DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 3

Mercredi 10 décembre 2003
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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Rapport d'information sur la désindustrialisation du territoire (M. Max Roustan, Rapporteur) :

- Audition de M. Denis Gautier-Sauvagnac, Vice-président et Délégué général de l'Union des industries et métiers de la métallurgie

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M. Emile Blessig, président, a rappelé que de grands noms de l'industrie avaient fermé leurs unités en France depuis plusieurs mois, posant à terme un problème d'aménagement du territoire. L'analyse de l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) revêt une grande importance, compte tenu du poids de cette fédération au sein du secteur industriel.

M. Denis Gautier-Sauvagnac, Vice-président et Délégué général de l'Union des industries et métiers de la métallurgie, a indiqué que la métallurgie rassemblait 48 000 entreprises employant 2 millions de salariés et assurait 362 milliards d'euros de chiffre d'affaires et 63 % des exportations de l'industrie manufacturière. Elle est présente dans des industries aussi diverses que l'équipement du foyer, la construction navale, aéronautique, spatiale et ferroviaire, les industries de biens d'équipements, l'automobile ou les composants électriques et électroniques.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a indiqué que le sujet de la désindustrialisation était difficile à cerner et à quantifier. S'il est indéniable que la métallurgie a perdu environ 60 000 emplois ces dernières années, la cause n'en revient pas aux délocalisations. Tant que notre économie était en phase de croissance, les entreprises françaises ont poursuivi un processus de création d'emploi. Ce n'est qu'avec la récession de 2003 que l'on constate une destruction nette d'emplois. Il faut donc tordre le cou à l'idée que les effectifs des salariés constituent la seule variable d'ajustement face à la globalisation économique. La conjoncture demeure le premier facteur de création ou de destruction des effectifs salariés.

La quantification des effets de la désindustrialisation sur l'emploi est d'autant plus difficile que les industriels et les analystes sont confrontés à des problèmes de chiffres et de méthodes. Il convient, en règle générale, de se méfier des chiffres dès lors que l'on ne sait pas sur quelle méthodologie ils se fondent. Ainsi, les Cassandre ne cessent d'émettre des signes d'alerte quant à la diminution de la part de l'industrie dans le PIB. Il est vrai que l'industrie manufacturière a perdu un nombre considérable d'emplois en vingt ans. Mais c'est oublier que sa part dans la production de richesse nationale demeure alors que le prix des produits industriels en valeur relative ne cesse de diminuer depuis 250 ans. En contrepartie, le prix des services assurés par le secteur tertiaire ne cesse d'augmenter. Il importe également de relativiser ce que nous considérons habituellement comme de bons indicateurs. Notre pays, via les statistiques de la Banque de France, a pour habitude de se vanter d'être le second ou le troisième récipiendaire d'investissements étrangers. Il s'agit en réalité, dans 90 % des cas, de fusions et d'acquisitions par des sociétés étrangères, qui ne se traduisent pas par des créations de valeur. L'année 2003 sera sans doute qualifiée de positive sur un plan statistique, mais en fait, l'acquisition de Péchiney par ALCAN signifie à terme des pertes d'emploi et le transfert progressif à l'étranger de centres de décisions.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a ensuite précisé qu'il n'existait pas de statistiques fiables globales mesurant le phénomène de délocalisation et de désindustrialisation. Il est indéniable que de nombreuses entreprises adhérentes de l'UIMM investissent à l'étranger et conservent en France leur siège social et leurs bureaux d'études. Divers témoignages montrent toutefois la moindre attractivité de notre pays. Ainsi M. Mauduit, Président de Philips France, a indiqué que la direction de Philips à Eindhoven (Pays-Bas) avait rayé la France des pays dans lesquels un investissement industriel est envisageable. Il convient donc de dégager à côté de la désindustrialisation un autre concept : celui de la non localisation en France d'activités économiques.

Les esprits optimistes citeront, à l'inverse de ce raisonnement, l'implantation de Toyota dans le nord de la France. Il est vrai que cet investissement met en lumière les atouts de notre économie : main d'oeuvre qualifiée, niveau élevé du système éducatif, situation géographique au coeur de l'Europe, densité et qualité du réseau de transports. Mais l'UIMM relève que les investissements s'effectuent dans les zones de notre territoire les plus proches du coeur de l'Europe, dans le Nord ou dans l'Est. A contrario, la Normandie ou le sud-est de notre pays reçoivent moins d'investissements. Par ailleurs, les atouts dont dispose notre pays sont amoindris par la complexité de nos lois sociales, incompréhensibles par les sociétés étrangères.

