendez-vous dans six mois, souhaitant qu'au cours de ce délai, l'accord conclu par le STIF entre en application ; rappelant que certains avaient mis en cause les conditions dans lesquelles le conseil d'administration du STIF l'avait approuvé, il a jugé qu'il aurait été indécent, de suspendre sa signature pour des raisons tenant aux conditions financières générales de la décentralisation, alors que les conseils d'administration de la SNCF et de la RATP avaient apposé la leur. Il a estimé que le STIF, dans sa nouvelle configuration, donnerait vraisemblablement une suite à la démarche qu'il avait engagée.

S'agissant des transports régionaux de voyageurs, il a estimé souhaitable que l'exemple alsacien soit imité, mais a précisé que l'Etat n'avait pas le pouvoir d'y contraindre les régions. Il a indiqué que le sujet serait prochainement évoqué avec le bureau du GART. De même, en ce qui concerne les réseaux urbains de province, le Gouvernement prendra l'initiative de nouvelles discussions avec le GART, l'UTP et les organisations syndicales de salariés. Il faut absolument que les trois chantiers, francilien et régionaux, progressent au cours des six mois qui viennent.

Le président Patrick Ollier a remercié le ministre de ses réponses et le président de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales d'avoir rejoint la réunion une fois achevée la discussion des conclusions de la CMP sur les mesures d'urgence pour l'emploi.

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