DÉLÉGATION

À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT

DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 6

Mercredi 28 janvier 2004
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

 

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Rapport d'information sur la désindustrialisation du territoire (M. Max Roustan, Rapporteur) :

- Audition de M. Nicolas Jacquet, délégué de la DATAR...........................................................

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M. Emile Blessig, président, a souhaité la bienvenue à M. Nicolas Jacquet et a indiqué qu'avec son audition, la Délégation abordait un nouveau volet de son travail sur la désindustrialisation. Il importe en effet de connaître les réponses que la puissance publique apporte à ce phénomène. Il est également nécessaire d'analyser la coordination des organes de l'Etat et des collectivités locales afin d'aboutir à une politique cohérente. Or la DATAR rendra publiques, dans quelques semaines, ses conclusions sur l'attractivité de notre territoire et présentera sa réponse à la crise que traversent certains de nos territoires.

M. Nicolas Jacquet, délégué de la DATAR, a rappelé que le développement économique de la France était intégré dans une logique européenne et internationale. Dans un contexte de concurrence exacerbée, il est vital pour un pays d'accroître son attractivité. La DATAR a travaillé sur les questions de désindustrialisation et de délocalisation depuis le Comité interministériel d'aménagement du territoire de décembre 2002. Le rapport qu'elle publiera dans quelques semaines apportera une réponse. La DATAR proposera de doter notre pays de pôles de compétitivité et de pôles technologiques.

La question de la désindustrialisation doit être abordée avec prudence, notamment sur le plan sémantique. Certains entendent par désindustrialisation la disparition de certaines industries tandis que d'autres y voient l'effet des mutations lié à la nouvelle répartition d'activités sur notre territoire et à l'étranger. En se fondant sur la valeur ajoutée produite depuis vingt ans, il est loisible d'affirmer que la part de l'industrie demeure la même depuis cette période, à savoir 20 % du PIB. L'industrie est donc toujours en mesure de créer des richesses. Le nombre d'emplois classés dans l'industrie a, en revanche, fortement diminué, passant de 5,2 millions d'emplois en 1978 (hors secteurs de l'énergie et de la construction) à 3,7 millions d'emplois en 2002. Il est toutefois nécessaire d'affiner cette statistique. L'industrie a en effet externalisé de nombreuses activités, ce qui induit que des milliers d'emplois (comptabilité, informatique, cantine d'entreprises...), autrefois comptabilisés dans le secteur secondaire, sont désormais classés dans le secteur tertiaire. Les personnels des sociétés d'intérim sont également classés dans le secteur tertiaire alors qu'ils interviennent fréquemment dans l'industrie.

L'analyse de la production industrielle montre qu'elle a continué de croître de 2,5 % par an ces dernières années et que l'investissement a suivi la même tendance, à hauteur de 5 % par an. S'il est vrai que l'industrie française a vu sa part de marché diminuer de 4 % durant les vingt dernières années, c'est en raison de la croissance de nouveaux pays comme la Chine ou l'Inde. Mais dans la mesure où les industries traditionnelles (cuir, textile...) sont souvent concentrées dans les mêmes territoires, l'impact de leur déclin est considérable. Il est à noter que les secteurs qui ont investi le plus à l'étranger ont également créé 100 000 emplois en France.

