DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 9

Mercredi 11 décembre 2002
(Séance de 17 heures 15)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Jean-Pierre Jochum, inspecteur des finances, Président de la Commission interministérielle de coordination des contrôles portant sur les opérations cofinancées par les fonds structurels européens, et de M. Alain Larangé, inspecteur général de l'administration, sur le rapport sur les conséquences des politiques européennes sur l'aménagement du territoire (MM. Joël Beaugendre et Philippe Folliot, rapporteurs)

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M. Emile Blessig, président, a indiqué que la Délégation de l'Assemblée nationale chargée de l'aménagement du territoire souhaitait examiner l'influence des fonds structurels, et plus largement des politiques communautaires, sur l'aménagement du territoire. L'apport des crédits européens est notable, sans qu'il soit possible de disposer d'une évaluation exhaustive de leurs effets. En outre, les perspectives d'élargissement de l'Union européenne vers les pays d'Europe orientale conduisent à terme à des modifications de l'enveloppe globale dont bénéficiera la France au titre des politiques structurelles.

M. Philippe Folliot, rapporteur, a d'emblée demandé quel était le rôle de la commission interministérielle de contrôle des fonds structurels.

M. Jean-Pierre Jochum, président de la commission interministérielle de coordination des contrôles portant sur les opérations cofinancées par les fonds structurels (CIC), a rappelé que la CIC avait été créée en 1993, dans le cadre du règlement général applicable aux fonds structurels pour la période allant de 1994 à 1999. Il y avait à l'origine une section par fonds avec, en son sein, un représentant de chaque administration concernée. La CIC a fonctionné dans un premier temps avec quatre inspecteurs généraux. En 1997, le règlement communautaire n° 2064-97, élaboré pour améliorer la gestion des fonds structurels a prévu, en sus des contrôles nationaux traditionnels, un deuxième niveau de contrôle, sur 5 % des masses financières en jeu afin de mieux appréhender l'analyse des risques. La circulaire du Premier Ministre, en mai 1998, a traduit ce règlement dans les pratiques administratives françaises. La CIC se prononce essentiellement sur l'effectivité et la qualité des contrôles des dépenses effectuées dans le cadre des fonds structurels ainsi que sur les suites qui sont données aux différents contrôles. Enfin, le décret du 26 avril 2002 a précisé les missions de la CIC ainsi que sa composition, à savoir six membres, parmi lesquels des inspecteurs généraux et un préfet à la retraite, ce dernier apportant son expérience en toute indépendance, et un trésorier payeur général.

M. Philippe Folliot, rapporteur, a souhaité connaître de quels moyens humains, budgétaires et logistiques disposait la CIC.

M. Jean-Pierre Jochum a indiqué que la CIC s'appuyait sur les inspections générales représentées en son sein, notamment l'inspection générale de l'administration, celle des affaires sociales et celle de l'agriculture. Une douzaine de personnes se consacrent aux missions d'audits. Les auditeurs de l'inspection générale de l'administration consacrent 236 jours environ à des inspections sur place, ceux de l'inspection générale des affaires sociales 335 jours et ceux de l'inspection générale de l'agriculture 125 jours. Ces durées doivent être doublées pour le traitement du travail au sein de l'administration centrale. Les coûts de fonctionnement s'imputent sur le budget de l'administration générale du ministère de l'économie et des finances. Plusieurs chargés de mission de catégorie A assistent la CIC dans son travail. L'ensemble des personnels est sous le statut de mise à disposition. La logistique est assurée par le ministère des finances. Les moyens de la CIC sont volontairement limités pour que les ministères conservent un rôle d'alerte s'ils constatent des problèmes dans l'exécution des crédits communautaires.

Le rôle de la CIC est surtout de valider les procédures liées aux dépenses structurelles, mais elle n'est pas mandatée pour juger de l'opportunité ou de la qualité de la gestion.

M. Philippe Folliot, rapporteur, a ensuite posé les questions suivantes :

- Quelle analyse peut-on faire de l'exécution des fonds structurels en France, objectif par objectif ?

- Quel est leur effet dans les départements d'outre-mer ?

- Les fonds structurels constituent-ils un élément de la politique d'aménagement du territoire, ou complètent-ils simplement des financements nationaux qui auraient été lancés de toute manière ?

- Les élus locaux estiment que l'ensemble de la procédure d'octroi des fonds structurels est lente et lourde. Que penser de cette opinion ?

