DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 3

Mercredi 30 octobre 2002
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Jean Launay, vice-président, puis de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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- Rapport d'information sur la couverture du territoire en téléphonie mobile et internet haut débit (M. Nicolas Forissier, Rapporteur) :

- Audition de M. Philippe Bertran, Directeur adjoint des relations extérieures de France Telecom

- Audition de M. André Marcon, membre du Conseil économique et social

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Audition de M. Philippe Bertran, Directeur adjoint des relations extérieures de France Telecom

M. Jean Launay, président, a rappelé le contexte dans lequel s'inscrivaient les travaux de la Délégation.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a interrogé M. Philippe Bertran sur les raisons qui avaient conduit France Télécom à accepter l'accord du 23 septembre, sur l'opportunité de maintenir le schéma de services collectifs et sur les réponses qu'apporte France Télécom aux critiques de ses concurrents qui l'accusent d'entraver le développement d'internet en France. Il a également souhaité savoir si le prix de l'internet bas débit était trop élevé, notamment au regard du financement du service universel et s'il fallait modifier l'article L 1511-6 du code général des collectivités territoriales pour permettre aux collectivités territoriales d'être opératrices en internet.

M. Philippe Bertran, directeur adjoint des relations extérieures de France Télécom, a estimé que le schéma de services collectifs n'avait guère de raison d'être dans la mesure où une prévision à vingt ans n'a aucun sens dans des domaines où la technologie évolue si rapidement. L'accord du 23 septembre constitue un compromis, tant de la part d'Orange et de SFR que de la part de Bouygues. Il n'existe aucun problème technique pour le mettre en application, sauf pour l'itinérance locale qui nécessite un délai d'expérimentation. France Télécom a déjà communiqué au Gouvernement et à l'Autorité de régulation des télécommunications (ART) une liste de 400 communes sur lesquelles les travaux peuvent être facilement lancés.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé s'il existait des freins d'ordre commercial au développement de la téléphonie mobile.

M. Philippe Bertran a répondu que pour l'itinérance locale, il fallait mettre en place un cahier des charges prévoyant notamment les reversements financiers effectués entre eux par les opérateurs.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a rappelé le récent vote par le Sénat de la proposition de loi du sénateur Bruno Sido. Ce vote a-t-il contraint les opérateurs à se mettre d'accord ?

M. Philippe Bertran a estimé que cette proposition de loi constituait un signal, mais l'ART avait demandé, bien antérieurement, aux opérateurs d'agir. Cette proposition de loi serait lettre morte si elle était votée car il n'est pas nécessaire de légiférer. Il reste à faire accepter l'accord du 23 septembre par les autorités européennes mais le problème de la desserte du territoire par le téléphone mobile devrait être réglé d'ici deux ans.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé si la question de la quantification des zones couvertes et de la qualité de la couverture, qui suppose l'existence d'un plus grand nombre de pylônes et d'antennes, posait réellement des problèmes d'ordre sanitaire.

M. André Chassaigne a souhaité savoir si l'itinérance locale concernait également les relais existants. Il a rappelé qu'en zone rurale, la couverture était différente selon les opérateurs au point que certaines familles étaient contraintes d'avoir deux abonnements. Il a enfin demandé quand la couverture du territoire serait achevée.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont s'est associée aux propos de MM. Chassaigne et Forissier et s'est interrogée sur la mutualisation des infrastructures passives.

M. Philippe Bertran a considéré qu'il était difficile d'avoir le chiffre exact de communes non couvertes ou mal couvertes. Les études du cabinet Sagatel et de l'ART conduisent à une fourchette oscillant entre 1 480 à 6 000 communes. A ce jour, aucun risque sanitaire n'a été confirmé mais, à l'évidence, plus le réseau est dense, moins il est nécessaire de disposer d'antennes puissantes. Actuellement, les opérateurs sont en face d'un énorme problème car ils ne peuvent densifier le réseau à Paris et dans les grandes villes en raison des manifestations déclenchées par des associations qui s'opposent à l'installation d'antennes.

Le partage des sites devrait être opéré au printemps 2003 sur environ 200 sites. L'itinérance locale nécessitera une expérimentation de 4 à 6 mois et sera mise en place à la fin 2003. L'accord du 23 septembre ne prévoit pas, en revanche, d'itinérance locale sur les zones grises, là où il y a déjà un ou deux opérateurs, pour des raisons commerciales. Le troisième opérateur aurait en effet instantanément bénéficié d'une couverture nationale sans avoir investi, y compris dans des zones à la limite de la rentabilité.

