DÉLÉGATION

À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT

DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 5

Mercredi 14 janvier 2004
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Serge Poignant, vice- président

SOMMAIRE

 

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Rapport d'information sur la désindustrialisation du territoire (M. Max Roustan, Rapporteur) :

- Audition de M. Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire de la Confédération générale du travail, chargé des questions économiques, et de Mme Nicole Rondeau, conseillère de la Confédération générale du travail, chargée de l'aménagement du territoire...........................................................

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M. Jean-Christophe Le Duigou a estimé que le thème du rapport de la Délégation était important. La France est peut-être à la veille d'une nouvelle étape de désindustrialisation de grande ampleur, ce qui serait catastrophique. Notre pays, comme l'ensemble des pays de l'Union européenne, est face à un choix de développement consistant à opter entre une société de services ou une société dans laquelle l'industrie conserverait sa place.

La désindustrialisation n'est cependant pas un fait avéré. Un diagnostic en la matière ne peut être que circonstancié, selon la manière dont on interprète les statistiques. On ne peut admettre qu'il y ait une désindustrialisation profonde dès lors que la part de l'industrie dans le PIB se maintient à 20 % depuis vingt ans. 40 % de la richesse nationale continue à dépendre directement ou indirectement de l'industrie. La France est donc dans une situation très différente de l'Angleterre qui a connu dans les années 80 une forte vague de désindustrialisation.

Le nombre d'emplois dans l'industrie a indéniablement diminué, dans une proportion d'un tiers, ce qui justifie les inquiétudes des élus de nos régions. Il est également indéniable que des secteurs entiers disparaissent de nos territoires, comme les entreprises du secteur textile, à l'exception de quelques niches dans les produits hauts de gamme. Ces disparitions s'expliquent autant par des évolutions technologiques que par les coûts de main-d'œuvre. Aucune situation n'est toutefois irrémédiable. La plupart des analystes prévoyaient dans les années 80 qu'un seul constructeur automobile survivrait en France. Or, notre pays dispose toujours de deux constructeurs qui se défendent bien sur les marchés mondiaux. Si nos industries traversent une crise, il faudrait plutôt imputer cette dernière à un cadre macroéconomique qui les ont pénalisées.

Le choix de la monnaie unique constitue un premier facteur. L'OCDE estime que notre pays a perdu 1 % de croissance chaque année pour avoir opéré ce choix. Les industries qui avaient des débouchés sur les marchés mondiaux ont pu faire face à leurs surcoûts mais celles qui dépendaient des marchés français et européens ont été durement touchées.

Le second facteur de pénalisation de notre industrie est dû à une priorité délibérée en faveur de la productivité du travail. La compétitivité de notre économie est un atout mais il n'est pas juste de la faire porter uniquement sur le coût du travail. Cette position ne relève pas de la seule CGT. M. Gandois avait émis des réserves similaires devant le Commissariat général au Plan. Dès lors que la compétitivité porte sur le seul coût de la main-d'œuvre, d'autres secteurs économiques se dispensent de faire les innovations nécessaires pour évoluer. Notre système bancaire, extrêmement rigide, devrait, par exemple, faire des efforts de modernisation quant au financement des contrats.

Troisième facteur, des interventions publiques mal maîtrisées : certaines entreprises publiques françaises comme Renault ou France Télécom, se sont comportées durement avec leurs sous-traitants ou n'ont pas favorisé la production industrielle française et européenne. L'incapacité européenne à élaborer un projet cohérent de télécommunications a coûté cher aux finances publiques et a induit des pertes d'emplois, de l'ordre de 25 % dans le Trégor, pour citer un exemple sur le territoire. On notera également l'appui des politiques publiques au développement des services alors que ces derniers ne peuvent prospérer sans une base industrielle solide. Une étude très intéressante de la Caisse des Dépôts montre que l'augmentation des prix des services a conduit à une baisse des prix industriels qui a altéré la rentabilité de nos industries. Enfin, le maintien des aides aux emplois non qualifiés a eu un effet pervers. Il a servi à embaucher des salariés qualifiés pour des tâches en-dessous de leur niveau de qualification. Cela a conforté notre industrie dans des secteurs qui étaient déjà fortement concurrencés par les pays du tiers-monde, au lieu de former les salariés et d'investir dans des matériels performants qui auraient permis à nos industries de monter en gamme. La comparaison entre l'industrie textile française et allemande est à ce titre éclairante. Tandis que les usines françaises ferment les unes après les autres, notre pays ne cesse d'importer des produits textiles d'Allemagne alors que le coût du travail est supérieur Outre-Rhin.

