DÉLÉGATION

À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT

DURABLE DU TERRITOIRE

COMPTE RENDU N° 8

Mardi 10 février 2004
(Séance de 16 heures 30)

Présidence de M. Emile Blessig, président

SOMMAIRE

   

Rapport d'information sur la désindustrialisation du territoire (M. Max Roustan, Rapporteur) :

- Audition de Mme Clara Gaymard, présidente de l'Agence française des investissements internationaux......................................................................................................................................

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M. Emile Blessig, président, a rappelé que la présente audition visait à permettre à la Délégation de mieux analyser le dispositif public d'information économique et d'apprécier la politique de soutien à l'industrie et à l'attractivité de notre territoire. La Délégation souhaite notamment comprendre la coordination des différents acteurs au sein de l'Etat ainsi que les liens entre l'Etat et les collectivités locales.

Mme Clara Gaymard, présidente de l'Agence française des investissements internationaux (AFII) a indiqué que l'Agence avait été créée en 2002 sur la base de structures déjà existantes : les bureaux à l'étranger de la DATAR et la Délégation aux investissements internationaux. L'AFII est rapidement devenue l'organisme de référence pour les analyses sur l'attractivité de notre territoire. Son métier est de connaître les besoins des investisseurs internationaux et il convient d'emblée de noter que lesdits besoins sont les mêmes que pour les investisseurs français : maximiser les investissements et minorer les risques. L'AFII est une structure légère de 120 personnes dont les trois quarts sont en poste à l'étranger. Elles travaillent dans une totale synergie matérielle avec les missions économiques extérieures. Le rôle de l'Agence est d'apporter aux investisseurs une porte d'entrée unique sur le territoire français. En fonction des besoins exprimés par les investisseurs, l'AFII met en concurrence, de manière transparente, les meilleures offres de trois ou quatre régions françaises.

L'Agence cherche à la fois à détecter les comportements des investisseurs internationaux, puis à adapter les procédures des pouvoirs publics afin de mieux les attirer. Lorsque M. le Premier ministre a lancé à La Baule sa politique d'attractivité du territoire, il a demandé à l'AFII de jouer le rôle de coordinatrice gouvernementale. L'AFII a travaillé avec quatorze ministères sur les principales mesures renforçant l'attractivité de notre territoire.

L'idée première de cette politique est de mettre en avant l'excellence de l'offre française. Les pouvoirs publics écartent des mesures considérées comme inutiles comme le dumping fiscal. L'attractivité est en fait une combinaison de plates-formes industrielles, logistiques et de services auxquelles s'ajoute la présence d'étudiants, de chercheurs... Cette offre dépend également de l'image de notre pays à travers le monde. A ce titre, M. le Premier ministre a également demandé à l'Agence de piloter une campagne montrant que notre pays ne se réduisait pas à des images traditionnelles : grèves incessantes, désintérêt pour l'industrie, réduction du temps de travail... De telles images sont en effet fausses, ainsi que l'AFII le démontre par différentes statistiques.

Mme Clara Gaymard a ensuite abordé le thème des mutations économiques. Elle a souligné que les investisseurs présents en France jugeaient de façon positive leurs investissements. Mais nous traversons une époque de mutation extrêmement rapide où les frontières des entreprises et leur périmètre d'activité changent constamment. Nous assistons parfois à des fermetures d'usines alors que la qualité de la main d'oeuvre est reconnue et que les infrastructures sont à un bon niveau.

Les investisseurs déclarent être gênés par le manque de flexibilité du marché du travail, qui allonge les délais de mutation de leurs activités. Ils déclarent être prêts à payer si nécessaire des indemnités de licenciement très élevées, comme c'est le cas en Espagne, mais ils souhaitent plus de flexibilité. Par ailleurs, ils s'inquiètent des incertitudes de la justice. Selon la localisation des juridictions, la jurisprudence des tribunaux de commerce et des tribunaux de prud'hommes n'est pas la même. Cette incertitude conduit à mettre en doute la qualité et le professionnalisme desdits tribunaux.

M. Max Roustan, rapporteur, s'est déclaré sur ce point en accord avec les propos de Mme Clara Gaymard et a qualifié les tribunaux de commerce de fossoyeurs d'entreprises.

Mme Clara Gaymard a estimé que le tissu d'entreprise industrielle était encore dense en France mais que nombre d'entre elles seraient bientôt contraintes à la modernisation de leur outil de production.

