DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 16

Mercredi 14 mai 2003
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Serge Poignant,vice-président

SOMMAIRE

 

pages

- Audition de M. Jacques Pélissard, premier Vice-Président de l'Association des maires de France, sur la gestion des déchets ménagers et de l'eau

2

   

M. Serge Poignant, président, a remercié M. Jacques Pélissard d'avoir accepté de donner la position de l'Association des maires de France (AMF) sur la gestion des déchets ménagers et de l'eau. Il a rappelé que la Délégation voyait dans ces sujets de véritables questions d'aménagement du territoire. Abordant la question des déchets, il a souhaité connaître la position de l'AMF sur les points suivants :

- Quel bilan peut-on tirer de la loi de 1992 ?

- Faut-il modifier la fiscalité qui s'applique à l'enlèvement et au traitement des ordures ménagères ?

- A l'horizon de 2008, notre pays fera face à un problème de capacité physique de traitement des ordures. Comment le résoudre ? Quel échelon apparaît le plus pertinent ? Les communes, sous l'égide de l'intercommunalité, ou le département ?

- Le traitement des déchets contient-il en germes un conflit potentiel entre les villes et les campagnes, les premières produisant des déchets qui seraient ensuite traités dans l'espace rural ?

M. Jacques Pélissard, premier Vice-Président de l'Association des maires de France a considéré que les objectifs de la loi de 1992 étaient globalement atteints. Il existe en effet un modèle français de gestion des déchets ménagers qui accorde une grande part au recyclage et au respect de l'environnement. En 1990 un Français sur mille triait ses ordures ménagères. En 2003, cinq Français sur six procèdent à un tel triage. La plupart des incinérateurs sont aux normes. On observe par ailleurs des performances extrêmement intéressantes pour le recyclage du verre et des métaux ferreux, même si en 2005 les installations de retraitement du verre seront saturées. Au-delà des chiffres qui concernent les différents catégories de déchets, la loi de 1992 a induit plus de rigueur dans la gestion du tri et a conduit les services de l'Etat, les collectivités locales, les industriels et les associations à gérer le traitement des déchets de manière partenariale. De nombreux problèmes demeurent néanmoins en suspens comme le recyclage des courriers non adressés, des véhicules hors d'usage ou des ordinateurs domestiques.

M. Serge Poignant, président, a demandé si des progrès avaient été constatés dans le domaine des plastiques mélangés.

M. Jacques Pélissard a répondu par la négative. Les entreprises qui étaient en mesure techniquement de traiter de tels plastiques ont déposé leur bilan.

MM. Jean Launay et Philippe Folliot ont demandé si d'une part l'AMF souhaitait le maintien du statu quo pour la gestion des déchets dans le cadre départemental ou si elle approuvait des coopérations entre communes de différents départements ; si d'autre part, l'AMF envisageait d'approfondir la recherche et le développement de modes de traitement alternatifs à l'incinération et si l'ensemble des départements étaient dotés d'un plan d'élimination des déchets.

M. Jacques Pélissard a rappelé que la loi de 1995 avait ouvert aux départements la possibilité d'établir des schémas d'élimination des déchets ménagers. Sept départements ont accepté cette charge. Les rédacteurs du projet de loi de décentralisation, en cours de préparation, s'interrogent sur la compétence en matière de déchets. Les départements sont prêts à accepter cette compétence. La position de l'AMF à cet égard est simple. Il faut que la gestion des déchets soit assurée selon un schéma départemental et mis en oeuvre soit par un syndicat départemental, soit par un ou plusieurs syndicats de communes, dès lors qu'ils desservent des bassins de population significatifs. Mais il faut laisser la compétence opérationnelle aux communes pour la collecte des déchets. L'AMF insiste sur une approche par bassins de population même si une telle approche dépasse les limites du département. Il faudrait en conséquence permettre aux syndicats intercommunaux de contracter.

S'agissant de nouveaux traitements, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), teste la technique de la thermolyse. Même s'il s'agit d'une perspective intéressante, les industriels maîtrisent bien l'incinération dès lors que l'unité traite un minimum de six tonnes par heure. L'AMF estime que les traitements sont de meilleure qualité dès lors qu'ils desservent des bassins de population importants. Une décharge de classe  2 est ainsi optimisée lorsqu'elle concerne un minimum de 25 000 habitants.