La CGT est par ailleurs inquiète pour l'avenir, malgré le maintien de nos capacités industrielles. Au risque de surprendre, la délocalisation n'est pas le principal motif d'inquiétude. L'évolution de la démographie est beaucoup plus alarmante. La pyramide des âges dans l'industrie est marquée par un fort vieillissement des effectifs. De ce fait, les industriels opèrent des rationalisations, des gains de productivité. Les départs à la retraite ne se traduisent donc pas par des embauches. La reprise économique pourrait ne pas engendrer la reprise de l'emploi. En second lieu, le maintien de l'euro fort pénalise notre économie. La CGT s'insurge des propos de M. Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque centrale européenne. Des entreprises comme Alcatel ou la SNECMA ne peuvent produire en Europe, dès lors que leurs coûts de production sont en euros et que leurs recettes sont en dollars. Un écart de 30 % entre l'euro et le dollar est un phénomène structurel qui ne peut conduire qu'à des délocalisations d'activités.

Le débat sur l'industrie est fondamentalement d'ordre politique. Ou la France choisit un modèle anglais fondé sur une économie de services, ou elle maintient une économie équilibrée où l'industrie est garante des emplois. Il faut toutefois rappeler que la Grande-Bretagne est l'un des rares pays à pouvoir se contenter d'une tertiarisation de ses activités en raison du poids considérable de ses services financiers basés à Londres.

M. Max Roustan, rapporteur, a noté trois idées force dans les propos de M. Le Duigou : l'effet pervers de certaines aides à l'emploi ; la possibilité de maintenir des activités industrielles dès lors que les chefs d'entreprise adoptent une stratégie pertinente ; enfin, le choix politique vers un modèle économique équilibré fondé sur l'industrie et les services.

M. Jean-Christophe Le Duigou a rappelé que si la part de l'industrie dans le PIB s'était maintenue, sa part dans les exportations avait diminué, ce qui n'était pas le cas de l'Allemagne. Le déclin industriel de la France n'est donc pas inéluctable puisque les coûts de production allemands sont supérieurs d'environ 20 % à ceux de la France. Il est nécessaire de préciser dans quelles mesures les aides à l'emploi ont induit un effet pervers. En étant conditionnées par les niveaux de salaires, elles n'ont concerné que les emplois non qualifiés. Or il faudrait tourner notre économie vers les emplois qualifiés afin de mieux utiliser les compétences des jeunes. Ces derniers ont actuellement du mal à s'insérer dans notre tissu économique. Il faut clairement poser la question des dotations publiques consacrées aux aides à l'emploi (20 milliards d'euros). Cette somme aurait été sans doute plus utile si elle avait été consacrée à la formation professionnelle. Il faut rappeler que la France a un faible taux de qualification reconnue de sa main d'oeuvre : 38 % seulement dans notre pays contre 76 % en Allemagne. Ce faible taux de qualification présage mal de l'emploi des travailleurs âgés.

M. Serge Poignant, vice-président, a considéré que M. Le Duigou se prononçait en faveur d'une formation professionnelle tout au long de la vie.

M. Jean-Christophe Le Duigou s'est effectivement déclaré en faveur d'un tel système. Mais il s'agit moins d'allonger la formation initiale que de former des personnes déjà employées afin de leur permettre de s'adapter aux mutations industrielles. Les aides à l'emploi avaient comme objectif caché de retarder des fermetures d'industrie alors que le vrai combat réside dans la diminution des coûts des investissements et dans la formation professionnelle. Il faut également rappeler le découragement qui frappe les salariés qui subissent dans la même entreprise jusqu'à huit plans sociaux. Dans de telles situations, ils ne peuvent pas être capables d'innover.

