DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 13

Mercredi 12 février 2003
(Séance de 9 heures 45)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Nicolas Jacquet, délégué de la DATAR

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M. Emile Blessig, président, a souligné que la présente audition constituait la suite logique des relations entre les deux Délégations chargées de l'aménagement du territoire au Parlement et la DATAR. Au mois de décembre dernier, la DATAR avait exposé aux députés et sénateurs les résultats du Comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT), en insistant sur la nécessité d'un volet communautaire. Or, l'évolution de la politique régionale européenne intéresse à double tire la Délégation : d'une part, l'élargissement de l'Union européenne induit une modification de la dotation structurelle accordée à la France, d'autre part, l'Union européenne réfléchit à une réforme de sa politique régionale.

M. Nicolas Jacquet, délégué de la DATAR, a proposé d'intervenir sur trois thèmes : l'apport des fonds européens, la perspective d'une politique régionale sans ces fonds, enfin la mise en place d'une nouvelle politique d'aménagement du territoire à l'échelon communautaire. Sur ce dernier point, la DATAR mène des études depuis 2001 avec l'ensemble du Gouvernement et des responsables économiques et sociaux et, à l'issue du CIAT du 13 décembre dernier, M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, a transmis la position de la France à M. Michel Barnier, Commissaire européen.

Abordant la question de l'apport des fonds européens, M. Nicolas Jacquet a jugé que leur bilan était globalement positif même s'il était perfectible. Les fonds structurels ont permis une convergence des PIB nationaux. Mais il est certain que l'élargissement aura pour conséquence de modifier l'enveloppe budgétaire accordée à chaque Etat. La DATAR, s'agissant des régions d'objectif 1, souligne leurs effets sur le développement des investissements mais constate que 24 % des aides dédiées à l'objectif 1 sont en fait redistribués aux pays les plus riches, grâce aux missions d'expertise et aux activités d'import-export. S'agissant de l'objectif 2, la contribution des fonds structurels est en valeur absolue trop faible pour avoir un effet sur le maintien ou le développement de l'emploi. Mais ces fonds ont permis un effet de levier, qui a maintenu un nombre considérable d'activités dans ces zones.

La DATAR a également réfléchi à la notion de zonage, qui est en France envisagé de manière assez large puisqu'il couvre 37 % de la population française en métropole et l'intégralité des personnes dans les départements d'outre-mer. Le zonage est difficile à mettre en oeuvre et débouche même, parfois, sur des situations irréelles lorsqu'il faut déterminer les critères d'éligibilité des quartiers. Il est certain qu'une politique de zonage aurait été plus efficiente sur des zones géographiques plus ciblées. S'agissant de l'objectif 3, le ministère de l'emploi s'est contenté d'encaisser les aides structurelles selon la logique d'une politique nationale et non une logique d'aménagement du territoire.

M. Nicolas Jacquet a ensuite considéré que les aides communautaires avaient contraint notre pays à mettre en place une méthodologie administrative qui lui faisait défaut. Les fonds structurels obligent en effet à réfléchir à une stratégie, à établir des documents de programmation et à procéder à des évaluations. Une telle méthodologie est depuis mise en oeuvre dans diverses actions administratives, comme la constitution des pays. Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que la méthodologie européenne de gestion des fonds interdit de les consommer intégralement sur une période budgétaire donnée et qu'elle encourage les crédits affectés à de petits projets. Les grands projets exigent en effet la coordination de multiples intervenants, ce qui nuit à une programmation et à une consommation rapides des crédits.

M. Nicolas Jacquet a ensuite envisagé l'impact d'une suppression des fonds structurels pour notre pays. Il sera impossible de maintenir en métropole une dotation identique à celle des perspectives pluriannuelles antérieures à 2006. Il est même certain que la France contribuera budgétairement à un niveau plus élevé au développement des pays d'Europe centrale. La France souhaite maintenir l'enveloppe budgétaire consacrée aux régions d'objectif 1 et appuie le développement d'une politique régionale européenne, qui constitue le ferment d'une cohésion entre les Etats de l'Union. La politique régionale préconisée par la France consiste à dégager des thématiques communes, porteuses de solidarité entre les Etats au nom de leurs intérêts communs. C'est ainsi que plusieurs Etats pourraient coopérer sur le développement de l'arc alpin, sur l'aménagement du littoral atlantique ou sur les régions faiblement peuplées.

M. Philippe Folliot, rapporteur, a jugé qu'on ne pouvait revenir sur le passé et que l'avenir posait à la France un véritable défi : maintenir une politique régionale européenne et en définir les contours. La suppression éventuelle du zonage constitue une véritable inquiétude car elle risque à terme de concentrer les crédits communautaires sur des projets à caractère urbain. Les thématiques dégagées par M. Nicolas Jacquet sont importantes car elles tiennent compte des zones de revitalisation rurale.

