DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 4

Mercredi 6 novembre 2002
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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- Rapport d'information sur la couverture du territoire en téléphonie mobile et internet haut débit (M. Nicolas Forissier, Rapporteur) :

- Audition de Mme Gabrielle Gauthey, Directrice à la Caisse des dépôts et consignations

- Audition de M. Stéphane Treppoz, Président d'AOL France

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Audition de Mme Gabrielle Gauthey,
Directrice à la Caisse des dépôts et consignations

Après que M. Emile Blessig, président, ait souhaité la bienvenue à Mme Gabrielle Gauthey, M. Nicolas Forissier, rapporteur, a souligné l'importance de la Caisse des dépôts (CDC) dans le financement des infrastructures d'internet en France. Il a fait part de son souci d'éviter une fracture numérique irrémédiable sur notre territoire et exprimé la crainte qu'il n'y ait pas de politique claire en la matière dans notre pays. Il a critiqué le schéma de services collectifs, tel que conçu par la DATAR, planifiant la desserte de notre pays à un horizon de vingt ans alors que les technologies de l'information constituent un secteur hautement évolutif et a souhaité connaître l'avis de la CDC sur l'idée d'un observatoire permanent.

Le rapporteur a ensuite posé les questions suivantes :

Les financements de la Caisse des dépôts sont certes des financements de l'Etat, mais dans la mesure où la politique d'aménagement du territoire est une action volontariste de l'Etat, ce dernier ne devrait-il pas financer les infrastructures d'internet par le budget général ?

Est-il envisageable que l'ensemble du territoire français, métropole & outre-mer, soit irrigué par l'internet haut débit? Dans quel délai? A défaut, dans quel délai la plus grande partie du territoire pourrait être irriguée ?

De quelles expériences étrangères la France pourrait s'inspirer pour accélérer son équipement ?

Est-il pertinent de permettre à certaines collectivités locales d'être opératrices ?

Quelles sont les dispositifs législatifs ou réglementaires qui freinent le développement d'internet en France ?

Peut-on à raison accuser France Télécom de ralentir le développement d'internet en France ?

La France souffre-t-elle d'un manque de ressources humaines pour le développement d'internet ? La CDC a-t-elle constaté, dans son travail d'expertise, des différences marquées entre régions et/ou départements ?

Mme Gabrielle Gauthey a indiqué que la loi de 1996 avait été conçue pour libérer le marché tout en renforçant les opérateurs. Six ans après, le contexte dans lequel s'exercent les activités des télécommunications a radicalement changé, avec des entreprises qui connaissent des situations financières difficiles, alors que les besoins d'investissement sont patents. France Télécom admet ainsi ne pas pouvoir investir les huit milliards d'euros qui lui permettraient de développer son activité. On constate en tout état de cause que l'ensemble des pays libéraux se caractérisent par de forts investissements publics, soit par l'Etat, soit par les collectivités locales, ces investissements prenant le relais d'un marché déficient. Les collectivités locales italiennes ou allemandes sont depuis longtemps familiarisées aux questions des technologies de l'information. Les collectivités locales françaises le sont à un degré moindre. Ce dernier point est préoccupant car la loi de 1996 a considérablement affaibli les prérogatives de l'Etat en matière de télécommunications sans pour autant renforcer celles des collectivités locales.

La CDC n'est pas un simple financeur de projets. Elle est également monteur de projets avec des collectivités locales qui n'ont pas toutes les mêmes besoins et les mêmes capacités financières. Elle ne subventionne pas les projets, elle apporte sa participation en cofinancement avec les collectivités locales et les fonds européens. A cet égard, le retard de notre pays dans l'attribution des fonds structurels pèse sur le financement des technologies de communication. Les seuls fonds du FEDER pourraient financer un tiers des projets identifiés sur le territoire national.