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a rappelé que la Commission de la Production de l'Assemblée nationale avait travaillé en mars 1999 sur une réforme des fonds structurels. Il avait été envisagé de transférer aux régions la gestion de ces fonds à titre expérimental. Cette idée pourrait-elle entrer dans les faits ? Par ailleurs, le rapport de la Commission européenne montre que les fonds structurels ont atténué les disparités entre Etats mais n'ont pas gommé certaines disparités régionales. Enfin, quelles conséquences l'élargissement induira-t-il sur ces fonds ?

M. Emile Blessig, Président, a considéré que cette question était au cœur du travail de la Délégation.

M. Serge Poignant a demandé à M. Jochum son avis sur les causes des retards de paiement des crédits européens. Les élus mettent en cause la complexité des documents de programmation (DOCUP).

M. Jean-Pierre Jochum a considéré que les administrations s'étaient trompées d'indicateur entre 1994 et 1999 en se focalisant sur les programmes et en oubliant de contrôler l'effectivité des dépenses. Cette carence est très dangereuse pour l'exécution des fonds sur la période allant de 2000 à 2006. En l'absence d'exécution, la Commission européenne est fondée à opérer un dégagement d'office des crédits sur des programmes non exécutés. Le dégagement d'office est un concept difficilement supportable par les élus locaux, mais il faut rappeler que c'est une règle décidée par les gouvernements eux-mêmes, au sein du Conseil européen, afin d'améliorer le taux d'exécution des crédits communautaires.

M. Alain Larangé a ajouté que les collectivités locales avaient parfois tendance à programmer des idées plutôt que des projets. Il faut une discipline collective pour que l'ensemble des acteurs administratifs et politiques s'attellent à mettre en œuvre des projets et à exécuter les dépenses.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a demandé si les dotations inscrites à des programmes non exécutés revenaient dans le budget communautaire afin d'être consacrées à d'autres actions.

M. Jean-Pierre Jochum a répondu par la négative. L'Union européenne procède en effet à l'annulation pure et simple des programmes non exécutés. Pour autant, elle ne cherche pas, par le dégagement d'office, à opérer des économies budgétaires. Elle est, au contraire, extrêmement préoccupée par la sous-consommation des crédits.

M. Alain Larangé a précisé que le dégagement d'office était tempéré par la réserve de performances mais qu'à ce jour aucun pays n'avait utilisé cet instrument. En revanche, les Etats membres sont inquiets face au dégagement d'office.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a considéré que la gestion directe des fonds structurels par les régions pourrait supprimer certaines étapes administratives qui rallongent les délais d'octroi des fonds.

M. Jean-Pierre Jochum a estimé que la lourdeur des procédures provenait, entre autre, de freins législatifs et réglementaires. A chaque fois qu'une loi ou un décret prévoit une obligation nouvelle, la procédure s'en trouve complexifiée. Il serait ainsi nécessaire de rationaliser et simplifier les DOCUP. Les secrétaires généraux des affaires régionales adoptent progressivement cette approche.

M. Emile Blessig, Président, a jugé que cette complexité des procédures était la cause principale des retards dans les paiements.

M. Jean-Pierre Dufau a qualifié d'ahurissante la rétention des informations par les fonctionnaires territoriaux. Ceux-ci agissent selon une logique tendant à éviter les erreurs, mais ils n'ont pas la moindre vision du développement des territoires. 50 % des projets sont ainsi condamnés avant d'arriver aux comités de programmation. Ensuite, l'Etat, se fondant sur cette statistique, ose affirmer que les collectivités locales ne sont pas capables de mettre en place des projets. L'impression prévaut que la logique des administrations est l'orthodoxie comptable, au mépris du développement du territoire.

M. Jean-Pierre Jochum a admis qu'il fallait effectivement que l'administration se place dans une logique de projet. Mais cela sous-tend que l'ensemble des acteurs aient la même approche des documents de programmation, car ces derniers constituent le fondement qui rend une dépense éligible aux crédits communautaires.

M. Alain Larangé a ensuite rappelé que le taux moyen d'exécution des fonds structurels, pour la période de 1994 à 1999, s'était élevé de 80 à 85 % selon les régions, ce qui constituait un résultat honorable, même si 15 % des crédits ont finalement fait l'objet d'annulation. Ce taux est préoccupant car il induit des retards pour la période allant de 2000 à 2006. Les maîtres d'ouvrage ont en effet achevé leurs travaux en 1999 et 2000 et sont dans l'incapacité d'inscrire immédiatement de nouveaux programmes. Ceux-ci risquent de faire l'objet d'instructions trop tardives.

M. Emile Blessig, Président, a rappelé le poids considérable des secrétaires généraux aux affaires régionales sur les DOCUP. Il a demandé si ces derniers constituaient une spécificité nationale.