M. Max Roustan, rapporteur, a relevé qu'une entreprise qui se restructurait n'avait pas les mêmes avantages qu'une entreprise qui venait d'être créée.

Revenant sur la question de l'incertitude juridique, Mme Clara Gaymard a indiqué que nombre de groupes internationaux admettaient eux-mêmes être en infraction par rapport au droit français lorsque les décisions liées aux mutations étaient prises au siège de l'entreprise, dans son pays d'origine. Les syndicats français sont en effet informés après cette prise de décision, ce qui induit un risque pénal. Les incertitudes liées au délai et au coût des plans sociaux dissuadent les investisseurs de s'implanter en France. La lenteur de nos procédures est en contradiction avec la nécessaire rapidité des mutations économiques.

Mme Clara Gaymard a en outre indiqué que l'AFII rencontrait de nouveaux types d'investisseurs, en la présence d'hommes d'affaires de Chine, de Taiwan, de Hong-Kong ou du monde arabe. Il s'agit de conglomérats brassant des activités très diverses allant de l'agro-alimentaire aux télécommunications, qui se sont développés de manière très rapide. Leur capacité à mobiliser des capitaux est considérable et après avoir réussi à s'imposer sur leur territoire national, ils souhaitent devenir des acteurs économiques à l'échelle mondiale. Il leur est nécessaire d'investir en Europe s'ils veulent acquérir la compétence technologique et la culture du design. Ils sont à la poursuite de toute opportunité : rachat d'entreprises, joint ventures... Parallèlement, de nombreuses PME françaises recherchent des capitaux et l'extension de leurs activités sur les marchés mondiaux. L'AFII doit donc constamment réinventer ses métiers. S'agissant ainsi de la Chine, le récent accord entre Thomson et TCL est le signe avant-coureur d'un mouvement de plus grande ampleur. La montée en puissance des investisseurs chinois semble inéluctable ; aussi importe-t-il qu'ils choisissent la France comme lieu d'implantation.

M. André Chassaigne a considéré que l'attractivité du territoire reposait sur l'efficacité des synergies entre l'Etat et les régions et a demandé si le projet de loi de décentralisation, en cours d'examen, risquait de remettre en cause cet équilibre en donnant aux régions un pouvoir accru. Il a par ailleurs rappelé le désarroi que ressentaient les élus locaux et les chambres consulaires face aux mutations économiques, dans la mesure où ils ont le sentiment de n'avoir aucune prise sur ce phénomène.

Mme Clara Gaymard a rappelé que les relations entre l'AFII et les régions étaient dépourvues d'ambiguïté. L'Agence met en concurrence des régions après avoir identifié un investisseur étranger. Il est logique que les régions, de leur côté, souhaitent obtenir plus de responsabilités économiques. Il est en revanche plus inquiétant, pour la lisibilité du dispositif français, que l'AFII soit contrainte de fermer certains bureaux pour des raisons budgétaires (Boston) alors que des régions en ouvrent parallèlement. En outre les régions créent leurs propres structures au lieu d'utiliser les services existants de l'Etat.

M. Emile Blessig, président, a relevé que la concurrence s'exerçait également à l'échelle infra-régionale. Il a informé les membres de la Délégation qu'il avait déposé un amendement au projet de loi de décentralisation afin que la région soit chef de file dans la recherche des investissements, pour éviter des concurrences stériles.

Mme Clara Gaymard a confirmé que les régions feraient de sérieuses économies budgétaires en s'appuyant sur les services de l'Etat qui disposent déjà, par exemple, de locaux et de moyens bureautiques. Cette politique leur reviendrait moins cher que la rémunération de consultants étrangers. Abordant ensuite le thème des délocalisations, elle a déclaré partager le désarroi des élus mais a rappelé que le comportement des investisseurs français et étrangers se fondait sur la rationalité économique. On notera que 40 % des échanges internationaux sont le fait de mouvements d'entreprises appartenant aux mêmes groupes. Les liens entre entreprises et Etat sont de plus en plus ténus au point que, dans certains pays comme Taïwan, l'économie peut traverser des difficultés alors que les entreprises se portent bien.