Mme Gabrielle Gauthey a ensuite indiqué que le droit freinait quelque peu le développement d'internet en France. Ainsi l'impossibilité pour des sociétés privées d'être majoritaires dans les sociétés d'économie mixte ne les incite pas à s'associer à des collectivités locales alors que ces sociétés sont contraintes par la nature de leur métier d'investir en permanence. Les systèmes allemand et suédois accordent bien plus de libertés aux collectivités locales et ont des régimes juridiques permettant de contracter avec des investisseurs privés.

Répondant à la question des délais de desserte de l'ensemble du territoire, Mme Gabrielle Gauthey a déclaré qu'il ne s'agissait pas uniquement d'un problème touchant les zones rurales mais que les métropoles françaises avaient elles-mêmes du retard par rapport aux grandes villes européennes. Bien que la France soit bien équipée en grands axes (ligne dorsale), elle connaît un fort retard en boucles locales. Plus préoccupant est le retard de notre pays dans le lancement de nouvelles infrastructures.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a confirmé que le retard de notre pays en matière d'infrastructures constituait un problème pour les régions et a demandé s'il fallait s'inspirer des systèmes allemand ou italien.

Mme Gabrielle Gauthey a jugé que le retard de notre pays touchait l'ensemble des activités liées à internet (ingéniérie, réseaux) et que la relance du marché pourrait être obtenu par un plus large accès des opérateurs au réseau de France Télécom.

M. Jean Launay puis M. Nicolas Forissier, rapporteur, rappelant la position du Conseil économique et social sur le réseau de France Télécom, ont demandé si l'Etat et les collectivités locales ne devraient pas inciter à mieux utiliser les réseaux existants en séparant la gestion de l'infrastructure de la gestion des opérations, même si France Télécom s'y oppose.

Mme Gabrielle Gauthey a répondu que ce système avait été imaginé en 1996, malgré les difficultés techniques et administratives qu'il réserve, mais qu'une telle scission conduirait à une rude bataille politique.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a estimé que France Télécom défendait tout à fait logiquement ses positions en s'opposant à une telle idée mais que cette dernière n'était pas illogique au regard de la stratégie industrielle globale de notre pays.

M. Jean Launay a jugé que la position du Conseil économique et social était fondée dans la mesure où il apparaît inutile de démultiplier des réseaux qui existent et qui sont loin d'être saturés.

M. Emile Blessig, président, s'est interrogé sur les obligations européennes de notre pays dans le cadre de l'ouverture des réseaux à la concurrence.

Mme Gabrielle Gauthey a indiqué que la Commission européenne avait jugé l'état de la concurrence insuffisant en France dans le secteur des télécommunications. L'autorité régulatrice des communications a ainsi été tancée par Bruxelles. Si l'on veut éviter une inutile multiplication des réseaux alors même que France Télécom a arrêté ses investissements, il ne reste comme solution que leur ouverture. A défaut, la tentation des collectivités locales sera de subventionner France Télécom, omniprésent sur notre territoire, et d'accepter sur le court terme d'être équipées de réseaux qui auront l'inconvénient d'être fermés.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a jugé que le plus grand flou régnait dans la manière dont France Télécom évaluait le prix de mise à disposition de son réseau.

Mme Gabrielle Gauthey a ajouté que France Télécom refusait le plus souvent de louer ledit réseau.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a affirmé qu'il fallait l'y contraindre.

M. Emile Blessig, président, a considéré que France Télécom avait quelques difficultés à jouer son rôle d'opérateur.

Mme Gabrielle Gauthey a estimé qu'il n'y avait pas d'opérateurs locaux en France et a affirmé qu'un dégroupage avec péréquation nationale était moins avantageux qu'un dégroupage à l'échelle régionale. L'architecture du réseau de France Télécom est en elle-même coûteuse, et il faut espérer que de nouvelles technologies comme le Wi Fi pourront peut-être se substituer à la boucle locale de France Télécom.

M. Philippe Folliot a demandé des exemples de boucles locales réussies.

Mme Gabrielle Gauthey a cité le Maine-et-Loire.

Rappelant que les contenus avaient autant d'importance que les réseaux, M. Philippe Folliot a fait part de sa crainte de voir notre pays manquer de cadres qualifiés dans les nouvelles technologies.

