DÉLÉGATION
À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 4

Mercredi 17 décembre 2003
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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Rapport d'information sur la désindustrialisation du territoire (M. Max Roustan, Rapporteur) :

- Audition de M. Guillaume Sarkozy, Président de l'Union des industries textiles

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M. Emile Blessig, président, a indiqué que l'audition de M. Guillaume Sarkozy , président de l'Union des industries textiles (UIT), revêtait une grande importance dans la mesure où le secteur du textile est frappé par de nombreuses délocalisations industrielles. Il convient de préciser la nature de ce phénomène et sa dimension géographique.

M. Guillaume Sarkozy, président de l'Union des industries textiles, a estimé que le rapport dont se saisissait la Délégation à l'aménagement du territoire constituait une question d'actualité. De nombreux pans de notre industrie traversent des difficultés, particulièrement dans le secteur du textile. Il existe un risque majeur de désindustrialisation de notre pays, mais il existe aussi des solutions, dès lors que les chefs d'entreprise savent faire preuve de dynamisme et qu'ils peuvent évoluer dans un environnement où la concurrence s'exerce de manière loyale.

M. Guillaume Sarkozy a rappelé qu'il était avant tout le chef d'une PME rassemblant 120 employés dans le département de la Somme, et que c'était à la lumière de son expérience qu'il pouvait livrer ses analyses au nom de l'UIT. Le secteur textile français est actuellement confronté à quatre possibilités :

- ne pas évoluer, ce qui équivaut à disparaître ;

- tenter de conserver l'ensemble de la production sur le territoire national, ce qui est à terme dangereux ;

- délocaliser l'ensemble des productions dans des pays comme la Chine, ce qui transformerait les entreprises en simples négociants ;

- enfin miser sur le savoir-faire français dans un environnement qui permette à l'industrie textile de s'adapter.

M. Guillaume Sarkozy a souligné le lien existant entre les PME et les territoires sur lesquels elles sont implantées. Alors que les grandes entreprises ont les moyens financiers pour localiser leurs activités en n'importe quel point du globe, les PME ne disposent pas d'une assise financière leur permettant de quitter un territoire pour produire en un autre lieu dans des conditions plus avantageuses. Au demeurant, le lien avec le territoire ne se résume pas à un aspect financier. Il s'agit de relations humaines qui se sont tissées avec le temps, et qui débouchent sur un savoir-faire et une culture d'entreprise. Pour faire face à la mondialisation, l'industrie française doit s'appuyer sur ses atouts, notamment la création qui renforce le lien culturel avec ses clients. Il faut également investir dans les facteurs de productivité (formation professionnelle, matériel...) afin d'accroître la valeur ajoutée. Depuis 1985, le prix de vente des tissus au mètre n'a pas changé et s'établit aux environs de 15 euros, grâce à des gains de productivité. Mais la hausse des coûts a été très sensible et met en jeu la rentabilité des entreprises.

L'UIT conduit des actions tendant à améliorer la connaissance de leur environnement par les chefs d'entreprise. Ces actions sont primordiales dans un monde économique qui évolue très vite. Le textile français ne sera pas sauvé par des mesures artificielles ou impossibles à prendre, comme la baisse du coût du travail ou l'arrêt des importations. Il doit au contraire s'adapter à un environnement en constante évolution et travailler sur la qualité et les études de marché.

M. Guillaume Sarkozy a rappelé que le secteur textile opérait dans un contexte institutionnel qui ne le favorisait pas. Les règles établies par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sont inéquitables pour les PME françaises. Alors que les tissus indiens ne supportent que 7 % de droits de douane à l'entrée du marché français, les tissus de notre pays subissent une taxation de 85 % en cas d'exportation vers l'Inde. En second lieu, certains pays, comme la Chine, ne respectent pas le droit de la propriété intellectuelle alors que ce dernier est au cœur de la compétitivité des sociétés occidentales. Enfin, il est étrange de constater la relative inaction de la Commission européenne alors que certains Etats tiers s'adonnent manifestement au dumping.

Il faut achever dans l'avenir la constitution d'une zone économique commune à une Europe à 25 Etats et aux Etats du Maghreb. L'avenir du textile français est en effet lié aux pays du Sud de la Méditerranée. L'ensemble des produits de milieux de gamme peut être conçu sur notre territoire tout en étant produit au Maghreb. La différence des coûts de production avec l'Asie n'est pas très importante, mais la délocalisation dans une région francophone revêt de nombreux avantages. Ainsi, une entreprise française peut envoyer un contremaître parlant le français et les coûts de logistique sont relativement faibles.

Il est indispensable de créer un observatoire européen de la Chine. Ce pays pose un problème de par sa dimension et son poids démographique. Il est désormais difficile de ne pas recourir aux entreprises chinoises mais il convient de faire en sorte que les Chinois respectent les règles internationales. A partir du 1er janvier 2005, le textile, conformément aux accords au sein de l'OMC, constituera un secteur entièrement libéralisé. L'UIT a calculé que les importations risquaient de s'accroître de 152 % alors que les prix diminueraient de 45 %, ce qui rendra la situation délicate pour nos entreprises. Sans doute faudrait-il également créer un label de qualité au niveau européen. Ce label refléterait la valeur d'un produit et le savoir-faire qui a conduit à son élaboration. Si les industriels chinois voulaient se porter sur un créneau analogue, ils seraient à leur tour contraints de monter en gamme et d'augmenter leurs coûts de production.