M. Jacques Le Nay s'est associé aux propos de M. Philippe Folliot et a relevé la contradiction consistant à supprimer les zonages dans l'espace rural alors que l'on multiplie les zones franches urbaines.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a admis que les fonds structurels avaient un effet de levier mais que les disparités entre régions et à l'intérieur des régions demeuraient fortes. La suppression du zonage ne peut qu'aggraver de telles disparités et il ne faut certes pas compter sur le développement des nouvelles technologies pour combler le manque d'investissements en matière de transports.

M. Emile Blessig, président, a estimé que le débat posait également un problème de méthodologie. L'Union européenne fonde l'octroi des fonds structurels sur un critère de PIB par habitant. Il faut sans doute s'interroger sur d'autres critères. Par ailleurs, M. Jean Bassères, directeur de la comptabilité publique, rappelait dans une précédente audition que les nouveaux Etats de l'Union européenne géreraient les fonds structurels de manière substantiellement différente des autres pays européens et qu'il faudrait veiller à l'exactitude des contrôles pour éviter des dérives financières.

M. Philippe Folliot, rapporteur, à l'appui des propos de Mme Pérol-Dumont, a fait état des disparités au sein de la région Midi-Pyrénées.

M. Nicolas Jacquet a admis le risque d'une disparition de la politique régionale européenne. Certains Etats, comme l'Allemagne fédérale, développent la thèse que l'aménagement du territoire est d'essence nationale et ne concerne pas l'Europe. La France a un intérêt direct à développer une thèse opposée. Le zonage disparaîtra sans doute après 2006 mais cette disparition peut ne pas affecter l'octroi de fonds communautaires dès lors que ces derniers seraient concentrés sur des thèmes précis.

M. Nicolas Jacquet a ensuite souligné que la politique d'aménagement du territoire devait se poursuivre au travers des leviers traditionnels, notamment les investissements en matière de transports. Mais il ne faut pas manquer le développement des nouvelles technologies de l'information. Plusieurs villes européennes (Barcelone, Londres, Milan) se dotent de réseaux à très haut débit alors que la France marque un retard préoccupant. Par ailleurs, la politique d'aménagement du territoire, dans ses relations avec l'Union européenne, ne peut être efficace qu'à la condition que notre pays n'y rajoute pas la complexité de ses niveaux d'administration. La gestion des contreparties nationales aux fonds structurels s'avère effroyable en France, alors qu'un pays comme l'Italie a l'intelligence de proposer un seul interlocuteur - la région - aux autorités communautaires. La simplification des procédures constitue un enjeu majeur alors que l'Union européenne et notre pays les ont complexifiées.

Mme Henriette Martinez a rappelé qu'elle était élue des Hautes-Alpes et s'est déclarée en décalage total avec les propos entendus au cours de la présente audition. Alors que l'on parle de haut débit et d'infrastructure performante, les Hautes-Alpes sont dépourvues d'infrastructure ferroviaire moderne, d'aéroport ; elles n'ont pas accès à la téléphonie mobile et le nombre de chaînes de télévision reçues par les habitants dépasse rarement le chiffre de 3. Les élus sont dans l'incapacité de se faire entendre en raison d'une base fiscale très faible et ne peuvent apporter la moindre contrepartie locale à des projets d'infrastructure dont le département a pourtant besoin.

M. Philippe Folliot, rapporteur, s'est associé aux propos de Mme Martinez et a jugé que derrière le concept d'aménagement du territoire se dissimulaient des logiques différentes. Il semble que l'aménagement du territoire consiste à relier des pôles urbains, alors qu'il devrait s'agir de développer les territoires en tenant compte de leur diversité.

M. Nicolas Jacquet a admis que la politique d'aménagement du territoire était de plus en plus axée sur la compétitivité des pôles urbains. A défaut, la France risquerait de subir un vaste mouvement de délocalisation de ses entreprises. Mais la politique d'aménagement du territoire doit aussi s'intéresser aux espaces ruraux fragiles. Tel a été le sens du CIAT du mois de décembre dernier, qui a préconisé un développement plus rapide du programme européen Leader.

Mme Henriette Martinez s'est opposée à cette vision optimiste. Le programme Leader consiste essentiellement en des crédits de fonctionnement et d'étude. Or, les habitants des Hautes-Alpes en ont assez d'être étudiés... Ils ont avant tout besoin d'investissements qui permettent leur désenclavement.

M. Emile Blessig, président, a remercié M. Jacquet d'être venu devant la Délégation de l'Assemblée et a jugé que son audition préparait utilement le déplacement de la Délégation à Bruxelles le 27 février prochain. Sans doute faudrait-il également que les députés français se rapprochent de leurs homologues européens pour savoir si l'aménagement du territoire est un thème partagé par nos partenaires.


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