M. Jean-Pierre Jochum a estimé que certains DOCUP ne constituaient qu'une liste d'intentions. Il a ensuite précisé que la logique de programmation de l'Union européenne différait souvent des logiques nationales. Les crédits communautaires sont en effet prévus dans le cadre de perspectives pluriannuelles, ce qui sécurise et garantit les paiements, à la condition que les procédures soient respectées en temps et en heure. Tel n'est pas le cas des contreparties financières nationales. Cet écart est sujet à réflexion.

M. Jean-Pierre Dufau a considéré que les financements croisés, émanant de plusieurs personnes publiques, ralentissaient l'instruction des dossiers. Il s'est demandé si l'on ne pourrait, à l'avenir, se contenter d'une seule contrepartie nationale ou locale. Il a par ailleurs souhaité que les DOCUP s'inscrivent dans la logique des maîtres d'ouvrage.

M. Jean-Pierre Jochum a plaidé pour un assouplissement des DOCUP et pour que les dossiers soient traités selon des visions stratégiques au niveau régional.

M. Jean-Pierre Dufau a estimé qu'il fallait mettre fin à une hypocrisie générale. Chaque maître d'ouvrage cherche à bénéficier de crédits européens, mais leur absence n'empêche pas les projets d'être réalisés. Toutefois, cette attitude empêche l'émergence de comportements de partenariat. Par ailleurs, il serait souhaitable que l'Union européenne procède à des avances pour pallier le retard des paiements, quitte à régulariser a posteriori ce type d'avances.

M. Alain Larangé a appelé à une certaine prudence quant aux avances préconisées par M. Dufau dans la mesure où la non exécution des programmes conduirait à des problèmes administratifs de recouvrement. Il paraît en revanche plus pertinent de se placer dans la logique du maître de l'ouvrage, ce qui permettrait d'harmoniser des règles qui, pour l'heure, sont propres à chaque organe de l'Etat.

M. Emile Blessig, Président, M. Philippe Folliot, rapporteur et M. Alain Larangé ont successivement plaidé pour la simplification des dossiers d'instruction.

M. Alain Larangé a jugé que le retard d'allocation des fonds provenait également d'une répartition des compétences extrêmement floue entre l'Etat et les collectivités locales. La multiplicité des compétences croisées ne peut qu'induire la complexité des dossiers.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a considéré que le cofinancement était un vecteur de progrès politique. Or, les aides européennes sont surtout perçues comme une "cerise sur le gâteau", comme un type de financement que l'on n'obtient qu'après de difficiles démarches, ce qui ne favorise pas une perception de l'Europe qui soit positive pour nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Jochum a rappelé que l'Europe exécutait les dépenses dès lors que les travaux étaient réalisés. Sa seule marge de souplesse est une avance de 7 % des crédits pour soutenir les maîtres d'ouvrage les plus fragiles.

M. Alain Larangé a précisé que les nouvelles dispositions prises par le Gouvernement, notamment les fonds de concours locaux, devraient permettre de déléguer les crédits européens aux régions dans la semaine qui suit leur réception par l'Etat.

M. Philippe Folliot, rapporteur, a demandé si l'exécution des fonds structurels en outre-mer présentait des spécificités par rapport à la métropole. Il a ensuite fait part des perspectives d'une diminution du montant des crédits alloués à la France après l'élargissement de l'Union européenne. Or, les collectivités locales les plus aptes à bénéficier des fonds sont celles qui disposent de moyens d'expertises pour définir et mettre en œuvre des projets. La France risque donc de moins bénéficier des aides communautaires et les régions les plus pauvres en seront d'autant plus victimes qu'elles ne sont guère en position d'instruire les dossiers.

M. Jean-Pierre Jochum a marqué son accord avec M. Folliot. Les régions les plus riches sont effectivement celles qui sont en mesure de mieux consommer les crédits communautaires. Ainsi, les départements d'outre-mer sont sensés bénéficier de dotations abondantes, mais les communes sont souvent incapables de mettre en œuvre des projets en l'absence d'expertise, voire d'entreprise capables de conduire des travaux.

Après 2006, les fonds structurels concerneront surtout pour la France les départements d'outre-mer. Il faudra être capable de définir des projets, alors que de nombreuses communes des Antilles et de La Réunion ne peuvent les mettre en place sans préfinancement.

M. Alain Larangé a jugé que l'exécution des fonds structurels dépendrait surtout, à l'avenir, d'une répartition claire des compétences entre l'Etat et les différentes collectivités territoriales.

M. Emile Blessig, Président, a remercié MM. Jochum et Larangé d'avoir participé à cette audition.


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