Existe-t-il une réponse publique aux difficultés que traverse notre économie ? La DATAR affirme qu'il y a place pour une nouvelle politique d'accompagnement de l'industrie. La croissance de demain dépendra de la combinaison entre recherche et innovation plutôt que du lien entre capital et travail. Il conviendra de faire travailler en réseau des territoires, des systèmes de formation et de recherche. L'exemple des PME du nord de l'Italie, du réseau d'entreprises auvergnates travaillant dans le secteur de la plasturgie (30 % du marché mondial du film plastique) ou des entreprises de flaconnages de parfum de la vallée de la Bresle montrent les perspectives encourageantes d'une telle politique. La difficulté de faire émerger des pôles de compétitivité réside dans le manque de personnels formés alors qu'une logique de réseau exige que les entreprises et les collectivités locales disposent d'une main d'oeuvre qualifiée. Il faut donc être capable de planifier à longue échéance la formation professionnelle des personnels. Une politique de zones d'activités ne concerne donc pas seulement quelques hectares où s'implantent des industries. Il s'agit d'une politique industrielle fondée sur les territoires et non sur les filières, rassemblant des entreprises autour d'une logique de qualité, ces entreprises se coordonnant pour mutualiser leurs équipements. Les territoires peuvent être ainsi garants d'une meilleure compétitivité.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a marqué son intérêt pour la notion de pôles de compétitivité industrielle. Elle a néanmoins souligné que l'attractivité d'un territoire était liée à la qualité des infrastructures de transports. Elle a rappelé que sa circonscription avait subi la délocalisation de la COGEMA mais que, paradoxalement, la zone géographique qui avait le mieux résisté à cette délocalisation avait été celle où se trouvait auparavant la COGEMA car elle était en bordure de l'autoroute A 20. L'autre partie de la circonscription subit une crise démographique. L'action publique n'a de sens que si elle s'accompagne d'un maillage de notre pays, ce qui justifie l'intérêt des politiques de désenclavement. Les pôles de compétitivité ne doivent pas se limiter uniquement à l'Ile de France et à la région Rhône-Alpes.

M. Nicolas Jacquet, a souligné que le développement des infrastructures de transport était au coeur des conclusions du Comité interministériel d'aménagement du territoire qui s'est tenu le 18 décembre 2003. Ainsi est-il prévu de lancer trois axes entre l'Est et l'Ouest de notre pays et de quadrupler les dotations du Fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien (FIATA) pour la desserte de certains aéroports de province.

M. Max Roustan, rapporteur, a estimé que le terme de désindustrialisation était sans doute globalement exagéré mais qu'il était réel dans plusieurs départements. Le Gard a perdu 28 000 mineurs en dix ans et les emplois dans la chaussure ont également chuté. Il conviendrait, en ce cas, que les services de l'Etat chargés de l'aménagement du territoire travaillent en commun sur une longue durée. Les autorités publiques du Gard avaient ainsi fait l'effort de lier l'Ecole des mines à l'Institut national de recherche agronomique mais ce dernier fermera bientôt ses locaux. Le sous-équipement de certains territoires dans le secteur de la télématique ne favorise pas non plus l'émergence d'activités. L'idée de la DATAR de faire émerger des pôles est intéressante à la condition qu'elle s'applique effectivement sur le terrain. Or ce dernier point est plus problématique.

M. Nicolas Jacquet, a rappelé que les différentes révolutions industrielles avaient conduit à la localisation de certaines industries sur des territoires bien déterminés. Il est donc logique que les mutations économiques aient un impact plus marqué sur les territoires abritant des industries obsolètes ou subissant une forte concurrence extérieure. Le Nord-Pas-de-Calais a ainsi perdu 500 000 emplois, qu'il a retrouvés dans de nouveaux secteurs comme la logistique. La DATAR a élaboré une statistique portant sur 348 bassins d'emplois. 54 de ces bassins ont subi la diminution du nombre de leurs établissements et les effectifs ont fortement chuté dans 145 bassins. Mais l'emploi industriel et le nombre d'établissements ont augmenté dans 192 autres bassins. Cette statistique ne peut néanmoins dissimuler le fait que 45 % des bassins ont terriblement souffert du déclin du textile, de l'habillement et du cuir. La DATAR constate qu'à côté de la crise traversée par ces trois secteurs, la chimie, l'électronique et la micro-électronique sont dans une situation incertaine tandis que l'industrie agro-alimentaire et la pharmacie sont en phase de croissance. La crise conjoncturelle de 2001 et 2002 a accéléré le déclin ou la mutation d'industries fragiles comme la métallurgie. Il faut néanmoins prendre garde à ne pas fonder une analyse d'ordre structurel à partir d'éléments conjoncturels.