M. Serge Poignant, président, a estimé que la thermolyse constituait une solution permettant d'éviter l'incinération quand le bassin de population est faible. Il a ensuite, au nom de M. Emile Blessig, président de la Délégation, demandé si les élus locaux disposaient de tous les moyens pour contrôler les centres techniques d'enfouissement et les usines d'incinération.

M. Jacques Pélissard a rappelé que les communes géraient les déchets soit en régie directe, soit par délégation de service public. Dans ce dernier cas, il est évident qu'elles n'ont pas encore assimilé la culture du contrôle financier et technique. En conséquence, elles ne doivent pas hésiter à recourir à des services extérieurs spécialisés. Abordant la question de la fiscalité, M. Pélissard a jugé qu'elle était inadaptée, tant en ce qui concernait les outils que les périmètres de collectes. Les communes ont le choix entre la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ou entre la redevance, cette dernière étant difficile à recouvrer. L'AMF souhaite l'intervention des services du Trésor pour le recouvrement de la redevance, avec paiement par douzième, quitte à ce que les communes contribuent au financement de ce service.

4 à 5 millions d'habitants seulement, vivant dans des petites communes, sont assujettis à la redevance. Dès que les communes ont une taille importante, elles choisissent la TEOM. Le nom de cette dernière est par ailleurs inadapté. Elle ne constitue pas une taxe d'enlèvement. Elle est un impôt à caractère politique et redistributif. Il faudrait réformer cette taxe en la divisant en une part fixe, fondée sur le foncier bâti, et une part variable fondée sur le nombre d'habitants afin d'éviter un assujettissement trop lourd des personnes isolées.

Les articles 84 et 85 de la "loi Chevènement" de juillet 1999 ont prévu qu'un syndicat ne pouvait lever la TEOM ou la redevance que s'il assurait la collecte. Les communes sont dépossédées en conséquence du pouvoir de lever l'impôt, ce qui engendre des distorsions de tarification par habitant, compte tenu des bases de calcul. L'AMF a souhaité reporter de trois ans environ l'application de cette loi afin de poursuivre une réflexion sur les outils et les périmètres qui laisse aux communes plus de liberté dans la fixation de cet impôt.

M. Jean Launay a demandé si l'AMF envisageait favorablement un prix unique de collecte et de traitement des déchets ménagers. C'est une question de solidarité territoriale.

M. Jacques Pélissard a indiqué que son département - le Jura - avait établi un prix unique du traitement en intégrant le coût du transport. Pour la collecte, le prix dépend du service rendu et il est établi par chaque syndicat, tout en préservant la solidarité entre les villes et les campagnes.

M. Serge Poignant, président, a relevé que seuls les départements fédérant leurs centres de traitement pouvaient parvenir à cette solidarité.

M. Jacques Pélissard a admis qu'il fallait effectivement fédérer l'ensemble des réseaux de collectes et de traitement pour arriver à un tel résultat.

M. Serge Poignant, président, s'est inquiété du sort des boues d'épuration.

M. Jacques Pélissard a considéré qu'il fallait mettre chaque entité face à ses responsabilités. Les centres de traitement ne peuvent être efficaces, notamment pour le chauffage urbain, que s'ils sont à moins de 1,2 km des lieux de consommation de la chaleur. Il faut donc que la ville centre assure la collecte des communes périphériques. En contrepartie les communes de campagne doivent être prêtes à accueillir les boues d'épuration.

Mme Claude Darciaux s'est interrogée sur les expériences de tarification au moyen de puces électroniques.

M. Jacques Pélissard a rappelé que deux expériences avaient été conduites en Alsace et en Loire-Atlantique.

M. Serge Poignant, président, a précisé qu'elles avaient provoqué de fortes réactions d'hostilité chez les commerçants, directement victimes d'une tarification au tonnage réel des déchets produits.

M. Jacques Pélissard a ajouté que l'AMF avait une position très réservée en la matière dans la mesure où il s'agissait d'une pratique contraire à la solidarité entre riverains et qu'elle comportait un risque de renaissance de décharge et d'incinération sauvages. Or un kilo de déchets brûlés de manière anarchique est équivalent en termes de pollution à une tonne traitée par un incinérateur. Il ne faut pas encourager de telles pratiques car l'enlèvement des ordures ménagères n'est pas seulement un service rendu aux habitants. Il s'agit aussi d'une question de santé et de salubrité publiques.