Mme Gabrielle Gauthey a déclaré ne pas partager ce pessimisme même si le déficit d'ingéniérie sur le territoire est indéniable. On constate néanmoins la création de sociétés opératrices à l'échelle locale par des ingénieurs en télécommunications.

Evoquant les freins législatifs au développement d'internet, Mme Gabrielle Gauthey a cité l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales, considérant que sa rédaction floue mettait les collectivités locales dans une totale insécurité juridique.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé si le coût du service universel, qui freine le développement du bas débit, avait par ricochet un effet sur le développement du haut débit.

Mme Gabrielle Gauthey a admis que les abonnements bas débit avaient un prix trop élevé et que le système du service universel était sans doute à revoir. Elle a ensuite attiré l'attention de la Délégation sur le fait de ne pas trop se focaliser sur le bas débit alors que la plupart de nos voisins européens se dirigent vers le haut débit.

M. Emile Blessig, président, concluant l'audition, a estimé que l'audition de Mme Gabrielle Gauthey avait été très utile pour la délégation.

Audition de M. Stéphane Treppoz
Président d'AOL France

Après que M. Emile Blessig, président, ait rappelé que la question de la fracture numérique était centrale, M. Nicolas Forissier, rapporteur, a indiqué que la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire se voulait gardienne de l'équité territoriale et que le retard de notre pays dans les nouvelles technologies induisait de forts risques de désindustrialisation. Il a ensuite posé les questions suivantes :

AOL partage-t-elle l'analyse de Tiscali sur le fait que le prix du bas débit ralentirait le développement d'internet en France, en raison du financement du service universel ?

Quels sont les facteurs qui freinent le développement d'internet en France (bas ou haut débit) ?

France Télécom porte-t-il une particulière responsabilité ?

Est-il pertinent de dissocier au sein de France Télécom l'activité d'opérateur de celle de gestionnaire du réseau ?

Y a-t-il opacité du prix d'usage du réseau de France Télécom ?

Est-il pertinent que les collectivités locales, au moins à l'échelon du département, puissent être opératrices (modification de l'article L.1511-6 du code des collectivités territoriales)?

M. Stéphane Treppoz a rappelé qu'AOL, filiale du groupe AOL Time Warner, constituait le premier fournisseur mondial d'accès à internet avec 35 millions d'abonnés, 40 % du marché américain et 20 % des marchés français, britannique et allemand. Il emploie en France 1 000 salariés, à raison de 300 en région parisienne et 700 en province pour un chiffre d'affaires de 300 millions d'euros. Il a ensuite marqué son accord avec l'analyse de Tiscali sur le prix du bas débit mais a également avancé que le faible taux d'équipement des ménages en ordinateurs ralentissait à l'évidence le développement d'internet dans notre pays. Il a estimé que la tarification d'internet à un coût horaire en freinait considérablement l'usage et qu'il fallait offrir des forfaits illimités tant pour le bas que pour le haut débit. Il a confirmé que le service universel pesait trop sur internet. Ainsi, un forfait de 25 euros pour le téléphone mobile ne supporte qu'un euro au titre du service universel alors qu'un forfait au même prix sur internet acquitte trois euros. Il y a là un problème d'équité.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé si AOL préconisait la forfaitisation du service universel sur internet.

M. Stéphane Treppoz, rappelant que le service universel n'existait qu'en France et en Italie, a déclaré qu'AOL acceptait la notion de service public à la française mais souhaitait que la taxation au profit du service universel s'effectue en fonction du chiffre d'affaires des sociétés.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé si cette revendication présentait un caractère d'urgence.

M. Stéphane Treppoz a effectivement appelé à une réforme rapide du service universel car les opérateurs perdent régulièrement de l'argent lorsqu'ils desservent la province. Il a également appelé à ce que la concurrence s'exerce à armes égales entre d'une part France Télécom, et d'autre part les opérateurs privés. Il a estimé que France Télécom utilisait sa position dominante et son rôle de gestionnaire du réseau pour entraver l'activité de ses concurrents. Il a conclu que faute de concurrence, l'ADSL ne se diffuserait que lentement en province avec des prix qui ne cesseront de s'élever.