M. Serge Poignant a déclaré qu'il partageait l'analyse de Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont. L'aménagement du territoire est essentiellement lié aux infrastructures. Or, ces dernières ne se développent que sur le long terme alors que les mutations sont à très court terme. Les pôles de compétitivité ne peuvent en conséquence apparaître que dans les territoires où il existe déjà d'autres pôles. La DATAR a-t-elle des solutions en faveur des territoires en crise dépourvus d'infrastructures ? Par ailleurs, ne faudrait-il pas accentuer le volontarisme des politiques de reclassement des personnels ?

M. Nicolas Forissier a considéré que le travail de la Délégation posait le problème de la compétitivité et de l'attractivité de la France. L'attractivité est liée à trois facteurs : les infrastructures, l'innovation et l'environnement des entreprises. Si notre pays a démontré sa capacité à développer les deux premiers facteurs, les contraintes administratives, les normes juridiques de toutes sortes, la fiscalité et le coût du travail enserrent les entreprises françaises dans un corset. La France est engagée dans une course contre la montre puisqu'il lui faut à la fois réduire son endettement et diminuer le poids de la dépense publique alors qu'elle a besoin de nouvelles infrastructures. Il est par ailleurs nécessaire d'opérer un travail pédagogique auprès de l'opinion qui comprend mal l'intérêt des délocalisations. Elles permettent souvent de conserver des emplois en France tout en se rapprochant de clients à l'étranger.

M. Philippe Folliot, à l'appui des propos de M. Nicolas Forissier, a rappelé l'importance d'un environnement favorable pour les entreprises. Il est plus facile pour un entrepreneur d'investir au Maghreb ou en Roumanie, où il disposera d'un environnement francophone, qu'en Asie.

M. Emile Blessig, président, s'est interrogé sur les conséquences du vieillissement de la population active sur l'emploi industriel. Il a souhaité des précisions sur la définition des pôles de compétitivité et le rôle respectif qui serait dévolu à l'Etat et aux collectivités locales dans cette politique.

M. Nicolas Jacquet, a rappelé que la politique des pôles n'était pas encore une réalité mais un projet. Ce projet ne masque pas les handicaps fiscaux ou sociaux que subit notre pays mais il part du principe que l'on peut atteindre de meilleurs résultats économiques en multipliant les réseaux entre acteurs politiques, économiques et sociaux. La politique industrielle ne peut plus être une politique d'aide financière en raison des règles européennes ; il faut donc mutualiser les compétences. Sans doute conviendrait-il également de placer l'Union européenne au coeur d'une nouvelle politique, notamment par le développement de la recherche et de l'industrie. A cet égard, la DATAR a relevé le décalage existant dans de nombreuses régions entre l'industrie et la recherche. La Bretagne a ainsi de solides positions dans l'industrie des télécommunications alors que son taux de recherche dans ce secteur est relativement faible.

Parallèlement, l'Union européenne pourrait atténuer l'incitation à la délocalisation d'entreprises au sein même de son territoire. L'intensité des aides qui seront bientôt accordées dans les pays d'Europe centrale se combinera avec d'importants écarts salariaux avec les pays d'Europe de l'Ouest, ce qui conduira à ce que les contribuables occidentaux couvrent de 50 à 80 % d'un projet industriel qui générera du chômage dans leur propre pays.

En réponse à M. Emile Blessig, M. Nicolas Jacquet a précisé que les pôles de compétitivité pourraient faire l'objet de labellisation en fonction du nombre de salariés, de leur parts dans le marché européen ou mondial, ou de leur poids dans la recherche. Si chaque acteur est prêt à jouer le jeu, les collectivités publiques apporteront leur aide.

M. Emile Blessig, président, a remercié M. Nicolas Jacquet pour son intervention.


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