M. André Chassaigne s'est interrogé sur la possibilité d'appliquer l'itinérance à deux opérateurs.

M. Philippe Bertran a estimé que ce serait vraisemblablement ingérable.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a considéré que les collectivités locales avaient du mal à suivre la logique commerciale de France Télécom. France Télécom sollicite l'aide des collectivités locales, notamment dans les zones les moins rentables, mais se désengage de l'enfouissement des réseaux téléphoniques qu'assuraient les syndicats d'électrification. Si France Télécom agit dans une logique commerciale, celle-ci doit être affinée pour qu'un véritable partenariat s'engage avec les collectivités locales, dans une logique d'aménagement du territoire.

M. Philippe Bertran a estimé que France Télécom était l'opérateur qui agissait le plus en faveur de l'aménagement du territoire mais qu'on ne pouvait attendre de sa part d'obéir à la fois aux lois de la concurrence et d'être le seul à conduire une politique d'aménagement du territoire. Le service public des télécommunications est défini par la loi, et ses obligations sont contenues dans un cahier des charges qui prévoit, entre autre, le financement du service universel. France Télécom, de par la loi, est une société qui opère dans le secteur concurrentiel et qui est soumise à un impératif de rentabilité. La problématique est identique pour la desserte par l'internet haut débit.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a admis l'analyse de M. Bertran sur l'impératif de rentabilité mais a rappelé que France Télécom était rémunérée au titre du service universel, ce qui lui permettait de faire face à ses obligations de service public. Il a ensuite indiqué que l'ensemble de la politique actuelle consistait à établir un partenariat entre l'Etat, les collectivités locales et les opérateurs. Or, les collectivités locales, auxquelles il est demandé un effort financier, sont par définition celles qui disposent de peu de moyens budgétaires. Ne revient-il pas à l'Etat d'assumer, y compris par le budget général, ses obligations en matière d'aménagement du territoire ?

M. Philippe Bertran a indiqué que ce sujet avait fait l'objet de débats au niveau européen mais que les Etats membres n'avaient pas inclus le téléphone mobile et l'internet haut débit dans le service universel.

M. Emile Blessig, président, a rappelé que l'affectation de fonds européens aux zones blanches et grises était actuellement en discussion.

M. Philippe Bertran a souhaité que cette discussion aboutisse.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé à M. Philippe Bertran de répondre aux critiques de ses concurrents, accusant l'opérateur historique de ralentir le développement d'internet en France.

M. Philippe Bertran a rappelé les efforts de France Télécom en faveur du haut débit. Les tarifs de dégroupage sont actuellement les plus bas d'Europe. Les prix de l'ADSL diminuent de 20 à 40 %, et ce marché décolle avec 50 000 nouveaux clients par semaine. Il y aura 1,3 million d'abonnés au haut débit à la fin 2002.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé si France Télécom allait accélérer ses investissements en faveur des entreprises en zone rurale, compte tenu des bons résultats de l'ADSL.

M. Philippe Bertran a considéré que compte tenu des coûts fixes de l'ADSL le plan de déploiement de France Télécom prévoyait une couverture sur le réseau à hauteur de 85 % à la fin de 2004. Au-delà , il n'y a pas de rentabilité. Le réseau de desserte en haut débit est déjà déployé sur 75 % des chefs lieu de canton.

M. Emile Blessig, président, s'est interrogé sur le sort des 25 % de cantons non desservis.

M. Philippe Bertran a estimé qu'une partie de ces derniers ne serait sans doute jamais desservie en l'état actuel de la réglementation et des hypothèses financières. Il s'agit d'une question de rentabilité. La seule solution serait d'inventer de nouvelles règles juridiques et de nouveaux montages financiers. Il existe plusieurs solutions techniques sur le marché. Il ne paraît cependant pas réaliste que les collectivités locales deviennent opératrices dans la mesure où elles manquent des capacités d'expertise.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, rappelant la conclusion d'un accord entre la Région Centre et France Télécom, pour la mise en place d'un backbone a demandé si cet accord était limité aux seuls équipements publics ou s'il pouvait être commercialisé auprès des entreprises.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont s'est interrogée sur la possibilité d'intégrer au sein des aides aux entreprises l'accès aux réseaux.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a estimé que ce type d'investissement public, tel que pratiqué actuellement par France Télécom, dynamisait que partiellement le territoire.