La désindustrialisation se caractérise donc principalement par la non localisation d'investissements nouveaux. Ce phénomène concerne également les entreprises françaises qui marquent de plus en plus leur préférence pour des investissements à l'étranger. Les principaux pays bénéficiaires des investissements directs français à l'étranger sont les Etats-Unis, la Belgique et le Royaume-Uni, à raison, respectivement, de 140 milliards d'euros, 82 milliards d'euros et 70 milliards d'euros (valeur des investissements en stock). La zone euro représente 36 % des investissements français à l'étranger. Les délocalisations permettent aux entreprises françaises de maintenir leurs marges et de conquérir de nouveaux marchés. Il est intéressant de constater que l'opinion publique ne proteste plus contre ce type d'investissements. Chacun comprend qu'investir au plus près des clients permet de vendre les produits à meilleur prix. Le secteur industriel s'est considérablement renouvelé depuis sa création et il s'est toujours caractérisé par des innovations qui compensaient des destructions d'emplois et de processus industriels anciens. Le plus important est de conserver le progrès en matière de productivité, qui est le gage de la création d'emplois et de richesse.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a toutefois considéré que la situation actuelle était quelque peu différente du passé. Les phénomènes de délocalisation sont infiniment plus rapides qu'avant. Il en est donc de même pour la destruction d'emplois alors que la création d'autres emplois ne s'effectue pas au même rythme. La transition est donc difficile à gérer, notamment pour les pouvoirs publics. Il faut toutefois garder à l'esprit que nos investissements dans l'Est de l'Europe, ou plus récemment en Chine, permettent théoriquement d'améliorer nos flux d'exportations. L'écart entre la destruction et la création d'emplois industriels montre indéniablement que la France est confrontée à une diminution d'activité dans le secteur secondaire. Notre pays perd depuis cinq ans des parts de marché à l'export, sans doute en raison d'une réticence de la société à l'égard du travail industriel, mais aussi parce que les prélèvements publics sont plus élevés que dans certains autres pays d'Europe.

Abordant le thème de la réduction du temps de travail à 35 heures, M. Denis Gautier-Sauvagnac a considéré que notre pays avait commis une grave erreur en ayant adopté cette législation de manière isolée. Les charges des entreprises ont été accrues de 10 à 12 % et il convient de rappeler que la compensation desdites charges par l'Etat est assurée in fine par l'impôt. La législation des 35 heures n'a pas eu d'effet positif sur l'emploi. Les effectifs du secteur marchand ont augmenté au même rythme en France et dans les autres pays de l'Union européenne. Or, ces derniers n'ont pas modifié leur législation sur le plan du travail. Cet accroissement des coûts de production touche particulièrement l'industrie et accroît la tentation des chefs d'entreprise de délocaliser leur outil de production. Les charges d'exploitation qui pèsent sur l'industrie française ne sont pas compensées par l'effort, tant public que privé, de recherche et de développement.

La situation peut toutefois être redressée. La France s'est engagée sur la voie de la réforme du régime des retraites et de l'assurance chômage, et si le déclin industriel de notre pays est certain, il est relatif et n'est pas inéluctable.

M. Max Roustan, rapporteur, a remercié M. Denis Gautier-Sauvagnac pour la franchise de ses propos et a évoqué le cas des collectivités locales qui subissent le délitement de leur tissu industriel. Constatant la disparition des fonds structurels européens, il s'est interrogé sur la possibilité de mettre en place un système de compensations financières au profit des collectivités locales pour recomposer leur bassin d'emploi.

M. Philippe Folliot s'est inquiété de l'incompréhension qui peut exister entre la stratégie d'un groupe et sa perception, localement, par les employés de ce groupe. Il a cité le cas d'une filiale de Fiat, établie à Castres, où plane la menace de 180 licenciements alors que cette filiale est à la fois rentable et performante. Les élus ne peuvent trouver d'argument rationnel dans de tels cas, face à des salariés qui accomplissent un travail de qualité.

M. Emile Blessig, président, a considéré que la globalisation plaçait notre pays face à plusieurs défis. Il a demandé si l'UIMM avait des propositions sur la recherche appliquée et s'est interrogé sur le risque de transferts de services, notamment en Inde.

M. Denis Gautier-Sauvagnac a estimé que les responsables politiques avaient de fortes différences d'appréciation par rapport aux chefs d'entreprise, ces derniers étant soumis au juge de paix que constitue le compte de résultats. La fermeture d'entreprises est parfois inéluctable mais si elles disposent toujours d'un marché, le dynamisme d'entrepreneurs régionaux permet souvent de les reprendre. La réindustrialisation n'est pas un miracle mais résulte d'une stratégie et d'une volonté, comme en témoigne la reconstitution graduelle du tissu économique lorrain.

Il n'est pas logique de demander aux entreprises qui quittent un territoire de contribuer financièrement à l'implantation de nouvelles activités. Il faut prendre en compte les mutations de nos sociétés. Nous ne sommes plus au temps où l'on naissait, vivait et mourrait au même endroit. La mobilité géographique fait partie de la vie des salariés même si l'on constate la forte réticence des Français face à cette tendance. Toutefois, il n'est pas anormal de demander à de grands groupes internationaux, dont le siège est en France, de participer financièrement à la revitalisation d'un tissu industriel, surtout s'ils ont reçu des fonds publics lorsqu'ils se sont implantés.

La réindustrialisation de notre pays est possible dès lors que l'on accroît l'effort en matière de recherche et d'éducation. S'agissant de cette dernière, il ne faut pas occulter le fait que, malgré sa qualité, elle est déconnectée des réalités du monde du travail. Les mentalités évoluent toutefois, le phénomène du chômage ayant permis de comprendre l'intérêt de la formation par alternance. Il faut poursuivre dans cette voie, malgré l'opposition de certaines personnes travaillant au ministère de l'Education nationale. Ainsi, l'UIMM a créé, en partenariat avec les syndicats d'employés, les certificats de qualification paritaires de la métallurgie (CQPM). Il s'agit de formations courtes, qui permettent à leurs bénéficiaires d'obtenir rapidement un emploi. La professionnalisation de la formation est un atout pour les salariés.

S'il convient de s'inquiéter de la montée en puissance de l'Inde et de la Chine, il faut également rappeler que ces pays constituent de nouveaux marchés. Le véritable problème pour la France n'est pas dans la croissance de ces pays mais dans la difficulté que rencontre notre pays d'adapter rapidement la population active aux nouveaux enjeux économiques.


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