Mme Nicole Rondeau a ajouté que le regard de la société dissuadait les jeunes d'aller vers l'industrie, d'autant que les salaires, liés à la sous-qualification des postes, ne sont guère attractifs.

M. Jean-Christophe Le Duigou s'est également inquiété des baisses d'effectifs dans les grandes écoles scientifiques. Les jeunes sont attirés par les services financiers, qui offrent des salaires élevés, au détriment de l'industrie.

M. Serge Poignant, vice-président, a demandé si la législation sur les 35 heures avait un effet négatif sur l'industrie.

M. Jean Launay a souhaité que le travail de la Délégation sur la désindustrialisation évite de mettre en cause systématiquement la loi sur les 35 heures ou, à l'inverse, accuse excessivement la mondialisation. Il a rappelé qu'une commission d'enquête s'était penchée en 1999, sur les délocalisations et leurs conséquencs sur l'aménagement du territoire et a souhaité savoir si ce phénomène s'accentuait.

M. André Chassaigne a qualifié de passionnante l'intervention de M. Le Duigou. Il a considéré que l'industrie de la coutellerie en Puy-de-Dôme rencontrait les mêmes problèmes que le secteur textile dans l'ensemble du pays. Les chefs d'entreprise ont du mal à soutenir la concurrence des pays à bas coûts de main-d'œuvre. Ils ont tendance à ne conserver en France que les fonctions commerciales et de logistique. Il est effectivement crucial d'investir dans l'innovation et la formation professionnelle. Il a ensuite demandé quelles étaient les propositions de la CGT sur la mobilisation de l'épargne et sur une plus grande efficacité des interventions publiques, notamment la coordination des actions de l'Etat et des collectivités locales.

M. Jean-Pierre Dufau a considéré que les délocalisations, quelle qu'en soit la destination - pays de l'OCDE ou Asie - avaient toujours un résultat négatif sur l'emploi. Il a cité comme exemple le surf dans les Landes, cette activité se résumant à la commercialisation de produits fabriqués à l'étranger. Les évolutions démographiques nous placent par ailleurs devant le paradoxe de devoir faire appel à de la main-d'œuvre étrangère alors que nos industries ont tendance à se délocaliser. Soulignant l'importance de la formation professionnelle, il a souhaité connaître les trois priorités de la CGT en faveur d'une politique industrielle plus volontariste.

Mme Nicole Rondeau a jugé que les 35 heures constituaient un élément de débat sur l'attractivité du territoire et n'avaient pas d'effet sur la désindustrialisation. Citant à l'appui de ses propos une étude de la Caisse des Dépôts, elle a considéré que les gains de productivité avaient compensé les deux tiers des pertes de production liées à la réduction du temps de travail. Le reste a été pris en charge par la collectivité, par la voie budgétaire. Les industriels ont, en contrepartie, bénéficié d'une plus grande flexibilité du temps de travail. L'attractivité du territoire dépend plutôt de la qualité des services publics, de la présence de pôles technologiques et du dynamisme de la vie culturelle. Ces éléments supposent à l'évidence une grande cohésion territoriale. La législation sur les 35 heures ne mérite ni d'être encensée, ni d'être diabolisée.

M. Jean-Christophe Le  Duigou a insisté pour que le débat sur la productivité ne se résume pas à celle du travail. Il convient aussi d'évoquer l'efficacité du capital. C'est par la progression globale de tous les facteurs de production que l'on améliorera la situation de l'industrie française. Or, 30 à 40 milliards d'euros quittent chaque année notre pays pour être placés aux Etats-Unis. La France ne sait comment utiliser son épargne alors que le taux de cette dernière atteint 17 %. A l'évidence, les questions de fiscalité et d'utilisation du crédit font partie du débat sur le dynamisme de notre économie. Sans doute faudrait-il créer des fonds régionaux de développement économique et d'emploi, à l'instar de ce qui a prévalu lors de la création de la Banque pour le développement des petites et moyennes entreprises. Il faut souligner que toute restriction dans l'accès au financement aboutit à diminuer l'effort de recherche et de formation professionnelle. En France, le capitalisme demeure un capitalisme de rentiers.