M. Philippe Bertran a répondu que les réseaux locaux amenaient le haut débit sur une partie seulement des territoires, avec des retombées indirectes sur les entreprises.

M. André Chassaigne a demandé si le réseau irriguait les entreprises et les communes qui sont sur le passage des fibres optiques.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé si le prix du bas débit était un frein au développement d'internet.

Après avoir répondu par la négative à M. André Chassaigne, M. Philippe Bertran a rappelé qu'un seul opérateur militait pour la diminution du prix du service universel par une diminution de la redevance sur les communications longues et l'augmentation de celles-ci sur le téléphone mobile. Il a souhaité une étude préalable avant toute modification en la matière.

M. Emile Blessig, président, a remercié M. Philippe Bertran d'avoir participé à cette audition.

La Délégation a ensuite entendu M. André Marcon, membre du Conseil économique et social.

Audition de M. André Marcon, membre du Conseil économique et social

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a fait part de ses craintes sur la fracture numérique, notamment en milieu rural et a demandé à M. Marcon son avis sur le schéma de services collectifs, sur les conséquences du prix du bas débit sur le développement général d'internet en France, sur l'éventuelle nécessité de modifier le financement du service universel. Enfin, faut-il permettre aux collectivités locales d'être opératrices en internet ?

M. André Marcon a souligné son attachement aux questions d'aménagement du territoire et a rappelé qu'il était maire d'une commune de 200 habitants située à 1 100 mètres d'altitude. Il a considéré que le retard de la France en matière de téléphonie mobile et d'internet n'était pas technologique mais politique et qu'il était anormal que les décisions du Comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT) aient mis un an avant de connaître un début d'application. Un schéma de services collectifs à un horizon de vingt ans est une utopie et il importe de partir des demandes des acteurs locaux plutôt que du schéma théorique de la DATAR. Le CIAT avait pris de bonnes dispositions en matière de téléphonie mobile mais l'Etat n'a pas respecté sa parole en n'apportant pas la dotation de 500 millions de francs qu'il avait promise. Il a donc moins d'autorité face aux opérateurs et, de manière générale, n'a pas assumé son rôle d'impulsion et de coordination. La solution retenue le 23 septembre sera d'ailleurs plus onéreuse pour les consommateurs.

M. André Marcon a ensuite fait part des préoccupations du Conseil économique et social. Le discours dominant consiste à dire que le marché va régler l'ensemble des problèmes, à charge pour les collectivités locales de prendre le relais du marché dans les zones non rentables pour les opérateurs. Ce discours est notamment tenu par l'ART mais il comporte un risque fort de duplication des réseaux. Il existe pléthore de fibres optiques non utilisées. Toutefois, la plupart des backbones appartiennent au réseau de France Télécom. Actuellement l'on crée des fibres optiques qui suivent le même cheminement que ceux de France Télécom, ce qui induit à terme de forts gaspillages d'argent public et privé. L'ART propose, soit de construire des réseaux dans les zones les moins bien desservies, ce qui induit la participation financière des collectivités locales, soit de subventionner les opérateurs qui investissent sur le territoire. France Télécom a cependant une attitude défensive vis-à-vis de ses concurrents.

Le Conseil économique et social estime qu'il faut conduire un raisonnement à partir du maillage existant en fibres optiques. Il s'agit de rendre ce maillage disponible pour tous les opérateurs. La situation financière de France Télécom, victime d'un fort endettement, constitue une opportunité idéale. Il conviendrait de séparer, au sein de France Télécom, la gestion du réseau de celle des services. Dans la mesure où l'Etat va être contraint de recapitaliser l'opérateur historique, il serait logique que la puissance publique reprenne la gestion des réseaux et fasse vivre France Télécom en tant qu'opérateur de services. France Télécom affirme que c'est techniquement impossible mais le Conseil économique et social ne souscrit pas à une telle affirmation.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a fait le parallèle avec la gestion du réseau ferroviaire.