M. Serge Poignant, président, a ensuite abordé la question de l'eau. Il a demandé si l'AMF jugeait que le prix de l'eau dépendait du mode de gestion retenu par les communes. Il a interrogé M. Pélissard sur les réformes à apporter à l'actuelle organisation de gestion de l'eau. Il a enfin souhaité savoir si les communes étaient juridiquement armées pour lutter contre les pollutions d'origines agricoles ou liées au jardinage. Le rapport du Sénateur Miquel a montré en effet une nette dégradation de la qualité de l'eau en raison de telles pollutions.

M. Jacques Pélissard a rappelé que l'AMF laissait leur entière liberté aux communes quant au choix de leur mode de gestion. Il n'existe pas de statistiques exhaustives sur le prix de l'eau, mais il ne semble pas qu'il y ait distorsion de prix en fonction du mode de gestion. De telles comparaisons ne sont néanmoins pertinentes que si l'on prend en compte les investissements assurés par les communes ou les industriels et la qualité de l'eau qui en ressort. Quant à l'organisation de la gestion de l'eau, la France a choisi depuis 1964 la logique de bassins qui correspond peu ou prou à la récente directive européenne, axée sur une gestion par bassins hydrographiques. Les agences de bassin en France fonctionnent de manière satisfaisante. En revanche, l'AMF s'est opposée au projet de loi déposé par l'ancienne majorité dans la mesure où la fixation par le Parlement des taux de redevance de l'eau constituerait une recentralisation dommageable. Il est certes constaté un écart de un à quatre pour une telle redevance selon les agences de bassin, mais cela prouve simplement qu'il existe des disparités sur le territoire en matière de desserte et de lutte contre la pollution. Il faut laisser à chaque agence de bassin sa liberté afin qu'elle puisse assumer ses missions. Pour autant, il est nécessaire de rénover un système qui surévalue la part des habitants par rapport à celle des agriculteurs et des industriels. En effet, les calculs sont fondés sur des valeurs de pollution par habitant qui n'ont pas été revus depuis 30 ans. L'AMF souhaite scinder la redevance de lutte contre la pollution en deux parties : l'une qui obéirait au principe de pollueur payeur, l'autre qui induirait une solidarité des communes et des territoires.

M. Jean Launay a souhaité connaître les statistiques relatives à la couverture des populations selon le mode de gestion.

M. Jacques Pélissard a indiqué que 20 % des communes avaient choisi la gestion en régie directe. Le reste est assuré par délégation de service public à raison de 33 % par Veolia, 25 % par Suez et 22 % par Saur.

Mme Claude Darciaux a estimé que le choix d'un mode de gestion n'avait pas de conséquence notable sur le prix de l'eau.

M. Jacques Pélissard, abordant la question des pollutions d'origine agricole, a indiqué qu'un grand nombre de communes choisissait la voie contractuelle avec les exploitants afin de favoriser l'agriculture raisonnée. Ainsi de nombreuses conventions ont été signées qui interdisent de répandre le lisier près des sources de captage. Les analyses mensuelles des chambres d'agriculture montrent une diminution des pics des nitrates ainsi qu'une baisse moins marquée des rejets de pesticides. Mais le problème des bassins versants qui récoltent les eaux in fine n'est pas résolu. La contractualisation est une forme souple même si elle induit un coût budgétaire pour les communes, obligées de compenser la diminution de productivité des agriculteurs.

M. Jean Launay s'est inquiété de la diminution de la ressource en eau de certaines régions.

M. Jacques Pélissard a admis que les périodes de sécheresse conduisaient à des déficits en eau sur certains territoires. Toutefois, lorsqu'une commune ne peut fournir de l'eau à ses habitants, elle a toujours la possibilité de se raccorder au réseau d'une autre commune. De ce fait, l'ensemble des communes a toujours respecté l'obligation de fournir de l'eau de manière continue.

M. Serge Poignant, président, a remercié M. Jacques Pélissard d'avoir participé à cette audition.


© Assemblée nationale