M. Guillaume Sarkozy a également souhaité que la Communauté européenne mette en place un organisme de cautionnement qui pourrait aider les entreprises et les secteurs contraints à de profondes évolutions. Les entreprises sont en effet en mal de trouver des financements dans une Europe qui se caractérise par la sectorisation bancaire. En outre, la parité entre l'Euro et le Dollar devient un très sérieux handicap. La parité actuelle de l'Euro ne peut en aucun cas favoriser la croissance économique. Elle ajoute aux difficultés des industriels européens car le Yuan est indexé sur le dollar. De ce fait les exportations européennes sont bloquées alors que les flux d'importation s'accroissent dans la zone Euro, provoquant l'effondrement de nombreux marchés pour nos industries.

M. Emile Blessig, président, s'est interrogé sur la parité idéale de l'Euro par rapport au Dollar.

M. Guillaume Sarkozy a considéré que l'ampleur de la dette extérieure américaine était telle que la confiance dans le Dollar s'érodait. L'Euro est solide, mais sa parité résulte paradoxalement du fait qu'il n'existe pas de gouvernement européen pilotant l'économie. L'Union européenne, par le biais de sa banque centrale, s'en tient à une politique monétaire dogmatique qui ne prend en compte que l'inflation, et non la compétitivité de l'économie. Or, si nos marchés s'effondrent, nous perdons de facto notre compétitivité. Nos gouvernements commettent actuellement la même erreur que celle qui consistait en une politique du Franc fort qui a conduit à des centaines de milliers de chômeurs supplémentaires et à la délocalisation de l'industrie textile française vers l'Italie. La politique de l'Euro fort ne se fonde sur aucun élément rationnel. Elle met en difficulté les entreprises sans que l'on comprenne sa finalité.

La taxe professionnelle constitue par ailleurs un sérieux obstacle à la compétitivité de notre industrie. Cette dernière contribue à hauteur de 20 % du PIB et assure 50 % de la taxe professionnelle. Il est aberrant d'avoir institué un impôt assis sur l'investissement. La France est en effet un pays où les salaires sont plus élevés qu'ailleurs, et qui en outre, a mis en place des lois sociales qui pèsent sur sa compétitivité. Elle ne peut assurer son avenir que par des innovations constantes et des investissements. Or, la taxe professionnelle renchérit en moyenne de 50 % le prix de l'investissement en capital. L'UIT ne conteste pas le fait que le lien entre une entreprise et son territoire est assuré par l'impôt mais la taxe professionnelle doit être réformée.

M. Max Roustan, rapporteur, a demandé quel type d'assiette pouvait être substitué à l'investissement : faut-il imposer le bénéfice ou le chiffre d'affaire ?

M. Guillaume Sarkozy a estimé que la taxation du chiffre d'affaire n'avait pas de sens. Le profit constitue par ailleurs une assiette trop fluctuante pour pérenniser les ressources des petites collectivités locales. L'assiette la plus pertinente semble être la valeur ajoutée produite par l'entreprise.

M. Serge Poignant a rappelé que des pans entiers de notre industrie avaient de plus en plus de difficultés à dégager de la valeur ajoutée. Il est évident que certains secteurs comme le cuir et la maroquinerie auront du mal à soutenir la concurrence de pays tiers dans un contexte de commerce mondial entièrement libéralisé. La fermeture d'usines sur certains territoires pose un véritable problème de reclassement des travailleurs.

M. Philippe Folliot a rappelé que 300 000 emplois étaient directement liés à la survie du secteur textile, dont 3000 dans sa circonscription. Derrière ces chiffres se cachent des réalités humaines. La moyenne d'âge des travailleurs est relativement élevée et leur capacité d'adaptation est réduite. L'impact d'une fermeture d'usine est beaucoup plus dramatique en zone rurale qu'en zone urbaine, dans la mesure où les possibilités de reclassement sont moindres. Or, les actions sociales d'accompagnement sont d'un coût plus élevé que l'aide permettant à des secteurs de soutenir la concurrence internationale. Si l'on prend la ville de Castres en exemple, l'entreprise textile, située en zone de revitalisation rurale, exporte 80 % de sa production au Japon. Sa disparition serait une catastrophe sociale et constituerait également la perte d'un savoir-faire.

M. Emile Blessig, président, a rappelé que les territoires réagissaient différemment face à la désindustrialisation. L'Alsace est sensée être une région prospère mais son industrie textile est en difficulté. La région a donc établi une filière de collaboration entre les industriels et les universités. Toutefois, les évolutions économiques sont si rapides que les politiques locales peuvent être vouées à l'échec.

M. Guillaume Sarkozy a considéré que l'industrie textile française conservait un avenir à la condition de rétablir la confiance des chefs d'entreprise. Or, cette confiance ne peut se réduire à des déclarations d'intention. Il est étonnant ainsi que l'ensemble du monde politique qualifie la taxe professionnelle de stupide pour ensuite déclarer qu'il est impossible de la modifier. Cette attitude s'apparente à l'acceptation de la fatalité et n'a pas lieu d'être dans un environnement où la concurrence s'exacerbe. Récemment les syndicats d'entrepreneurs et les syndicats de salariés ont conduit une action conjointe auprès de la Commission européenne, en collaboration avec leurs homologues allemands et italiens. La lettre commune du Président Jacques Chirac et du Chancelier Gerhardt Schröder a été déterminante dans le changement d'attitude de la Commission européenne à l'égard de l'industrie. Les chefs d'entreprise ont le devoir de s'adapter mais il est nécessaire que les responsables politiques leur permettent de travailler dans un environnement favorable à leur activité.


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