M. André Marcon a approuvé ce parallèle et a proposé également une expérimentation au niveau régional. Il a affirmé qu'il fallait un service public de réseaux et que cette réflexion était déjà conduite par le ministère de l'Industrie. Il faut diminuer le coût d'usage afin que la concurrence entre opérateurs s'exerce sur le contenu. D'après les rumeurs, le CIAT, qui doit intervenir à la fin de l'année 2002, ne semble pas aller dans ce sens.

M. Emile Blessig, président, a rappelé que d'autres pays appliquaient déjà un système tel que préconisé par M. Marcon.

M. André Marcon a cité la Suède et les Etats-Unis qui ont établi des schémas de services régionaux avec des collectivités locales elles-mêmes compétentes en matière de réseau. Il faut, à cette fin, permettre un droit à l'expérimentation. Les collectivités locales sont en outre soucieuses de limiter leurs dépenses d'investissements et retiendront les solutions techniques les moins coûteuses.

M. Jean Launay, a demandé si le réseau appartenait en droit à France Télécom où s'il s'agissait d'un bien national.

M. Emile Blessig, président, s'est associé à cette question et a considéré que la séparation entre le contenant et le contenu s'était déjà appliquée aux secteurs du chemin de fer et de l'électricité.

M. André Chassaigne a objecté que cette séparation s'était effectuée sur un seul opérateur en situation de monopole. En outre, le risque est de se retrouver avec une sorte de service public régionalisé, avec des régions riches et bien équipées tandis que d'autres, moins favorisées, disposeraient de réseaux internet parcellaires.

M. André Marcon a estimé que la loi de 1996 aurait pu régler ce problème. En fait, le législateur a eu trop confiance dans le marché. Or, actuellement, le risque de fracture entre régions riches et pauvres grandit. Il conviendrait de mettre en place une sorte de TIPP sur les réseaux de télécommunications pour aider au développement et à l'entretien des fibres optiques. La péréquation actuellement effectuée est un leurre, les opérateurs ne sachant pas comment France Télécom utilise le produit du service universel. L'Etat sera bientôt obligé d'investir dans France Télécom, et cet investissement suffit pour que le territoire soit convenablement desservi. Le problème est que le réseau n'appartient qu'à un opérateur qui est peu soucieux de l'ouvrir à ses concurrents. Ceci explique, entre autre, pourquoi France Télécom a intérêt à ce que l'ADSL ne se développe pas trop vite, car il lui faut rentabiliser les paires de cuivre jusqu'en 2010..

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé s'il fallait conclure que France Télécom ralentissait le développement du haut débit.

M. André Marcon a confirmé ses propos.

M. Emile Blessig, président, a jugé que M. Marcon proposait pour France Télécom la même manœuvre qui a conduit au désendettement de la SNCF par la création de Réseau Ferré de France.

M. André Marcon a approuvé cette analyse.

M. André Chassaigne a critiqué cette approche, considérant qu'il s'agissait d'une socialisation des pertes. En ce cas, il aurait fallu ne pas privatiser France Télécom.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a considéré, pour sa part, qu'il aurait fallu une privatisation différente.

M. André Marcon a estimé que le marché ne pouvait faire de l'aménagement du territoire.

M. André Chassaigne a jugé que le problème résidait dans le fait d'avoir créé un marché des télécommunications.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a indiqué que le rôle de l'Etat en ces domaines n'avait jamais été clairement défini. L'Etat n'a pas rempli son rôle, notamment en matière financière.

M. André Chassaigne a estimé que l'Etat avait avant tout un rôle de cohérence nationale.

M. André Marcon a déclaré que la section du Conseil économique et social dont il est membre pensait que l'on ne pouvait tout demander à l'Etat.

M. Emile Blessig, président, a considéré que l'Etat ne savait pas comment France Télécom utilisait le produit du service universel. Il est nécessaire qu'une autorité politique puisse vérifier les fonds utilisés par les usagers. Actuellement, il y a une ambiguïté entre les missions du service public et l'existence d'entreprises privées.

M. Jean Launay a demandé par quels moyens le Conseil économique et social espérait faire passer son message.

M. André Marcon a souhaité que le Parlement alerte le Gouvernement.

M. Joël Beaugendre, revenant sur l'hypothèse d'une éventuelle taxe sur les réseaux, a demandé si son produit pourrait faire l'objet d'une péréquation entre régions.

M. André Marcon a jugé cette péréquation nécessaire afin de subventionner la desserte des zones non rentables.

M. Emile Blessig, président, a remercié M. Marcon d'avoir participé à cette audition.


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