Les délocalisations de l'industrie française vers les pays de l'OCDE ne sont pas liées à la main-d'œuvre mais à d'autres facteurs. Notre industrie pharmaceutique a tendance à s'installer aux Etats-Unis parce que les dépenses de santé y sont supérieures aux nôtres et que les laboratoires de recherche sont de meilleure qualité. Mais notre pays est capable d'attirer des industries lorsqu'il utilise au mieux ses atouts. C'est ainsi qu'IBM a installé une chaîne de montage en région parisienne alors que la main-d'œuvre coréenne avait un coût de 40 % inférieur au coût français.

En ce qui concerne la main-d'œuvre étrangère, les pays développés ne doivent pas piller la main-d'œuvre qualifiée des pays du tiers monde. C'est en effet cette main-d'œuvre qui forme la plus grande part du pouvoir d'achat de ces pays. Il convient plutôt de mobiliser la main-d'œuvre qui existe dans notre pays. La France a 9 % de sa population active au chômage ; il faut y ajouter environ 12 % de personnes qui ont travaillé dans le passé mais qui, pour diverses raisons, ne se présentent plus sur le marché du travail. Cela fait un total de 5 millions de personnes. Le relèvement du taux de l'emploi doit être au cœur de nos politiques.

S'agissant des contrats de sites, il conviendrait de lier la formation à l'emploi afin de mieux répondre aux situations de crise. Or, on constate que les personnes qui ont le plus besoin de formation sont celles qui y accèdent le moins. Il est dommage que les conventions de conversion soient abandonnées car elles empêchaient la rupture des employés avec le secteur industriel. A cet égard, les dernières études de l'INSEE sont explicites : ce sont surtout les salariés qui ont moins de deux ans d'ancienneté qui sont confrontés au chômage. L'une des solutions serait de disposer d'un vrai système de formation professionnelle initiale permettant une meilleure adaptabilité des titulaires de diplômes. Actuellement, la formation professionnelle n'est envisagée qu'en cas d'échec dans le système d'éducation générale alors qu'elle devrait constituer la voie royale pour les diplômes de technicien et d'ingénieur.

Mme Nicole Rondeau a rappelé que les contrats de sites faisaient pratiquement l'objet chaque année d'un comité interministériel d'aménagement du territoire mais que les résultats étaient décevants. Le rapport Viet, publié au début de 2003, a mis en lumière d'importants problèmes sociaux. La gestion des restructurations est très inégalitaire. Les salariés les plus touchés sont les moins qualifiés. En général, 15 % seulement des salariés retrouvent un contrat à durée indéterminée tandis que 60 % d'entre eux demeurent au chômage. L'exemple de la Lorraine est éclairant. Malgré des milliards de crédits publics et d'indéniables investissements dans l'urbanisme et les infrastructures, de nombreux jeunes salariés sont réduits à l'inactivité. La future loi sur les responsabilités locales donnera certes plus de compétences aux régions mais il leur faudra des moyens d'agir : initier des partenariats locaux et anticiper les mutations économiques. Or, les débats sur les perspectives économiques rassemblent rarement l'ensemble des acteurs concernés, les syndicats étant souvent exclus.

M. Max Roustan, rapporteur, a relevé que les syndicats refusaient souvent, par tradition, de participer à des débats de politique économique. Il a, par ailleurs, souhaité savoir si la faible mobilité géographique des salariés était un phénomène proprement français.

M. Jean-Christophe Le Duigou a indiqué que contrairement à une idée trop souvent avancée les ouvriers américains n'étaient pas plus mobiles que les ouvriers français. La distinction n'est pas par nationalité mais par catégorie sociale. Les cadres des deux pays sont en revanche plus mobiles. La notion de bassin d'emplois a donc toute son importance. C'est à l'échelle territoriale qu'il faut mettre en œuvre l'ensemble des politiques économiques et sociales permettant la relance de notre économie.

M. Serge Poignant, vice-président, a remercié Mme Rondeau et M. Le Duigou pour leurs interventions.


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