Les acteurs politiques ne disposent plus de la maîtrise du jeu économique. Mais ils peuvent du moins réagir en mettant en place des outils d'intelligence économique. L'AFII a ainsi créé des fiches d'alerte qui ont débouché sur 250 projets. Un tel outil pourrait être transposé dans le domaine social afin de comprendre et d'anticiper les comportements conduisant à des délocalisations. Si la France avait la capacité d'anticiper de tels phénomènes à long terme, elle serait en mesure de mieux préparer les réponses sociales aux mutations.

M. Emile Blessig, président, a demandé si cet outil d'intelligence économique était en cours d'élaboration.

Mme Clara Gaymard a répondu par l'affirmative mais a précisé qu'il fallait dégager 700 000 euros pour sa mise en place.

M. Nicolas Forissier s'est déclaré en accord avec les propos de Mme Clara Gaymard. Il a toutefois considéré que l'effort français de présence à l'étranger était encore largement désordonné. Malgré de notables efforts, il existe toujours des chapelles, comme des « ambassades de région ». Le projet de loi de décentralisation n'apporte aucune clarification sur ce sujet. La question de la désindustrialisation est également un problème de pédagogie. Il existe en effet de bonnes délocalisations qui pérennisent les emplois en France. Le débat sur les évolutions économiques mondiales est d'autant plus troublé qu'il existe de multiples indicateurs, certains sérieux, certains fantaisistes, qui placent la France parmi les premières nations ou la relèguent au trentième rang. Il convient surtout de mieux accompagner les entreprises françaises à l'export et de renforcer leur présence dans le monde.

Mme Clara Gaymard a rendu hommage au travail de M. Nicolas Forissier au sein d'Ubi-France. Elle a rappelé que les liens entre UBI-France et l'AFII étaient très forts, notamment au sein des salons internationaux. Il convient effectivement d'approfondir le travail pédagogique. Si la France rencontre un vrai problème au regard de sa politique fiscale et de l'application du code du travail, elle demeure un pays très attractif. Le problème majeur réside en ce que les Français n'en sont eux-mêmes pas persuadés et qu'ils sont les premiers à véhiculer de fausses idées sur leur propre pays. L'AFII a en conséquence créé un document intitulé 10 idées reçues sur la France, dans lequel elle démontre que notre pays présente un environnement très favorable aux investissements et au travail. L'Agence essaie également de créer au niveau européen des indicateurs de performance qui soient fiables et incontestables afin de battre en brèche les pseudo-tableaux fondés sur des critères plus idéologiques que rationnels.

M. Nicolas Forissier a jugé que de telles actions étaient essentielles pour convaincre nos concitoyens et les investisseurs étrangers de l'efficacité de nos réformes. Les Français présentent trop souvent le défaut de débattre entre eux sans comparer leurs actions à celles qu'accomplissent leurs voisins.

M. Jacques Le Nay a demandé si l'attitude de la France à l'égard du conflit en Irak avait entravé les relations économiques avec les Etats-Unis.

M. André Chassaigne a demandé si les implantations étrangères s'effectuaient dans un but de profit financier rapide ou sur le fondement d'un véritable projet industriel.

M. Emile Blessig, président, s'est interrogé sur les investissements directs étrangers (IDE) : s'agit-il d'implantations débouchant sur des créations nettes d'emplois ou de fusions-acquisitions destructrices de valeurs ?

Mme Clara Gaymard a indiqué que le conflit en Irak n'avait pas eu de conséquences sur les relations économiques franco-américaines. Les entreprises américaines sont en revanche dubitatives à l'égard de la législation des 35 heures et dans un pays marqué par la flexibilité, elles ont de fortes interrogations sur notre modèle social. En réponse à M. André Chassaigne, elle a estimé que le principal critère d'investissements était le marché et que les implantations sur notre territoire obéissaient le plus souvent à une logique industrielle. Enfin, en réponse à M. Emile Blessig, elle a considéré que les IDE constituaient un critère peu pertinent pour apprécier l'attractivité d'un pays. Les IDE mêlent en effet les implantations et les fusions. Ils signifient simplement qu'un pays est ouvert aux capitaux et qu'il joue son jeu dans l'économie mondiale. En outre, les IDE n'incluent pas les bureaux de commerce, les activités touristiques... En fait, l'analyse de l'AFII est que notre territoire est attractif lorsque nos entreprises ont la capacité de se renforcer à l'étranger. Elles donnent ainsi une image moderne de notre pays.

M. Emile Blessig, président, a salué le travail de l'AFII et remercié Mme Clara Gaymard pour la clarté de ses propos.


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