M. Jean Launay a estimé que ce risque serait moindre si les collectivités locales, poussées par France Télécom, investissaient.

M. Stéphane Treppoz a jugé que l'avenir du secteur résidait dans le développement du haut débit et que l'absence de concurrence réelle mettait en péril, à terme, les 1 000 emplois d'AOL. Il a ajouté qu'il était impossible de couvrir les zones les plus reculées de notre territoire dans la mesure où l'ADSL exige une distance qui ne peut excéder 5 kilomètres entre le central et l'utilisateur. Or une telle exigence technique est impossible à satisfaire dans les zones rurales.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé si M. Treppoz croyait à la convergence.

M. Stéphane Treppoz a souhaité répondre à titre personnel, sans engager sa société. Il a considéré que la télévision numérique terrestre n'avait séduit à ce jour qu'une très faible clientèle.

M. Emile Blessig, président, a souhaité savoir s'il existait d'autres supports techniques d'avenir.

M. Stéphane Treppoz a jugé que le support majeur demeurerait le téléphone. Il a considéré que les opérateurs avaient trop souvent inversé l'ordre logique des mécanismes économiques en voulant imposer de force des technologies sans se soucier des usages par les consommateurs.

M. Jean Launay a estimé qu'en matière d'aménagement du territoire le haut débit était absolument nécessaire dans les secteurs de pointe.

Mme Henriette Martinez a ajouté que l'absence d'internet en zone peu peuplée accentuait la désertification du territoire.

M. Emile Blessig, président, a demandé si le choix du haut débit pouvait favoriser le télétravail.

M. Stéphane Treppoz a considéré que le véritable avantage du haut débit était de libérer les lignes téléphoniques mais que le développement du télétravail ne dépendait pas d'un débit. Il a jugé que ce mode de travail n'avait que peu d'avenir dans la mesure où il est difficile de gérer à distance des personnels.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a demandé comment le Gouvernement et le Parlement pourraient intervenir pour le développement d'internet.

M. Stéphane Treppoz a tenu à marquer sa déception devant le récent rejet d'un amendement de M. Patrice Martin-Lalande, qui visait à réformer le service universel. Il a marqué son incompréhension devant la demande du Gouvernement de retrait de cet amendement en séance publique alors qu'officieusement tous les ministères étaient d'accord.

M. Emile Blessig, président, a estimé qu'il fallait que le Parlement persévère car la discussion de ce genre d'amendement s'assimile à une course de fond.

M. Stéphane Treppoz a souhaité que cette réforme aboutisse car l'internet en France présente l'un des coûts les plus élevés d'Europe. La dissociation des fonctions de gestionnaire du réseau et d'opérateurs au sein de France Télécom est une idée intelligente à la condition que les tarifs de connexion des opérateurs privées reflètent les coûts réels du service universel. Or l'autorité de régulation des télécommunications n'a aucune connaissance des coûts que supporte France Télécom à ce titre. De ce fait, alors même que France Télécom a mené une stratégie désastreuse de développement international, on contraint le consommateur et le contribuable à payer une redevance à cette société sans en connaître l'utilisation. L'Etat ne peut se dédouaner de sa responsabilité en la matière car il n'a pas su jouer son rôle d'actionnaire majoritaire au sein du conseil d'administration.

M. Nicolas Forissier, rapporteur, a estimé que le Parlement et l'ART devraient se pencher plus attentivement sur le coût du service universel.

M. Stéphane Treppoz a ensuite considéré à titre personnel qu'il ne lui semblait pas pertinent de voir les collectivités locales devenir opératrices.

M. Emile Blessig, président, lui a demandé s'il n'accepterait pas une telle évolution dans le cas où les collectivités locales seraient partenaires de sociétés privées.

M. Stéphane Treppoz a déclaré préférer l'existence d'obligations précises décrites dans un cahier des charges.

M. Emile Blessig, président, a remercié M. Stéphane Treppoz d'avoir participé aux travaux de la Délégation.


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